SUR LE REVENU DE SOLIDARITE ACTIVE

 

 

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SUR LE REVENU DE SOLIDARITE ACTIVE * par Philippe MONGIN, CNRS et Groupe HEC mongin@hec.fr A paraître dans la Revue d'économie politique, t. 118, n°4, septembre-octobre 2008 Forthcoming in Revue d'économie politique, vol. 118, no 4, September-October 2008 Résumé. La France devrait instaurer en 2009 un "revenu de solidarité active" (RSA) qui remplacerait plusieurs minima sociaux, allocations ou prestations, en se cumulant avec les revenus du travail suivant un barème dégressif qui évoque les projets d'impôt négatif ou d'allocation universelle. L'article tente de répondre synthétiquement aux interrogations multiples que soulève cette réforme considérable du système de solidarité national. Après en avoir résumé les antécédents théoriques et la genèse, il développe la triple motivation du RSA – rationalisatrice, incitative et redistributive – et conclut par des propositions concrètes sur ses modalités de réalisation. Abstract. In 2009, France is expected to create a new minimum income guarantee called "revenu de solidarité active" (RSA) in order to replace several existing programmes. It should benefit those in work according to a degressive schedule that reminds one of the negative income tax or universal basic income projects. The paper attempts to offer a compact answer to the many questions raised by this major change in the national welfare system. After summing up the theoretical and historical context, it elaborates on the three arguments for RSA – rationalization, incentives, and redistribution – and finally concludes by making concrete proposals on how to implement it. Mots-clefs: revenu de solidarité active (RSA), impôt négatif, allocation universelle, système de solidarité, minima sociaux, incitations, redistribution Keywords: revenu de solidarité active (RSA), negative income taxation, universal basic grant, welfare system, guaranteed income, incentives, redistribution 1. Introduction Au sein du système général de transferts que connaissent les pays développés, le système d'assistance ou, comme on préfère le dire maintenant, de solidarité s'oppose à celui de l'assurance sociale par le caractère non contributif des prestations qu'il distribue. Elles vont aux bénéficiaires sans qu'ils aient à justifier du versement préalable et dans les formes de cotisations qui leur serviraient de contrepartie anticipée. 1 Ainsi, la couverture maladie universelle (CMU), qui existe en France depuis l'année 2000, se distingue de l'assurancemaladie par le fait qu'elle ouvre des droits à des personnes qui n'auraient pas cotisé suivant les modalités voulues. Le système de solidarité se définit par un autre caractère encore: ses prestations sont en principe conditionnelles - dans leur déclenchement comme parfois dans leurs variations - aux ressources des intéressés telles qu'elles s'apprécient effectivement et * L'auteur a déjà rédigé une étude du revenu de solidarité active dans le cadre de ses fonctions au Conseil d'analyse économique (Mongin, 2008a). Il remercie le Comité éditorial de la REP de son invitation à la développer, ainsi que des critiques constructives dont, par la voix d'A. d'Autume et d'A. Lavigne, il l'a fait profiter. Ses remerciements vont aussi à F. Bourguignon, J.B. Dujol, M. Fleurbaey, F. Gonand, M. Hirsch, P. Ravalet et B. Salanié, qui avaient commenté la note d'origine, et aux deux institutions, le Centre Walras-Pareto (Lausanne) et l'ICER (Turin), qui l'ont accueilli pendant l'été 2008. 1 Pour cette distinction classique, voir par exemple Bourguignon (1998).2 globalement. La CMU, qui s'applique sous une seule condition de résidence, fait ici exception, mais la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC), créée en même temps, illustre la règle: destinée à couvrir les tickets modérateurs des bénéficiaires de l'assurance-maladie les moins capables de les supporter, cette prestation est accessible sous un plafond de ressources. Nécessaire à quelque chose près, la condition est rarement suffisante, mais le principe de la solidarité veut que s'allègent les autres exigences, comme celles qui regardent l'histoire du bénéficiaire et l'origine de ses moyens, exigences qui importent au contraire beaucoup dans le cas d'une assurance sociale. En rapport avec l'accent général mis sur les ressources, un système de solidarité comporte souvent, quoique non pas toujours, des montants minimaux d'allocations monétaires. Cette composante est particulièrement développée en France, avec une liste officielle de neuf minima sociaux à ce jour. 2 Le plus ancien est le minimum vieillesse, qui remonte aux années 1950, et le plus connu est le revenu minimum d'insertion (RMI), créé par une loi de 1988 dont il n'est pas exagéré de dire qu'elle marque un tournant de l'histoire de la protection sociale en France. En 2007, les bénéficiaires des neuf minima étaient de 3,3 millions et le RMI en comptait à lui seul 1,15 million. Le système de solidarité national est à la veille d'une nouvelle réforme dont l'ampleur ne le disputera qu'à celle du RMI: un revenu de solidarité active (RSA), qui repose sur un principe nouveau de cumul avec le revenu personnel, remplacera plusieurs de ces minima, dont le RMI lui-même, avec l’objectif de lutter contre la pauvreté mieux que ceux-ci n'étaient parvenus à le faire. La réforme évoque les projets théoriques d'impôt négatif et d'allocation universelle, qui jusqu'à présent n'avaient guère intéressé en France, alors qu'ils ont beaucoup circulé ailleurs, particulièrement aux Etats-Unis et en Europe du nord, où ils ont même fait l'objet de quelques réalisations partielles. Alors que le RMI et d'autres dispositifs autorisent le cumul de la garantie avec les ressources propres suivant un barème di érentiel - ces ressources venant en déduction intégrale de l'allocation jusqu'à ce qu'elle s'annule -, le RSA doit suivre un barème simplement dégressif - la déduction ne portant plus que sur une fraction déterminée des ressources. Ainsi, chaque unité de travail supplémentaire dégagera un revenu positif; la perte marginale que le titulaire fera sur l'allocation sera plus que compensée par le gain marginal de son travail, calibré par le niveau du salaire minimum interprofessionel de croissance (SMIC). On évitera les effets de seuil, à la fois inéquitables et désincitatifs, qui grèvent le système actuel. Outre cette amélioration du barème, la réforme vise à transférer des ressources supplémentaires vers les plus démunis, en répartissant mieux celles qui se dispersent dans deux groupes de transferts mal ciblés, la prime pour l'emploi (PPE) et les prestations, dites droits connexes, qui accompagnent le statut de titulaire de minimum social. Ainsi, une rationalisation, peut-être une unification, du système de solidarité s'amorcerait grâce au RSA; elle serait avantageuse pour les intéressés non moins que pour les contribuables qui les financent. Lié par un engagement de la campagne présidentielle de 2007, le gouvernement et le Haut commissariat qui l'assiste dans la réforme comptent la mettre en application courant 2009, ce qui les force à saisir le Parlement d'un projet de loi dès l'automne 2008. Le débat sur le RSA s'étend désormais à la classe politique et à la presse, alors que les experts ne pensent pas l'avoir complètement tranché pour eux-mêmes. Dans cet article, on voudrait l'éclairer et l'animer en privilégiant les considérations théoriques sous-jacentes, et notamment l'économie normative du nouveau minimum social. On ne négligera pas pour autant la contrainte financière, qui varie selon les dispositifs supprimés au profit du RSA et les ressources 2 Le rapport d'information du sénateur V. Létard (2005) constitue un bon mémento de cette partie du système de solidarité.3 préexistantes qu'il récupère ainsi. Il est acquis depuis le début de la réforme que le RSA remplacera non seulement le RMI, mais un minimum social à vocation spécifique et dont les montants sont un peu plus avantageux, l'allocation de parent isolé (API); en 2007, celle-ci comportait 200 000 bénéficiaires environ. Les textes préparatoires ont envisagé très fermement d'inclure encore trois autres dispositifs: un autre minimum social, l'allocation de solidarité spécifique (ASS), qui est réservée aux chômeurs en fin de droit et qui, pour des montants souvent proches de ceux du RMI, allait en 2007 à 350 000 titulaires environ; certains droits connexes; et, surtout, la PPE, qui, devenue très dispendieuse depuis sa création en 2001, apporterait à elle seule presque toute l'enveloppe supplémentaire dont le nouveau barème dégressif a besoin. Le coût de la PPE tient moins à ses montants – en moyenne, un peu plus d'un RMI mensuel sur une année – qu'à son nombre immense de bénéficiaires, près de 9 millions en 2007. On examinera d'abord les antécédents théoriques de la réforme en revenant sur les principes généraux de l'impôt négatif et de l'allocation universelle, puis on décrira ses antécédents politico-administratifs depuis la création du RMI, en montrant comment ces principes ont lentement influencé la réflexion des experts malgré un terrain socio-politique défavorable. On recueillera aussi le témoignage - public et opposable - des engagements de 2007 sur la nature précise du RSA. Ces préparatifs achevés, on reprendra de manière analytique les trois objectifs de la réforme: - la redistribution en faveur des plus démunis, qu'il faut distinguer de la réduction des inégalités en général; - l'incitation au travail, vu comme le moyen préférable de sortie de la pauvreté; - la rationalisation du système de solidarité actuel autour d'une prestation simple, monétarisée, uniforme, transparente démocratiquement. Les trois buts entrent dans une tension mutuelle, mais ce sera la thèse de l'article qu'ils deviennent d'autant plus facilement compatibles qu'on veille à centrer le dispositif sur les individus qui sont authentiquement les plus pauvres, en fait sur le premier décile de la répartition du niveau de vie, en évitant de disséminer l'effet plus haut dans l'échelle, comme le fait aujourd'hui la PPE. A partir de ces arguments, on débouchera sur une conception précise du RSA: largement unificateur du système de solidarité, donc résorbant l'ASS et la PPE et les droits connexes nationaux, ce qui garantirait son financement; variable avec la composition familiale, suivant l'esprit général du système de solidarité en France et du RMI en particulier, bien qu'il ne faille sans doute pas reproduire l'échelle de cette allocation; nationalement uniforme, ce qui n'apparaîtra pas incompatible avec le rôle dévolu aux collectivités locales; centré sur le nonemploi et les petites quantités de travail, et dans ce but redistributif comme dans un but incitatif, soumis à un barème court et fortement concave de prélèvement implicite. On envisagera la possibilité d'un RSA temporaire, mais on n'évoquera, en revanche, ni le volet d'insertion qui doit en principe servir de contrepartie à l'allocation, ni les effets qu'on peut attendre d'elle sur l'emploi et le chômage. 2. LES ANTECEDENTS DU RSA 2.1 L'impôt négatif et l'allocation universelle Le RSA évoque deux projets antérieurs, celui de l'impôt négatif, dont James Tobin se fit l'apôtre aux Etats-Unis pendant les années 1960-1970, et celui de l'allocation universelle, qui a prospéré en Europe surtout et beaucoup plus récemment. Il s'agit en fait de conceptions4 théoriques, avec encore peu de réalisations à leur actif. Les dispositifs proposés ont en commun de viser un ensemble très vaste de bénéficiaires; de leur attribuer une allocation monétaire unificatrice en lieu et place d'avantages spécifiques; de conditionner l'attribution et ses montants au total des ressources constatées en ignorant, si faire se peut, les singularités des bénéficiaires; last but not least, de combiner la garantie de revenu en cas de ressources nulles avec un barème dégressif de cumul en cas de ressources positives. Quand les premiers schémas de ce genre apparurent il y a une cinquantaine d'années, les observateurs se fixèrent sur le dernier aspect, qui était une espèce d'innovation intellectuelle; même à ce jour, il reste à le faire comprendre plus largement. Les autres composantes proviennent de réflexions plus vagues et plus anciennes. La distinction entre l'allocation universelle et l'impôt négatif est imprécise et discutable; elle a varié dans le temps et, même aujourd'hui, dépend de l'auteur considéré. Mais on la voit parfois tracée d'une manière qui est à l'évidence inadéquate, surtout en France, où ces notions pénètrent lentement. Depuis un rapport du Commissariat général du plan qui a fait date, Minima sociaux, revenus d'activité, précarité (mai 2000), les milieux administratifs français présentent souvent l'allocation universelle comme un transfert forfaitaire net identique pour tous, ce qui revient à ignorer le rôle modificateur de la fiscalité, qu'elle soit proportionnelle ou progressive. Une telle présentation ne peut convenir qu'au cas particulier où l'Etat dispose de ressources préexistantes - par exemple, de richesses naturelles, comme dans le rare exemple de l'Alaska. 3 En général, et c'est le seul cas pertinent pour la France, l'allocation universelle sera, non pas distributive, mais redistributive, et de plus financée par l'impôt sur le revenu, ce qui la rapproche alors beaucoup de l'autre dispositif théorique. Comme d'autres qui ont suivi, le rapport Minima sociaux approuve l'impôt négatif et désapprouve l'allocation universelle sur la base d'une opposition mal comprise entre les deux dispositifs. 4 Une fois qu'on tient compte du prélèvement fiscal, la discussion se déporte vers un point de technique redistributive, le nombre et la temporalité des versements. Dans le premier schéma, une allocation est initialement versée à tous les bénéficiaires potentiels; ensuite le contribuable déclare au fisc ses ressources totales. Le second schéma fait les comptes en une fois: le prélèvement fiscal classique est maintenu au dessus d'un certain montant de ressources, alors qu'une allocation est versée en dessous. Un barème unique et continu assure la cohérence des deux impositions, positive et négative, et le versement qu'il prévoit en cas de ressources nulles correspond à ce que l'autre école désigne comme allocation universelle. Les économistes, qui raisonnent sur des gains et des pertes nets, tendent à négliger la différence des schémas, comme si elle était purement comptable et administrative. Les partisans de l'allocation universelle en font cependant du cas. Ils invoquent l'avantage pratique des bénéficiaires pauvres; de fait, le versement de l'impôt négatif, qui suppose de constater les ressources effectives, risque d'instaurer un délai de carence que leur dispositif évite. Plus philosophiquement, les mêmes remontent au sens normatif de la redistribution, qui s'exprimerait mieux dans leur schéma que dans l'autre. En séparant les étapes de l'allocation et de l'imposition, on manifeste que le droit du bénéficiaire précède logiquement tout aspect contributif; on fait comprendre que le soutien financier aux plus pauvres ne résulte pas du bon vouloir des plus riches ou d'une obligation morale prise comme fondement premier; on extirpe la connotation charitable de la solidarité. Une dimension psychologique 3 Depuis 1982, l'Alaska fait profiter ses ressortissants d'une modeste allocation dont le montant, variable avec les cours du marché, provient des ressources pétrolières de l'Etat (1000$ environ sur l'année 2004). 