Revue de stabilité financière Février 2011

 

 

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RSF REVUE DE LA STABI L ITÉ FINANCIÈRE FÉVRIER 2011 DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET STABILITÉ FINANCIÈRE 15 111–015« Aucune représentation ou reproduction, même partielle, autre que celles prévues à l’article L. 122-5.2° et 3° a) du Code de la propriété intellectuelle ne peut être faite de la présente publication sans l’autorisation expresse de la Banque de France ou, le cas échéant, sans le respect des modalités prévues à l’article L. 122-10 dudit code. » © Banque de France - 2011 ISSN 1637-4681 www.banque-france.fr« Pour la présente édition de la Revue de la stabilité ? nancière, « Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière », nous avons eu le privilège de réunir les contributions de banquiers centraux éminents des principaux pays du monde, ce qui en fait un événement exceptionnel. Je souhaite exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont accepté de présenter leur point de vue et de nous aider à mieux comprendre des sujets d’importance capitale pour l’avenir ». Christian NoyerSOMMAIRE Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 ÉTUDES Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne DR. MUHAMMAD AL-JASSER, Agence monétaire saoudienne 1 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 BEN S. BERNANKE, Système fédéral de réserve 15 La stabilité ? nancière confrontée aux af? ux massifs de capitaux : le point de vue d’un marché émergent HENRIQUE DE CAMPOS MEIRELLES, Banque centrale du Brésil 31 Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière MARK CARNEY, Banque du Canada 35 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique AGUSTÍN CARSTENS, Banque du Mexique 45 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes MARIO DRAGHI, Banque d’Italie 51 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes SERGEY IGNATIEV, Banque de Russie 61 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant CHOONGSOO KIM, Banque de Corée 69 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre MERVYN KING, Banque d’Angleterre 83 Déséquilibres mondiaux et pays en développement MERCEDES MARCÓ DEL PONT, Banque centrale de la République argentine 93 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain GILL MARCUS, Banque de réserve d’Afrique du Sud 109 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI DARMIN NASUTION, Banque d’Indonésie 115 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière CHRISTIAN NOYER, Banque de France 121 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes MASAAKI SHIRAKAWA, Banque du Japon 129 Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement GLENN STEVENS, Banque de réserve d’Australie 143 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde DR. DUVVURI SUBBARAO, Banque de réserve d’Inde 149 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle JEAN-CLAUDE TRICHET, Banque centrale européenne 159 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise PROFESSEUR AXEL A. WEBER, Banque fédérale d’Allemagne 173 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels DURMUS YILMAZ, Banque centrale de la République de Turquie 181 Du taux d’épargne DR. ZHOU XIAOCHUAN, Banque populaire de Chine 187 ARTICLES PUBLIÉS 193Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 1 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Le problème des déséquilibres mondiaux a pris une ampleur déconcertante. Aussi les pays qui enregistrent un excédent et ceux qui sont en dé? cit doivent-ils coopérer pour trouver une solution. Tant les économies émergentes que les économies avancées doivent entreprendre des changements structurels. Il n’existe pas de solution exclusivement interne aux déséquilibres mondiaux. Les travaux doivent se poursuivre pour restaurer la stabilité ? nancière, ce qui passe par la surveillance des institutions ? nancières mondiales d’importance systémique, la réforme des institutions internationales, le traitement des entrées de capitaux déstabilisantes dans les économies émergentes, la promotion d’une concurrence accrue vis-à-vis du dollar en tant que monnaie internationale, en? n l’introduction d’un ciblage des prix d’actifs et de mesures macroprudentielles dans la conduite de la politique monétaire. Les excédents extérieurs actuels de l’Arabie saoudite sont un problème conjoncturel qui re? ète son rôle dans l’approvisionnement de l’économie mondiale en pétrole. Une politique budgétaire contracyclique est mise en œuvre pour stabiliser la trajectoire de croissance. Les réserves de change constituent un volant de sécurité et le taux de change sert d’ancrage à la politique monétaire tandis que la diversi? cation s’opère par le biais des investissements en capital. DR. MUHAMMAD AL-JASSER Gouverneur Agence monétaire saoudienneDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 2 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser L a crise ? nancière de 2007-2008 a con? rmé deux faits, à savoir l’interconnexion étroite des marchés ? nanciers à travers le monde et le lien évident entre la stabilité ? nancière intérieure et la stabilité ? nancière internationale. Cet article expose mon point de vue sur les déséquilibres mondiaux et la stabilité ? nancière. La section 1 examine le problème des déséquilibres mondiaux et propose quelques voies possibles pour améliorer la situation. La section 2 est consacrée à la stabilité ? nancière. La section 3 traite de la situation de l’Arabie saoudite et la section 4 présente une synthèse et des éléments de conclusion. 1| LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX 1|1 Contexte Les déséquilibres des échanges commerciaux entre les différentes économies sont aussi anciens que le commerce lui-même et, en règle générale, ils se corrigent progressivement en vue de contribuer à une croissance de long terme stable de l’économie mondiale. Le problème des déséquilibres mondiaux a toutefois pris des proportions déconcertantes, et ce en raison de plusieurs facteurs. Premièrement, l’ampleur des déséquilibres implique les principales économies du monde et, tout particulièrement, les États-Unis. Deuxièmement, le problème resurgit après s’être légèrement atténué en 2008-2009 (cf. tableau 1). Troisièmement, le système ? nancier mondial, qui a ? nancé les déséquilibres (et contribué à les aggraver en créant un effet de levier supplémentaire) a été endommagé par la crise. En? n, les déséquilibres au sein de la zone euro entraînent une instabilité qui soulève de nombreuses questions du même ordre, notamment la dif? culté de conduire à la fois les nations qui enregistrent un excédent et celles qui sont en dé? cit à coopérer pour trouver une solution. Les points de vue divergent sur la façon de résoudre ce problème. Les économies de marché émergentes en situation d’excédent craignent que, pour réduire leurs déséquilibres, les pays avancés n’aient recours aux exportations au détriment de celles des pays émergents au lieu de s’attaquer à leurs problèmes structurels. Les économies avancées considèrent que le taux de change des principales économies émergentes est inadéquat en raison de leur modèle de c roi s sance reposant sur les expor tat ions. De nombreux participants pensent que les excédents cycliques des pays producteurs de pétrole (qui sont de nature sensiblement différente, comme l’explique la section 3) doivent, d’une manière ou d’une autre, faire partie intégrante de cette question. D a n s u n c o n t ex t e d e m o n d i a l i s a t i o n e t d’interdépendance, un seul participant ne peut être tenu pour responsable du pro? l des déséquilibres. Pour l’heure, il est indispensable que toutes les parties agissent et travaillent ensemble. Les débats doivent se concentrer sur une correction ordonnée et progressive des déséquilibres à moyen terme, tout en garantissant la poursuite d’une expansion mondiale généralisée. Mais il nous faut partager une vision commune de l’évolution souhaitable pour l’économie mondiale et parvenir à un accord sur les instruments de politique économique. L’essor des économies en développement constitue le changement le plus important. Il s’est accéléré sous l’effet de la crise et les pays en développement représenteront bientôt plus de la moitié du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat. Les programmes de réformes structurelles (y compr i s ceux concernant les ins t i tut ions mondiales) doivent tenir compte de cette réalité. 1|2 Les dé? s à relever pour rééquilibrer la demande mondiale Toute solution qui se concentre uniquement sur la résorption du dé? cit des États-Unis porte en elle le risque d’un effondrement des échanges commerciaux de même nature que celui intervenu dans les années trente, quand la demande globale s’était retirée de l’économie mondiale. Mais à vouloir corriger les excédents uniquement par un accroissement Tableau 1 Soldes du compte de transactions courantes des principales économies (en milliards de dollars) 2007 2008 2009 2010 (prévision) États-Unis - 718 - 669 - 378 - 466 Japon 211 157 142 166 Allemagne 254 245 163 200 Chine 372 436 297 270 Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 3 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser de la demande intérieure dans les pays en excédent commercial, on risque une ? ambée de l’in? ation mondiale comme dans les années soixante-dix. Les créanciers (les nations en excédent) comme les débiteurs (les nations en dé? cit) doivent prendre des mesures concertées. Rétablir l’équilibre de l’économie mondiale implique une hausse de la demande dans la zone euro et une poursuite de l’expansion de la demande intérieure au Japon. A? n de préserver la reprise en cours, ces économies doivent consentir de nouveaux efforts pour accroître la concurrence sur les marchés des biens et des services et améliorer la ? exibilité du marché du travail. Les États-Unis doivent prendre des mesures pour corriger leur dé? cit budgétaire et empêcher que ne se reforme la bulle du crédit qui dépendait en ? n de compte de la