LA RÉFORME DU SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL : UNE APPROCHE COOPÉRATIVE POUR LE VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE

 

 

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i. Le 8 février 2011 * Groupe réuni par Michel Camdessus, Alexandre Lamfalussy et Tommaso Padoa-Schioppa, et comprenant également Sergey Aleksashenko, Hamad Al Sayari, Jack T. Boorman, Andrew Crockett, Guillermo de la Dehesa, Arminio Fraga, Toyoo Gyohten, Xiaolian Hu, André Icard, Horst Koehler, Guillermo Ortiz, Maria Ramos, Y.Venugopal Reddy, Edwin M. Truman, et Paul A. Volcker Version française établie avec le concours des services de traduction de la Banque de France. Seule la version en langue anglaise fait foi. INITIATIVE DU PALAIS-ROYAL* LA RÉFORME DU SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL : UNE APPROCHE COOPÉRATIVE POUR LE VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLEii. « Tous ceux qui veulent penser l’après-crise en termes constructifs doivent, à mon sens, se poser la question de la reconstruction d’un véritable ordre monétaire international. » TOMMASO PADOA-SCHIOPPA (†) « Le Fantôme du Bancor: La crise et le désordre monétaire mondial » 25 février 2010 Tommaso Padoa-Schioppa, qui fut l’un des promoteurs de l’Initiative du Palais-Royal, est décédé le 18 décembre 2010, quelques jours après l’avant-dernière réunion du Groupe. Avec lui, le monde a perdu un remarquable architecte et avocat du bien commun mondial. iii. Photo Banque de France, Jean Derennes iv. SOMMAIRE PRÉFACE .............................................................................................................. 1. I - NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME ..................................................................... 2. II - POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES .......................................... 6. III - TAUX DE CHANGE ...................................................................................... 9. IV LIQUIDITÉ GLOBALE ................................................................................. 10. V - RÔLE DES DROITS DE TIRAGES SPÉCIAUX (DTS) ..................................... 13. VI - GOUVERNANCE ......................................................................................... 15. CONCLUSION ....................................................................................................... 17. POSTFACE ............................................................................................................ 18. COMPOSITION DU GROUPE « INITIATIVE DU PALAIS-ROYAL » ......................... 19. PERSONNALITÉS AYANT CONTRIBUÉ AUX TRAVAUX DE L’INITIATIVE DU PALAIS-ROYAL ........................................................................ 20.v. TABLE DES SUGGESTIONS Page 1. Modification des articles 4 et 6 des statuts du Fonds monétaire international pour étendre le champ de sa surveillance .................................................................... 6. 2. Adoption de normes et d’indicateurs d’alerte applicables aux politiques des États .... 6. 3. Procédures d’examen en cas de non-respect des normes ............................................. 6. 4. Procédures applicables aux pays « systémiques » ....................................................... 6. 5. Mesures d’encouragement à la discipline .................................................................... 6. 6. Mesures correctrices et éventuelles sanctions en cas de manquements ....................... 6. 7. Définition de normes et indicateurs en matière de taux de change.............................. 9. 8. Obligations des pays en matière de change ................................................................. 9. 9. Mission conjointe du FMI et de la BRI pour la mesure et la surveillance de la liquidité mondiale ................................................................................................ 11. 10. Prise en compte du niveau de la liquidité mondiale dans les politiques des pays « systémiques » ............................................................................................. 11. 11. Contrôle des capitaux en cas d’instabilité financière ................................................... 11. 12. Vers un rôle de prêteur de dernier ressort pour le FMI................................................ 12. 13. Perspectives d’utilisation accrue du DTS comme actif de réserve et unité de compte ........................................................................................................ 13. 14. Composition du panier de monnaies du DTS .............................................................. 14. 15. Utilisation du DTS dans le processus d’ajustement ..................................................... 14. 16. Réforme de la gouvernance ......................................................................................... 15. 17. Un conseil pour la surveillance de l’intérêt global du système ................................... 16. 18. Relation avec les organisations régionales .................................................................. 16. 1. PRÉFACE La crise mondiale, qui s’est propagée à la quasi-totalité des économies développées et a réduit la croissance mondiale au cours de la première décennie de ce nouveau siècle, est en voie d'être maîtrisée. Toutefois, son coût en termes humains et financiers a été considérable : le chômage a atteint un niveau inacceptable, des institutions et des marchés financiers ont été ébranlés, les déficits budgétaires menacent de devenir ingérables. Le but de ce rapport n’est pas de faire le procès de tous les facteurs qui ont contribué à la crise, qu’il s’agisse de l’importance relative de politiques économiques erronées, des faiblesses structurelles des institutions financières, des défaillances de la régulation et de la supervision ou des carences des dispositifs monétaires internationaux. Certes, des progrès ont été réalisés récemment, mais beaucoup reste à faire dans le secteur financier. Le présent rapport s’attachera à la réforme du système monétaire international. Nous pensons, en effet, que l’on n’a pas consacré une attention suffisante à l’importance du système monétaire international (SMI). À l'occasion du Sommet de Toronto, les dirigeants du G20 se sont donné pour objectif commun de « construire un système monétaire international plus stable et résistant ». Les risques inhérents au système actuel (un « non-système » selon nombre d’observateurs) sont, en effet, trop importants pour être négligés. Ce sont notamment le repli sur un système économique éclaté et vulnérable aux pressions protectionnistes, le recours aussi à des politiques nationales ou régionales incompatibles. En un mot, le progrès vers des marchés ouverts et compétitifs à l'échelle mondiale, à l’origine de tant de bienfaits pour une si grande partie de la population mondiale, se trouve menacé. Comme anciens ministres, gouverneurs de banques centrales et responsables d’institutions nationales ou internationales 1 , nous ne connaissons que trop bien les faiblesses et les insuffisances du système actuel. Ce document présente notre diagnostic et quelques orientations de réforme pour une gouvernance plus coopérative du système monétaire mondial, susceptible d’assurer la discipline et la stabilité nécessaires à une croissance soutenable et créatrice d’emplois. M. Sergey Aleksashenko M. André Icard M. Hamad Al Sayari M. Horst Koehler M. Jack T. Boorman M. Alexandre Lamfalussy M. Michel Camdessus M. Guillermo Ortiz M. Andrew Crockett M. Tommaso Padoa-Schioppa (†) M. Guillermo de la Dehesa Mme Maria Ramos M. Arminio Fraga M. Y. Venugopal Reddy M. Toyoo Gyohten M. Edwin M. Truman Mme Xiaolian Hu M. Paul A. Volcker 1 Un seul d'entre nous est encore en activité. Tous les avis exprimés sont les opinions personnelles des membres du groupe. 