4 Vanderborght (2001) avait déjà signalé la confusion, mais elle s'est perpétuée; on la retrouve par exemple dans l'avis du Conseil d'orientation de l'emploi sur le RSA.5 accompagnerait la symbolisation des idées abstraites: comme toute la société reçoit l'allocation, on évite de désigner - "stigmatiser" en langage politico-journalistique – les bénéficiaires effectifs. 5 La différence pratique des deux schémas est certainement importante, mais elle varie suivant le système fiscal concret, et elle s'atténuerait dans l'état de régime permanent d'un système de retenue à la source. Quant à l'argument symbolique et psychologique, il n'est pas sans force, mais il est équivoque, car il joue sur la coïncidence, au sein du même dispositif concret, des caractères automatique et instantané du versement. Or les deux sont clairement distincts: une chose est de payer sans attendre les titulaires du droit, une autre est de les dispenser de toute démarche pour obtenir ce paiement. Les caractères sont, de plus, séparables, ce que montre le dispositif suivant, facile à réaliser: l'allocation donne lieu à des versements immédiats, mais elle ne va qu'à ceux qui en font la demande expresse à l'administration, en lui communiquant une estimation de leurs ressources qui les place dans la situation de bénéficiaires nets. La faculté ouverte à tous de solliciter l'allocation manifeste son universalité sans doute moins fortement qu'une distribution automatique. En revanche, le dispositif respecte mieux qu'elle une exigence normative qui ne peut être ignorée, la répartition équitable des devoirs contributifs. L'exigence implique des vérifications de ressources que l'étape déclarative facilite grandement, même si l'administration les réalise ex post: le contrôle portera sur les déclarations mêmes et pour ceux-là seuls qui y auront procédé. Indépendamment de cet argument de justice fiscale, l'étape déclarative autorise des incitations au travail supplémentaires par rapport à celles qui résultent simplement du barème fiscal. Comme les bénéficiaires de la solidarité se sont identifiés, ils pourront profiter du même accompagnement vers l'emploi que les chômeurs couverts par l'assurance sociale. Ce n'est pas le lieu d'approfondir les fondements philosophiques de l'allocation universelle et de l'impôt négatif, mais il vaut la peine de souligner une divergence de perspective générale qui l'emporte sans doute sur les différences techniques précédentes. Les tenants de l'impôt négatif ont rarement détaillé leurs convictions normatives, mais il apparaît que, comme Tobin et ses collaborateurs dans leurs travaux sur le "problème noir", ils suivent en général une justification naturaliste, simple et vague, de l'assistance aux démunis. 6 A leurs yeux, la réforme doit aider à satisfaire les besoins élémentaires de la vie humaine: être nourri et logé décemment, être soigné en cas de maladie, être en condition de chercher un travail, pourvoir aux mêmes besoins des proches s'il dépendent de vous, pourvoir plus spécialement à l'éducation des enfants. Les partisans de l'allocation universelle, surtout depuis que P. van Parijs en a fait la théorie, déroulent un tout autre plaidoyer: ils invoquent la liberté réelle des individus à réaliser leurs fins, quelles qu'elles puissent être dans une limite d'acceptabilité réciproque, et ils proposent comme objectif à la redistribution de garantir que chacun jouisse de cette liberté réelle au même degré, compte tenu des contraintes - notamment incitatives - de faisabilité. Cette justification par l'égalitarisme libéral se rattache de manière peu douteuse à la théorie de la justice de Rawls, même si les rapports de l'une et de l'autre s'avèrent complexes dans le détail. 7 5 Voir van Parijs (2000) et Vanderborght et van Parijs (2005). 6 On lira particulièrement Tobin, Pechman et Mieszkowski (1967). Cet article est le premier dans lequel le mécanisme de l'impôt négatif soit entièrement détaillé. Friedman (1962), dont on souligne parfois l'antériorité, se contente de quelques lignes allusives sur l'impôt négatif, et il n'a d'ailleurs jamais voulu se donner le mérite de l'invention. 7 Voir en particulier van Parijs (1995).6 Entre les deux grandes manières de concevoir la solidarité, la différence principale n'est pas tant d'explicitation philosophique - il serait possible d'articuler plus précisément la position naturaliste sur les besoins - que d'ampleur de propos et de contenu substantiel. L'allocation universelle, dans l'esprit de ses partisans, prétend répondre à plus de questions sur l'organisation sociale que l'impôt négatif dans l'esprit des siens. Ainsi que chaque dispositif vient d'être justifié, l'allocation universelle ne répond au but d'aider les démunis qu'à titre de conséquence parmi d'autres, cependant que l'impôt négatif ne vise qu'à cela. Encore la conséquence n'est-elle pas solidement liée aux postulats de l'égalitarisme libéral dans toutes les variantes possibles de la doctrine. Si l'on comprend bien celle que van Parijs adopte de préférence, l'allocation universelle est un premier pas modeste vers l'idéal redistributif qui consiste à partager également tout ce que l'on a reçu, c'est-à-dire tout ce qui ne provient pas de son industrie propre. Or il n'y a pas de raison que le produit de ce partage coïncide avec le total des ressources à distribuer aux plus pauvres pour les sortir de leur situation. C'est une sorte de corollaire de cette différence que la conception de la liberté réelle se prête à l'estimation monétaire moins commodément que celle des besoins. Pour des circonstances et des individus donnés, la liste naïve du naturaliste conduit à une fixation des montants, mais l'égalitariste libéral doit encore décider quels sont les moyens matériels dont se compose la liberté réelle. Même si elles n'explicitent pas toujours leurs postulats ultimes, les deux familles de pensée laissent paraître leur désaccord sur certaines modalités concrètes des réformes qu'elles préconisent. Les transferts seront-ils du type individuel ou familial? Par conviction philosophique immédiate, les tenants de l'égalitarisme libéral ne veulent envisager que des allocations du premier type, mais les idées naturalistes favorisent les allocations du second type au nom de cette constatation peu douteuse : la vie en commun et, plus encore, la vie de famille provoquent des externalités favorables et des prestations implicites qui facilitent la satisfaction à moindre coût des besoins ordinaires. Le choix de l'âge pour obtenir l'allocation est un autre indice de divergence théorique: pour les uns, il se fixe au premier âge où l'individu puisse disposer de ses ressources financières, c'est-à-dire à la majorité légale ou même un peu auparavant; pour les autres, il peut y avoir lieu de décaler l'attribution jusqu'au moment où les solidarités familiales se relâchent. Suivant ces repères, il apparaît que le RMI, avec sa modulation familiale et sa limite à 25 ans, se conforme aux idées naturalistes bien mieux qu'à l'égalitarisme libéral. Sur ce terrain, d'après tous les textes préparatoires, le RSA ne différera pas de son prédécesseur. 8 2.2 Les antécédents politiques et administratifs du RSA Pour des raisons complexes, qui tiennent sans doute à ses choix typés en matière de protection sociale et d'intervention étatique, la France est longtemps restée étrangère aux conceptions précédentes. Mais une proposition qui s'y rattache a tout de même frayé la voie du RSA: l'allocation compensatrice de revenu (ACR), envisagée vers la fin des années 1990 par un ancien conseiller du Premier Ministre Rocard, R. Godino. Associé à la création du RMI en 1988, Godino fut, comme tant d'autres, saisi de l'extension prise par le nouveau dispositif au cours des années suivantes. Alors qu'il avait été introduit comme un supplément aux protections existantes et qu'on n'envisageait pour lui pas plus de 500.000 titulaires, le RMI eut vite fait d'en atteindre 1 million, et ceux-ci, contrairement aux attentes, s'installaient dans l'assistance au lieu de rebondir vers l'emploi. C'est ainsi que, pour améliorer les incitations, 8 Quoique fort importante, la question de l'âge des droits du RSA ne sera pas reprise ici; on renvoie à Mongin (2008b), qui, après avoir pesé le pour et le contre, déconseille l'ouverture à 18 ans.7 Godino proposa de remplacer la règle de cumul du RMI par une règle simplement dégressive, en l'occurrence de la forme proportionnelle. Au travers de l'ACR, le revenu disponible (RD) s'écrirait donc comme une fonction affine du revenu du travail (RT): RD = RMI + ACR, avec ACR = (1-t) RT, t désignant un taux de prélèvement à déterminer. Dans sa note de 1999, Godino posait que l'ACR s'éteindrait au niveau du SMIC, ce qui, avec le rapport de l'époque entre RMI et SMIC de l'époque, donnait t = 0,5; aujourd'hui, on obtiendrait t = 0,45. 9 Le projet d'ACR eut un certain retentissement grâce au rapport déjà mentionné sur les minima sociaux. Bonne description du système en vigueur, ce rapport en soulignait la dispersion coûteuse, l'opacité administrative, l'inefficacité relative dans la lutte contre la pauvreté. Il prenait position pour un impôt négatif sur le modèle de l'ACR. Simultanément, à cause du contresens qu'on a exposé, les auteurs se prononçaient contre l'allocation universelle, au motif qu'elle dévaloriserait le travail et nuirait aux incitations. Si l'on néglige cette disparité fâcheuse, le rapport aura marqué un tournant des idées administratives françaises, tant par l'urgence qu'il conférait à la réforme que par le tour qu'il entendait lui donner. Ses recommandations n'eurent pas le moindre succès, et c'est un dispositif tout autre que l'ACR, la prime pour l'emploi, qui vit finalement le jour en 2001 sous le gouvernement Jospin. Cette prime, qui est de nature fiscale, a la forme d'une ristourne d'impôt sur le revenu ou d'un versement direct selon que les bénéficiaires sont imposés ou non. Elle va exclusivement aux foyers fiscaux dont un membre exerce une activité professionnelle et dont les ressources n'excèdent pas un certain plafond que la composition du foyer influence. Les conditions étant remplies, chaque revenu déclaré peut donner lieu à une prime, ce qui la rattache au groupe des dispositifs individualisés de redistribution. Pour tout membre du foyer de 18 ans ou plus, elle s'attribue sur un intervalle de revenu déclaré allant de 0,3 à 1,4 SMIC, suivant un barème qui est d'abord progressif, puis dégressif, le basculement s'opérant au niveau de 1 SMIC (c'est donc pour ce montant qu'elle est maximale). Les révisions de la PPE en 2002 et 2005, sous les gouvernements Raffarin et de Villepin, n'ont pas touché à ses conditions générales d'attribution. La tendance inflexible aura été d'en revaloriser les montants, de sorte qu'en 2008, un salarié au SMIC bénéficie d'environ 1000 € sur l'année, soit l'équivalent d'un treizième mois; en guise de comparaison, le RMI de l'isolé approche 450 € et l'API 750 € mensuellement. Si les titulaires de ces deux allocations ne travaillent pas ou travaillent très peu, le point d'entrée de la prime les exclut de son bénéfice, et les études confirment que, malgré ses 9 millions de bénéficiaires aujourd'hui, elle ne touche qu'une faible partie du public des minima sociaux. Ainsi, quoique le dispositif relève de la solidarité, il ne cible absolument pas la pauvreté. Il faut replacer l'arbitrage de 2001 dans le contexte d'une croissance temporairement soutenue et d'une élection présidentielle approchante. Le moment était aux largesses fiscales envers les petits revenus, sachant que le gouvernement avait déjà consenti un effort pour les démunis. Pendant l'hiver 1997-1998, les chômeurs en fin de droit, qui venaient de perdre le bénéfice d'un fonds de secours, s'étaient organisés en mouvement protestataire. Au-delà de ses revendications particulières, ce "mouvement des chômeurs" avait fait comprendre que le RMI ne pouvait pas être la seule réponse de la solidarité aux situations précaires: le prétendu filet de sécurité avait des mailles encore trop larges. Une vague de travaux spécialisés débute alors; tout au long des années 2000, elle nourrira les réflexions et les préconisations techniques sur la pauvreté, l'exclusion, la précarité, l'éloignement du travail. La réponse 9 Voir Godino (1999) et l'entretien très éclairant avec Gravel (2002).8 opérationnelle du gouvernement est contenue dans la loi de juillet 1999 relative à la lutte contre les exclusions, qui, d'une part, crée la CMU et la CMUC, et d'autre part, ouvre aux titulaires de minima sociaux des possibilités plus larges de cumul temporaire avec le revenu du travail. Ainsi, l'ASS, justement destinée aux chômeurs en fin de droit, et l'API, déjà proche du RMI, bénéficieront désormais d'un intéressement – c'est le terme administratif – sur le modèle de la dernière allocation. Une telle mesure accroît les ressources des titulaires tout en les incitant au travail, mais dans la phase qui suit la reprise uniquement, le cumul n'étant permis que sur douze mois. Au-delà, les barèmes différentiels du RMI, de l'API et de l'ASS reprennent le dessus, avec l'effet appauvrissant et désincitatif qui les accompagnent. C'étaient eux qu'il était urgent de rectifier, et le projet d'ACR ouvrait la voie, mais sans doute parce qu'il se tenait dorénavant pour quitte, le Premier Ministre tourna ses regards vers d'autres classes qui - faut-il l'ajouter - pesaient d'un autre poids d'exigence politique et syndicale que les destinataires de la demi-réforme de 1999. Comme la prime a la forme d'un crédit d'impôt et qu'elle varie avec le revenu déclaré, certains observateurs la saluèrent comme un "impôt négatif à la française", ce qui est lui faire beaucoup d'honneur. La nature fiscale plutôt que sociale du dispositif s'explique par les accidents de sa création plutôt que par une intention ferme. 10 Mais c'est avant tout la forme erratique du barème qui rend la comparaison douteuse. Sur l'intervalle de revenu allant de 0 à 1 SMIC, la prime est d'abord nulle, ce qui veut dire qu'elle ignore la pauvreté, qui est la cible normale de l'impôt négatif, puis elle augmente plus vite que le revenu, ce qui ne se rencontrerait pas dans un projet d'impôt négatif conséquent. La justice fiscale, comme on l'entend d'ordinaire, veut que le taux de prélèvement marginal soit positif en tout point du barème. Pour un théoricien de l'impôt négatif, il n'est même pas nécessaire d'adhérer à ce principe dans toute sa force; il suffira qu'il l'adopte pour la partie du barème qui prélève, et il sera ensuite amené à l'étendre sur la partie qui effectue des versements, parce qu'il cherche à uniformiser autant que possible ces deux segments. Le projet le plus simple, qu'on trouve chez Friedman, a un taux positif unique pour tous les niveaux de revenu; d'autres projets appliquent des taux marginaux positifs croissants par paliers, ce qui revient à étendre vers le bas le barème progressif qu'on rencontre dans la majorité des systèmes fiscaux. 