solidité du collatéral immobilier. Nous ne pouvons pas espérer qu’une modi? cation du taux de change du dollar vis-à-vis des monnaies des pays en excédent résoudra à elle seule le problème : ce n’est pas la panacée. L’expérience nous enseigne que les modi? cations des taux de change ont des effets à court terme très limités sur les soldes des transactions courantes. De plus, les tentatives de modélisation de l’ampleur de la dépréciation du dollar nécessaire pour rétablir l’équilibre des exportations et des importations des États-Unis montrent que même une baisse importante de la monnaie ne permet pas d’obtenir ce résultat à court terme. D’autres facteurs, tels que des rigidités dans l’élasticité de la demande, des différences en termes d’économies d’échelle et de structures de coûts entre les économies, peuvent atténuer ou même annuler les effets des modi? cations des taux de change. Toutefois, pour certains pays, la ? exibilité du taux de change peut constituer une partie de la solution dans le cadre de la conduite de leurs politiques budgétaire et monétaire. Les marchés émergents, pour leur part, sont en train de dépasser le modèle de croissance traditionnel fondé sur les exportations. Ces économies devenant plus importantes et plus intégrées dans les échanges commerciaux et la ? nance au niveau international, elles sont confrontées à une série de plus en plus complexe de défis politiques, ce qui exige une ? exibilité institutionnelle. Des excédents extérieurs importants sont symptomatiques de déséquilibres structurels plus profonds sur le plan intérieur (à savoir un écart croissant entre l’épargne et l’investissement). De n omb re u s e s é c o n omi e s éme rg e n t e s o n t cependant des marchés ? nanciers et des institutions ? nancières relativement sous-développés et des revenus par habitant faibles ; la richesse et l’accès au crédit accusent un retard important par rapport à la situation dans les économies industrielles avancées. Cela limite l’efficacité des politiques macroéconomiques classiques. S’agissant de la demande intérieure dans les économies émergentes, les taux d’épargne brute sont nettement plus élevés dans ces pays que dans les économies avancées, soit 32 % contre 18 % du PIB en 2010 (source : Fonds monétaire international — FMI) et la consommation est par conséquent plus faible. Dans les économies émergentes, il est dif? cile de stimuler la consommation pour plusieurs raisons : l’investissement dans les services est faible et les secteurs du commerce de détail et de la finance sont sous-développés. Les réseaux de transport et d’énergie répondent aux besoins du secteur manufacturier plutôt qu’à ceux des consommateurs. Les biens de consommation sont principalement produits localement (les importations de biens de consommation de la Chine représentaient seulement 3 % des importations mondiales en 2008). La consommation augmente toutefois rapidement, quoiqu’à partir d’un faible niveau. Comme le montre le graphique 1, la consommation progresse de 8 % environ cette année dans les économies émergentes et le FMI estime que la demande intérieure privée contribuera à hauteur des deux tiers à la croissance chinoise en 2010 et 2011. Des réformes structurelles sont cependant nécessaires pour libérer une demande Graphique 1 Consommation dans les économies émergentes et avancées Consommation privée réelle (variation annualisée en pourcentage par rapport au trimestre précédent) - 4 - 2 0 4 2 8 6 12 10 Économies émergentes T1 2007 T1 2008 T1 2009 T1 2010 Économies avancées Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 4 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser de consommation qui sans aucun doute existe : par exemple, compte tenu du poids des jeunes dans la structure démographique et de l’espérance de vie plus faible dans les économies émergentes, il existe une demande potentielle très forte en faveur d’une amélioration de l’éducation et de la santé. Toutefois, de nombreuses économies émergentes appliquent un modèle oligopolistique pour limiter la concurrence privée et réduire par là l’offre de ces services, la demande ne pouvant pas s’exprimer et par conséquent ne pouvant pas être satisfaite. En dépit de leurs contraintes, les économies émergentes doivent entreprendre des réformes budgétaires, ? nancières et des marchés du travail a? n de parvenir à une croissance plus équilibrée. Il en va de leur propre intérêt et de celui de l’économie mondiale. L’approfondi s sement des réformes structurelles est le meilleur moyen de pérenniser les gains de compétitivité. Des politiques destinées à améliorer le climat des affaires devraient s’avérer utiles à cet égard. Une croissance alimentée par la demande intérieure peut être favorisée de manière décisive par un système bancaire sain et dynamique ; des réformes du secteur bancaire et ? nancier sont donc également nécessaires. 1|3 Le protectionnisme étouffe la croissance Les déséquilibres mondiaux sans précédent ont de nouveau suscité de vifs débats lors de la récente assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale en octobre 2010 et laissé craindre une dévaluation compétitive et un protectionnisme déclaré ou latent. Heureusement, la plupart des membres du G20 pensent qu’il serait peu judicieux de renforcer les barrières commerciales ou de s’opposer à des réformes favorables à la compétitivité dans des secteurs qui se font concurrence avec des biens et des services importés, dans la mesure où ces actions ont une incidence très faible sur l’amélioration des termes de l’échange. En fait, la croissance de l’économie mondiale serait alors bridée et les déséquilibres mondiaux persisteraient. Il serait aujourd’hui dangereux de dresser des obs tac les à la l ibre c i rculat ion des capi taux internationaux. Des mesures telles que les restrictions aux mouvements de capitaux peuvent fonctionner à court terme mais elles créent davantage de problèmes à moyen terme. La complexité des questions exige une action coordonnée et un esprit de coopération plutôt que des mesures unilatérales et/ou une confrontation sur les politiques à suivre. Il n’existe pas de solution exclusivement nationale aux déséquilibres mondiaux. Le gradualisme est la voie à suivre pour résoudre les insuf? sances des facteurs qui contribuent aux dif? cultés actuelles (taux de change, ? ux de capitaux, dérapages budgétaires, etc.). 2| LA STABILITÉ FINANCIÈRE APRÈS LA CRISE FINANCIÈRE 2|1 Contexte La crise ? nancière récente a mis en évidence des faiblesses dans le fonctionnement du système monétaire international. Dès avant sa survenue, les pressions en vue d’une réforme du FMI et des autres institutions internationales s’étaient accentuées, en liaison avec les inquiétudes relatives aux déséquilibres mondiaux. La réforme de la régulation bancaire a rejoint depuis la liste des préoccupations et, face à la dispersion croissante de la reprise économique et des mesures adoptées, il est plus urgent que jamais d’agir. Les principaux problèmes à régler sont examinés ci-après. 2|2 Rétablir la stabilité ? nancière Il est largement admis que des progrès sont nécessaires dans plusieurs domaines : • Les banquiers devront continuer à procéder à des tests de résistance rigoureux sur les bilans des banques. • Les régulateurs financiers doivent s’attacher à poursuivre une introduction soigneusement ordonnancée des réformes accompagnant la reprise en cours. • Les institutions ? nancières mondiales de taille systémique (G–SIFIs) doivent avoir une plus grande capacité à absorber les pertes que les banques moins importantes et être régulées plus strictement au niveau transfrontière.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 5 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser • Les règles comptables doivent être harmonisées au niveau mondial. • Les banquiers centraux doivent intégrer une dimension macroprudentielle dans leur politique. • Les gouvernements doivent ancrer leur politique budgétaire dans un cadre de moyen terme crédible permettant de lever les préoccupations relatives au caractère soutenable de la dette (ils doivent donc prévoir de dégager des excédents primaires). • Les économistes doivent repenser leurs approches fondées sur des modèles qui n’ont pas été en mesure d’envoyer des signaux d’alerte sur la survenue de la crise. La question des G–SIFIs doit être traitée dès que possible. Les régulateurs de l’Union européenne (UE) et des États-Unis doivent trouver une approche commune dans le traitement de la situation d’une banque défaillante. Dans son récent rapport au sommet du G20 à Séoul, le Comité de Bâle a précisé qu’il n’aurait pas achevé avant mi-2011 son étude sur la capacité supplémentaire d’absorption des pertes dont doivent disposer les G–SIFIs. 2|3 Réformer les institutions internationales La puissance économique mondiale se déplace du G7 vers les économies émergentes ; les dispositifs opérationnels (du FMI en particulier) doivent re? éter cette réalité a? n de pouvoir fonctionner ef? cacement. L’accord sur la réforme du FMI auquel sont parvenus les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales du G20 réunis en Corée du Sud constitue une évolution encourageante. Lorsque la révision générale des quotes-parts sera achevée d’ici janvier 2013, elle devra comporter une formule de calcul permettant de poursuivre ce rééquilibrage. Un mécanisme de réajustement des votes en fonction des parts dans le PIB mondial garantira que ces institutions conservent leur rôle crucial de coordination pour les questions internationales et qu’elles ne sont pas mises sur la touche. En retour, le monde en développement doit s’engager à fournir les ressources en capital nécessaires et à faire fonctionner les institutions de manière productive. La nature de la récente crise mondiale du crédit ayant justi? é une réponse à l’échelle internationale, le G7 a été élargi au G20 a? n de traiter les questions complexes, dont celles des réformes réglementaires, de la résolution des crises et du rééquilibrage mondial. Le forum du G20 a montré son ef? cacité, jusqu’à présent, pour restaurer des conditions normales sur les marchés et remettre l’économie mondiale sur la voie de la reprise après une récession sévère. 