2. I. NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME 1. La crise mondiale. La crise qui a submergé l’économie mondiale en 2008 a pris par surprise la plupart des experts et des responsables politiques. Elle mettait en lumière un certain nombre de vulnérabilités passées jusque-là inaperçues. Bien que ces vulnérabilités aient été principalement situées dans les secteurs financiers des principales économies avancées, les difficultés se sont rapidement étendues à l’ensemble du système monétaire et financier international et ont donné lieu à l’interruption soudaine voire à l’inversion des flux de capitaux, d’où une pénurie de liquidité ; les investisseurs se sont, en effet, hâtés de réduire leur exposition au risque et à limiter leurs financements financés par emprunts. La crise a mis en évidence davantage encore les liens étroits entre les économies et les marchés financiers du monde : un choc subi par un grand pays se propage rapidement à l'ensemble du système. 2. La réponse. La réponse à la crise a mis en lumière l’effet bénéfique d’une coordination mondiale des politiques de relance budgétaire et monétaire ; l’injection massive de liquidités a évité un effondrement encore plus spectaculaire de l’activité économique dans le monde. Pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les économies émergentes ont joué un rôle essentiel dans ces efforts, notamment par la mise en œuvre d’ambitieuses politiques de relance budgétaire. Cela a permis une certaine réduction des déséquilibres mondiaux. Dans la sphère financière, une série de réformes ont été adoptées et sont mises en œuvre ; d’autres sont en cours d’examen1 . Ces évolutions justifient un certain optimisme. 3. Des dangers persistent. Le secteur financier, toutefois, présente toujours d’importantes vulnérabilités liées, entre autres, au rôle du « système bancaire de l’ombre » (shadow banking system) en rapide développement. Il serait également préoccupant que, dans certains domaines du secteur financier, les leçons de la crise venaient à être oubliées. En outre, il n’a pas été remédié pour l’instant aux faiblesses structurelles présentes de longue date dans les dispositifs monétaires internationaux. Ces faiblesses mettent en cause la capacité du système monétaire international à remplir durablement son objectif fondamental, qui est de « fournir un cadre facilitant les échanges de biens, de services et de capitaux entre nations et favorisant une croissance économique saine » (article IV des statuts du Fonds monétaire international). Parmi ces faiblesses, citons notamment :  Un processus d’ajustement mondial inefficace • Le système manque d’une discipline efficace et les pays peuvent accumuler d’importants déséquilibres de leurs comptes courants pendant des périodes prolongées sans subir de réelles pressions pour leur ajustement. • L’« examen par les pairs » des politiques des États membres dans le cadre du FMI -sa surveillance- s’est souvent révélé inefficace lorsqu’il s’est agi d’amener des pays en déséquilibres interne et externe à ajuster leur politique ; il en a été notamment ainsi en l’absence de besoin d’emprunter auprès du Fonds, reflétant entre autres l’insuffisante rigueur des procédures du FMI. 1 Certaines de ces initiatives visent à remédier à une longue liste de dysfonctionnements bien identifiés dans les pratiques des intermédiaires financiers -principalement les banques et les quasi-banques- et des marchés. D’autres doivent permettre de faire face à la défaillance des structures de régulation et de supervision. L’une de ces initiatives, devenue opérationnelle en janvier de cette année, mérite une attention particulière, parce qu’elle a réussi à surmonter de fortes objections à tonalité nationaliste et peut donc être considérée comme un exemple encourageant de la possibilité d’accepter des transferts de souveraineté justifiés. Elle concerne l’Union européenne, qui a mis en place une nouvelle institution, le Conseil européen du risque systémique, et le Système européen de surveillance financière (SESF), qui se compose de trois autorités de surveillance transfrontière. 3. • Cette situation comporte trois risques majeurs : (a) la réapparition de déséquilibres prolongés et, finalement, insoutenables des comptes courants, pouvant conduire à de graves désordres, (b) des tensions inflationnistes mondiales si de trop nombreux pays mènent des politiques budgétaires et monétaires trop expansionnistes ou, à l’inverse, (c) un effet de resserrement sur l’économie mondiale si de trop nombreux pays tentent simultanément de dégager des excédents de leur compte de transactions courantes.  Des excès financiers et des flux de capitaux déstabilisants • Dans la période qui a précédé la crise, une expansion mondiale insoutenable a été favorisée par une croissance rapide du crédit à l’échelle mondiale. Des taux d’intérêt exceptionnellement bas, accompagnés d’une accumulation massive d’avoirs de réserve officiels sur cette période, ont suscité une poursuite effrénée de rendements. Dans le cadre d’une surveillance inadéquate d’un système financier en rapide développement, les primes de risque ont atteint des niveaux irréalistes et des « bulles » ont affecté les prix d’actifs. Ces vulnérabilités croissantes ont échappé à tout contrôle, pour partie en raison de l’absence de définitions et d’instruments de mesure communément admis de la liquidité mondiale. • Les importantes fluctuations des flux de capitaux observées récemment, reflétant en partie l’essor incontrôlé de la liquidité mondiale, sont de nature à compromettre l’aptitude des pays à préserver leur stabilité macroéconomique et financière. En témoignent de manière évidente les récentes tensions liées à l’éventualité de « guerres » des changes ou commerciales et le recours croissant au contrôle des mouvements de capitaux. • La capacité des différents pays ou des institutions internationales à faire face à une future crise systémique de liquidité n’est pas garantie. Il n’existe pas de prêteur en dernier ressort au plan mondial pour faire face aux variations brutales de la liquidité internationale, contrairement à ce qui existe au niveau national. Au plus profond de la crise récente, des mesures de coopération efficaces ont été adoptées. Elles ont pris la forme de swaps et de lignes de crédit octroyées par un certain nombre de banques centrales à leurs partenaires, y compris sur certains marchés émergents. Un triplement des ressources du FMI est intervenu ainsi qu’un réaménagement de ses facilités de prêt pour offrir à grande échelle un soutien de précaution et des liquidités ; enfin, une allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) a été décidée pour un montant de 250 milliards de dollars. Toutes ces mesures, cependant, demeuraient ponctuelles.  Des variations excessives des taux de change et des écarts par rapport aux fondamentaux • Depuis l’avènement du flottement généralisé en 1973, les taux de change des principales monnaies du système ont largement fluctué, reflétant, pour partie, le jeu de forces spéculatives puissantes et capricieuses, souvent sans lien avec les fondamentaux. Les taux de change n’ont pas toujours évolué dans un sens favorable à la résorption des déséquilibres. Ces écarts par rapport aux fondamentaux peuvent découler de politiques budgétaires, monétaires et de change inappropriées, ou du comportement des marchés. Les économies ouvertes de petite taille, en particulier, ont été confrontées à des difficultés. Des fluctuations fortes et durables des monnaies peuvent ainsi entraîner des distorsions sévères dans l’ensemble du système et affecter l’allocation des ressources.  