11 Après le mécompte de la PPE, la réforme du RSA offre un nouveau départ à la réforme du système de solidarité. Elle repose sur les travaux d'une commission - "Familles, vulnérabilité, pauvreté" - qui s'était réunie en 2005 sous la présidence de M. Hirsch, alors Président d'Emmaüs France. La mission portait sur la pauvreté des enfants, qu'un rapport du Centre de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) venait de documenter de la manière la plus alarmante. Sans négliger son objectif assigné, la commission étendit ses réflexions à la pauvreté en général, et c'est par une sorte d'auto-saisine qu'elle en vint à proposer le RSA. Le 10 Le projet de loi portant création de la PPE s'est improvisé en quelques semaines, après que le Conseil Constitutionnel eut annulée en décembre 2000 la ristourne de contribution sociale généralisée (CSG) que le gouvernement avait initialement prévue. Le rapporteur du projet à l'Assemblée Nationale, D. Migaud, traduisait son embarras ainsi: "Il n'est guère courant que la Commission des finances ait à connaître dans l'urgence, au mois de janvier d'une année, d'un dispositif fiscal applicable au cours de cette même année". Il est cruel, mais instructif, de relire l'exposé des motifs malingre et décalé qui fait suite à cette entrée en matière. 11 Les objections se transposent à deux dispositifs étrangers, l'Earned Income Tax Credit (EITC) aux USA et le Working Families Tax Credit (WFTC) en GB, qui comportent aussi un intervalle de taux marginaux de prélèvement négatifs.9 rapport final, publié en avril 2005 sous le titre Au possible, nous sommes tenus, comporte quinze résolutions, dont la première annonce un objectif chiffré de réduction de la pauvreté des enfants, fondé sur le critère statistique des 50% du revenu médian 12 , et la seconde propose, en guise de moyen privilégié, l'instauration d'un "revenu de solidarité active". Celuici est conçu pour accompagner une prise ou reprise d'activité par ses bénéficiaires: "Nous avons pris le travail comme axe privilégié pour réduire la pauvreté des familles. Nous proposons de passer d'un système dans lequel on peut soit relever des prestations d'assistance, soit entrer dans le monde du travail, sans garantie de sortir de la pauvreté, à un système permettant de combiner revenus du travail et revenus de solidarité. C'est ce que nous avons appelé la nouvelle équation sociale" (p. 8). Ainsi, le cumul de l'aide et de l'activité rémunérée, suivant un mécanisme qui soit à la fois redistributif et incitatif, s'imposerait pour réduire la pauvreté des familles. On ne rabaisse pas la portée de cette "équation sociale" si l'on souligne qu'elle est tout sauf "nouvelle". Les indications qui précèdent l'ont contextualisée, sur le double plan de la réflexion théorique et de la genèse politico-administrative. La commission demande plus précisément que le cumul respecte un barème dégressif dont le taux de prélèvement serait inférieur à 50% (p. 30). En d'autres termes, le revenu disponible se décomposerait ainsi: RD = RT + RSA + T', avec RSA = Min – t RT, T' représentant d'autres transferts que le RSA, Min un minimum social à définir, qui, en l'absence de ces transferts, constituerait le revenu disponible des inactifs, et t un taux de prélèvement vérifiant t < 0.5. Avec un taux unique, l'équation du RSA ne diffère de celle de l'ACR que par le terme T' qu'elle rend explicite. L'un des problèmes importants de la réforme sera justement de partager le système redistributif entre T' et RT, qui se réinterprète alors comme la base de ressources du bénéficiaire; ce choix revient à décider pour chaque transfert s'il fait ou non l'objet d'un prélèvement. Le rapport envisage aussi un barème à deux taux successifs, dont on étudiera plus loin les intéressantes propriétés. Sans manifester la moindre hésitation ou divergence parmi ses rédacteurs, il opte pour une modulation familiale du barème (p. 30) et précise que l'échelle actuelle des minima sociaux devrait s'appliquer (p. 33). Cette dernière indication est en fait imprécise, parce que tous les minima ne pratiquent pas la même échelle, comme on le rappellera. Le terme Min est pris égal au RMI dans le schéma de base, mais une variante prévoit de le fixer au montant de l'API quand le cas couvert par cette allocation se produit, de manière à l'absorber dans le RSA. Le terme résiduel T' comprend les allocations familiales, que les auteurs n'ont pas voulu soumettre à la dégressivité qui résulterait de leur inclusion dans RT. 13 Après avoir pesé le pour et le contre, la commission ne prend pas parti sur le rattachement des APL. Elle fait disparaître la PPE et l'intéressement du RMI, en diminuant de leurs coûts respectifs - alors de 2,5 Mds et 0,5 Md - la charge financière du RSA. En se fixant sur un intervalle de versement qui s'étend jusqu'à 1,4 SMIC pour une personne seule et 2 SMIC pour un couple, elle débouche sur un coût net de 4 à 8 Mds suivant les scénarios. Cette estimation est cohérente avec une note de synthèse de la Direction générale de Trésor et de la politique économique (DGTPE), en date d'août 2005, qui chiffre le RSA sur le même intervalle pour différents couples de valeurs (Min, t). En incluant la PPE et l'API, mais en laissant de côté les APL, la DGTPE parvient à un coût de 6 à 7 Mds, net des économies 12 Les définitions statistiques de la pauvreté reposent sur la médiane non pas du revenu disponible, mais du niveau de vie, qui fait intervenir une échelle d'équivalence familiale; voir la section 3.4. 13 Les allocations familiales sont actuellement déduites du RMI, en contrepartie des suppléments familiaux dont peuvent bénéficier les titulaires de cette allocation.10 relatives aux dispositifs absorbés. L'un des intérêts de cette étude est de faire sentir l'importance redistributive des APL et la menace que leur barème représente pour l'effet incitatif qu'on cherche à susciter par le RSA. La facilité administrative serait d'inclure des APL inchangées dans T', mais il en résulterait une courbe de revenu disponible irrégulière, avec des parties décroissantes qui correspondent aux effets de seuil provoqués par ces allocations. 2.3 Les décisions de 2007 et les préparatifs de 2008 Nommé au printemps 2007 Haut commissaire aux solidarités actives auprès du Premier Ministre, M. Hirsch reçut alors mission de préciser le RSA tout en le faisant servir à une vaste réforme du système de solidarité. La lettre du Président de la République, en date du 9 juillet 2007, qui définit la mission, pose que la solidarité doit intervenir de préférence en complément, plutôt qu'en substitution, des revenus d'activités. Le discours politique a souvent relayé par la suite l'affirmation suivante, qui contraint la partie incitative du dispositif: "que toute activité apporte un revenu supplémentaire par rapport à une situation de seule assistance". On retiendra encore celles-ci, qui ne sont pas moins remarquables: "que les nombreuses aides allouées aux personnes en difficulté soient versées en fonction de leurs revenus et pas de leur statut, et que le système d'aide sociale soit plus personnalisé, plus simple et plus équitable." La lettre assigne un périmètre considérable à la réforme: elle doit "transformer en profondeur les minima sociaux et la prime pour l'emploi" et procéder aux "aménagements utiles aux conditions d'attribution de l'ensemble des aides sociales et fiscales, des aides au logement et de la couverture maladie universelle". Ce n'est plus le seul Haut commissariat, mais l'ensemble du gouvernement, que le Président mobilise quand il assigne à son quinquennat l'objectif de réduire la pauvreté globale d'un tiers. Un chiffrage explicite se rencontre déjà dans le rapport de 2005, mais il ne concernait que la sous-population des enfants pauvres. En aucun cas, la mission ne fait dépendre du seul RSA un changement social d'une aussi vaste ampleur, et elle indique expressément d'autres voies, comme l'éducation, mais en rapprochant l'objectif global d'un moyen qu'elle privilégie, elle s'expose à un risque de malentendu. La loi d’août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite TEPA, revient en son article 18 sur la définition générale du RSA. Elle souligne la volonté unificatrice qui l'inspire en permettant que les prestations liées aux minima sociaux, ou droits connexes, se fondent à leur tour dans le dispositif: Le revenu de solidarité active peut tenir compte des prestations et aides locales ou extralégales à caractère individuel recensées par chaque département et, dans la mesure du possible, de l'ensemble des droits et aides qui sont accordés aux bénéficiaires du revenu de solidarité active. La formule est de grande portée, compte tenu de l'importance de ces avantages relativement aux budgets des bénéficiaires; on citera plus loin une étude qui les chiffre. La lettre de mission avait stipulé que le RSA ne serait pas mis en place avant une expérimentation dans les départements volontaires, et elle avait chargé le Haut commissaire de la superviser et d'en synthétiser les résultats; elle lui demandait même de tenir attentivement compte de ces résultats dans le projet de loi dont elle lui confiait la responsabilité. La loi TEPA complète le programme en définissant les règles de l'expérimentation: les Conseils généraux pourront temporairement attribuer un RSA, dont ils détermineront eux-mêmes le barème, à certains titulaires du RMI et de l'API. En mars 2008, trente-quatre départements avaient saisi cette possibilité, et six autres devaient bientôt les rejoindre. L'article 22 de la loi fait obligation au gouvernement de présenter un rapport11 d'évaluation sur les expériences "avant toute généralisation du dispositif". Dès l'été 2007, il s'était mis en place un Comité d'évaluation formé des présidents de conseils généraux, des représentants de l'Etat et des organismes de sécurité sociale, ainsi que de personnalités qualifiées (l'une d'entre elles, F. Bourguignon, assurant la présidence). Le Livre Vert que le Haut commissariat aux solidarités actives a rendu public en mars 2008 constitue une nouvelle étape, intellectuelle aussi bien que politique, dans l'élaboration du RSA. Il en expose l'idée d'une manière cohérente avec la lettre de mission. On y lit par exemple que le RSA doit "concourir" à la diminution de la pauvreté, ce qui sous-entend qu'il existe d'autres instruments, et sa nature spécifique est ainsi résumée: "la sortie de la pauvreté passe principalement par le travail" (p. 12). Trois précisions nouvelles ressortent de ce document. En premier lieu, il propose d'arrêter le seuil de la pauvreté, que ni la lettre de mission, ni la loi TEPA, n'avaient rigoureusement défini, à 60% du revenu médian, ce qui est le pourcentage européen, et non plus à 50%, comme dans les statistiques de l'INSEE; le rapport de 2005 acceptait encore le dernier seuil malgré certaines réserves. 14 Ce reclassement de l'objectif provoque un bouleversement du calcul de la population pauvre qu'on exposera. En second lieu, le Livre Vert délimite le périmètre de la réforme en y incluant "le RMI, l'API, la PPE, les primes de retour à l'emploi, et peut-être l'allocation de solidarité spécifique" (p. 4). Le Haut commissariat répond ainsi à un objectif - l'unification du système au-delà de sa rationalisation - qui lui avait été indiqué en termes peu équivoques. Dans la version minimale, le RSA pourrait compter, en montants 2007, sur un financement de 7 Mds d'euros, qui proviennent du RMI (6 Mds) et de l'API (1 Md). La PPE et l'ASS apporteraient environ 4 Mds et 2 Mds respectivement. 15 Comme précédemment la fixation d'un seuil de pauvreté, le choix du périmètre est d'ordre technique, mais il est lourd de conséquences budgétaires et politiques. Les autres minima sociaux ne sont mentionnés ni par le Livre Vert, ni par les autres documents préparatoires. A l'instar de l'allocation vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés, ils dépendent étroitement de la situation personnelle de l'individu, alors que le RMI et l'API reposent sur des critères de ressources qui ne sont modulés que par la composition familiale, l'ASS étant à distance des deux pôles. La question du périmètre concerne aussi les aides connexes; non sans audace, le Livre Vert envisage que le financement de ce groupe aille au RSA (p. 57); il signale avec plus de réserve une monétarisation possible de la CMUC. Regrettablement, il ne reprend pas le problème fondamental des APL, posé, mais non résolu en 2005. Si l'on intégrait ces aides à hauteur de ce que l'Etat en finance, on n'ajouterait pas moins de 6 Mds à l'enveloppe de 13 Mds précédemment obtenus. En bref, que l'on considère les raisons ou les moyens de la réforme, les variations du périmètre font une telle différence qu'il doit être soigneusement justifié au vu de ces deux arguments. En troisième lieu, le Livre Vert pose en substance que la recherche d'emploi doive accompagner, chaque fois que nécessaire, l'attribution du RSA (p. 27). En assortissant l'allocation de cette contrepartie, absente du rapport précédent, le Livre Vert rapproche le 14 A nouveau, il s'agit sans doute non pas du revenu disponible, mais du niveau de vie; c'est la notion qu'Eurostat, et non pas seulement l'INSEE, juge pertinente. 15 Ces montants sont confirmés par le rapport de l'Inspection générale des finances, en date de décembre 2007, sur la mise en place technique du RSA.12 RSA du RMI, et il pousse même plus loin la logique d'insertion, car il envisage que les titulaires non employés du RSA doivent obligatoirement s'inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi. Cette mesure est défendable, mais elle pose le problème technique de son extension aux titulaires qui travaillent à temps partiel, puisque ceux qui sont dans ce cas ne sont pas tous désireux d'accroître leur durée de travail ou de changer d'emploi. Le Livre Vert ne prend position ni sur le barème du RSA en fonction du revenu du travail, ni sur la modulation familiale de ce barème, quoiqu'il réitère fortement le principe de cette modulation (p. 12), ni sur le problème difficile entre tous du caractère permanent ou temporaire de la nouvelle allocation (du moins ce problème est-il posé). Il soulève sans les trancher non plus deux questions institutionnelles: sachant que le RSA doit reprendre le RMI, qui est du ressort des départements, et l'API, qui relève de l'Etat, le financement de la nouvelle allocation sera-t-il centralisé, décentralisé ou partagé? Quel est par ailleurs le réseau de versement le plus approprié, des Caisses d'allocations familiales (CAF), des ASSEDIC, de l'Agence nationale de l'emploi, ou du service unifié de l'emploi s'il est mis en place à temps? La réponse à la première question est politique et financière; elle ne préjuge pas de celle, toute pragmatique, qui convient à la seconde, car le même organisme de versement peut agir au nom de l'Etat, du département, ou de l'un et l'autre à la fois. A cet égard, la réflexion actuelle privilégie les CAF, qui sont déjà chargées par les départements de distribuer le RMI. 16 La prudence du Haut commissariat sur certains aspects fondamentaux de la réforme s'explique par une volonté politique d'élargir le consensus en sa faveur, mais elle reflète aussi le rôle dévolu aux collectivités locales dans sa réalisation. En réclamant des expériences et en faisant même obligation d'en tenir compte, le Président de la République leur a donné le moyen d'orienter l'état final du dispositif, et la loi TEPA est allée dans le même sens. Le discours politique a d'ailleurs évolué de manière symptomatique: il est désormais moins souvent question d'"instaurer" que de "généraliser" le RSA - comme