2|4 Les mouvements de capitaux Le caractère extrêmement volatil des mouvements de capitaux a compliqué la conduite de la politique monétaire. Cela est particulièrement le cas des ? ux bancaires internationaux qui se sont inversés, passant de prêts nets aux économies émergentes à hauteur de 451 milliards de dollars à un retrait net de capitaux de 44 milliards entre 2007 et 2009, soit un retournement représentant près de 500 milliards de dollars (cf. tableau 2). Les mouvements de capitaux ont des effets à la fois positifs et négatifs mais, dans les économies éme rg e n t e s, l ’ amp l e u r d e s f l u c t u a t i o n s e s t dés tabi l i sante et les inves t i s sement s di rec t s étrangers (IDE), qui sont les ? ux les plus stables, constituent la composante la plus indispensable. Les entrées importantes de « capitaux fébriles » compliquent la politique monétaire, entraînant la mise en place de contrôles par le biais de la ? scalité ou de périodes de détention minimales. Les bulles des prix d’actifs ont également tendance à contribuer aux déséquilibres en donnant une fausse perception de richesse. Dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA), les entrées de capitaux alimentant la spéculation immobilière ont causé des dif? cultés lorsqu’elles se sont brutalement inversées durant la crise ? nancière qui a éclaté en 2007. Tableau 2 Sources de ? nancement international des économies émergentes (en milliards de dollars) 2007 2008 2009 2010 Prévision Prêts bancaires 451 29 - 44 85 Investissements de portefeuille - 13 - 105 78 97 IDE 333 299 152 156 Source : Institute of International FinanceDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 6 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser Toutes les options traditionnelles pour gérer les ? ux de capitaux présentent des inconvénients pour les économies émergentes : • L’appréciation du taux de change ou la baisse des taux d’intérêt dans des dispositifs d’ancrage du taux de change : une inversion des ? ux de capitaux peut entraîner une volatilité du taux de change et les taux d’intérêt peuvent se trouver à la merci des ? ux étrangers et ne plus être adaptés à la situation intérieure du pays. • L’ a c c umu l a t i o n d e r é s e r ve s p a r l e b i a i s d’interventions de change stérilisées : elle peut s’avérer contre-productive (la hausse des taux d’intérêt attirant davantage de capitaux). L’accumulation de réserves sans stérilisation peut également se révéler coûteuse sur le plan budgétaire car elle peut entraîner de l’in? ation. L’ampleur des ? ux de capitaux peut dépasser largement les interventions de change. • Une politique budgétaire plus rigoureuse : elle peut entraîner le report de certains projets d’infrastructures et présente des limites politiques et économiques dans la mesure où des situations budgétaires ou extérieures favorables sont susceptibles d’attirer les capitaux. Les politiques macroéconomiques pouvant s’avérer insuf? santes pour traiter les entrées massives de capitaux étrangers, l’arsenal des mesures doit inclure d’autres instruments. Le renforcement du cadre prudentiel (contrôle du crédit, exigences de fonds propres contracycliques, contrôle des mouvements de capitaux et/ou ? scalité directe ou indirecte) peut contribuer à atténuer les conséquences négatives d’un af? ux massif de capitaux. Les contrôles des mouvements de capitaux ne sont pas suf? sants par eux-mêmes : • Ils sont dif? ciles à gérer. • Ils peuvent être contournés à court terme. • Leur ef? cacité diminue au ? l du temps. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, un programme de contrôle des ? ux de capitaux à la fois bien structuré et limité dans le temps peut contribuer à atténuer les conséquences négatives des entrées de capitaux excessives dans les économies émergentes, notamment si les réserves de change sont suffisantes, si le taux de change n’est pas sous-évalué et si l’économie n’est pas en surchauffe. Le développement d’un système ? nancier national solide, qui réduit la dépendance à l’égard des prêts consentis par des banques internationales (qui sont historiquement les ? ux les plus volatils) et encourage les ? ux d’épargne locaux, constitue la meilleure réponse à long terme. Lorsque les épargnants des pays émergents cherchent à diversi? er leurs placements ou ne trouvent pas de supports sûrs et ef? caces au sein des marchés de capitaux locaux, l’épargne se dirige principalement vers les États-Unis, qui offrent des instruments ? nanciers sûrs et liquides. Développer les instruments financiers dans les économies émergentes contribuera à limiter les déséquilibres mondiaux. La croissance des marchés obligataires en monnaie locale au cours des dernières années est encourageante. Par exemple, sur les marchés obligataires sud-américains, la part des émissions en monnaie locale représente plus de 70 % du total des émissions (données de 2008). Cependant, même un système ? nancier national sain peut être affecté par une crise de liquidité mondiale lorsque les banques locales constatent soudainement que leurs lignes de ? nancement externes ont été réduites en raison des dif? cultés des G–SIFIs. 2|5 Les monnaies de réserve Le dollar joue trois rôles distincts dans le système mo n é ta i re i n t e r n a t i o n a l : u n i t é d e c omp t e (numéraire), moyen d’échange et réserve de valeur pour les investisseurs (ce dernier rôle a pris de l’importance car les États-Unis disposent des marchés d’actifs les plus liquides et les plus diversi? és). Il est irréaliste de songer à remplacer le dollar par les droits de tirage spéciaux (DTS) ou tout autre panier de devises, compte tenu des limites des paniers en termes de disponibilité et d’utilisation à des ? ns privées. Le DTS, par exemple, représente une créance sur un panier de devises et non une devise au sens propre. Les DTS constituent 4 % environ des réserves mondiales et il existe peu de possibilités de placement dans cet instrument. L’économie mondiale est toutefois confrontée à un problème de monnaie d'ordre structurel, le « dilemme de Trif? n » impliquant que les États-Unis doivent fournir de plus en plus de liquidité pour soutenir la croissance du commerce mondial. Celui-ci va continuer à progresser plus rapidement que l’économie mondiale et l’économie américaine, si bien que ce dilemme Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 7 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser s’accentuera. Si cette évolution n’est pas maîtrisée, sa conséquence naturelle est une baisse à long terme du dollar. À court terme, les États-Unis peuvent être tentés de laisser chuter le dollar. Une approche pragmatique consiste à créer de la concurrence entre les monnaies internationales. Voir le dollar confronté à davantage de concurrence serait une perspective saine pour la politique macroéconomique américaine et pour l’économie mondiale. À l’heure actuelle, l’euro a les capacités de jouer le rôle de devise concurrente et, à mesure que les marchés d’actifs en euros se développent, il deviendra plus attractif comme réserve de valeur. D’autres monnaies pourront avoir ces fonctions ultérieurement, compte tenu de l’importance de leur rôle dans l’économie mondiale et sur les marchés ? nanciers. Le yen et le yuan ont toutes les chances de ? gurer dans la cour des grands, aux côtés du dollar et de l’euro. Les DTS pourraient très bien venir en complément. Les pays émergents (en particulier, la Chine) qui aspirent à tenir ce rôle devront poursuivre l’ouverture de leurs marchés d’actifs domestiques aux investisseurs étrangers et proposer une large gamme d’instruments négociés liquides pour les attirer. Cela étant, l’objectif d’une structure multipolaire pour les monnaies de réserve mérite d’être poursuivi. 2|6 Les implications des événements récents pour la politique monétaire Les événements récents ont révélé que la conduite de la politique monétaire pouvait rencontrer des limites. Le ciblage de l’in? ation s’avère insuf? sant pour fournir un cadre macroéconomique viable, propice à la croissance dans les économies avancées. L’approche « un outil, un objectif » consistant à utiliser les taux directeurs pour cibler la hausse des prix à la consommation s’est révélée inadaptée lorsque la crise est survenue. Elle a sans doute même contribué à la crise, dans la mesure où son succès apparent a entraîné un excès de con? ance qui a conduit les banquiers à croire que les taux resteraient toujours bas, justi? ant ainsi davantage d’effet de levier. Le ciblage de l’in? ation n’était pas la solution dans la plupart des économies émergentes. Le caractère volat i l des f lux de capi taux, qui compromet l’ef? cacité de la politique monétaire, représente le dé? le plus urgent pour les banques centrales de ces pays. De plus, la prépondérance des questions budgétaires complique la tâche de la politique monétaire, notamment lorsque la nécessité de gérer la dette publique résultant des dé? cits budgétaires structurels entre en con? it avec la stabilité des prix et les objectifs de stabilité ? nancière. La crise a mis en relief deux dé? s. Premièrement, nous devons mieux comprendre comment se développent les bulles des prix d’actifs, a? n de pouvoir utiliser plus ef? cacement les outils de la politique monétaire pour les contrer. Deuxièmement, des mesures supplémentaires sont nécessaires pour préserver la stabilité ? nancière. LE CIBLAGE DES PRIX D’ACTIFS Il est à présent évident que les banques centrales ne peuvent pas ignorer les hausses des prix d’actifs pouvant aboutir à la formation de bulles. La crise récente a clairement montré que les marchés ne s’auto-corrigent pas et que les banques doivent être rigoureusement supervisées. Le système ? nancier présente un danger spéci? que pour l’ensemble de l’économie parce qu’il est le fournisseur de crédit. Si l’offre de crédit devient excessive, elle entraînera une hausse des prix des actifs jusqu’à ce qu’une crise survienne (en raison d’un levier d’endettement excessif). Historiquement, les banques centrales ont toujours craint d’être critiquées pour avoir mal apprécié les valorisations des prix d’actifs et se sont souciées d’être en situation de réagir une fois que la bulle avait éclaté. Cela n’a pas été le cas en 2007-2008. En effet, les taux directeurs sont rapidement tombés à des niveaux proches de zéro, la politique budgétaire a dû être appelée à la rescousse et les banques centrales ont été contraintes de recourir à des mesures non conventionnelles inédites. Le fait de ne pas agir lorsque les prix d’actifs augmentent de façon non soutenable peut avoir des conséquences extrêmement graves, allant jusqu’à mettre en péril le système ? nancier tout entier et la santé de l’économie mondiale. La crise a conduit à établir un diagnostic qui aurait été considéré comme inacceptable auparavant : • Les banques centrales doivent prendre des mesures pour aller à l’encontre des tendances du marché, en se servant de la politique monétaire pour freiner les hausses injusti? ées des prix d’actifs, même lorsqu’il n’existe pas de risque immédiat pour l’in? ation.