Une expansion excessive des réserves internationales Ni l’offre ni la demande d’avoirs de réserves ne relèvent de décisions collectives. Il en résulte plusieurs conséquences : • Un certain nombre d’économies émergentes et -à un moindre degré- d’économies avancées, ont accumulé un volume sans précédent de réserves internationales, soit comme un objectif en soi (par exemple, pour se prémunir contre des incertitudes futures), soit en vertu d’autres politiques intérieures ou extérieures (pour limiter, par exemple, l’appréciation de leur taux de change). Les 4. exportations nettes de capitaux des économies émergentes vers les économies avancées qui en découlent semblent en contradiction avec les priorités à long terme de leur développement économique. • L’accès facile au financement a contribué aux déséquilibres financiers en permettant de retarder les ajustements nécessaires, y compris des politiques nationales, en matière budgétaire par exemple. • Les avoirs de réserves sont restés concentrés sur un petit nombre de monnaies, principalement le dollar des États-Unis. Une certaine diversification des avoirs de réserve se manifeste actuellement. La question se trouve posée du besoin d’un moyen multilatéral pouvant faciliter cette diversification et éviter que les anticipations relatives aux décisions des détenteurs de réserves officielles ne suscitent des arbitrages déstabilisateurs de la part des investisseurs privés. Il est important de traiter cette question de façon appropriée. 4. L’absence d’une gouvernance mondiale effective. Il n’existe aucune structure de gouvernance globale à l’échelle mondiale qui garantisse la cohérence entre elles des décisions majeures de politique économique et financière prises au niveau national, y compris en matière de change, et qui puisse contribuer ainsi à la stabilité mondiale. Pourtant, dans un monde aussi étroitement interconnecté, les résultats de chaque pays dépendent très largement des évolutions et des décisions prises ailleurs. Dans un tel environnement, la nécessité s’impose de règles et de procédures contribuant donc à garantir cette cohérence globale. Le FMI était censé offrir ce cadre de cohérence, mais trois raisons ont contribué à réduire son efficacité : • Pendant trop longtemps, on a largement admis qu’il serait suffisant -pour garantir la stabilité mondiale- que chaque pays gère convenablement ses propres affaires et évite de manipuler son taux de change. Cette conception d’une fonction auto-équilibrante des marchés et des économies s’est révélée trop optimiste. • Il n’existe pas de cadre d’analyse largement accepté pour mesurer les effets des politiques menées dans les grands pays sur les autres économies et sur le système financier dans son ensemble. • Le FMI, au centre du système, a souffert d’un « déficit de légitimité », lié à la fois à la sousreprésentation de certaines économies émergentes et de certaines pays en développement, et à l’inefficacité du processus d’« examen par les pairs » pour influencer les politiques de ses principaux pays membres. L’échec du Fonds à adapter à temps sa structure de gouvernance a compromis sa capacité à jouer le rôle qui lui était dévolu de mécanisme institutionnel de promotion de la coopération monétaire internationale (Article I). Le G20, qui s’est imposé de facto comme la principale instance de coopération économique et financière, a contribué à combler cette lacune. Au-delà de ses succès face à la récente crise, le G20 pourrait voir son efficacité et sa légitimité renforcées s’il était en mesure, de quelque manière, de s’exprimer au nom de l’ensemble des pays constituant l’économie mondiale. 5. L’urgence. La plupart des problèmes évoqués ci-dessus ne sont pas nouveaux, mais tout retard à y porter remède constitue autant d’obstacles qui empêchent de recueillir tous les effets bénéfiques de la mondialisation. Beaucoup d’efforts ont été consentis, depuis un an environ, pour rendre le système financier international plus sain et plus robuste. Aussi longtemps que les problèmes du système monétaire international ne seront pas traités, l’économie mondiale en voie d’intégration croissante sera de plus en plus vulnérable. Des réformes au coup par coup sont donc de plus en plus inadéquates. Pour être pleinement significative, une réforme globale passe nécessairement par la mise en œuvre de mesures à court terme s’inscrivant dans une vision à plus long terme et demeurant en permanence compatible avec un objectif fondamental de maintien de la stabilité des prix. 5. 6. La suite de ce rapport présente les grands axes de réforme susceptibles de permettre la réalisation de ces objectifs. Tous les membres du groupe ont donné leur accord sur l’orientation générale et l’approche retenues par ce rapport, même si, comme il fallait s’y attendre, certaines suggestions ont recueilli des degrés différents d’enthousiasme. Les principaux problèmes que, de longue date, les gouvernements doivent résoudre paraissent être les suivants : i. L’absence dans ce système d’une discipline efficace assurant son ajustement global ; ii. La volatilité des taux de change et leur évolution, souvent incompatibles avec un ajustement ordonné et une efficace allocation des ressources ; iii. Les difficultés de gestion de la liquidité mondiale pour éviter tant son insuffisance que ses excès ; iv. Les questions relatives au rôle du droit de tirage spécial (DTS) ; v. Les problèmes de gouvernance présents dans le processus de décision et le fonctionnement du système. 6. II. POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES 7. Les répercussions transfrontières des politiques nationales. La surveillance des politiques économiques et financières des différents pays est insuffisante. Il faut non seulement améliorer la surveillance, mais également l’étendre à des problèmes de dimension planétaire, tels que les évolutions de la liquidité mondiale et les questions macroprudentielles. Pour élargir le champ de sa surveillance dans ces domaines, le FMI devra coopérer, si nécessaire, avec d’autres institutions multilatérales concernées (par exemple le Conseil de stabilité financière -CSF-, la BRI et l’OCDE). L’expérience des dernières décennies montre que, souvent, les problèmes apparus dans les économies nationales n’ont pas été résolus en temps opportun ; ceci reflète à la fois des différences d’analyse et l’échec de la surveillance du FMI à produire les ajustements nécessaires des politiques économiques et financières de ses membres. Le fonctionnement ordonné des économies nationales est, de plus, une condition nécessaire, mais non suffisante, pour assurer la stabilité mondiale. Il est avéré, en effet, que même lorsque la politique économique menée par un pays est propice à sa propre stabilité, elle peut avoir des répercussions négatives sur les autres pays. 8. Renforcement de la surveillance. Il est donc nécessaire de renforcer la surveillance du FMI sur ses membres. Celle-ci doit porter sur les politiques budgétaire, monétaire et financière des États, avec une attention particulière accordée aux évolutions du taux de change et de la liquidité mondiale, comme cela sera évoqué ci-après. Ce renforcement de la surveillance appelle un réexamen de la gouvernance des principales institutions internationales ainsi que de leurs relations avec l’ensemble des pays. Elle doit, en particulier, intégrer les principaux éléments suivants : (a) des obligations multilatérales plus fortes, adossées à des normes claires et objectives ou à des indicateurs quantitatifs s’appliquant aux politiques et aux performances économiques et financières, et servant de signal d’alarme en cas de franchissement de certains seuils d’alerte, (b) des procédures d’évaluation permettant d’identifier les causes et les conséquences de tout écart par rapport à ces normes, et (c) des suites concrètes, y compris l’adoption de dispositifs d’incitations et des sanctions. Si tous les pays doivent être soumis aux mêmes obligations et aux mêmes procédures d’évaluation, une attention particulière doit être portée à ceux dont les politiques sont susceptibles d’avoir une plus grande incidence sur la stabilité du système monétaire international. Ces nouvelles modalités de surveillance devraient également tendre à susciter une réaction positive des marchés financiers et contribuer ainsi à les orienter vers les objectifs de stabilité convenus au niveau multilatéral.  