s'il suffisait d'étendre à tout le territoire ce qui se pratique déjà sur une partie. Le glissement de langage est inapproprié, d'abord parce que les expériences ne portent jamais que sur le RMI et l'API, ensuite parce qu'elles sont en fait de simples essais pour voir, sans prétention véritable à la rigueur statistique, bien qu'elles impliquent des situations régionales différenciées et que les départements aient su distinguer les zones soumises au prototype des zones-témoins. Le gouvernement a demandé au Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) de rendre un avis sur la réforme en cours. Publié en mai 2008, le document vaut non seulement pour ses observations techniques, mais - en raison de la nature paritaire de l'organisme - comme une expression des thèses des partenaires sociaux sur la réforme; or, de manière peut-être surprenante, ceux-ci ne s'étaient guère manifestés jusqu'alors. Le COE assigne au RSA deux buts, qui sont, d'une part, la simplification des minima sociaux, d'autre part, la réduction de la pauvreté, notamment parmi ceux qui travaillent; à la différence de ce qu'on fera ici, il traite du but incitatif sans le séparer et il développe les effets prévisibles sur l'emploi. Il est notable que le COE étende la simplification aux droits connexes et aux aides catégorielles, en proposant de les conditionner seulement par les ressources et de leur appliquer le barème dégressif (p. 11, p. 17). En liaison avec le même but, il recommande un barème nationalement uniforme et juge préférable un taux de prélèvement unique. Quant à la lutte contre la pauvreté, le COE souligne avec bon sens que le RSA n'est qu'un instrument parmi d'autres, qu'il ne convient pas de s'en tenir à une définition rigide de la pauvreté monétaire et que le cumul avec le revenu 16 Les CAF ont vu leur rôle évoluer beaucoup par rapport à leur vocation initiale. Une majorité des prestations qu'elles assurent aujourd'hui s'attribuent sous conditions de ressources.13 d'activité impose des contrôles rigoureux sur les temps de travail effectivement accomplis; les non-employés font l'objet d'une proposition d'aide spécifique en cas de reprise. Le COE se montre réservé quant au remplacement de la PPE par le RSA, et il fait un sort particulier aux couples biactifs, ces deux questions étant manifestement liées dans l'esprit des rédacteurs. Comme le RSA doit être familialisé contrairement à la PPE, il résulte que, sur des intervalles de revenu proches du SMIC et pour un même nombre d'enfants, un couple monoactif chargé de famille gagne au remplacement, cependant qu'un couple biactif y perd (p. 20-21). A ce qu'il apparaît, le COE n'est pas disposé à l'arbitrage, bien que le premier couple relève manifestement plus de la pauvreté que le second, et le motif de cette réserve est le privilège normatif qu'il confère au travail des femmes tout au long de ses analyses. Les rédacteurs se sont-ils rendu compte qu'ils surchargeaient d'un objectif supplémentaire une réforme dont ils signalent déjà qu'elle en comporte plusieurs qui ne sont pas tous réalisables au même degré? 3. PRINCIPES GENERAUX DU RSA 3.1 La triade du RSA On respecte l'esprit de la réforme en lui assignant trois buts distincts. Elle vise exclusivement les plus démunis, qu'il s'agisse d'inactifs, de travailleurs à temps partiel ou de travailleurs à temps plein, et elle se propose: - d'accroître leur revenu disponible; - d'encourager parmi eux les inactifs à prendre ou à reprendre du travail et les actifs sousemployés à travailler plus longtemps; - d'unifier et de rendre plus efficaces les transferts existants qui ont déjà les mêmes visées. Ainsi, le RSA dont être à la fois redistributif vers les plus démunis, incitatif à l'activité dans ce groupe, rationalisateur à l'égard du système existant de solidarité. Les deux derniers objectifs contribuent à la réalisation du premier, et le troisième à la réalisation du deuxième. L’originalité du concept, qui ne se ramène pas à celui d'un minimum social, tient dans ces liaisons, qui sont caractéristiques de l'impôt négatif et de l'allocation universelle. Sans renoncer au devoir ordinaire d'assistance, la collectivité se propose d'aider les plus pauvres à s’aider eux-mêmes par le travail, le changement d’attitude supposant de leur part un arbitrage réfléchi qu'elle facilitera en remplaçant des prestations décousues par une allocation unique et simple dont les intéressés comprendront tous les effets. On réexaminera chaque élément de la triade en commençant par le dernier. 3.2 L'objectif de rationalisation Qu'il faille remettre en ordre un système de solidarité devenu complexe, obscur et même incohérent peut sembler comme un impératif élémentaire. Les arguments favorables méritent cependant d'être détaillés. Ils forment un faisceau, certains ayant trait aux bénéficiaires et d'autres à la collectivité dispensatrice, certains relevant du bon sens pragmatique et d'autres de considérations directement normatives. En premier lieu, la réforme doit permettre des décisions individuelles plus réfléchies de la part des bénéficiaires. Depuis un demi-siècle que le système a foisonné, les observations réunies, en France aussi bien qu'à l'étranger, par les services statistiques, les services d'études ministériels et les universitaires spécialisés ont fait ressortir des tendances ou des régularités qui au départ n'allaient pas de soi. On heurtera de solides préconceptions en écrivant que, si14 l'on excepte une frange très préoccupante, mais numériquement faible à l'échelle de la population entière, les titulaires des revenus les plus faibles ne subissent pas leur sort passivement. En particulier, ils sont réactifs au système de solidarité, de sorte qu'il serait erroné de la part des pouvoirs publics de ne pas envisager à l'avance les décisions qui, chez ces bénéficiaires éventuels, accompagnent chaque état du système. Les simplifications de la théorie économique des incitations, pour laquelle un titulaire de minimum social est un agent stratégique comme un autre, sont à tout prendre moins mauvaises que celles de la sociologie déterministe, d'après laquelle cet individu serait inerte face à son environnement socio- économique. Si elle est bien réelle, l'absence de liberté des pauvres doit se comprendre dans un autre sens que l'insignifiance des motivations par rapport aux contraintes subies. Prenant à contre-pied la thèse déterministe, on aimerait presque dire qu’ils n’ont pas le choix de se comporter autrement qu’en stratèges face aux possibilités qui leur restent offertes, bien que ce soit à coup sûr en stratèges très imparfaits. Les inspecteurs des CAF, qui distribuent l’API et le RMI, savent que des couples se forment ou se dissolvent, officiellement parlant, selon qu'il est plus avantageux de prétendre à une allocation globale ou à une somme d'allocations individuelles. Des études de sociologie quantitative menées aux USA ont mis en évidence la généralité encore plus frappante qu'au-delà de ces apparences administratives, la stabilité des couples pouvait dépendre de la nature des transferts proposés. 17 La réactivité à l'environnement ne signifie pas encore que le comportement soit rationnel, et si la théorie économique des incitations pose en effet problème, c'est à cause de cette transition plutôt que de la précédente. L'objection à l'hypothèse de rationalité ne provient pas de la nature des motivations, qui sont monétaires et, on peut le supposer, d'autant plus puissantes que l'acteur stratégique est plus démuni, mais de l'information disponible et de son traitement cognitif. Il arrive souvent que les bénéficiaires potentiels d'une allocation ignorent son existence, qu'ils en comprennent trop mal le mécanisme pour en bénéficier effectivement ou qu'ils en bénéficient sans connaître ce mécanisme ni même identifier l'allocation. On a vu que, depuis 1999, l'API et l'ASS bénéficiaient de mécanismes d'intéressement, c'est- à-dire de cumul avec le revenu du travail. Or une étude de la DARES en 2001 révélait que le mécanisme de l'ASS était en partie méconnu. 18 Un échantillon d'individus éligibles s'était vu demander: "Connaissez-vous la possibilité de cumuler l'allocation et un emploi?" Quatre sur dix avaient répondu par la négative. Remarquablement, parmi ceux qui disaient connaître cette possibilité, certains en avaient bénéficié antérieurement, mais prétendaient le contraire, soit qu'ils aient touché l'intéressement sans le savoir, soit qu'ils l'aient touché en le sachant mais aient oublié la chose ensuite. A la décharge des sujets de l'enquête, le mécanisme d'intéressement de l'ASS n'a pas la simplicité de ceux du RMI et de l'API, qui ont l'intérêt supplémentaire d'être proches l'un de l'autre. Le législateur paraît s'être ici complu dans un luxe de dispositions juridiques abstruses. 19 Mais l'étude particulière témoigne d'un phénomène général, confirmé indépendamment, qui est la médiocre connaissance du système de solidarité 17 Ces études ont été publiées dans les années 1970-1980 par l'Institute of Poverty Research de l'Université de Wisconsin-Madison. 18 L'étude est due à Bernard et Canceill (2001). Le rapport Minima sociaux livrait des indications concordantes. 19 Le RMI et l'API se cumulent avec le revenu du travail pendant le mois de reprise et les deux mois suivants. Au-delà, le revenu est déduit intégralement si l'activité atteint ou dépasse 78h et à 50% sinon, ce dernier avantage durant 9 mois. L'ASS se cumule de même pendant trois mois, au-delà desquels le revenu se déduit avant et après 78h suivant deux règles inextricables et probablement incohérentes.15 par ceux auxquels il est destiné; elle s'accroît avec l'âge, le temps passé au chômage et l'occupation d'emplois aidés. Ce qu'on sait aujourd'hui de la PPE tire dans le même sens. Les cas suivants se présentent: l'individu ignore l'existence de la prime alors qu'il est éligible et qu'il ne la touche pas, de sorte que l'administration fiscale se voit tenue de le relancer; il est éligible, touche la prime, mais ne se rend compte de rien, sans doute parce que son montant est trop faible; il est éligible, touche la prime et se méprend sur sa nature, en croyant par exemple que l'administration corrige une erreur ou qu'il bénéficie d'une baisse générale d'impôts; il n'est pas éligible et la touche quand même, notamment parce qu'il n'a pas compris qu'elle s'attribuait en fonction des seuls revenus d'activité, les pensions de retraite ou d'invalidité n'entrant donc pas en ligne de compte. Le dernier cas est révélateur d'une di iculté cognitive qui va au-delà de l'absence d'information: l'individu ne sait pas distinguer les revenus primaires des revenus de transfert. 20 La taxinomie des aberrations de la PPE diffère de celle de l'ASS, parce qu'un groupe est plus étoffé, celui des bénéficiaires irréguliers, volontaires ou non, et qu'un autre l'est moins, celui des éligibles qui connaissent le dispositif, mais ne le comprennent pas assez pour toucher effectivement l'allocation. Le fait qu'elle prenne la forme d'une ristourne fiscale automatique, et non pas d'un versement qu'on sollicite, explique ces différences. Les partisans de l'allocation universelle devraient juger pertinente cette comparaison des inconvénients, qui renvoie à une critique précédente de leur dispositif. Au vu de ces exemples et d'autres encore, le RSA trouve une justification très solide dans l'unité, la cohérence et la simplicité qu'il serait susceptible d'instaurer dans le système actuel de solidarité. Cette considération, elle-même très simple, a toujours pesé en faveur des projets d'impôt négatif et d'allocation universelle. Pour bien la situer, il importe de la distinguer de la considération incitative elle-même: un barème peut avoir tout les qualités formelles d'unité, de cohérence, de simplicité, mais manquer son effet sur l'offre de travail. On vient seulement d'isoler un préalable logique au jeu efficace des incitations, qui reste à discuter pour luimême. En deuxième lieu, si un dispositif de solidarité doit remplir certaines qualités formelles, notamment de simplicité, c'est aussi pour des raisons directement normatives. Une thèse largement répandue, aujourd'hui, veut que la collectivité doive organiser les transferts de solidarité en faveur de ses membres d'après les ressources dont ils disposent, et non pas d'après leurs caractéristiques naturelles (hommes ou femmes, par exemple), leurs appartenances statutaires (fonctionnaires, salariés ou indépendants, par exemple), leurs situations du moment (chômeurs ou employés, par exemple). L'affirmation peut se renforcer en demandant que les transferts de solidarité dépendent seulement du montant total de ressources disponibles: peu importe qu'elles proviennent du travail, de la richesse accumulée, de certains transferts préexistants ou d'une combinaison des différentes sources; ceux qui déclarent les mêmes masses doivent être traités identiquement. La thèse précédente, dans sa variante forte ou faible, s'accompagne souvent d'une autre qui demande à être posée distinctement: il serait préférable d'attribuer une allocation globalisée, voire monétarisée. Le bénéficiaire ferait moins bon usage pour lui-même de transferts en 20 On s'est appuyé sur le rapport de la Cour des Comptes de l'année 2006, qui consacre une section entière à la PPE. Menée en 2004-2005, l'enquête porte sur des données fiscales antérieures. Une étude de Mikol, Vicard, Bonnefoy, Mirouse (2008) atténue le diagnostic sans le détruire.16 nature ou de transferts monétaires qui seraient conditionnalisés à certains usages. On trouvera aujourd'hui plus d'un interlocuteur réfléchi pour endosser l'affirmation maximale: seul le montant total des ressources importe, seule une allocation globale et monétaire convient. La double simplification garantit que la collectivité n'empiète pas sur la sphère privée de ses membres. Les tenants de l'affirmation maximale révèlent donc leur attachement au libéralisme politique, et ceux qui lient étroitement l'allocation universelle et l'impôt négatif aux postulats de cette doctrine l'assumeront sans hésiter. 