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 8 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser • La cause profonde des crises réside dans le comportement des banquiers et une réglementation ? nancière effective doit remplacer une approche légère de la réglementation. • La régulation applicable aux différentes banques doit être complétée par une vue d’ensemble de la stabilité ? nancière. LES MESURES MACROPRUDENTIELLES E n c omp l éme n t d ’ u n e p o l i t i q u e mo n é ta i re prudente, les autorités (régulateurs bancaires ou banques centrales) devront recourir à des mesures macroprudentielles. Les propositions de Bâle III proposent en fait d’associer une politique mac roprudent iel le à des mesures c las s iques d’adéquation des fonds propres. En particulier, la mise en œuvre de règles contracycliques relatives aux fonds propres réglementaires doit être laissée à l’appréciation de la banque centrale. Bâle III se concentre sur les problèmes des systèmes bancaires dans les économies avancées et peut porter atteinte aux activités bancaires traditionnelles dans les économies émergentes, telles que le ? nancement des crédits commerciaux. Dans certaines économies émergentes, les politiques macroprudentielles se heurtent à des dé? s importants : • Les institutions publiques sont souvent faibles, vulnérables aux pressions politiques et la coordination des politiques est dif? cile. • Il y a un manque de sources d’informations ? ables concernant le fonctionnement précis de l’économie. Les statistiques publiques sont produites tardivement et sont souvent de qualité médiocre. • L e s b i l a n s d e s b a n q u e s s o n t o p a q u e s . Ces établissements sont souvent détenus ou contrôlés par l’État et accordent souvent des prêts en fonction de critères politiques. • Même lorsque les régulateurs locaux agissent prudemment et que le système bancaire est correctement capitalisé, des événements extérieurs peuvent entraver la capacité des régulateurs locaux à agir sur le cours des événements quand les banques de taille mondiale retirent leurs fonds. La politique monétaire et la stabilité ? nancière sont les deux faces d’une même médaille. La politique monétaire ne peut pas être ef? cace si le système bancaire est faible. La réalisation de la stabilité ? nancière est tout aussi importante que le ciblage du taux de change ou de l’in? ation. En Arabie saoudite, la supervision des banques et la conduite de la politique monétaire sont toutes deux assurées par l’Agence monétaire saoudienne (SAMA) dont l’action a été positive pour l’économie. L’Agence monétaire saoudienne a toujours eu une attitude volontariste pour garantir la stabilité ? nancière en adoptant des directives prudentielles et en durcissant les critères d’octroi des crédits à un moment où le crédit était aisément accessible au niveau mondial. Les banques saoudiennes disposent de coussins de sécurité suf? sants pour préserver les intérêts de leurs actionnaires et de l’économie. 3| LE CAS DE L’ARABIE SAOUDITE 3|1 Contexte Avant tout, il importe de noter que la diversité des méthodes d’agrégation des soldes des comptes de transactions courantes pose problème et occulte la nature véritable des déséquilibres. Mais, si l’on observe les données historiques sur la période de dix ans allant jusqu’en 2009, le montant cumulé des excédents des comptes de transactions courantes de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la Suisse est supérieur à celui de tous les pays membres de l’OPEP. Si l’on compare la seule Allemagne aux quatre pays du Golfe membres de l’OPEP (Arabie saoudite, Koweït, Qatar et Émirats arabes unis) sur la dernière décennie, on constate que l’Allemagne a dégagé un excédent cumulé de 1 176 milliards de dollars, supérieur à l’excédent cumulé de 1 088 milliards de dollars enregistré par ces quatre pays (source : Perspectives de l’économie mondiale du FMI). Le problème posé par les excédents des pays exportateurs de pétrole du Golfe dont la diversité économique est limitée, comme l’Arabie saoudite, n’est pas seulement exagéré ; ces excédents diffèrent fondamentalement de ceux des autres pays sur deux points. Premièrement, ils résultent de la production Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 9 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser d’une matière première unique dont la durée de vie est limitée. Deuxièmement, ils représentent un problème conjoncturel, et non pas structurel, pour l’économie mondiale. 3|2 Les problèmes de la rente pétrolière pour les politiques budgétaire et monétaire LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE Aujourd’hui, en termes réels, les cours du pétrole ne sont guère éloignés des valeurs historiques, ainsi que le montre le graphique 2. L’approvisionnement de l’économie mondiale en pétrole ne peut s’ajuster que de façon très limitée, à court terme, aux variations de la demande, d’où sa grande volatilité. Cela s’explique par l’importance des délai s et des inves t i s sement s en capi tal indispensables à la découverte de nouvelles ressources pétrolières, puis à leur mise en production et à leur transformation en produit utilisable. L’accroissement de la production des pays tels que l’Arabie saoudite avant la crise était nécessaire pour favoriser une modération des prix du pétrole au profit de la croissance économique mondiale. La conjugaison de prix élevés et d’une production en hausse a généré des excédents qui ont été utilisés pendant la crise récente à des ? ns de relance budgétaire. La volatilité et le caractère intrinsèquement imprévisible des prix de toutes les matières premières est un fait bien établi, comme le montre le graphique 3. Les ? uctuations des recettes qui en découlent sont un phénomène cyclique qui re? ète la santé de l’économie mondiale. Contrairement aux excédents des exportateurs de produits manufacturés, elles ne sont pas structurelles. Au plan intérieur, les variations extrêmes entre excédent et dé? cit apparaissent dans le solde budgétaire domestique en raison du rôle prédominant de la rente pétrolière dans les ? nances publiques. Les fluctuations que l’économie saoudienne a connues au cours des trente dernières années, pour partie en raison de son rôle de régulateur du marché pétrolier, sont indésirables et déstabilisantes. Après les excédents des années soixante-dix, l’Arabie saoudite est restée un pays déficitaire Graphique 2 Prix nominaux et réels du pétrole 1970-2010 (en dollars par baril) Graphique 3 Prix d’une sélection de matières premières 2000-2010 (indices : 2000 = 100) 0 20 40 60 80 100 120 140 Prix nominal Prix réel 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 Janv. 2001 Janv. 2000 Janv. 2001 Janv. 2003 Janv. 2004 Janv. 2005 Janv. 2006 Janv. 2007 Janv. 2008 Janv. 2009 Janv. 2010 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 Énergie Métaux Produits alimentaires Notes : Les prix réels sont exprimés en dollars de 1982-1984. La dernière observation porte sur mai 2010 pour les prix réels et sur juin 2010 pour les prix nominaux. Sources : BCE, Global ? nancial Data, BLS Source : OMC à partir des prix des matières premières recensés par le FMIDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 10 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser de 1983 à 2002 (à l’exception de 2000). Depuis 2003, elle enregistre un excédent budgétaire (sauf en 2009) ainsi que le montre le graphique 4. L’Arabie saoudite est parvenue à réduire fortement le ratio de dette intérieure/PIB (cf. graphique 5). En résumé, l’Arabie saoudite est confrontée à un exercice d’équilibre délicat de politique budgétaire : répondre à l’augmentation des exigences budgétaires résultant de la pression démographique tout en économisant suffisamment les ressources pétrolières pour être à même d’adopter une orientation contracyclique et de préserver l’équité intergénérationnelle. Cette politique budgétaire prudente a été béné? que à l’Arabie saoudite. Elle a permis, notamment, de limiter l’incidence de la crise ? nancière mondiale sur son économie et de favoriser la reprise économique en cours tout en préservant la soutenabilité budgétaire à long terme. LA POLITIQUE MONÉTAIRE Le régime de change ? xe constitue l’ancrage de la politique monétaire (l’arrimage du riyal au dollar n’a pas été modi? é depuis 1986), ce qui offre aux investisseurs une sécurité dans une région où les ? ux de capitaux sont majoritairement libellés en dollars et permet un alignement des taux d’intérêt sur ceux des États-Unis moyennant une faible prime. De plus, la con? ance dans l’ancrage au dollar permet aux banques nationales de disposer d’un accès avantageux au ? nancement externe (c’est-à-dire avec une prime de risque moins élevée) et conforte la garantie de remboursement de la dette. Les coûts des transactions commerciales et ? nancières sont réduits au minimum. Le pétrole et le gaz sont