Suggestion 1 : Les pays membres du FMI devraient prendre l’engagement de veiller à ce que leurs politiques favorisent la stabilité du système économique, monétaire et financier mondial. Nous suggérons que l’article IV des Statuts du FMI soit modifié pour refléter cet engagement plus ferme et pour faire en sorte que la « ferme surveillance » ne s’applique pas seulement aux politiques de change mais également à l'ensemble des politiques économiques et financières qui contribuent à la stabilité macrofinancière nationale et internationale. Dans le même esprit, l’article VI devrait être modifié pour confier au FMI le mandat et les responsabilités nécessaires pour qu’il assure efficacement le suivi et l’évaluation des mouvements de capitaux et des restrictions que les pays membres pourraient y apporter (cf. suggestion 11). Son rôle dans ce domaine devrait être similaire à celui qu’il exerce en ce qui concerne les restrictions sur les transactions courantes.7.  Suggestion 2 : Pour faciliter la surveillance du respect par chaque pays ou groupe de pays de leurs obligations au titre des Statuts, le FMI devrait adopter des normes applicables aux politiques suivies par ses membres. L’élaboration de ces normes devrait s’appuyer sur les conseils et sur l'expérience de l'ensemble des membres du FMI et sur toute expertise disponible. Les normes pourraient couvrir, par exemple : les déficits ou excédents des comptes de transactions courantes ; les taux de change effectifs réels ; les mesures concernant les entrées et sorties de capitaux ; les évolutions de taille et de composition des avoirs de réserve ; les taux d'inflation ; les déficits budgétaires ; et les ratios de la dette publique. Des normes pourraient également être définies en matière de solidité du secteur financier et d’efficacité de la supervision bancaire. Ces normes devraient être conçues de manière à servir de signal d’alarme, des seuils appropriés devraient être définis pour cela chaque fois que ce sera possible.  Suggestion 3 : Le non-respect persistant d’une norme déclencherait une procédure de consultation et, si nécessaire, la mise en œuvre de mesures correctrices. L’objectif de la consultation serait d’établir les causes sous-jacentes et les conséquences potentielles de l’écart par rapport à la norme, tant pour le pays lui-même que pour le bon fonctionnement du système monétaire international. L’examen porterait sur l’ensemble des facteurs pertinents, y compris les politiques économiques du pays concerné et des autres pays. Les caractéristiques structurelles spécifiques du pays et sa situation conjoncturelle seraient également prises en compte. Si l'examen devait conclure que l’écart persistant par rapport à la norme n'est pas justifié par des circonstances spécifiques et constitue une source de graves perturbations pour le bon fonctionnement du système monétaire international, il devrait être suivi de recommandations concernant les politiques suivies.  Suggestion 4 : Dans le cas des pays présentant une importance systémique dont les politiques ne sont pas conformes aux normes, le respect des obligations relèveraient explicitement de l’organe du FMI concerné. Tous les pays seraient assujettis aux mêmes obligations et le respect de ces obligations serait généralement évalué dans le contexte de la surveillance bilatérale du FMI. Toutefois, un processus plus strict s’appliquerait aux pays dont les politiques sont considérées par le FMI comme pouvant avoir une incidence sur la stabilité du système monétaire international. Les règles applicables n’en demeureraient pas moins identiques. La surveillance du respect des obligations envers le FMI devrait être plus transparente à l’avenir que ne l'est la pratique actuelle, pour contribuer ainsi à aiguiser le sens des responsabilités des acteurs engagés dans la surveillance. Les documents pertinents, autres que ceux traitant de questions hautement sensibles, et les comptes rendus des discussions du Conseil du FMI devraient ainsi faire rapidement l’objet d’une publication intégrale.  Suggestion 5 : le FMI devrait prendre des mesures pour inciter les pays à respecter pleinement les exigences du système de surveillance renforcé. Ces dispositifs d’incitation pourraient inclure, par exemple, une éligibilité automatique aux facilités de liquidité, telles que la ligne de crédit modulable (Flexible Credit Line - FCL) et la ligne de crédit préventive (Precautionary Credit Line - PCL), et l’accès au marché volontaire des DTS (ce marché permet à un pays de vendre des DTS contre des monnaies librement utilisables sans avoir à justifier de besoins de balance des paiements et sans recourir à la procédure obligatoire dite de « désignation »).  Suggestion 6 : Il conviendrait d’envisager sérieusement d'inclure dans le cadre de la surveillance la possibilité pour le FMI d'imposer des mesures correctrices appropriées et graduelles en cas de manquement persistant d’un pays à une ou plusieurs obligations. Le processus pourrait comporter une analyse approfondie des conséquences prévisibles du nonrespect de la norme, des réunions d’abord informelles avec le pays considéré, éventuellement 8. une consultation spéciale, un examen par l’instance ministérielle chargée de la surveillance du FMI et, finalement, si le pays concerné n’obtempère pas, des suites concrètes devraient intervenir. Il pourrait s’agir, par exemple, d’examens de suivi intensifs et de rapports publics sur les politiques du pays et leurs répercussions au niveau mondial ; de sanctions financières ; du gel de tout ou partie des droits de vote du pays ; de restrictions aux mouvements de capitaux à destination des pays présentant un déficit du compte de transactions courantes ou dotés d’un secteur financier trop fragile. La mise en œuvre des procédures de l’OMC et de sanctions commerciales, sur la base des évaluations du FMI, devrait également être envisagée. Le processus d'adoption de ces mesures serait identique à celui de l’évaluation de la conformité aux normes, à ceci près que des majorités spécifiques seraient requises pour certaines de ces mesures. 9. III - TAUX DE CHANGE 9. Importance. Les régimes de taux de change sont au cœur de tout système monétaire international. Un de ses objectifs essentiels pour être efficace doit être de conduire à des taux de change relativement stables et conformes aux fondamentaux des différentes économies. À cet égard, le monde connaît actuellement des tensions flagrantes. Comme les taux de change sont déterminés par une combinaison de politiques actuelles ou anticipées et par les forces du marché, l’instabilité peut avoir plusieurs origines : des politiques incohérentes ou insoutenables, ou la combinaison de politiques susceptibles d’entraîner des désajustements importants et durables des taux de change ; il peut s’y ajouter des perceptions inexactes de la part des intervenants de marché de ce que sont les fondamentaux à long terme ou les politiques futures ; il s’y ajoute enfin des activités purement spéculatives. 