21 Toutes séduisantes qu'elles soient pour un esprit moderne, les thèse précédentes sont trop schématiques. En ce qui concerne les ressources, il paraît inévitable, pratiquement et même conceptuellement, de maintenir une référence aux caractéristiques et à la situation propres des individus. Il n'y aurait guère de sens à fondre dans une allocation générale celles qu'on destine aux handicapés ou aux invalides, et même les réformateurs les plus débridés se gardent d'avancer une telle proposition. La composition familiale des ressources pose un problème auquel on a déjà touché. Les auteurs qui nient qu'elle soient pertinente doivent aller jusqu'au bout de leur libéralisme et de leur individualisme, et assumer la conséquence que les allocations qu'ils recommandent ne seront pas les plus efficaces pour lutter contre la pauvreté; ce n'est pas le choix qu'on fait ici. Le lieu de résidence pose un problème qui n'est pas sans analogie avec le précédent; la position libérale qui le disqualifie suppose que chacun détermine volontairement son lieu de résidence, et c'est une hypothèse trop forcée pour qu'on s'en satisfasse. Quant au principe de l'allocation globale, il contredirait une tradition fermement établie d'intervention paternaliste des pouvoirs publics. En offrant la gratuité des cantines plutôt qu'un versement en espèces ou des tickets-repas, ils se donnent le moyen d'influencer l'alimentation des bénéficiaires. En diminuant le coût des transports pour les titulaires du RMI, ils peuvent prétendre favoriser la recherche d'emploi et plus généralement l'insertion dans la société. Les mesures bien intentionnées de cet ordre sont devenus innombrables depuis que l'Etat-Providence a pris son essor, et certaines paraissent en effet solides au plan normatif, quoique beaucoup ne le soient pas; ainsi, le cas des cantines se défend, mais non pas celui des tarifs spéciaux dans les transports, qui ne cible pas l'usage désiré. Ces réserves n'affectent pas seulement les théories pures de l'allocation universelle et de l'impôt négatif; on les voit ressurgir très concrètement à propos du RSA. A coup sûr, il n'a jamais été question de fondre en un seul tous les minima sociaux, et le principe familial du RMI perdure. Mais des hésitations demeurent aux marges du dispositif, en ce qui concerne les allocations familiales, les APL et la modulation géographique du barème. En faveur de l'esprit de rationalité qui motive la réforme, on voudrait invoquer un troisième et dernier argument qui n'est peut-être pas le moins solide, même s'il n'est pas le plus souvent défendu. La transparence du système de transferts positifs ou négatifs décidés par l'Etat - audelà, donc, du système de solidarité lui-même - se recommande au nom du principe de légitimité démocratique. Il importe non seulement que justice distributive soit rendue, mais que la collectivité sache à quoi elle s’engage en la matière. Ce ne sont donc pas seulement les 21 Ainsi, M. et R. Friedman (1980) dans les développements qu'ils donnent au projet d'impôt négatif. Ils recommandent de monétariser non seulement les transferts de solidarité proprement dits, mais ceux qui prennent la forme traditionnelle de services publics à l'utilisateur (enseignement, soins médicaux). Contrairement à la légende, un tel projet n'est pas l'apanage d'un impôt négatif "marqué à droite" contre une allocation universelle "marquée à gauche"; il peut séduire ou inquiéter dans les deux écoles et sur les deux bords.17 bénéficiaires, mais aussi le contribuable et le citoyen, qui trouveraient leur compte à un rassemblement des dispositifs autour d'une allocation simple et cohérente. Une fois qu'elle percevra mieux les coûts et les bénéfices, la collectivité peut évidemment décider de modifier ses engagements initiaux. Le risque est double, soit que le citoyen-contribuable rechigne devant l’énormité des transferts et l’emporte dans la décision collective, soit que le citoyenbénéficiaire veuille augmenter des bénéfices que lui aussi percevra mieux (dans les deux sens de "percevoir") et qu'il l’emporte sur son alter ego. La transparence recherchée pour le RSA l'exposera plus qu'une allocation catégorielle opaque aux fluctuations du politique. Mais ce risque est, justement, celui de la démocratie, et il est conséquent de l’assumer. 3.3 L'objectif d'incitation Un système de solidarité, quel qu'il soit, influence les comportements économiques à tous les niveaux de l'échelle des revenus, mais c'est aux deux extrémités qu'on peut en attendre les effets principaux. Sommairement parlant, il peut décourager le travail chez ses destinataires, qui seront peut-être enclins à se contenter de la garantie de revenu qu'il leur apporte, et chez les titulaires de revenus moyens ou élevés, qui, devant assumer le financement de la garantie par l'impôt, réagiront peut-être en réduisant leur activité. Les économistes sont particulièrement attentifs à ces deux effets lorsqu'ils diagnostiquent les transferts, et c'est en s'appuyant sur leur travaux qu'on traitera maintenant de la portée incitative du RSA. Leur instrument d'analyse le plus perfectionné est la théorie de la fiscalité optimale, dont on rappellera en quelques mots les très grandes lignes. Cette théorie vise à justifier le choix d'un barème socio-fiscal, défini abstraitement comme une fonction reliant le revenu disponible aux ressources, sans restriction mathématique préalable; à première vue, les taux de prélèvements peuvent être positifs ou négatifs, croissants ou décroissants. 22 Le choix résulte de la maximisation d'une fonction d'utilité sociale sous une double contrainte de rationalité individuelle et d'équilibre comptable du barème. Par hypothèse, la fonction d'utilité sociale, dépend de manière croissante des fonctions d'utilité individuelles, qui dépendent elles-mêmes de manière croissante - et, en outre, typiquement concave - de deux variables, le loisir et le revenu net, c'est-à-dire après application du barème. Chaque agent procède au choix optimal de ces deux variables en tenant compte du revenu brut qu'il peut obtenir sur le marché du travail et du prélèvement ou du versement qui vient ensuite modifier ce montant. De cette manière, la théorie prend en compte les effets incitatifs ou désincitatifs du barème sur le travail offert; c'est la première contrainte qu'elle impose à la maximisation sociale. De plus, l'Etat doit équilibrer ses comptes, ce qui veut dire dégager sur les transferts prévus par le barème un solde fixé, qui est nul dans le cas le plus simple où l'Etat se cantonne dans un rôle redistributif instantané et positif dans le cas où il doit financer des biens publics; c'est la seconde contrainte, qui se calcule en prenant pour base fiscale les revenus bruts correspondant aux offres de travail optimisées. 23 On voit que cette construction réunit les aspects fondamentaux d'une politique socio-fiscale tout en les faisant interagir. Sa puissance vient aussi qu'elle mesure habilement ses engagements normatifs: elle n'impose pas de forme particulière à la fonction d'utilité sociale en dehors de la propriété simplement parétienne de croissance, et il est loisible aux utilisateurs 22 Du coup, on ne qualifiera pas automatiquement d'impôt négatif le barème de la théorie de fiscalité optimale, puisqu'on a choisi de restreindre cette notion au vu de ses applications effectives. 23 On stylise beaucoup. Sous sa forme canonique, fixée par Mirrlees, la théorie fait intervenir la productivité différenciée des agents et une fonction de répartition de cette caractéristique dans la population.18 de fixer cette fonction de telle sorte qu'elle exprime leurs goûts en matière d'inégalité de revenu. Dans les faits, ils ont particulièrement examiné le cas rawlsien, qui revient à juger d'un barème en fonction de son effet sur l'utilité des plus mal lotis. Les résultats s'avèrent très sensibles au choix des paramètres, y compris de ceux qui définissent les fonctions d'utilité individuelles et la répartition statistique des caractéristiques individuelles. Il en découle que la théorie n'a pas véritablement de résultats généraux. Mais une forme de barème émerge assez souvent de la résolution mathématique pour être devenue célèbre: elle représente une sorte de U irrégulier, avec des taux de prélèvement marginaux très élevés aux deux extrémités de l'échelle de revenu, et une plage de constance relative vers le milieu. 24 La leçon de ce diagramme est que, sous certaines hypothèses, on parvient à justifier les taux de prélèvement marginaux élevés que les systèmes de solidarité imposent de fait à leurs allocataires. Cependant, la branche supérieure du U part rarement d'un taux de 100%, ce qui semblerait condamner les barèmes différentiels, comme celui du RMI. Par ailleurs, quelle que soit la forme géométrique obtenue, les taux marginaux sont presque immanquablement positifs, ce qui semblerait condamner les barèmes à taux négatifs, comme la PPE et ses analogues anglosaxons. Au-delà de ces généralités, le système français a fait l'objet de quelques applications spécifiques; leurs conclusions ne sont favorables ni au RMI, ni à la PPE, et l'ACR l'emporte le plus souvent sur ces deux allocations. 25 Aucun travail n'a encore été réalisé sur le barème socio-fiscal qui résulterait de l'instauration du RSA, mais les résultats en faveur de l'ACR sont de bon augure. 26 Toute féconde que soit la théorie de la fiscalité optimale, il faut lui reconnaître aussi deux faiblesses, qu'elle hérite en fait de l'analyse micro-économique ordinaire. Celle-ci trouve commode de représenter les décisions rationnelles des agents par des ajustements à la marge sur des variables continues. Dans le cas d'espèce, l'agent est un offreur de travail, et il est donc censé rapporter, pour chaque quantité de travail si petite qu'elle soit, l'avantage de revenu qu'elle procure au désavantage de loisir perdu qu'elle implique aussi. L'idéalisation peut convenir à la décision que prend un travailleur déjà employé de se rendre disponible ou non pour un allongement de son temps de travail, mais elle est à l'évidence peu adaptée au traitement du non-emploi. Un chômeur se propose typiquement de travailler ou non, le travail signifiant pour lui qu'il occupe un emploi pendant une période de temps indivisible. De plus, le passage du non-emploi à l'emploi comporte des coûts fixes élevés, que l'on devine facilement et que les enquêtes confirment: acquisition d'un véhicule ou d'une carte de transport, habillement correct, garde d'enfants. Un tel problème de choix se représenterait mieux par une variable d'offre à deux valeurs, 0 et 1, et par un bilan de coûts et d'avantages calculé tour à tour pour ces deux valeurs, que par le modèle précédent des ajustements continus. Ni la critique, ni la proposition ne sont nouvelles, mais elles n'ont guère influencé l'analyse de l'offre de travail que la théorie de la fiscalité optimale endosse routinièrement. 27 Une autre faiblesse de cette analyse est qu'elle décrit statiquement la décision rationnelle de l'offreur, ce qui peut s'expliquer par la difficulté conceptuelle à trouver des hypothèses dynamiques justifiables, sans parler des problèmes mathématiques de résolution qui 24 Le manuel de Bernard Salanié (2002) illustre et commente ce diagramme classique. La forme en S basculé vers la droite et aplati n'est pas exceptionnelle; voir notamment d'Autume (2001). 25 On lira Bourguignon et Spadaro (2000), d'Autume (2001), Bourguignon (2002), Hagneré, Picard, Trannoy et van der Straeten (2002). 26 Ainsi que l'étude de Bourguignon et Chiappori (1998), qui, à partir de diagrammes-types, conclut favorablement à l'impôt négatif à taux de prélèvement uniforme. 27 Diamond (1980) a soulevé l'objection, que Hagneré, Picard, Trannoy et van der Straeten (2002) et Saez (2002) reprennent.19 s'introduiraient. Mais la décision du chômeur a une dimension intertemporelle évidente. En choisissant de prendre ou ne pas prendre un emploi qui lui serait proposé, il refait son plan de vie. On devine qu'il mettra en balance les coûts instantanés, considérables, du changement de position avec différents avantages escomptés à long terme, comme l'acquisition d'un logement, les droits à la retraite, etc. Les sociologues du travail objectent souvent à leurs collègues économistes du travail que des chômeurs, en effectifs non négligeables, acceptent de prendre des emplois qui ne leur font presque rien gagner par rapport à leur situation antérieure d'allocataires. Ils tendent à y voir un échec des hypothèses explicatives de la théorie économique, fondées sur le calcul rationnel et le motif pécuniaire, alors que le diagnostic impartial est que ces hypothèses ne sont pas appliquées au degré de raffinement convenable. Du coup, on ne cherchera pas ici à mobiliser la théorie de la fiscalité optimale plus qu'il ne vient d'être fait, et même, puisque les deux objections portent plus généralement, on renoncera à une analyse complète de l'offre de travail. On se limitera au raisonnement comptable sur les budgets individuels qui résultent des barèmes sociaux-fiscaux. Evidemment incomplète, la méthode revient à n'appréhender la rationalité individuelle qu'au travers des contraintes, en négligeant les fonctions-objectifs et les calculs d'optimisation. A fortiori, elle ne peut pas tenir compte des effets indirects sur l'emploi et le revenu national qui résulteraient du bouclage macro-économique des comportements optimisateurs. Mais c'est en fait par cette méthode simplificatrice que la majorité des économistes, aujourd'hui, font l'évaluation des dispositifs de solidarité. Si brutale qu'elle paraisse, elle ne va pas sans complications techniques à cause des ramifications du système: elle passe nécessairement par l'identification d'un petit nombre de cas-types pour lesquels on construit des budgets par simulation des données microéconomiques. 28 La question principale que vise à éclairer le raisonnement sur les budgets individuels est celle de la trappe à inactivité: le système de solidarité engendre-t-il des effets radicalement désincitatifs à la prise du travail, à sa reprise ou à son allongement? Voici quelques données très parlantes à cet égard qu'on peut extraire du rapport Au possible nous sommes tenus. La Direction de la Sécurité Sociale avait effectué des simulations préalables de ressources pour différents cas-types, en comparant chaque fois celles de l'inactivité avec celles d'une reprise d'activité: - si la reprise se fait à 25% du SMIC, elle assure des gains nets mensuels inférieurs à 150 € par mois pendant l'intéressement, qui maintient tout ou partie du minimum social, et presque nuls après cette période; - si la reprise se fait à 50% du SMIC, les gains nets mensuels sont compris entre 100 et 200 € pendant l'intéressement, puis entre 20 et 50 € au-delà; - si la reprise se fait à 100% du SMIC, les gains nets mensuels se dispersent de 50 à 500 € suivant les cas-types, et ils sont généralement pérennes. En bref, la prise ou la reprise de travail comporte des gains instantanés très médiocres, et le bilan de long terme s'améliore avec la durée de travail accomplie, en partant de valeurs positives insignifiantes pour le temps très partiel. Ces deux indications plaident en faveur de l'existence d'une trappe localisée autour du non-emploi. La conclusion se renforce dès qu'on prend en compte le jeu des droits connexes, qui est l'une des singularités remarquables de notre système de solidarité. Aujourd'hui, les titulaires du 28 Voir notamment Laroque et Salanié (1999), Hagneré et Trannoy (2001), Anne et L'Horty (2002, 2008). La méthode purement budgétaire inspirait le rapport de Bourguignon (1998). En revanche, Laroque et Salanié (2000) et Margolis et Starzec (2005) ont des modèles explicites de l'offre de travail. A propos de la PPE, Stancanelli et Sterdiniak (2004) confrontent les différentes méthodes.20 RMI touchent une prime de Noël et bénéficient de la CMUC; ils ne supportent ni la taxe d'habitation, ni la redevance audiovisuelle; leurs factures de téléphone et d'électricité, ainsi que d'autres dépenses encore, sont allégées. Sans qu'on voie d'explication satisfaisante, les titulaires des autres minima sociaux ne jouissent pas d'avantages aussi étendus, et en particulier l'API est désavantagée par rapport au RMI, alors que le fonctionnement de ces deux allocations est très proche. Au moins la liste précédente, qui résulte de dispositions nationales et parfois légales, est-elle uniforme sur le territoire métropolitain. 