tarifés et réglés en dollars et les prix des importations sont essentiellement exprimés en dollars. La ? exibilité de la gestion des réserves n’est pas affectée à condition que le volant de réserves de change accumulées en période favorable soit maintenu à un niveau acceptable en cas de dé? cit extérieur. On a souvent avancé qu’un régime de change ? exible serait avantageux pour les exportateurs de pétrole enregistrant des excédents. S’agissant de l’Arabie saoudite, l’avantage théorique attaché à un régime de change ? exible ne se véri? e pas en raison de la composition des secteurs importateurs et exportateurs. On peut le comprendre à partir de l’exemple d’une monnaie nationale qui se déprécie, situation qui devrait en théorie stimuler les exportations et la croissance. Or, les prix des exportations de pétrole saoudien sont fixés en dollars sur le marché mondial. La dévaluation du riyal ne stimulera pas les exportations de pétrole et les autres domaines d’exportation sont très limités. Exprimés en monnaie locale, les recettes pétrolières seraient plus élevées. Mais cet avantage serait largement contrebalancé par un renchérissement des importations et se traduirait par une hausse du niveau des prix et par un maigre pro? t en termes de croissance ou d’emploi. De la même façon, les avantages attendus d’une réévaluation sont discutables. Graphique 4 Dé? cit ou excédent budgétaire/PIB 1983-2009 (%) - 30 - 20 - 10 0 10 20 30 40 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2001 2000 2003 2002 2005 2004 2009 2008 2007 2006 Source : ministère des Finances Graphique 5 Dette publique/PIB (%) 0 20 40 60 80 100 120 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Source : Central Department of Statistics and Information, ministère de l’Économie et du PlanDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 11 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser Pour prendre un exemple récent, le débat de politique économique a porté en 2006 et 2007 sur l’opportunité pour les pays membres du CCG (Conseil de coopération des États arabes du Golfe) d’ajuster à la hausse l’ancrage au dollar (le dollar était alors bas) ou d’adopter une approche reposant sur un panier de monnaies en période d’in? ation importée. En mai 2007, le Koweït est passé d’une référence au dollar à un panier de monnaies dont le dollar reste la composante essentielle. À cette époque, la croissance saoudienne était encore robuste dans un contexte de forte demande de pétrole. Toutefois, le principe d’une réévaluation a été rejeté car cela n’aurait pas ralenti le secteur exportateur ni affecté la croissance, qui était alimentée par la rente pétrolière. Le prix des importations aurait baissé mais l’effet de richesse qui en aurait résulté pour les consommateurs risquait d’accentuer l’in? ation en accroissant la demande intérieure. Certains commentateurs ont avancé que des taux d’intérêt réels élevés auraient contenu l’in? ation, mais cette hypothèse ne tient pas en Arabie saoudite où les consommateurs ne sont pas fortement endettés et où le ratio du crédit bancaire rapporté au PIB est modeste (cf. graphique 6). De p l u s, l a h a u s s e d e l ’ i n f l a t i o n r é s u l ta i t essentiellement de celle des prix des produits alimentaires et des loyers (chocs d’offre). L’outil le plus puissant consistait à dégager d’importants excédents budgétaires pour tempérer la demande. LA RÉGLEMENTATION PRUDENTIELLE DES BANQUES En dépit des critiques formulées à l’encontre de son conservatisme, la SAMA continue d’encourager les banques à maintenir un volant de fonds propres nettement supérieur aux exigences minimales, un ratio de liquidité prudent dé? ni par des actifs liquides d’un montant au moins égal à 20 % des dépôt s bancai res, un plafonnement du rat io prêts/dépôts à 85 % et un provisionnement dynamique a? n que le système résiste en cas de crise. Cette approche a permis d’amortir l’incidence de la crise mondiale sur l’Arabie saoudite, mais les banques saoudiennes ont souffert du retrait brutal de fonds de la région effectué par les banques actives à l’international et ont été affectées par l’élargissement des écarts (spreads) de taux d’intérêt. Aucune banque n’est d’importance systémique (too big to fail) en Arabie saoudite et la SAMA a l’intention d’appliquer intégralement aux banques le coussin de fonds propres contracyclique. Les nouvelles règles de Bâle III ne devraient pas avoir d’incidence sur les banques saoudiennes dont les fonds propres, majoritairement constitués d’actions ordinaires et de béné? ces non distribués, sont d’un niveau nettement supérieur aux exigences minimales de Bâle III. En outre, il est peu probable que les nouvelles exigences de Bâle III en matière de liquidité et de ? nancement stable aient une incidence signi? cative sur les ratios de liquidité des banques saoudiennes, d o n t l e s b i l a n s s o n t re l a t i veme n t l i q u i d e s, re? étant la composition diversi? ée des actifs en instruments à court terme, prêts et titres négociables. En avril 2010, Standard & Poor’s a jugé que les fonds propres des banques saoudiennes (classés dans une fourchette allant de « adéquat » à « solide ») étaient un facteur positif en termes de notation. Ayant constaté que « ces banques sont dotées d’importants volants de fonds propres permettant d’absorber des pertes imprévues », l’agence a relevé cette année leur notation. On peut y voir un hommage rendu à l’attention que les autorités ont toujours porté à la recherche de la stabilité ? nancière grâce à la santé du système bancaire. LE PROGRAMME D’INVESTISSEMENT À LONG TERME Il est dif? cile de comprendre pourquoi les exportateurs de pétrole devraient être tenus en partie responsables du problème des déséquilibres mondiaux alors même qu’ils ne contrôlent pas le prix du pétrole. Le ratio du solde des transactions courantes/PIB illustre la volatilité de ces données (cf. graphique 7). Graphique 6 Crédit bancaire/PIB (%) 0 60 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 10 20 30 40 50 Source : SAMADéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 12 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser L’accent doit être mis sur une utilisation prudente des excédents pour placer les économies fondées sur les ressources naturelles sur une trajectoire de croissance durable. L’Arabie saoudite s’est dotée d’un programme ambitieux de réformes structurelles axé sur le développement de la croissance conduite par le secteur privé, la diversi? cation de l’économie et la consolidation des ? nances publiques. L’augmentation des dépenses d’infrastructures, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’éducation, a donné une forte impulsion à la demande domestique et à la croissance. En outre, les ? nances publiques ont été consolidées et les réformes structurelles progressent. L’objectif central des réformes menées ces dernières années en Arabie saoudite a consisté à développer la base de production de l’économie en créant un climat propice à l’investissement, tant domestique qu’étranger. La législation relative à l’investissement a été modernisée, et les réformes institutionnelles nécessaires ont été menées à bien. Les procédures administratives et juridiques ont été renforcées. En conséquence, les IDE ont fortement augmenté, les entrées à ce titre représentant 43 % de la formation brute de capital ? xe en 2009, et le stock d’IDE étant équivalent à 40 % du PIB. L’Arabie saoudite se classe désormais au 17 e rang sur 141 pays en termes de rentabilité des stocks d’IDE selon les données de la CNUCED (cf. tableau 3). Les dépenses en capital sont axées sur la modernisation et le développement des inf ras t ruc tures de l’économie, ainsi que sur l’augmentation des capacités de production de pétrole. Les capacités de production de pétrole brut ont été portées à 12,5 millions de barils par jour. Les capacités de raf? nage ont augmenté de 30 % environ entre 2005 et 2009. D’autres projets d’envergure sont en cours dans les domaines des infrastructures physiques (comme un réseau ferroviaire), de la pétrochimie, de l’électricité, du gaz et de l’eau, des télécommunications et des technologies de l’information, du tourisme, de l’agriculture, de l’éducation et de la formation. Dans le plan quinquennal 2005-2009, le coût de ces projets est supérieur à 200 milliards de dollars, soit une hausse des dépenses de 60 % par rapport au plan précédent. Incontestablement, toutefois, l’Arabie saoudite ne peut indé? niment augmenter ses dépenses sans sacri? er à la prudence. L’expérience de la ? ambée des prix du pétrole dans les années soixante-dix a montré que des goulets d’étranglement apparaissent dans l’économie réelle lorsque les dépenses augmentent trop rapidement (contraintes de capacités d’absorption). En outre, des taux minimums de rendement productif doivent être dé? nis pour chaque projet, et l’économie ne pourra tirer pro? t de projets n’atteignant pas ces niveaux de rendement. En résumé, l’Arabie saoudite a contribué de trois manières à la santé de l’économie mondiale pendant la crise : • en satisfaisant la demande supplémentaire de pétrole, issue essentiellement des économies émergentes, renforçant par là même la reprise mondiale ; • en contribuant à l’activité à l’étranger par l’importation de biens d’équipement destinés aux infrastructures ; Graphique 7 Transactions courantes/PIB (%) - 30 40 2000 2002 2004 2006 2008 - 20 - 10 0 10 20 30 1990 1992 1994 1996 1998 Source : SAMA Tableau 3 Arabie saoudite : entrées d’IDE Moyenne annuelle 1995-2005 2006 2007 2008 2009 IDE (milliards de dollars) 1,5 17,1 22,8 38,1 35,5 En % de la FBCF 4,4 na 29,9 46,0 43,5 Stock d’IDE en % du PIB 12,0 na 19,2 23,9 40,5 Classement du pays selon l’indice de rentabilité des entrées d’IDE (sur 141 pays) – – 55 33 17 Source : CNUCED, Rapport sur l’investissement dans le monde 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 13 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Muhammad Al-Jasser Toutes les économies impliquées dans les déséquilibres mondiaux doivent