10. Politiques et indicateurs de référence. Pour que le système puisse fonctionner efficacement, les pays doivent conduire leurs politiques économiques et financières en veillant à ce que les taux de change soient globalement conformes aux fondamentaux et à l’équilibre mondial. Les membres du FMI, en vertu de ses statuts, ont le choix de leur régime de change et ont obligation d’éviter de les manipuler ou d’ignorer les règles du système pour s’assurer de façon déloyale un avantage concurrentiel. Le FMI est chargé d’exercer une « ferme surveillance » sur les politiques de change de tous ses États membres. Ses prises de position sur ce sujet ont été rarement catégoriques et leur impact a été généralement insuffisant, voire inexistant, sur les politiques des pays les plus importants. Il est donc nécessaire de rendre leurs obligations en ce domaine plus spécifiques, en utilisant par exemple des indicateurs fondés sur leurs données macro-économiques de base et permettant d’identifier les degrés d’instabilité ou de désajustement. Ces instruments pourraient également fournir des indications sur le renforcement nécessaire des politiques pour réduire les déviations provoquées par le marché par rapport aux données fondamentales. Les principaux pays ont la responsabilité particulière d’atténuer les fluctuations importantes et persistantes de leurs monnaies et leurs incidences négatives sur le reste du monde. Une réflexion plus approfondie sur les meilleurs moyens d’y parvenir dans ce nouveau contexte international est encore nécessaire.  Suggestion 7 : Le FMI devrait définir des « normes » de taux de change cohérentes à l’échelle mondiale. Ces normes seraient en ligne avec la position extérieure soutenable et avec l’équilibre macroéconomique intérieur et extérieur de chaque pays. Prenant en compte les fondamentaux sous-jacents (niveau de développement, situation démographique, ressources disponibles, évolutions de la productivité et autres caractéristiques structurelles), ces « normes », qui seraient actualisées régulièrement, seraient utilisées pour identifier des distorsions significatives des taux de change, en ce qui concerne au moins les économies d’importance systémique majeure.  Suggestion 8 : Dans le cadre de cette approche, chaque pays devrait s’abstenir de pratiquer une politique de change susceptible d’éloigner son taux de change de la norme ou de le maintenir à distance de celle-ci. Cette obligation reflèterait en réalité de façon plus spécifique celle qui incombe à tous les pays de mener des politiques compatibles avec la stabilité du système monétaire international. Le respect de cette obligation serait examiné dans le contexte de la surveillance par référence aux normes et selon les procédures et les mesures décrites par les suggestions 2 et 3. Bien entendu, seuls les écarts persistants et importants par rapport aux normes feraient l’objet d’un examen. 10. IV. LIQUIDITÉ GLOBALE 11. Excès et insuffisances. Dans la période qui a précédé la crise, une expansion mondiale non soutenable a été favorisée par la croissance rapide du crédit au plan mondial. Cela s’est traduit par une forte progression des cours des matières premières et par ce qui a été reconnu plus tard comme une envolée des prix d’actifs à l’échelle mondiale. Lorsque la crise a frappé, la liquidité s’est pratiquement asséchée sur les marchés financiers, amenant les intermédiaires financiers et les banques centrales du monde entier à se porter précipitamment sur des financements en devises fortes. Entre le point haut et le point bas du cycle, les entrées brutes de capitaux dans le monde sont retombées de près de 20 % du PIB mondial à moins de 2 %. Elles semblent maintenant revenir à un niveau égal voire supérieur à celui atteint avant à la crise et le risque réapparaît d’un retour aux errements habituels. Ces fluctuations extrêmes ont des effets pervers sur le fonctionnement du système économique et financier mondial et sur la stabilité macrofinancière au niveau national. Il reste, pourtant, que la compréhension de ce phénomène demeure insuffisante. 12. Un concept évolutif. Bien que diverses méthodologies et divers instruments statistiques soient disponibles au niveau national, il n’existe pas de définitions ni de mesures communément admises de la liquidité mondiale. Dans le contexte international, la liquidité a été traditionnellement associée aux avoirs de réserve officiels. Cette association était pertinente sous le régime de Bretton Woods caractérisé par une faible mobilité des capitaux ; elle n’est plus appropriée désormais. Dans l’environnement mondial actuel, la liquidité ne peut pas être uniquement ou même principalement associée aux réserves officielles et il faut adopter une définition beaucoup plus large. De plus, le système financier joue un rôle significatif dans la détermination des conditions financières, en fonction du volume de prêts octroyés par les institutions financières et des risques qu’elles prennent. Dans certains pays, le « système bancaire de l’ombre », qui se développe largement hors du champ de la surveillance monétaire et financière, amplifie ce rôle. Alors que la crise a suscité une prise de conscience de la nécessité d’une approche intégrée de la politique monétaire et de la régulation macroprudentielle au niveau national, il reste encore à déterminer comment un tel processus peut fonctionner à l’échelle internationale. 13. Politiques et marchés. . Les conditions de liquidité au niveau mondial sont influencées par les orientations de politique monétaire sur les principales places financières, par les régimes de change ainsi que par le comportement du système financier en matière d’innovation et de prise de risque. Une observation essentielle est que la création de liquidité et l’octroi de crédits dans les principales économies produisent des effets sur les autres économies par l’intermédiaire des flux de capitaux et des taux de change. Ainsi, des conditions de liquidité apparemment appropriées dans certaines économies peuvent aggraver des situations d’excédent ou de pénurie à l’échelle internationale. Des conditions trop accommodantes ou trop restrictives peuvent avoir des effets indésirables. La liquidité recouvre de nombreuses dimensions et elle peut changer rapidement car, dans une certaine mesure, les perceptions qu’on peut en avoir sont le fruit d’un état d’esprit déterminé par la confiance ou la crainte ; elles peuvent donc changer rapidement. La recherche d’une gestion de la liquidité qui puisse contribuer à l’instauration au plan mondial de conditions monétaires et financières équilibrées s’avère donc particulièrement délicate. 14. Le suivi et la surveillance. Une approche commune pour comprendre et mesurer la liquidité globale est nécessaire, de même qu’une meilleure surveillance des évolutions qui peuvent faire varier la liquidité de façon prononcée en cas de brusques changements de la confiance des marchés reflétés dans l’évolution des spreads. Cette approche appellera une coopération plus étroite entre les banques centrales et les autorités responsables des politiques macro-prudentielles des principales économies et places financières, afin de veiller à ce que les conditions de liquidité au plan mondial soient compatibles avec une stabilité systémique durable. 11. 