29 Mais il faut lui ajouter des prestations facultatives que décident les communes, les départements, les régions et, à moindre degré, les CAF, lesquelles varient suivant les lieux et les temps: cantines subventionnées, garde d'enfants, aides au logement, aux loisirs et aux vacances, transports gratuits ou à coûts allégés, sans parler de quelques versements en espèces. Ces libéralités rajoutent une couche de complexité supplémentaire à celle, déjà pesante, du système national de solidarité. Elles instaurent des inégalités dont certaines sont très difficilement justifiables entre, d'une part, les titulaires d'un minimum social donné suivant leur domiciliation, et d'autre part, les titulaires de minima sociaux différents qui résident au même lieu; ainsi, elles aggravent l'avantage du RMI sur l'API. Pour ne prendre qu'un exemple, la gratuité complète des transports que l'Ile-de-France accorde aux titulaires du RMI privilégie non seulement les résidents de la région, mais encore ce minimum social particulier, sachant que les autres donnent seulement droit à une réduction tarifaire. Il n'existe pas à ce jour de décompte des prestations liées, et encore moins de celles qui ont un caractère facultatif. Les deux études disponibles sur le sujet fixent le total à 15-20% du montant du RMI pour un titulaire de cette allocation. 30 Si l'on rapproche cette estimation du calcul repris du Livre Vert, il apparaît que, pour un tel individu, la reprise d'activité à 25% et 50% du SMIC débouche sur une perte nette au-delà de la période d'intéressement, et que les gains s'effacent même dans certains cas de reprise à 100%. Dans les limites du raisonnement budgétaire, cette conclusion plaide en faveur d'une trappe à inactivité pour les quantités de travail nulles, faibles et moyennes. L'une des motivations les plus fortes du RSA est justement de mettre fin à la pénible aberration du travail qui ne rapporte rien. Le barème doit non seulement respecter le principe selon lequel toute heure travaillée doit se traduire par un gain net, ce qui revient à rendre le revenu disponible croissant avec le revenu du travail sur tout l'intervalle de versement, mais encore maximiser l'incitation à l'activité, ce qui revient à trouver une pente convenable à la courbe du revenu disponible. La réponse la plus simple prend la forme du barème linéaire qu'on a déjà introduit en commentant les travaux préparatoires: RD = RT + RSA + T' = Min + (1– t) RT. (Voir Fig. 1 à la fin de l'article.) Un t faible serait évidemment incitatif à chaque niveau d'activité, mais comme la pente 1-t serait élevée, le point de sortie RS - c'est-à-dire le niveau de revenu du travail pour lequel le versement s'annule - le serait lui-même, et le dispositif obérerait les finances publiques. C'est précisément à partir d'un barème de ce genre que la DGTPE arrivait à l'estimation considérable de 6 à 7 Mds nets en 2005. Les auteurs du rapport supposent en effet des t compris entre 0,29 à 0,41, ce qui correspond à des points de sortie élevés de 1,4 SMIC pour un isolé et de 2 SMIC pour un couple, proches de ceux de la PPE aujourd'hui. A l'opposé, le choix de t supérieurs à 0,56, qui conduit à des points de sortie de 0,7 SMIC pour un isolé et 1 SMIC pour un couple, comme dans une autre simulation de la DGTPE, limite brutalement la 29 L'outre-mer bénéficie d'un système quelque peu différent de prestations liées. 30 Il s'agit des études précédemment citées d'Anne et L'Horty. La seconde (2008) actualise la première (2002) en renouvelant l'échantillon des villes considérées (une dizaine).21 dépense, qui tombe à 0,5 Md net, mais aussi bien l'effet incitatif recherché. On peut craindre d'instaurer une trappe à inactivité au point de sortie et, à cause de la faible pente de la courbe RD, de ne pas remédier à celle qui affecterait les inactifs. On peut rechercher un compromis dans un taux de prélèvement intermédiaire, qui, d'après ce qui vient d'être vu des cas extrêmes, devrait être voisin de t = 0,40. En prenant Min = ½ SMIC, on obtient RS = 1,20 SMIC, la moyenne des deux points de sortie précédents pour t = 0,416. Mais il est préférable de passer au barème linéaire par morceaux, parce qu'il permet de doser l'effet incitatif en fonction du temps de travail. C'était justement la proposition du rapport de 2005, et il serait urgent de la remettre à l'étude. Avec deux taux successifs de prélèvement, t1 et t2, le premier s'appliquant jusqu'à une valeur R0, et le second au-delà, l'équation devient: RD = Min + (1 - t1) RT + T' si RT < R0, et RD = Min + (1 - t1) R0 + (1- t2) (RT - R0) + T' si RT > R0. Un barème avec t1 > t2, donc de forme convexe, concentre l'effet incitatif sur les plus actifs, tandis qu'un barème avec t1 < t2, donc de forme concave, le concentre au contraire sur les moins actifs et les non-employés. (Voir les Fig. 2 et 3 à la fin de l'article.) En droit, la comparaison de ces deux schémas devrait faire intervenir la fonction d'offre de travail, sinon l'outillage entier de la théorie de la fiscalité optimale. Suivant l'hypothèse micro- économique reçue, le loisir a une utilité marginale décroissante, ce qui conduirait à privilégier un barème convexe (il faut élever les incitations d'autant plus que l'individu travaille plus). Si elle était avérée, l'existence d'un effet de revenu défavorable au travail, et qui s'accentue à proximité du non-emploi, renforcerait la conclusion. 31 Mais les deux arguments sont spéculatifs et s'inscrivent de toute façon dans le modèle des ajustements marginaux continus qu'on a contesté. Suivant l'intuition plus solide que des coût fixes élevés accompagnent l'entrée dans l'emploi, t1 doit être assez faible par rapport à t2 pour que RD absorbe ces coûts fixes, ce qui impose un barème concave et même fortement concave. Les expériences départementales signalées par le Livre Vert apporteront des informations sur les effets incitatifs, car elles impliquent les deux schémas simultanément. L'Eure et la SeineMaritime ont choisi des barèmes concaves, en plaçant R0 entre un quart et un demi SMIC, alors que les Bouches du Rhône et la Marne ont opté pour des barèmes convexes, avec R0 fixé autour d'un demi SMIC. Une préférence pour les seconds barèmes est apparue chez les représentants syndicaux des commissions préparatoires, au motif d'une "trappe à temps partiel" que les premiers barèmes seraient susceptibles de provoquer. Les rédacteurs du Livre Vert aussi bien que ceux du rapport de 2005 ont fait état de ce point de vue sans l'adopter pour autant. A coup sûr, un barème concave qui deviendrait horizontal après R0 créerait un effet de seuil au niveau du temps de travail correspondant à cette valeur, exactement comme le RMI différentiel qui est aujourd'hui en vigueur provoque un effet de seuil au niveau du non-emploi. Mais l'objection tombe si RD continue de croître au-delà de R0 avec une pente suffisante, c'est-à-dire si t2 n'est pas trop élevé. Le problème devient alors celui du financement, et le compromis naturel consiste à viser un point de sortie égal à 1 SMIC. 32 Une manière plus 31 Depuis le projet de Tobin, des économistes se sont préoccupés de l'effet-revenu qui est susceptible rendre l'impôt négatif décourageant pour le travail. Gravel, Hagneré, Picard et Trannoy reprennent la question dans le contexte français (2001). 32 Il peut y avoir des raisons extérieures à ce raisonnement de choisir un point de sortie égal au SMIC. Dans son concept idéal, un salaire minimum négocié entre les employeurs et les représentants des22 subtile de défendre la convexité s'appuierait sur l'analyse précédente menée en termes de désutilité croissante du travail, mais on a dit combien cette analyse était contestable. Suivant un autre argument, la "trappe à temps partiel" résulterait non pas de l'offre, mais de la demande de travail: les entreprises, qui font déjà beaucoup de propositions d'emplois à temps partiel, seraient conduites à en faire d'autant plus que la collectivité fournirait un complément de ressources aux candidats. Si tant est que l'analyse d'équilibre ordinaire s'applique au marché du travail, on conçoit difficilement que l'instauration du RSA déplace la courbe de demande plutôt que celle d'offre ou qu'elle déplace les deux courbes ensemble. L'allocation vient modifier la contrainte budgétaire de l'offreur, et non pas celle du demandeur, comme le ferait un abaissement de charges sur les bas salaires ou une subvention directe dans un contrat aidé. Il importe aussi de rappeler que l'employeur n'est pas censé connaître les montants exacts de RSA que touche son employé, puisqu'ils ne dépendent pas seulement des salaires qu'il leur verse, mais de la taille de la famille et des ressources du conjoint. En fait, les mises en garde contre la "trappe à temps partiel" n'expriment pas nécessairement une conviction raisonnée. Elles participent d'un discours attendu, puisque les représentants syndicaux qui la mettent en avant désignent ipso facto les bénéficiaires qu'ils souhaiteraient pour la réforme: les individus déjà employés plutôt que les chômeurs. De même, la crainte que ces représentants expriment à l'égard des entreprises relève de l'échange d'arguments convenu entre les partenaires sociaux. 3.4 L'objectif de redistribution On a coutume de distinguer la pauvreté absolue, qui est l'incapacité à satisfaire les besoins les plus élémentaires de la vie humaine, et la pauvreté relative, qui s'apprécie notamment par rapport à la répartition des ressources dans le groupe social considéré. Cette distinction n'est en fait ni aussi claire, ni aussi fondamentale, qu'il ne semble de prime d'abord. Elle a été critiquée comme superficielle par Sen, qui affirme en substance qu'aucun des deux concepts ne remplit son rôle, et bien avant lui et avec d'autres arguments, qui sont de type sociologique, par Simmel. 33 De toute manière, la distinction s'atténue dans le courant de l'analyse pour les deux raisons suivantes. En premier lieu, dès que le seuil de pauvreté absolue trouve une traduction monétaire, celui-ci peut se comparer aux variables de la répartition du revenu, et l'on glisse tout naturellement vers un concept relatif. En second lieu, les données de la répartition pertinentes pour analyser la pauvreté ne sont pas, de l'avis général, les données immédiates sur les revenus individuels, mais celles, modifiées, qui tiennent compte de la composition familiale. Les statisticiens distinguent coutumièrement le niveau de vie et le revenu disponible, celui-là résultant de celui-ci par l'application d'une échelle d'équivalence, et c'est sur le premier qu'ils font porter les comparaisons de pauvreté. De cette façon, le concept relatif se met sous la dépendance du concept absolu, puisque c'est la référence aux besoins de l'individu qui justifie de recourir à une échelle. employés devrait avoir exactement la force incitative convenable pour les employés. En prévoyant un versement de RSA au niveau du SMIC et au-delà, on reconnaît implicitement que celui-ci ne remplit pas correctement son rôle. Une considération de cet ordre a pu inspirer Godino, qui faisait l'ACR sortir au niveau exact du SMIC. 33 Après s'être d'abord intéressé à la pauvreté sous les deux aspects, Sen pense aujourd'hui que la notion de capacité ("capability") représente mieux les différences de situations des individus sur lesquelles doit agir la redistribution. Voir Sen (1992, ch. 7, et déjà 1983). La contribution de Simmel vient d'être remise à l'honneur par une traduction de 1998.23 Quelle que soit la notion technique retenue, le RSA vise à diminuer la pauvreté et non pas les inégalités en général. Cette distinction-là est fondamentale: l'intention de la réforme est exclusivement d'améliorer les ressources du bas de l'échelle des revenus disponibles et non pas, absolument parlant, de resserrer cette échelle. On peut escompter que le second effet accompagne le premier comme un sous-produit, mais les comparaisons mathématiques d'inégalité peuvent réserver ici des surprises. Il serait peu surprenant que le critère qualitatif usuel, celui de Pigou-Dalton, ne trouve pas à s'appliquer du tout. En effet, ce critère qualifie d'égalisateurs les transferts qui vont des plus riches vers ceux qui le sont moins sous la condition restrictive que la position relative de chacun reste la même avant et après les transferts. 34 Une telle condition est difficile à satisfaire dans le cas du RSA s'il doit répartir autrement la PPE; il suffirait qu'un seul des 8 ou 9 millions de bénéficiaires actuels de la prime voie sa position relative diminuée pour bloquer l'emploi du critère. S'il est vrai que le RSA est d'abord destiné aux pauvres et que leur situation, d'après tous les concepts de pauvreté, s'apprécie par rapport à la composition de la famille, il découle que le RSA doive être familialisé aux deux sens concevables, c'est-à-dire (i) attribué en fonction des ressources globales du foyer, et (ii) variable dans ses montants avec les ressources globales et la composition du foyer. Le raisonnement est élémentaire, mais c'est lui qui fonde le clivage entre le courant de l'impôt négatif et celui de l'allocation universelle, que, pour les besoins de la présente réforme, il n'y aurait pas lieu de distinguer sinon. Et plus encore, il sert de rappel aux difficultés qui attendent la réforme lorsqu'on aborde les autres allocations. Le rapport Au possible, nous sommes tenus a donné la marche à suivre pour l'API. 35 Des problèmes surgissent, en revanche, avec la PPE et l'ASS, qui se rangent dans la classe des dispositifs individualisés, en ce sens qu'elles ne respectent pas la condition (ii), la plus importante. Le cas de la PPE est véritablement critique. Si elle était maintenue telle quelle, les bénéficiaires pourraient la cumuler avec la partie variable du RSA, ce qui impliquerait un ressaut du revenu disponible total pour certaines familles, mais pas pour toutes, suivant le nombre de primes qu'elles touchent, et le barème ainsi obtenu serait à la fois irrégulier et inéquitable. En principe, le traitement des allocations familiales forfaitaires, universelles ou sous condition de ressources, se déduit du principe retenu pour l'allocation considérée. En 1988, ayant prévu la modulation familiale du RMI, le législateur avait décidé de les compter dans la base de ressources de cette allocation, donc de les soustraire des montants versés. 36 On ne voit pas pourquoi la même solution ne s'imposerait pas mutatis mutandis pour le RSA. La familialisation des montants s'exprimera dans l'accroissement du terme Min du RSA, mais comment fixer la règle de cette variation? On pourrait vouloir retenir une des échelles d'équivalence utilisées par les statisticiens, mais celles-ci prétendent refléter uniquement la réalité des besoins, alors que l'échelle implicite du RSA doit tenir compte également des incitations à l'activité, du moins pour ce qui est des personnes susceptibles de travailler. En substance, on proposera de compter chaque enfant exactement comme le demanderait une échelle d'équivalence bien faite, mais chaque adulte, en revanche, un peu moins que ce que demanderait la même échelle. Comme il apparaît que le paramètre Min du RSA sera fixé à des niveaux proches du RMI actuel, il importe maintenant de voir si le barème de cette allocation satisfait déjà cette double condition. 34 Sur le critère de Pigou-Dalton et ses formes équivalentes, on lira par exemple Sen (1970). 