travailler de concert à la résolution des problèmes dans un cadre de moyen terme. Les pays excédentaires et dé? citaires doivent coopérer pour faire en sorte que l’économie mondiale ne soit pas entraînée dans une nouvelle récession sévère due à une insuf? sance de la demande des pays dé? citaires, et éviter un processus d’in? ation résultant d’un accroissement de la demande dans les pays excédentaires qui ne s’accompagnerait pas d’une action par ailleurs. Des améliorations structurelles destinées à renforcer le taux de croissance tendanciel sont essentielles aux États-Unis, dans la zone euro et au Japon. Il est nécessaire de remédier aux faiblesses des dispositifs actuels, qui empêchent toute action internationale ef? cace permettant le traitement des institutions ? nancières les plus importantes. Certains redoutent qu’une certaine complaisance ne s’instaure à l’égard de la nécessité d’une régulation bancaire rigoureuse, du contrôle du levier d’endettement, du mauvais usage des notations de crédit et du développement effréné de produits complexes. Il faut que soit pleinement reconnu le droit des économies émergentes à occuper leur position légitime et à se faire entendre, tant dans l’économie mondiale qu’au sein des institutions ? nancières internationales. Les monnaies de réserve doivent évoluer d’une manière concurrentielle qui re? ète leurs économies et la situation des marchés ? nanciers. Le passage de relais de la gouvernance ? nancière mondiale du G7 au G20 est un bon début, mais nous devons intensi? er nos efforts pour parvenir à un consensus sur les moyens d’instaurer un ordre ? nancier durable. On ne soulignera jamais assez l’importance de la stabilité ? nancière. Les banques centrales sont confrontées au problème épineux qui consiste à gérer à la fois la stabilité des prix et la stabilité ? nancière. L’« âge d’or » de la croissance rapide et de la faible in? ation a trop souvent été mis sur le compte de la politique monétaire, qui a pourtant ses propres limites. La politique monétaire ne peut pas servir à modi? er le taux de croissance de l’économie à moyen terme, mais elle peut contribuer à créer une offre de crédit et de prêts bancaires plus stable, et réduire ainsi la volatilité de la trajectoire de croissance de l’économie. Il s’agit là d’un abandon du ciblage (qui de toute façon ne convenait pas aux économies émergentes) au pro? t d’une approche plus pragmatique et plus nuancée de la politique monétaire. En fait, la stabilité ? nancière est nécessaire à la croissance, laquelle conforte la stabilité macroéconomique. Sur les marchés aujourd’hui intégrés à l’échelle mondiale, il est plus important que jamais pour les banques centrales et les autres autorités ? nancières de partager l’information, de réduire au minimum l’arbitrage réglementaire et de porter un intérêt partagé aux mesures de gestion des crises. L’accumulation de réserves de change dans les économies émergentes constitue un rempart contre les chocs et la volatilité, mais les excédents des exportateurs de pétrole sont d’une nature différente de celle des excédents structurels accumulés par d’autres économies. Hors du secteur des hydrocarbures, l’Arabie saoudite a peu d’avantages comparatifs et doit en permanence effectuer un arbitrage entre la conservation de ces ressources dans son sous-sol et l’utilisation de la rente pétrolière de façon productive. Les importants excédents de l’Arabie saoudite résultent en partie de son rôle dans la stabilisation du marché pétrolier et la limitation des nouvelles hausses des prix du pétrole qui pourraient faire déraper la croissance mondiale. Les ? uctuations de l’économie nationale qui ont découlé de ce rôle sont indésirables à plus d’un titre, mais la marge de manœuvre est étroite pour mener une autre politique. Toute modi? cation du régime de change rendrait les choses plus dif? ciles car elle augmenterait la volatilité de l’économie sans stimuler les exportations, et la capacité de l’Arabie saoudite à accélérer son programme de développement économique n’est pas sans limites. La stabilité ? nancière étant essentielle à la transmission ef? cace de la politique monétaire, la SAMA adopte une démarche proactive de la supervision des banques saoudiennes suivant des approches fondées sur des règles aussi bien que des approches macroprudentielles. • en soutenant de nombreuses économies en développement par les transferts de fonds des travailleurs migrants (passés de 15,7 milliards de dollars en 2007 à 25,2 milliards en 2009). Ces transferts de fonds se classent au 2 e rang mondial (après ceux des États-Unis) et sont un instrument puissant pour sortir des familles de la pauvreté. Le ratio transferts de fonds/PIB est de quelque 6,8 % en Arabie saoudite.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 15 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis 2003-2007 Les problèmes liés au développement du modèle originate-to-distribute (octroi puis cession du crédit) pour les prêts hypothécaires, la détérioration des critères d’octroi des crédits, les lacunes dans la gestion des risques, les structures d’incitations contradictoires des Agences de re? nancement hypothécaire ainsi que les faiblesses de la surveillance et de la régulation sont quelques-uns des nombreux facteurs institutionnels internes à l’origine de l’envolée et de la chute du marché immobilier aux États-Unis et de la crise ? nancière qui en a découlé. En outre, la hausse prolongée des prix de l’immobilier résidentiel aux États-Unis a probablement aussi été favorisée par le niveau étonnamment bas des taux d’intérêt à long terme (dont les taux hypothécaires) au regard des taux à court terme et des autres fondamentaux macroéconomiques, évolution qu’Alan Greenspan avait quali? ée d’énigme (conundrum) en 2005. Selon l’hypothèse d’excès d’épargne mondiale (global saving glut) (Bernanke, 2005 et 2007), l’augmentation des entrées de capitaux aux États-Unis en provenance de pays où l’épargne souhaitée était très supérieure à l’investissement souhaité (notamment les marchés émergents asiatiques et les pays exportateurs de matières premières) a été un facteur important du niveau plus bas qu’attendu des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis durant cette période. Le présent article examine plus particulièrement l’incidence des entrées de capitaux sur les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis ; néanmoins, au-delà de l’ampleur globale des entrées de capitaux mise en évidence par l’hypothèse d’excès d’épargne mondiale, nous examinons les conséquences, sur les rendements américains, des choix de portefeuille des créanciers étrangers. Nous démontrons, dans l’esprit de Caballero et Krishnamurthy (2009), que les investisseurs étrangers ont eu tendance à privilégier, durant cette période, les actifs américains qu’ils jugeaient sûrs. Les pays disposant d’un excédent d’épargne, en particulier, se sont portés acquéreurs d’une part substantielle des nouvelles émissions de bons du Trésor américain, des titres de dette des Agences gouvernementales et des titres adossés à des créances hypothécaires émis par ces Agences. Les pressions à la baisse sur les rendements liées aux af? ux de capitaux en provenance de ces pays ont été accentuées par les choix de portefeuille d’autres investisseurs étrangers. Nous examinons tout particulièrement le cas de l’Europe : bien que son solde courant n’af? che pas un excédent comme celui des pays alimentant l’excès d’épargne mondiale, nous montrons qu’elle a utilisé l’effet de levier sur son bilan à l’international, en émettant des engagements sur l’extérieur pour ? nancer des achats substantiels de titres adossés à des créances hypothécaires non garantis par les Agences (private label), sûrs en apparence, et d’autres produits à revenu ? xe. La forte demande d’actifs apparemment sûrs, tant de la part des investisseurs nationaux que des investisseurs étrangers, a non seulement pesé sur le rendement de ces actifs mais a également incité davantage le secteur américain des services ? nanciers à développer des produits d’investissement structurés, qui ont permis de « transformer » les prêts risqués en titres bien notés. Nos conclusions ne remettent pas en question l’idée que les facteurs domestiques, notamment ceux évoqués précédemment, ont été la cause principale de l’envolée et de la chute du marché immobilier aux États-Unis. Néanmoins, l’examen de l’incidence des évolutions de la con? guration des ? ux de capitaux internationaux sur le rendement des actifs américains permet de mieux comprendre les origines et la dynamique de la crise. NB : Carol Bertaut, chef de section, Laurie Pounder DeMarco, économiste, et Steven Kamin, directeur adjoint (division Finances internationales, Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve), sont coauteurs de cette étude avec le président Bernanke. Les points de vue exprimés dans cet article relèvent de la seule responsabilité de leurs auteurs et ne doivent pas être interprétés comme re? étant l’opinion du Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve ou de toute autre personne associée à celui-ci. Nous souhaitons remercier Andreas Lehnert, Geng Li, Karen Pence et Shane Sherlund de l’aide qu’ils ont apportée pour réunir les données sur lesquelles s’appuie ce document, ainsi que les nombreux collègues du Conseil pour leurs commentaires précieux. James Coonan a apporté un soutien remarquable à ces travaux. BEN S. BERNANKE Président du Conseil des gouverneurs Système fédéral de réserveDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 16 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke L ’envolée du marché immobilier aux États-Unis puis sa chute ont résulté de l’interaction entre un grand nombre de facteurs, notamment les problèmes posés par le modèle originate-to-distribute (octroi puis cession de crédits) pour les prêts immobiliers, une détérioration des critères d’octroi de prêts, des dé? ciences dans la gestion du risque au sein des institutions ? nancières, des contradictions dans les dispositifs incitatifs des