15. Faire face aux flux de capitaux. Des flux de capitaux importants et volatils, de nature à gravement compromettre la stabilité macroéconomique et financière, sont l’une des conséquences potentielles d’un excès de liquidité au niveau mondial. Il convient donc de réfléchir plus avant à de nouvelles mesures, telles que les contrôles des mouvements de capitaux et des mesures macroprudentielles plus importantes permettant aux pays de protéger efficacement leurs économies des effets négatifs de ces flux. Ces interventions doivent être limitées au strict nécessaire ; la principale difficulté à cet égard est de s’assurer que ces mesures ne créent pas des distorsions plus dommageables à long terme que les entrées de capitaux elles-mêmes et ne créent pas de conséquences défavorables sur les autres pays (par exemple, en détournant vers eux les flux de capitaux). Il serait utile dans ce domaine de développer des orientations internationales couvrant les problèmes soulevés autant par les entrées que les sorties de capitaux déstabilisatrices. Il doit être clair que le recours au contrôle des flux de capitaux pour maintenir un taux de change surévalué ou sous-évalué n’est pas compatible avec le bon fonctionnement du système monétaire international. 16. La fourniture de liquidité en périodes de crise. Compte tenu de l’expérience acquise lors de la crise récente, il convient de prendre de nouvelles mesures permettant au FMI de se rapprocher davantage d’un rôle de prêteur en dernier ressort au niveau mondial, prêt à agir d’une manière fiable, en fonction de règles, avec les garde-fous appropriés pour limiter l’aléa moral. Cela permettrait à ses membres de bénéficier d’un filet de sécurité financière plus solide, à un coût moindre pour les pays et pour le système lui-même que l’accumulation de réserves.  Suggestion 9 : Le FMI et la BRI devraient œuvrer de concert à une approche partagée de la mesure et de la surveillance de la liquidité mondiale. Ceci est nécessaire pour permettre une surveillance internationale de ce déterminant important de la stabilité du système monétaire international. Compte tenu des nombreuses dimensions de la liquidité, un ensemble d’indicateurs devront probablement être développés, étayés par des outils statistiques appropriés. L’adéquation de ces indicateurs devra être réexaminée régulièrement afin de tenir compte des conséquences de l’innovation financière.  Suggestion 10 : Les banques centrales et les autorités responsables des politiques macroprudentielles des économies d’importance systémique devraient mener leurs actions en tenant compte de la nécessité de maintenir une situation globalement appropriée de la liquidité mondiale. Le FMI, la BRI et le Conseil de stabilité financière (CSF) devraient suivre régulièrement les évolutions de la liquidité mondiale et formuler des recommandations à tous les pays d’importance systémique s’agissant de l’orientation de leurs politiques (notamment les politiques monétaire et de change, ainsi que les politiques de régulation et de surveillance financières) qui ont une incidence potentielle sur la liquidité mondiale.  Suggestion 11 : Le recours au contrôle des capitaux, soumis à la surveillance du FMI en vertu de l’article VI modifié, peut être considéré comme une option envisageable pour prévenir des mouvements désordonnés des taux de change ou une instabilité financière. Le FMI devrait instaurer un cadre analytique plus complet concernant les flux de capitaux, dans les pays importateurs comme dans les pays exportateurs de capitaux, à la lumière de l’expérience acquise au cours des vingt dernières années, caractérisées par l’importance et la volatilité des flux de capitaux. Dans ce contexte, si un pays, soumis à d’importantes pressions du marché pour une appréciation ou une dépréciation de sa monnaie sous l’effet d’importants flux de capitaux existants ou attendus, envisageait d’imposer, de renforcer ou d’étendre les contrôles sur les mouvements de capitaux, ces mesures devraient faire l’objet d’une surveillance étroite de la part du FMI afin de garantir que ces contrôles sont conçus de façon à limiter les distorsions possibles, qu’un effort sera fait dans un délai raisonnable pour créer les conditions de leur suppression ou de leur allègement, et qu’il n’en sera pas fait usage pour empêcher les ajustements indispensables du taux de change ou tout autre ajustement de nature économique ou financière. 12.  Suggestion 12 : Le FMI devrait œuvrer, de concert avec les gouvernements, les banques centrales et les organisations régionales concernés, à la mise en place, assortie de gardefous appropriés, de mécanismes permanents de financement pour temps de crise semblables à ceux d’un prêteur en dernier ressort au plan mondial. Afin de pouvoir être considérés comme une alternative efficace à la poursuite de l’accumulation de réserves à des fins de précaution, les mécanismes d’activation de ces dispositifs devraient être soumis à des règles. Le Fonds devrait être habilité à intervenir rapidement sur la base de son évaluation technique de la gravité de la situation. Des garanties de limitation de l’aléa moral seraient primordiales (par exemple, un barème pour le coût des prêts, des dispositions relatives à la participation du secteur privé à la résolution de la crise, etc.). Pour accroître la capacité du FMI à mobiliser des ressources en de tels cas, on peut envisager les pistes suivantes : levée à grande échelle d’emprunts sur les marchés ; allocations d’urgence de DTS (assorties d’un processus de prise de décision simplifié) ; ainsi que des accords de prêts ou de swaps d’urgence avec les principales banques centrales et fonds de réserve. 13. V. RÔLE DES DROITS DE TIRAGES SPÉCIAUX (DTS) 17. Le système monétaire international va continuer d’évoluer, reflétant pour partie le changement constant des poids relatifs des différentes économies dans le monde. On peut se demander si, à l’avenir, une ou plusieurs monnaies nationales suffiront pour répondre de manière appropriée aux nouveaux besoins qui apparaissent dans un monde multipolaire , ou si un instrument monétaire non national peut avoir un rôle à jouer, par exemple en tant qu’actif de réserve complémentaire et/ou en tant que monnaie internationale non directement affectée par la politique intérieure d’une seule économie. 18. Origine du DTS. Le DTS -un panier de monnaies composé aujourd’hui de quatre monnaies librement utilisables émises par des économies représentant une grande partie du commerce mondial- a été créé à la fin des années 60 pour contribuer à la création adéquate à long terme d’actifs de réserves primaires dans le cadre du système de Bretton Woods. L’objectif poursuivi -tel que défini par les statuts du FMI- était de faire du DTS « le principal actif de réserve… »1 du système monétaire international. Son utilisation a été considérablement réduite à la suite du démantèlement du système de parités fixes et de conversion du dollar en or. Le DTS a cependant démontré son utilité pendant la récente crise avec une allocation exceptionnelle décidée en de brefs délais. 19. Réexamen du rôle du DTS. Il pourrait être utile de réétudier le rôle susceptible d’être exercé par le DTS au service du bien commun public de la stabilité monétaire et financière dans le nouveau contexte d’un monde, aujourd’hui, globalisé et de plus en plus multipolaire. Il est admis que le rôle du DTS en tant que réserve de valeur restera limité aussi longtemps qu’il dépendra de la valeur des monnaies qui le composent. Néanmoins, l’usage du DTS comme unité de compte peut réduire la volatilité des valeurs exprimées, par rapport à celle qui résulterait de l’usage d’une seule monnaie. De plus, disposer d’un instrument de réserve international s’est parfois avéré utile par le passé ; il pourrait l’être encore dans l’avenir. Rendre cet instrument de réserve plus largement acceptable et utilisable serait dans l’intérêt commun de tous les pays. De plus, la question du rôle du DTS dans une perspective à long terme pour répondre à des demandes potentielles qui peuvent apparaître doit demeurer sous examen, non seulement pour respecter l’engagement contenu dans les statuts du Fonds, mais aussi en raison du rôle qu’il pourrait jouer pour faire face aux demandes qui pourraient se manifester 2 .  