35 Le rapport de V. Létard avait déjà proposé l'alignement du RMI sur l'API dans le cas du parent isolé; la comparaison des montants est faite plus bas. 36 Le rapport Minima sociaux souligne la cohérence de cette disposition.24 Au 01/01/08, sans compter le forfait-logement, le RMI s'élevait à 448 € pour un isolé, 672 € pour une personne seule avec un enfant ou pour un couple sans enfant, 806 € pour une personne seule avec deux enfants ou pour un couple avec un enfant, 940 € pour un couple avec deux enfants; après ces deux derniers montants, chaque nouvelle personne à charge apportait 180 €. En normalisant à la valeur 1 pour le premier adulte, on obtient l'échelle suivante: 0,5 pour le second adulte et pour le premier enfant d'un ménage monoparental; 0,3 pour le deuxième enfant d'un ménage monoparental et pour le premier ou deuxième enfant d'un ménage biparental; 0,4 pour les enfants supplémentaires. L'échelle a l'avantage d'une simplicité relative, mais il n'est pas sûr qu'elle applique la réduction incitative à prévoir pour le second adulte, et il est douteux qu'elle traite rigoureusement les besoins des enfants. Il faudrait tenir compte de leur âge, comme dans l'échelle d'équivalence de l'INSEE, et peut-être limiter les variations d'après leur rang; le passage de 0,3 à 0,4 semble problématique. En revanche, que le premier enfant d'un parent isolé reçoive plus que celui d'un couple se défend au regard des besoins de garde pour les plus jeunes, mais cette justification est encore mieux prise en charge par les coefficients de l'API. 37 Sans qu'on poursuive plus avant l'examen, il permet déjà de conclure que la modulation familiale du RMI n'est pas nécessairement celle qu'il convient d'appliquer au RSA. La réforme doit être l'occasion de réexaminer les échelles propres à tous les dispositifs familialisés. Lorsqu'on fusionne deux allocations, il faut s'inspirer de la mieux conçue et, d'ailleurs, ne se sentir liée par aucune. Des données statistiques sur le revenu disponible et sur le niveau de vie en France aideront maintenant à cerner mieux la cible redistributive du RSA. On rappelle que les individus composant un ménage se voient attribuer un niveau de vie en divisant le revenu disponible total du ménage par la somme des coefficients qui figurent dans l'échelle d'équivalence. D'après celle de l'INSEE, le premier adulte compte pour 1, les autres membres âgés de plus de 14 ans pour 0,5, et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3. 38 Tableau 1 : Revenu disponible selon le type de ménage (en €/mois) Personnes seules Couples sans enfants Familles avec deux enfants de moins de 14 ans 10 % ont moins de… 653 1 305 1 816 20 % ont moins de… 849 1 554 2 180 30 % ont moins de… 978 1 783 2 503 40 % ont moins de… 1 084 1 994 2 784 50 % ont moins de… 1 182 2 235 3 040 60 % ont moins de… 1 303 2 485 3 392 70 % ont moins de… 1 483 2 785 3 787 80 % ont moins de… 1 717 3 238 4 308 90 % ont moins de… 2 148 4 030 5 392 95 % ont moins de… 2 364 4 469 6 081 Revenus des ménages après impôts, prestations sociales comprises. Les revenus du patrimoine sont pris en compte seulement à 20% environ. Source: INSEE, Enquête sur les revenus fiscaux (données de 2004). 37 L'API s'élève à 756 € s'il y a un enfant à charge, ce qui correspond à un coefficient de 0,7 au lieu de 0,5 suivant le RMI. L'enfant supplémentaire apporte 187 €, ce qui donne un coefficient de 0,4 à comparer à 0,3. 38 L'échelle d'Oxford donnerait 1 au premier adulte, 0,7 au second et 0,3 aux enfants. Elle est d'usage courant, y compris dans les études françaises (par exemple, celle de Fleurbaey, Hagneré et Trannoy, 2002, qui l'emploie pour analyser les mécanismes d'intéressement).25 Tableau 2 : Niveau de vie moyen pour un élément du ménage (en €/mois) 10 % ont moins de... 753 60 % ont moins de... 1 508 20 % ont moins de... 928 70 % ont moins de... 1 702 30 % ont moins de... 1 070 80 % ont moins de... 1 987 40 % ont moins de... 1 202 90 % ont moins de 2 518 50 % ont moins de... 1 345 95 % ont moins de 3 179 Les revenus mensuels initiaux comprennent les revenus estimés du patrimoine. Source : INSEE – CNIS (données de 2003). Ces tableaux donnent l'occasion de rappeler que le SMIC est situé beaucoup plus haut dans les déciles - vers le troisième du revenu disponible ou du niveau de vie - qu'on ne l'attendrait d'un salaire minimum. Les comparaisons internationales révèlent qu'il s'agit là d'une singularité française. Elle s'est accentuée au fil des ans sous l'effet, non pas des relations de travail, mais de l'interventionnisme de l'Etat, tant par les hausses discrétionnaires qu'il ajoute à l'indexation légale que par une conséquence induite, qu'il a mal anticipée, des lois sur la réduction du temps de travail. Ces observations connues amènent à relativiser la valeur de référence normative qu'on pourrait vouloir attribuer au salaire minimum dans les réformes actuelles. 39 Un point de sortie du RSA calqué sur celui de la PPE, à 1,4 SMIC pour un isolé et 2 SMIC pour un couple, diffuserait la nouvelle allocation sur les quatre premiers déciles du revenu disponible, ce qui est strictement incompatible avec le parti pris de cibler la pauvreté dans la réforme. Cette variante est de toute façon condamnée par son coût budgétaire, ainsi que la DGTPE l'a montré. Un point de sortie à 0,7 et 1 SMIC respectivement, comme dans l'autre variante étudiée par la DGTPE, couvrirait les deux premiers déciles seulement, où l'on peut situer l'essentiel de la population visée, et l'on a vu l'intérêt qu'il présente pour les finances publiques. Si l'on étend le dispositif au-delà de 0,7 et 1 SMIC, ce ne peut plus être, logiquement, au nom d'un simple objectif de lutte contre la pauvreté, c'est parce que l'on poursuit une idée redistributive supplémentaire ou, peut-être, parce qu'on ne localise pas les effets incitatifs de la manière qu'on a choisi de faire ici. Dans l'esprit d'étoffer les motifs de la réforme, on proposera de nouveau la solution intermédiaire qui fait sortir le RSA à 1 SMIC pour un isolé. En acceptant l'échelle de l'INSEE pour le deuxième adulte, on obtiendrait 1,5 SMIC pour un couple. Un tel dispositif couvre encore largement et il est soutenable au plan budgétaire. Il est instructif de comparer la diffusion du RSA, dans ses différentes variantes, et celle de la PPE, pour laquelle des études sont désormais disponibles. A partir de 500 000 déclarations de revenu de l'année 2001, la Cour des Comptes obtenait la courbe de répartition suivante. Tableau 3 : Répartition des foyers fiscaux bénéficiaires et des montants de PPE perçus par décile de revenus Déciles Foyers fiscaux bénéficiaires (en %) Foyers fiscaux bénéficiaires (en % cumulé) Fraction perçue (en %) Fraction perçue (en % cumulé) 1 3,3 % 3,3 % 3,2 % 3,2 % 2 15,6 % 18,9 % 16,6 % 19,8 % 3 17,7 % 36,6 % 19,5 % 39,3 % 39 Le rapport de Cahuc, Cette et Zylberberg (2008) développe ces observations critiques.26 4 17,1 % 53,7 % 20,0 % 59,3 % 5 17,5 % 71,2 % 20,0 % 79,3 % 6 16,8 % 88,0 % 11,5 % 90,8 % 7 6,0 % 94,0 % 5,3 % 96,1 % 8 4,4 % 98,4 % 3,1 % 99,2 % 9 1,2 % 99,6 % 0,7 % 99,9 % 10 0,3 % 100,0 % 0,3 % 100,0 % Revenus fiscalement déclarés divisés par le nombre d'UC. Source: Ministère des finances et calculs de la Cour des Comptes, rapport de l'année 2006. Les colonnes (4) et (5) sont des estimations. Comme le souligne la Cour des Comptes, l'effet redistributif de la PPE remonte haut dans l'échelle des revenus: 30% des bénéficiaires appartiennent à la moitié la plus riche et il leur revient 20% des montants versés. Le premier décile regroupe 3,3% des bénéficiaires et touche 3,2% des montants, sensiblement autant que le huitième décile. De nature fiscale, ces données ne se comparent pas directement aux tables de revenu disponible et de niveau de vie, mais elles sont déjà très parlantes. Il conviendrait de les réactualiser pour tenir compte des revalorisations appliquées en 2003, 2006 et 2007 à la suite de dispositions prises en 2002 et 2005. Ces revalorisations ont profité aux travailleurs à temps partiel, dont la prime a pratiquement doublé par rapport à l'origine, mais comme le gouvernement conservait par ailleurs l'attribution individuelle, leur effet redistributif sur les bas revenus a été jugé faible. 40 Elles ont secondairement créé une inégalité bizarre, que personne ne semble avoir remarquée, entre ces bas revenus: ceux qui ne les obtiennent pas du travail partiel sont laissés pour compte; on ne saurait aller plus nettement contre l'esprit de l'impôt négatif. 41 Aujourd'hui même, la prime continue à se disperser entre les deuxième et sixième déciles. L'exemple qui avait choqué Godino n'a pas disparu: 42 une famille constituée d’un couple d’adultes et d’un fils de 18 ans qui travaillent tous à temps plein au SMIC dans des emplois stables ou protégés touche 3 primes; une femme seule, chargée de deux enfants en bas âge, elle aussi payée au SMIC, mais qui, à cause de cette charge, ne peut travailler qu'à quart-temps dans un emploi précaire, n'en touche aucune. Il paraît extraordinaire qu'une allocation à vocation redistributive laisse ainsi de côté les plus nécessiteux. On attendrait du RSA qu'il revienne sur cette aberration en concentrant les ressources budgétaires sur la population délaissée. De fait, avec les points de sortie qu'on a proposés, les bénéficiaires du cinquième décile et au-delà disparaissent, et si le barème est concave, l'accent est mis comme il convient sur les deux premiers déciles. On terminera l'analyse du point de vue redistributif par une comparaison des deux critères statistiques de la pauvreté: 50% du niveau de vie selon l'INSEE, 60% selon les institutions européennes et d'autres organismes internationaux. Les valeurs pour 2003 sont respectivement de 673 € et 740 €, ce qui localise la pauvreté dans le premier décile de la distribution du niveau de vie. Elles sont un peu plus élevées que celles qu'on lit d'ordinaire parce que la table 40 Legendre, Lorgnet, Mahieu, et Thibault (2004) ont étudié la première des revalorisations, décidée par le gouvernement Raffarin en 2002. Allègre et Périvier (2005) discutent de la seconde vague, qui résulte d'une décision prise en 2005 par le gouvernement de Villepin. 41 Un revenu situé sur l'intervalle entre 0,3 et 1 SMIC peut donner lieu à la PPE tout en ne provenant pas d'un temps partiel; ce serait le cas, par exemple, du revenu d'un indépendant en grave difficulté économique. 42 Dans l'entretien avec Gravel (2002, p. 12).27 inclut une estimation des revenus du capital (d'importance évidemment limitée pour les premiers déciles). Si l'on compare maintenant ces deux valeurs à la table du revenu disponible des isolés, en faisant abstraction de la différence de calcul et d'année, on voit qu'elles excèdent le premier décile, la plus élevée mordant largement sur le deuxième décile. En fait, la substitution de 60% à 50% double pratiquement les e ectifs: on passe d'environ 6% de la population à environ 12%, suivant les données de 2003-2004-2005. Stable sur une plus longue période encore, la proportion de 1 à 2 accompagne la décrue du nombre absolu de pauvres suivant l'un et l'autre seuil. 43 Tableau 4 : Taux de pauvreté en pourcentage du niveau de vie (en %) Année 1970 1975 1979 1984 1990 1996 Seuil à 50% 12,0 10,2 8,3 7,7 6,6 7,2 Seuil à 60% 17,9 16,6 14,2 13,5 13,8 13,2 Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Seuil à 50% 6,5 6,1 5,9 6,3 6,2 6,3 Seuil à 60% 12,7 12,4 12,0 12,0 11,7 12,1 Source : INSEE, enquête revenus fiscaux Encore trop peu diffusés, ces chiffres sont préoccupants. Il serait dangereux que le succès ou l'échec de la lutte contre la pauvreté, pendant le quinquennat, soit jugé à l'aune d'un seuil statistique aussi exigeant que celui des 60%. Comme le seuil de 50% présente d'autres inconvénients, il vaudrait mieux abandonner complètement les objectifs fixés en pourcentages de la médiane, qui n'ont de toute façon guère de justification théorique. On proposera de se fixer de préférence sur les déciles du niveau de vie. La notion est plus facile à saisir (celle de médiane étant mal comprise) et on vient de voir qu'elle était plus consensuelle (puisqu'en l'occurrence, elle ne distingue pas les deux seuils). 4. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS 4.1 Un revenu de solidarité active qui n'engloberait pas l'essentiel du système de solidarité non spécifique trahirait son objectif de rationalisation. Au sens étroit, le système de solidarité se compose des neuf minima sociaux, des avantages qui leur sont appariés, enfin des transferts qui ont une destination exclusive ou principale de secours; au sens large, il inclut les transferts à vocation redistributive qui ne participent pas de l'assurance sociale, comme la PPE, et même la composante redistributive de l'assurance sociale, bien que cette composante n'ait pas d'existence matériellement séparée. C'est à l'intérieur du premier cercle que le RSA peut exercer le plus naturellement sa vocation rationalisatrice. 43 En 2005, les effectifs absolus étaient de 3,7 et 7,1 millions d'individus suivant le seuil retenu, ce qui représentait 1,7 et 3 millions de ménages respectivement.28 Si l'on met à part les minima sociaux que justifient l'âge, le handicap et l'invalidité, ainsi que les minima en voie d'extinction ou à effectifs limités, il reste le RMI, l'API et l'ASS. La fusion des deux premiers au sein du RSA étant acquise, il reste à trancher le sort du troisième. Intégrer l'ASS paraît souhaitable parce qu'on réaliserait ainsi une séparation de l'assurancechômage et de la solidarité nationale qui est claire dans le principe et qui s'inscrit en tendance dans l'histoire française des trente dernières années. Le partage des rôles semble approuvé par les partenaires sociaux, même si dans le cas d'espèce, ils ont manifesté une hésitation (on la perçoit dans l'avis du COE). Le fait qu'il existe un mécanisme d'intéressement pour l'ASS encourage d'autant plus fortement l'intégration que ce mécanisme est d'une opacité déplorable et, du coup, mal utilisé. Les obstacles tiennent aux montants de l'ASS, qui ne sont pas alignés sur ceux du RMI, et surtout à leur distribution par les ASSEDIC, qui perdure malgré le financement public de l'allocation. Maintenir les ASSEDIC - ou instituer le nouveau service unifié de l'emploi - dans le rôle distributif priverait le RSA du guichet unique dont chacun s'accorde à penser qu'il est préférable. Transférer ce rôle aux CAF reviendrait, selon un argument des partenaires sociaux dont il faudrait évaluer la force, à priver les titulaires d'une aide à la réinsertion professionnelle et, de plus, à leur infliger des délais de carence. Au bas mot, il conviendrait de remplacer l'intéressement de l'ASS par la partie variable du RSA. Pour limiter les contestations financières, la réforme ne s'appliquerait qu'aux nouveaux entrants. Parmi toutes les aides liées aux minima sociaux, la plus importante et la plus défendable est certainement la CMUC. On préconisera de mettre à l'étude sa monétarisation en même temps que son association au RSA. La voie est en fait ouverte pour cette réforme, puisque le législateur a prévu la désignation d'un organisme gestionnaire sans imposer de restriction sur sa nature juridique. En sus de ce qui est normalement prévu pour le RSA, le bénéficiaire toucherait un forfait d'un montant suffisant pour qu'il achète un contrat d'assurance-maladie à large couverture auprès d'une mutuelle ou d'une compagnie privée. Le raisonnement économique encourage une telle mutation, ce qui n'empêchera pas qu'elle provoque des réticences. Elle ne peut intervenir de façon réaliste que si les organismes responsables du