Agences de re? nancement hypothécaire (government-sponsored enterprises — GSE), et des problèmes liés au périmètre et à la mise en œuvre de la régulation et de la surveillance financières (Dokko et al., 2009 ; Bernanke, 2010). Outre ces facteurs institutionnels domestiques, les ? ux internationaux de capitaux pourraient avoir largement contribué au ? nancement de la bulle immobilière et ainsi préparé le terrain pour la phase ultérieure d’effondrement du marché. Selon Bernanke (2005, 2007), une hausse de l’épargne notionnelle par rapport à l’investissement dans de nombreuses économies de marché émergentes a donné naissance à un excédent d’épargne mondiale (global saving glut — GSG), l’af? ux de capitaux aux États-Unis contribuant à maintenir les taux d’intérêt américains à long terme à un bas niveau au début de la décennie. La faiblesse des taux d’intérêt à long terme, y compris pour les prêts immobiliers, a dès lors contribué à la hausse prolongée des prix de l’immobilier résidentiel. Dans le présent article, nous nous appuyons sur l’hypothèse de l’excédent d’épargne mondiale pour retracer plus complètement l’incidence des flux internationaux de capitaux sur le pro? l des rendements à long terme aux États-Unis. Premièrement, tandis que l’hypothèse de l’excédent d’épargne repose sur un mécanisme très simple dans lequel les décisions d’épargne et d’investissement au niveau mondial ont déterminé le rendement d’un actif unique, nous examinons à présent comment la demande adressée à une gamme d’actifs a interagi avec l’offre de ces actifs pour contribuer à faire baisser certains taux directeurs. Plus précisément, dans l’esprit de Caballero et Krishnamurthy (2009), nous analysons les canaux par lesquels la demande étrangère d’actifs sûrs en apparence a contribué à des acquisitions substantielles par ces non-résidents non seulement de bons du Trésor des États-Unis et de titres de dette des Agences de refinancement hypothécaire, mais également de créances hypothécaires résidentielles titrisées (mortgage-backed securities — MBS) béné? ciant d’une notation élevée, émises par le secteur privé, et d’autres produits d’investissement structurés adossés à des prêts hypothécaires américains 1 . Deuxièmement, tandis que l’hypothèse d’excédent d’épargne mondiale se focalisait sur les ? ux de capitaux entrant aux États-Unis et provenant des économies de marché émergentes af? chant un excédent du compte de transactions courantes, soit essentiellement les économies asiatiques en développement et les pays exportateurs de pétrole, le présent article montre comment les entrées de capitaux provenant des autres économies avancées ont également contribué à annuler les rendements d’actifs apparemment sûrs, notamment les prêts immobiliers. En? n, nous examinons comment la demande d’actifs apparemment sûrs a in? uencé leur offre, avec le foisonnement de produits d’investissement structurés élaborés par le secteur des services ? nanciers aux États-Unis, qui ont permis de transformer des prêts risqués en titres bien notés. Au total, notre cadre de travail développe l’hypothèse élémentaire de l’excédent d’épargne mondiale pour mieux expliquer le rôle joué par les flux de capitaux internationaux dans la diminution des rendements des créances hypothécaires et d’autres actifs apparemment sûrs. L’analyse porte plus particulièrement sur la période 2003-2007, qui recouvre les années où l’on a constaté les plus fortes entrées de capitaux aux États-Unis, la plus forte baisse des rendements des bons du Trésor, et l’apogée de l’essor du marché immobilier américain. Premièrement, nous vérifions que les pays en situation d’excédent d’épargne, c’est-à-dire les pays exportateurs d’Asie émergente et du Moyen-Orient, ont ef fec t ivement mani fes té une préférence marquée pour les actifs américains les plus sûrs 2 . Cette préférence a probablement contribué, à la marge, à faire baisser les rendements sur les MBS en comparaison des autres actifs, la plupart de ces titres ayant été garantis par les agences de re? nancement ou vendus sous forme de tranches notées AAA. Deuxièmement, la pression à la baisse exercée sur les rendements par les af? ux de capitaux en provenance des pays en situation d’excédent d’épargne a été accentuée par les préférences d’autres investisseurs étrangers en matière de portefeuille. Nous examinons 1 On entend par « Agences » les Agences de re? nancement hypothécaire, principalement représentées par Fannie Mae et Freddie Mac, qui sont destinées à promouvoir la propriété individuelle en re? nançant les crédits hypothécaires résidentiels. Ces Agences garantissaient les MBS tout en les achetant pour les intégrer à leurs portefeuilles. Ici, comme dans le reste de l’article, la dette des Agences recouvre à la fois la dette non garantie et les MBS garantis par les Agences. 2 Dans les calculs présentés ci-après, les pays en situation d’excédent d’épargne recouvrent tous les pays d’Asie et du Moyen-Orient à l’exception du Japon. Ce regroupement, bien que non exhaustif, représente la majeure partie des investissements réalisés aux États-Unis par les économies de marché émergentes.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 17 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke tout particulièrement le cas de l’Europe dont le solde du compte de transactions courantes n’était pas excédentaire, et qui n’était donc pas exportateur net d’épargne vers le reste du monde. Mais l’Europe a fortement accru le niveau d’endettement dans son bilan, en émettant, entre autres instruments, de la dette souveraine et de la dette bancaire pour des montants élevés, dette qui a été acquise par des non-résidents, et en utilisant les fonds ainsi récoltés pour acquérir en grandes quantités des MBS américains bien notés et d’autres produits à revenu ? xe. En fait, la forte préférence des pays af? chant un excédent d’épargne pour les bons du Trésor des États-Unis et la dette des Agences américaines aurait poussé les Européens et les autres investisseurs des économies avancées, y compris les investisseurs américains, vers les MBS private label (non garantis par les Agences), sûrs en apparence. En? n, la demande d’actifs sûrs par les investisseurs, tant domes t iques qu’ét rangers, semble avoi r suscité une forte réaction du côté de l’offre de la part des institutions ? nancières des États-Unis. En particulier, même si au cours de cette période une forte proportion des nouveaux prêts hypothécaires américains était de moindre qualité, comme les prêts subprime, les garanties des Agences et l’ingénierie ? nancière dans le secteur des services ? nanciers privés se sont traduites par l’attribution d’une notation AAA à la grande majorité des titres adossés à des créances hypothécaires. Naturellement, après le déclenchement de la chute du marché immobilier et de la crise ? nancière, la fragilité sous-jacente de ces titres est apparue au grand jour. Disons-le clairement, nos conclusions ne font aucunement reposer la responsabilité ultime de l’envolée et de la chute du marché immobilier sur des facteurs extérieurs aux États-Unis. Des facteurs domestiques, notamment ceux énumérés dans le premier paragraphe de cet article, ont constitué les principales sources de ce phénomène et de la crise ? nancière qui en a résulté. Cependant, analyser comment la modi? cation de la con? guration des ? ux de capitaux internationaux a affecté les rendements des actifs américains permet de mieux comprendre les origines et la dynamique de la crise. 1| L’EXCÉDENT D’ÉPARGNE MONDIALE ET LES RETOURS AUX BONS DU TRÉSOR ET AUX TITRES DES AGENCES, 2003-2007 Nos travaux sont motivés par deux singularités de l’évolution des taux d’intérêt au cours de la période qui a précédé la crise ? nancière. La première est le très bas niveau des rendements des bons du Trésor à long terme, qui sont demeurés relativement contenus même lorsque le taux des fonds fédéraux a été relevé, passant de 1 % à 5,25 % en dernier lieu (cf. graphique 1). Greenspan (2005) a quali? é ce Graphique 1 Taux des fonds fédéraux et des bons du Trésor américain à 10 ans (%) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Bons du Trésor à 10 ans Taux des fonds fédéraux 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Taux des bons du Trésor à 10 ans et des prêts immobiliers à taux ? xe d’une durée de 30 ans aux États-Unis, et écart de taux (%) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Bons du Trésor à 10 ans Prêts immobiliers à taux fixe d'une durée de 30 ans 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Écart de taux Sources : Pour les bons du Trésor à 10 ans et les fonds fédéraux, Système fédéral de réserve, Statistical Release H.15 ; pour les prêts immobiliers à taux ? xe d’une durée de 30 ans, Freddie MacDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 18 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke phénomène d’énigme (conundrum), et plusieurs études ont montré que les rendements obligataires, tant aux États-Unis qu’à l’étranger, sont tombés au-dessous des niveaux compatibles avec les fondamentaux macroéconomiques traditionnels tels que l’in? ation, la croissance du PIB et les soldes budgétaires (Rudebusch, Swanson et Wu, 2006 ; Gruber et Kamin, 2009). La deuxième anomalie, qui est liée à la première, est le bas niveau persistant des taux des prêts immobiliers, ? gurant également au graphique 1. Si la faiblesse de ces taux s’explique en partie par le bas niveau des rendements des bons du Trésor, l’écart entre ces derniers et les taux hypothécaires s’est également réduit au cours de la période, malgré une nette accélération du rythme d’octroi des prêts immobiliers ; l’encours de MBS et de prêts hypothécaires non titrisés est passé de 6 400 milliards de dollars ? n 2002 à 11 100 milliards en 2007. De ces deux anomalies, la première est celle qui a probablement fait l’objet de la plus grande attention. Il existe de nombreuses explications à la faiblesse des rendements des bons du Trésor durant cette période, notamment des baisses des primes de risque (peut-être, au