Suggestion 13 : Le rôle plus important que le DTS pourrait jouer dans le système monétaire international devrait être exploré. Plusieurs idées pourraient être examinées concernant son rôle international en tant qu’actif de réserve et unité de compte : - Actifs de réserve : des allocations régulières de DTS assorties de garanties appropriées pourraient être envisagées ; de plus, des procédures pourraient être mise en place pour prévoir des allocations de DTS dans des circonstances exceptionnelles. De plus, pour contribuer à faire du DTS le principal instrument de réserve du système monétaire international, comme prévu par les statuts, son attractivité pourrait être améliorée. 1 Art. VIII, Section 7 des statuts du FMI : « Chaque État membre s’engage à collaborer avec le Fonds et avec les autres États membres afin de veiller à ce que la politique qu’il suit en ce qui concerne les avoirs de réserve soit compatible avec les objectifs consistant à favoriser une meilleure surveillance internationale des liquidités internationales et à faire du droit de tirage spécial le principal instrument de réserve du système monétaire international. 2 Les suggestions 13 à 15 n’ont pas donné lieu à un développement complet mais un consensus pratiquement général existe au sein du groupe pour considérer que ces sujets méritent discussion. 14. - Il conviendrait aussi de réexaminer les possibilités de favoriser la diversification ordonnée des réserves grâce à un mécanisme permettant leur conversion en créances libellées en DTS. Cet objectif était à l’origine des travaux pour la création d’un compte de substitution menés dans les années soixante-dix. Bien que les efforts entrepris à cette époque aient échoué, d’autres modalités d’un tel compte pourraient être étudiées. - Unité de compte : le FMI pourrait travailler avec le secteur privé pour explorer les possibilités d’une utilisation plus ample du DTS dans les transactions commerciales. Comme cela avait commencé à se produire au début des années 80, une facturation en DTS des matières premières et des échanges internationaux en serait une application. De plus, des statistiques internationales établies par le FMI et par d’autres institutions internationales (sur la balance de paiements et les avoirs de réserve internationaux en particulier) pourraient être établies autant que possible en DTS. Enfin, le FMI pourrait envisager d’exprimer en référence au DTS les « normes » à définir en matière de taux de change.  Suggestion 14 : La composition du panier de devises constituant le DTS devrait refléter l’importance relative des économies dans les échanges internationaux et les transactions financières. Les modifications de la composition du panier devraient être rares et reposer sur des règles afin d’en accroître la prévisibilité (par exemple, les ajustements périodiques des pondérations des devises du panier devraient suivre des règles prévisibles, et les devises seraient inclues ou exclues en fonction de critères objectivement définis). L’exigence selon laquelle seules les devises largement utilisées pour les paiements internationaux et les transactions financières peuvent faire partie du panier du DTS devrait être maintenue.  Suggestion 15 : Les perspectives d’utilisation du DTS au titre des incitations à améliorer le fonctionnement du processus d’ajustement pourraient être étudiées. Il conviendrait d’examiner la possibilité de conditionner les allocations de DTS au respect des normes (ou des objectifs convenus) par les pays bénéficiaires. L’accès au marché volontaire des DTS pourrait également être conditionné au respect par le pays de toutes les exigences du système de surveillance multilatérale renforcé. 15. VI. GOUVERNANCE 20. Les problèmes. Ces dernières années, la gouvernance du système monétaire international a été confrontée à trois problèmes essentiels qui ont entravé son bon fonctionnement :  Le manque d’une structure de prise de décision alliant à la fois légitimité et efficacité et fournissant un cadre formel pour les relations entre le groupe des chefs d’État et de gouvernement concerné (G20 dans les circonstances actuelles), le groupe des ministres et gouverneurs et les principales institutions financières internationales.  La tendance du processus d’ « évaluation par les pairs » à fonctionner comme un système de protection mutuelle, ceci suggérant l’adoption d’un mécanisme rompant avec ce pacte de facto de non-agression entre grands pays qui laisse l’intérêt général global sans défense efficace.  L’insuffisante légitimité reconnue au FMI ; ce problème a été en partie traité lors de la réunion du G20 à Séoul en novembre 2010. Des mesures devraient donc être prises pour traiter ces problèmes fondamentaux, pour adapter le FMI aux responsabilités accrues que nous envisageons de lui conférer, et pour offrir à ses membres un cadre de travail plus propice encore au partenariat et à la confiance mutuelle.  Suggestion 16 : Une représentation universelle - Pour garantir à la fois la légitimité et l’efficacité, nous sommes en faveur d’une gouvernance du système monétaire international qui serait fondée sur une architecture unique à trois niveaux. Elle devrait garantir une représentation universelle grâce à un système de circonscriptions, qui a rendu de grands services au FMI et à la Banque mondiale. Ce système assurerait une représentation de tous les pays et il renforcerait la légitimité du G20, tout en continuant de limiter le nombre de participants aux organes de décision et contribuant ainsi à l’efficacité de la structure de gouvernance globale. Le fonctionnement du système pourrait être amélioré, en effet, grâce à l'adoption d'une gouvernance fondée ainsi sur une architecture intégrée à trois niveaux : o Les chefs d’État ou de gouvernement, se réunissant, sauf en périodes de crise, à intervalles peu fréquents (par exemple une fois par an) ; o Les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales prenant les décisions stratégiques liées au fonctionnement du système monétaire international dans le cadre d’un « Collège » prévu par les statuts du Fonds. Ce Collège pourrait être institué et regrouper les fonctions du Comité monétaire et financier international (CMFI) et du groupe des ministres et gouverneurs du G20, pour ce qui concerne le rôle de cette dernière instance dans les domaines économique, monétaire et financier à l’échelle mondiale. Ceci appellerait une modification des textes pour que les banques centrales soient représentées au Collège, comme tel est le cas actuellement au sein du G20 ; o Les administrateurs qui contrôlent les travaux du FMI, et son Directeur général. La mise en œuvre de ces changements d’organisation exigerait un ajustement de la composition des circonscriptions et du nombre de sièges aux trois niveaux de cette architecture. 16. - Vote. Nous sommes favorables à un abaissement de 85 % à 70 ou 75 % du seuil des majorités requises pour les décisions les plus importantes ainsi qu’à l’extension de la double majorité à quelques décisions supplémentaires, pour garantir que les décisions affectant des aspects essentiels de la vie de l’institution bénéficient du soutien de la majorité de ses membres. - Coordination institutionnelle à l’échelle mondiale. Pour faciliter la coordination entre les institutions, nous proposons que la BRI, le CSF, l’OMC, la Banque mondiale et éventuellement d’autres organisations soient conviées aux réunions du Conseil.  