RSA consentent à piloter les titulaires dans leurs démarches. L'autre condition de bon sens – que le système d'assurance manifeste son intérêt pour le projet – est déjà remplie. Compte tenu de leur importance et de leur caractère discutable, les autres aides liées aux minima présentent un enjeu de réforme encore plus lourd que la CMUC. Le raisonnement économique, là encore, pousse à la monétarisation de certaines d'entre elles. On respectera volontiers l'inspiration paternaliste qui conduit les pouvoirs publics à subventionner des cantines, des installations sportives ou culturelles, et certains déplacements à buts définis. Il est en revanche douteux que les titulaires du RSA doivent bénéficier gratuitement ou à coût réduit de la télévision, du téléphone et de l'électricité ou de déplacements quelconques dans leur région. Ces libéralités autoritaires poussent à la mauvaise utilisation des ressources et devraient céder la place à des forfaits. Une fois expliquée chiffres à l'appui, la réforme des aides nationales devrait être plus facile à mener que celle des aides locales. A défaut d'accepter toute de suite une évolution qui heurtera leurs habitudes, les élus devraient se plier, d'une part, à l'obligation de tenir et de publier la comptabilité des avantages qu'ils distribuent, d'autre part, à un effort de limitation volontaire. Il est facile d'inscrire l'obligation dans la loi qui portera création du RSA, il est concevable d'encourager l'effort par un aménagement des transferts financiers entre l'Etat et les collectivités locales. Une solution brutale, quoique très rationnelle, consisterait à faire interdire par la loi que les régions et les communes distribuent des aides liées au statut ou au revenu et présentant un caractère durable; cette possibilité serait réservée à l'Etat et aux conseils généraux, qui sont destinés à superviser le versement de la nouvelle allocation.29 Prolongeant cette analyse, on souligne que le partage des responsabilités financières entre l'Etat et les collectivités doit viser non seulement à l'efficacité pratique et à l'acceptabilité politique, mais à l'uniformité des interventions. Parmi les propositions discutées, la plus intéressante à cet égard ferait porter la responsabilité financière sur les conseils généraux pour ce qui est des bénéficiaires non-employés (donc du versement du montant Min) et sur l'Etat pour ce qui est des bénéficiaires employés (donc du versement de la partie variable, dite chapeau du RSA). Avec une définition nationale du paramètre Min, le dispositif deviendrait uniforme, sauf aides locales résiduelles. Il peut aussi passer pour efficace parce que les conseils généraux seraient incités à favoriser le travail de leurs ayants droit. Ce travail a développé l'objectif de rationalisation en reprenant des arguments qui ont servi à la défense de l'impôt négatif et de l'allocation universelle, mais il a pris ses distances par rapport à cette double tradition, d'abord en posant des limites pratiques à l'unification du système, mais aussi pour deux raisons plus fondamentales. Au-delà de ses motivations diverses, l'allocation universelle est aujourd'hui conçue comme étant rigoureusement individuelle. Or la lutte contre la pauvreté, si elle est donnée en objectif premier du RSA, lui impose la même détermination familiale qu'au RMI, quoique d'après une échelle d'équivalence à reconsidérer (on a donné quelques indications). Quant aux conceptions de l'impôt négatif, elles s'accordent, au-delà de leur diversité, sur un dispositif de nature fiscale, et l'on ne recommandera certainement pas de confier aux services fiscaux l'établissement et le versement du RSA. Outre les embarras que cet accroissement de responsabilité ne manquerait pas de faire naître, outre les délais de carence qui seraient inéluctables en l'absence de retenue à la source, le choix de la familialisation oriente naturellement vers les CAF comme entités responsables de la nouvelle allocation. 44 Elles possèdent les données nécessaires pour l'établissement des montants, elles ont les moyens techniques de faire parvenir sans délais excessifs les montants aux titulaires, elles disposent enfin du corps d'inspecteurs qui convient à la vérification de l'aspect familial des données. Ces considérations paraissent aussi avantager les CAF relativement au service public de l'emploi, malgré l'objection - déjà signalée à propos de l'ASS - qu'on diminuerait les chances de réinsertion professionnelle des allocataires. Il faut admettre que le volet d'insertion du RSA demeure nébuleux par rapport à la garantie concrète d'une distribution rapide et contrôlée. L'expérience du RMI a fait comprendre ce qui – regrettablement – fonctionnait le mieux dans un dispositif mixte, de l'assistance et de sa contrepartie escomptée. 4.2 La PPE ne respecte ni la condition de simplicité rationnelle qui s'impose à tout dispositif de redistribution, ni le but incitatif qu'elle affiche officiellement, ni l'objectif de lutte contre la pauvreté qui a la priorité éthique sur toute autre forme de redistribution. Elle devrait idéalement disparaître au profit du RSA qui en récupérerait ainsi l'enveloppe budgétaire. La PPE appartient au second cercle du système de solidarité. La recommandation qu'elle appelle ne peut donc être de la même nature exactement que celles qui précèdent. Elle découle pour partie des défauts propres à ce dispositif, dont le RSA donne l'occasion de se défaire, pour partie du risque d'incohérence que ferait naître sa juxtaposition avec le RSA. Le constat d'échec a été instruit avec des arguments désormais bien connus des experts, pour ce qui est d'abord de la simplicité rationnelle (au 3.1), puis du but incitatif (3.2), enfin du but redistributif (3.3). L'explication parfois entendue, suivant laquelle cette dualité des buts aurait 44 On rejoint ici la recommandation du rapport de l'Inspection générale des finances en 2007.30 desservi la PPE, n'est pas encore la bonne, car l'intuition suggère, et le raisonnement confirme, qu'il est possible de les réconcilier à condition de choisir la bonne population-cible, ce que doit maintenant faire le RSA. L'incohérence avec le RSA proviendrait à la fois du barème de prélèvement, de la nature fiscale du dispositif et de sa conception individualisée. Le dernier point reste mal perçu; d'où l'insistance de cet article. Sept après l'invention de la prime, la classe politique n'a pas encore pris la mesure de la tension qu'un dispositif individualisé d'une aussi grande ampleur suscite dans un système socio-fiscal qui reste dominé par la familialisation. Si, malgré ce qu'on a cru lire dans les engagements présidentiels de 2007, et malgré les travaux préparatoires unanimes sur ce point, les arbitrages maintiennent la PPE en existence, il conviendra que la réforme organise autrement son recentrage sur les premiers déciles. Ce serait un objectif minimal que d'annuler dès que possible la prime dont bénéficient les 50% plus aisés. Avec cette simple mesure, facile à expliquer et à défendre publiquement, le budget récupérerait déjà presque 1 Md pour le financement du RSA. Une manière élégante de procéder consisterait à profiter de l'inévitable familialisation de la prime. On recommandera aussi, ce qui semble être de l'ordre du politiquement possible, de faire disparaître le caractère fiscal de la PPE, qui, outre ses inconvénients pratiques, occulte son appartenance au système de solidarité, et donc le sens éthique de la réaffectation vers les plus démunis. L'auteur ne se dissimule pas les réticences que rencontreront des recommandations aussi nettes. Il les avance toutefois sans réserve excessive parce que l'état présent des finances publiques interdit de toute façon le maintien d'une PPE inchangée, et que l'opacité même de la prime, ainsi que la faiblesse de ses montants pour les bénéficiaires les plus aisés, limitent de quelque façon l'inconvénient politique de sa révision. 4.3 Le barème souhaitable serait concave, de manière à privilégier le non-emploi et les petites quantités de travail, et son point de sortie serait de 1 SMIC pour un isolé et 1,5 SMIC pour un couple. La proposition d'un barème concave repose sur une double motivation incitative (3.2) et redistributive (3.3), et elle est tenable budgétairement compte tenu des points de sortie proposés. On l'a illustrée par un barème linéaire par morceaux de la forme la plus simple, c'est-à-dire avec un seul point critique R0, mais on peut facilement la raffiner en rajoutant d'autres points critiques et se rapprocher ainsi d'une pente concave continue, ce qui limiterait les effets de seuil subsistant autour de ces points. La coexistence du RSA et de la PPE - celleci demeurant telle quelle sur son intervalle de définition - aboutirait à un barème éloigné de celui qu'on recommande, même s'il présente une partie concave; car l'effet incitatif culminerait à l'approche du temps plein, alors qu'on veut le maximiser autour du non-emploi. Quel que soit le barème retenu, il ne convient pas qu'il soit défini légalement par rapport au SMIC. En posant des normes monétaires directes, le gouvernement préservera le système de solidarité d'une liaison perverse, et il évitera de participer à la consécration normative du SMIC, dont la valeur actuelle exprime des rapports de force et le volontarisme de l'Etat bien plus qu'une rémunération a minima du travail non qualifié. Si la réforme se fait a minima, il ne convient pas que la réactualisation du barème figure dans la loi. Le gouvernement préservera ainsi des marges pour le recalibrer au moment de réintégrer tout ce qu'il aura dû, ou voulu, laisser intact dans un premier temps.31 4.4 Il reste à trancher le problème important d'une éventuelle limitation dans le temps du revenu de solidarité active. Les arguments immédiatement disponibles tirent dans des sens opposés. Un dispositif temporaire respecterait mieux la vocation incitative de la réforme et lui éviterait de se gaspiller dans des effets d'aubaine. Les objections dirigées contre la PPE sous cet angle peuvent ressurgir contre un RSA permanent, même s'il est orienté vers des bénéficiaires mieux sélectionnés. Mais un dispositif permanent répond mieux à la vocation redistributive, qui est notamment de compléter la rémunération du travail à temps partiel quand celui-ci n'est pas assez rémunérateur et qu'il n'est pas voulu par l'intéressé. Seule une analyse plus fine du marché du travail permettrait de déceler ce qui l'emporte, de l'effet d'aubaine des uns et du vrai besoin des autres. Quoique le Livre Vert de 2008 n'ait pas tranché la question, les travaux préparatoires inclinent par défaut vers un RSA permanent. Les estimations budgétaires disponibles poussent paradoxalement dans cette direction, parce que leurs montants élevés semblent refléter des maxima absolus. Or il s'agit là d'une erreur d'optique créée par la méthode comptable. Certes, les chiffres qui ont circulé n'intègrent pas les conséquences favorables de l'accroissement des revenus du travail, suivant l'effet incitatif que le RSA cherche justement à provoquer. Mais il reste que ces estimations procèdent d'une simple coupe instantanée, obtenue en prenant un nombre fixe de bénéficiaires attendus, alors que ce nombre devrait croître dans le temps. Les statistiques accumulées sur les vingt dernières années montrent qu'on ne sort pas couramment d'une allocation par le haut, c'est-à-dire en dépassant le plafond de ressources par la rémunération de son travail; on en sort plus souvent par un changement de statut, dû notamment à l'âge et à l'évolution de la famille, ou regrettablement par le bas, lorsqu'il existe un plancher comme celui de la PPE. Même si le barème du RSA est intelligemment profilé, il ne serait pas surprenant que le nombre des bénéficiaires ait tendance à croître: l'effet incitatif pourrait jouer surtout à l'intérieur de la plage de barème, de sorte que le nombre des titulaires sortants ne compenserait pas celui des nouveaux éligibles. On recommandera donc de vérifier les estimations budgétaires pour qu'elles approchent mieux l'état de régime permanent du système. Si la solution d'une allocation temporaire l'emportait finalement (et la crise des finances publiques peut y contraindre), il serait essentiel d'aménager la variation temporelle des montants de manière à réaliser deux objectifs: (i) tenir compte des coûts fixes importants à l'entrée dans le travail, et (ii) réduire les effets de seuil que provoquent les dispositifs discontinus. En ce qui concerne (i), il serait concevable de maintenir pratiquement le cumul actuel du RMI et de l'API sur les trois premiers mois d'activité, en acceptant un taux de prélèvement implicite très faible; dans la réalité, le taux serait négatif si l'on maintient la prime exceptionnelle de retour à l'emploi 45 . C'est au-delà des trois mois que commencerait à s'appliquer le barème du RSA proprement dit. Pour tenir compte de (ii), il conviendrait d'ajouter la dimension du temps aux deux dimensions existantes, celles du revenu du travail et du revenu disponible. Pour simplifier, les taux de prélèvement successifs du barème (ou le taux unique, si l'on adopte un barème simplement linéaire) pourraient être fixes par paliers de trois mois. L'extinction du RSA au bout de douze mois seulement, comme il en va pour le cumul du RMI, semble hors de question, compte tenu de l'intention redistributive, et non pas seulement incitative, de la nouvelle allocation. Avec ses trois années de cumul possible, l'API 45 Aujourd'hui de 1000 €, la prime de retour à l'emploi est versée en une fois au 4 e mois d'activité; il serait préférable de lui substituer un versement régulier sur les trois premiers mois.32 offre un meilleur modèle. En retenant cette durée déjà considérable, le gouvernement réaliserait un compromis honorable entre la permanence et le caractère temporaire; et secondairement, il garderait un moyen de faire accepter l'uniformisation des montants de l'ASS, puisqu'il offrirait en contrepartie un allongement significatif du cumul autorisé. 4.5 Adopter la norme européenne pour le seuil de pauvreté risquerait d'être contreproductif pour la réforme. L'étendue statistique de la pauvreté, si l'on adopte la norme de 60% du niveau de vie médian, devient telle que l'objectif de réduction d'un tiers à l'horizon du quinquennat risque d'être hors de portée sous la contrainte budgétaire actuelle. L'instauration du RSA est la composante principale, quoique non exclusive, de la lutte contre la pauvreté. Que cette réforme majeure soit comparée à un objectif irréaliste n'en facilitera ni la réalisation, ni l'appréciation sereine. La méthode consistant à retenir les montants de l'année de la réforme, en les indexant sur le taux d'inflation pour juger ultérieurement des résultats, est ingénieuse, mais passablement arbitraire, comme l'est déjà le choix d'un seuil fixé en pourcentage de la médiane. On propose d'adopter une norme statistique plus souple et plus facilement intelligible, qui est le montant de niveau de vie que la réforme transfère vers le premier décile de la distribution de cet indicateur. REFERENCES 1. Rapports administratifs et documents parlementaires Minima sociaux, revenus d'activité, précarité. Rapport du Commissariat général du plan, mai 2000. Président du groupe de travail: Jean-Michel Belorgey. Rapporteur général: Annie Fouquet. 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