Suggestion 17. Un comité consultatif mondial - Afin de donner plus de poids aux considérations d’intérêt global du système, il conviendrait d’envisager d’instaurer un Comité consultatif mondial (CCM) composé d’éminentes personnalités indépendantes. • De sa propre initiative ou en réponse à une demande, cet organisme pourrait offrir en toute indépendance des conseils aux organes clés du FMI (le Collège, le Conseil d’administration et le Directeur général du FMI) dans les domaines de la surveillance, de la gestion de la liquidité et des réserves internationales. Sans être contraignants, ces avis pourraient en principe être rendus publics. La protection de leur confidentialité pourrait être envisagée dans un nombre limité de cas. • Ses membres, en nombre restreint, devraient représenter une diversité de points de vue et être choisis sur la base de compétences techniques, d’une expérience pratique et d’une indépendance largement reconnues. Des règles de désignation totalement transparentes devraient permettre le respect de ces conditions, ainsi qu’un certain équilibre géographique. Les mandats de ces membres ne seraient pas renouvelables. • Cette réforme pourrait être introduite par le CMFI sans qu’il soit nécessaire de modifier les statuts du FMI.  Suggestion 18. Organisations régionales - Puisque dans certaines parties du monde, les organisations régionales ont des compétences croissantes en termes de politique économique monétaire et financière, ainsi qu’en matière de financements, il serait utile d’étudier les modalités de leur représentation au FMI et de leurs relations avec lui. * * * 17. CONCLUSION La crise a ouvert, et même accéléré, une transition vers un monde nouveau où les économies émergentes jouent un rôle important pour la croissance mondiale, au même rang que les économies avancées ; il s’agit d’un monde fondamentalement multipolaire et dans lequel les problèmes monétaires devront être traités en coopération. Le système monétaire international issu de la réforme à laquelle nous aspirons doit préserver les gains des soixante-cinq dernières années, sans se laisser entraîner à la même instabilité. Il s’agit d’un système qui préserve la liberté des échanges commerciaux et des paiements courants et qui permette un meilleur partage des bénéfices liés à une mondialisation financière convenablement régulée. Il s’agit d’un système dans lequel tous les pays reconnaissent leur part de responsabilités pour la stabilité mondiale et acceptent que les objectifs nationaux à court terme puissent, le cas échéant, être subordonnés à l’intérêt commun. La coopération internationale est, dans le long terme, un élément indispensable de la recherche de la prospérité au niveau national. Pour cette raison, chaque pays devrait faire preuve d’un sens renouvelé de responsabilité et de discipline envers le système dans son ensemble. Le G20 occupe une position privilégiée pour promouvoir ce bien commun à l’échelle mondiale et le faire prévaloir, s’il le faut parfois, aux dépens d’interprétations limitées et étroites des intérêts nationaux. Les chances de l’instauration d’un véritable ordre monétaire international se trouvent ici en jeu. 18. POSTFACE Tommaso Padoa-Schioppa qui s’était joint à nous pour convier des amis et des collègues, partageant nos préoccupations et nos espoirs, à constituer ce groupe, s’est éteint quelques jours après notre avant-dernière réunion, le 18 décembre 2010. Nous avons perdu un ami, et le monde une force de proposition exceptionnelle au service du bien commun. Au moment de mettre un terme à nos travaux, nous souhaitons reproduire ici la conclusion de l’invitation que nous avions lancée ensemble l’été dernier pour notre réunion inaugurale : « Il peut sembler étonnant que, en tant que personnes très familières des difficultés inhérentes à tout projet de réforme, nous proposions maintenant de traiter à leurs racines les problèmes de l’ordre monétaire international en allant bien au-delà de mesures fragmentaires et en essayant de rebâtir l’ensemble du système. Nous proposons cette approche car nous ne voyons pas d’alternative. Et nous pensons qu’il serait impardonnable de ne pas saisir l’opportunité offerte par l’après-crise. Notre tâche apparaîtra utopique à ceux qui continuent de rêver d’une simple adaptation à la marge du statu quo. Elle est cependant beaucoup moins audacieuse que celle des fondateurs de Bretton Woods en 1945. Ils estimaient possible de construire un système monétaire international multilatéral sur les ruines de la deuxième guerre mondiale. L’entreprise que nous proposons mérite donc que chacun apporte sa contribution ; son utilité sera accrue par l’expérience et la sagesse de personnes si familières à la fois des difficultés et des défis qu’un tel projet implique ». Ainsi que Tommaso l’aurait certainement fait, c’est de tout notre cœur que nous exprimons notre gratitude envers tous ceux qui ont contribué si généreusement à l’élaboration de ce document. Alexandre Lamfalussy, Michel Camdessus Paris, le 8 février 2011 19. COMPOSITION DU GROUPE « INITIATIVE DU PALAIS-ROYAL » Membres Sergey Aleksashenko Ancien Sous-gouverneur, Banque centrale de Russie Hamad Al Sayari Ancien Gouverneur, Saudi Arabian Monetary Agency Jack T. Boorman Ancien Directeur, Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation, et Conseiller spécial auprès du Directeur général, FMI Michel Camdessus Ancien Directeur général, FMI Andrew Crockett Ancien Directeur général, BRI Guillermo De la Dehesa Ancien Secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances, Espagne Arminio Fraga Ancien Gouverneur, Banque centrale du Brésil Toyoo Gyohten Ancien Vice-ministre des Finances, Japon Xiaolian Hu Vice-président de la China Society of Finance and Banking André Icard Ancien Directeur général adjoint, BRI Horst Koehler Ancien Directeur général, FMI Alexandre Lamfalussy Ancien Directeur général, BRI Guillermo Ortiz Ancien Gouverneur, Banco de México Tommaso Padoa-Schioppa (†) Ancien ministre des Finances, Italie Maria Ramos Ancien Directeur général, Trésor national, Afrique du Sud Y. Venugopal Reddy Ancien Gouverneur, Reserve Bank of India Edwin M. Truman Ancien Secrétaire adjoint aux Affaires internationales du Trésor américain Paul A. Volcker Ancien Président, Federal Reserve Board Experts Isabelle Mateos y Lago Conseiller, FMI Pietro Catte Directeur, Département des Études internationales, Banca d’Italia Corrinne Ho Économiste senior, BRI Irena Asmundson Économiste, FMI Sylvie Naville Administrateur, Forum des marchés émergents 20. PERSONNALITÉS AYANT CONTRIBUÉ AUX TRAVAUX DE L’INITIATIVE DU PALAIS-ROYAL Michel Aglietta Université de Nanterre - Paris X Agnès Jean Bénassy-Quéré Pisani-Ferry CEPII Bruegel Peter Bofinger Würzburg University Willem Buiter Citigroup Richard N. Cooper Harvard University Morris Goldstein Peterson Institute for International Economics Peter B. Kenen Princeton University Ronald McKinnon Stanford University Andrew Sheng Tsinghua University Hans Werner Teresa Timo Sinn Buchen Wollmershäuser IFO, Institute for Economic Research John Williamson Peterson Institute for International Economics Joseph Yam Chinese University of Hong-Kong 21. La préparation de ce rapport à été rendue possible grâce au généreux soutien de : - Compagnia di San Paolo, Turin - Emerging Markets Forum, Washington - Groupe AXA, Paris - Institute for New Economic Thinking, New York Avec le précieux concours de la Fondation Internationale Triffin Nous souhaitons leur exprimer à tous, ainsi qu’aux traducteurs, notre profonde gratitude. Groupe « Initiative du Palais-Royal » ----- Source : http://global-currencies.org/smi/fr/telechar/articles/pdf/Rapport_Camdessus-integral.pdf Date de l'information : février 2011