moins au début, associées à la « grande modération ») et l’accroissement de la demande d’actifs à long terme par les fonds de pension et d’autres investisseurs institutionnels. En outre, les observateurs ont attribué au moins une partie de la faiblesse des rendements obligataires à long terme à d’importants achats de titres effectués par les économies de marché émergentes af? chant un excédent du compte de transactions courantes, essentiellement les pays émergents d’Asie et les pays exportateurs de pétrole. Selon Bernanke (2005, 2007) les taux d’investissement dans ces pays n’étaient pas à la hauteur de l’épargne souhaitée, générant un excédent d’épargne au niveau mondial qui s’est traduit par des sorties nettes de capitaux vers le reste du monde et, par conséquent, des baisses des taux d’intérêt à long terme. En fait, les recherches empiriques con? rment globalement que ces acquisitions ont eu un effet baissier statistiquement important sur les rendements obligataires 3 . Quels sont les facteurs à l’origine de cet excès d’épargne (ou de l’insuf? sance d’investissement) et des excédents du compte de transactions courantes affichés par les pays concourant à l’excédent d’épargne mondiale ? Certains de ces excédents résultaient manifestement de la crise ? nancière asiatique de 1997-1998, qui a fortement réduit l’investissement dans les pays émergents d’Asie, ainsi que du renchérissement du pétrole et des matières premières durant la décennie suivante, qui a fourni aux pays exportateurs de matières premières des recettes supérieures à leur capacité de dépenses productives à court terme au niveau domestique. Les taux d’épargne élevés dans les économies de marché émergentes à forte croissance ont également concouru aux excédents. Bien que cette analyse contribue à expliquer les sources de l’excédent d’épargne mondiale, son inconvénient est de traiter de façon homogène toutes les formes d’épargne et les ? ux de capitaux qui en découlent. En revanche, la littérature récente fournit d’intéressantes analyses des préférences en matière de portefeuille re? étées par les ? ux de capitaux dirigés vers les économies avancées. On y trouve notamment l’hypothèse selon laquelle les investisseurs des économies de marché émergentes étaient à la recherche d’actifs ? nanciers sûrs et de qualité élevée que ni l’État dans leur propre pays ni leurs marchés ? nanciers n’étaient en mesure de proposer, à l’inverse des économies avancées 4 . Par conséquent, les économies de marché émergentes étaient désireuses de dégager un excédent de leur compte de transactions courantes a? n de ? nancer l’acquisition de ces actifs sûrs (Caballero, Farhi et Gourinchas, 2008 ; Mendoza, Quadrini et Rios-Rull, 2007). En outre, les marchés ? nanciers américains se distinguant par leur profondeur, leur ampleur et leur sécurité apparente, les économies de marché émergentes ont été incitées à orienter la majeure partie de leurs ? ux de capitaux vers les États-Unis (Blanchard, Giavazzi et Sa, 2005 ; Clarida, 2005 ; Cooper, 2005 ; Hubbard, 2005). Si elle se con? rmait, cette hypothèse relative à la demande étrangère d’actifs sûrs pourrait expliquer la vigueur 3 Bernanke, Reinhart et Sack (2004) remarquent que les rendements des bons du Trésor ont baissé signi? cativement durant les périodes entourant les interventions du Japon sous forme d’achats de dollars entre 2000 et 2004. Warnock et Warnock (2009) estiment les régressions des rendements des emprunts obligataires américains à dix ans sur les variables macroéconomiques standard ainsi que les acquisitions étrangères of? cielles de bons du Trésor et de dette des Agences des États-Unis ; ils concluent que les achats étrangers ont fait baisser signi? cativement les rendements des bons du Trésor américain, notamment de quelque 90 points de base en 2005. En revanche, Rudebusch, Swanson et Wu (2006) estiment les rendements des bons du Trésor au moyen de modèles de structure par échéances et en déduisent que les réserves of? cielles étrangères n’ont aucun pouvoir explicatif. Beltran, Kretchmer, Marquez et Thomas (2010) considèrent que ces modèles sont sensibles aux modi? cations des dé? nitions des variables et des spéci? cations économétriques, mais concluent que, globalement, les entrées de capitaux étrangers émanant d’entités of? cielles ont vraisemblablement entraîné une baisse des rendements des bons du Trésor. 4 Cette demande d’actifs sûrs comprendrait sans doute la demande de réserves de change des autorités des économies de marché émergentes. La majeure partie des achats d’actifs américains émanant des pays dont l’épargne contribue à l’excédent mondial a pris la forme d’entrées de capitaux of? ciels. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 19 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke des ? ux de capitaux provenant des économies de marché émergentes et dirigés vers les économies avancées caractérisées par la profondeur de leurs marchés de capi taux, comme les État s -Uni s. Elle pourrait également expliquer pourquoi les rendements des actifs américains les plus sûrs, bons du Trésor et dette des Agences, étaient si faibles. Les économies de marché émergentes dégageant un excédent de leur compte de transactions courantes ont-elles donc généralement acquis des actifs sûrs et liquides, principalement aux États-Unis ? La réponse est positive 5 . Le graphique 2 compare les soldes des transactions courantes des trois principales catégories d’économies à l’origine de l’excédent d’épargne mondiale (la Chine, les autres économies émergentes d’Asie et les pays de l’OPEP), en recourant aux mesures disponibles de leurs achats d’actifs à l’étranger 6 . Au total, les excédents de transactions courantes de la Chine ont été presque totalement utilisés pour acquérir des actifs aux États-Unis, constitués à plus de 80 % d’actifs sans risque émis par le Trésor et les Agences. Les autres économies émergentes d’Asie ont affecté l’excédent de leur compte de transactions courantes à l’acquisition en quantité à peu près égale d’actifs sûrs aux États-Unis et de dépôts bancaires en Europe. Les données relatives à la répartition des actifs des pays de l’OPEP sont hélas incomplètes, mais il est probable qu’une grande part de leurs placements à l’étranger ait consisté en achats d’actifs américains et européens détenus par des tiers dépositaires. Le graphique 3 analyse les préférences en matière de portefeuille des pays à l’origine de l’excédent d’épargne mondiale sous un angle différent, en comparant la composition des avoirs de ces pays en titres des États-Unis en 2007 à la composition de l’encours de titres américains au même moment, ce qui donne un résultat plus probant. Plus des trois quarts des avoirs en titres américains détenus par les pays en situation d’excédent d’épargne étaient constitués de dette notée AAA (principalement bons du Trésor et dette des Agences), alors que ces catégories ne représentent que 36 % de l’encours total de titres américains. Lorsque l’on passe du cadre « mono-actif » sur lequel repose l’hypothèse d’excédent d’épargne mondiale à un cadre « pluri-actifs » (actifs présentant différents degrés de risque), il devient un peu plus compliqué d’expliquer comment les entrées de capitaux ont ? nalement contribué à la réduction des taux d’intérêt appliqués aux actifs américains apparemment sûrs, y compris les prêts immobiliers. Les acquisitions par les pays en situation d’excédent d’épargne de titres émis par le Trésor et les Agences américaines ont drainé ces actifs hors du marché, créant une pénurie notionnelle qui a fait monter leur prix et baisser leur rendement. Les investissements réalisés par ces pays ayant pour objectif l’accumulation de réserves et étant guidés par des considérations de sécurité et de liquidité, ces économies ont continué 5 Cf. également Brender et Pisani (2010) 6 On ne dispose pas de données exhaustives relatives aux achats d’actifs à l’étranger par ces pays. Par conséquent, nous avons essayé de les mesurer en rapprochant les données relatives aux achats d’actifs américains par les pays à l’origine de l’excédent d’épargne mondiale (en se basant sur la balance des paiements des États-Unis, sur les données du Treasury International Capital system et sur les données bancaires de la Banque des règlements internationaux — BRI) des ? ux bancaires nets vers l’Europe de ces pays (en se basant sur les données bancaires de la BRI). Malheureusement, les données relatives aux acquisitions transfrontières de titres non américains, qui pourraient constituer la principale lacune dans notre couverture, ne sont pas disponibles pour les pays contribuant à l’excédent d’épargne mondiale. Graphique 2 Excédents des transactions courantes et certaines acquisitions ? nancières des régions contribuant à l’excédent d’épargne mondial, 2003-2007 a) (en milliards de dollars) Solde cumulé des transactions courantes Flux bancaires nets vers l’Europe b) Acquisitions nettes d’autres actifs américains c) Acquisitions de bons du Trésor et de dette des Agences des États-Unis - 100 0 200 600 800 400 100 500 300 700 900 1 000 Chine Autres pays d’Asie OPEP a) Les acquisitions de titres européens et d’autres titres hors États-Unis par les pays émergents d’Asie et les pays de l’OPEP ne sont pas disponibles. b) Les ? ux bancaires vers l’Europe sont calculés à partir des données de la BRI. c) Les autres actifs américains recouvrent les titres du secteur privé, les actifs bancaires, et divers autres actifs du compte ? nancier. Sources : Pour les soldes des transactions courantes, Haver Analytics et BEA ; pour les postes de balance des paiements, estimations internes reposant sur les données du Treasury International Capital system et de la Banque des règlements internationauxDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 20 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke Graphique 3 Encours de titres américains (%) 2003 2007 Total Proportion de AAA : 37,4 % Proportion de AAA : 36,0 % Détenus par les pays contribuant à l’excédent d’épargne mondiale Proportion de AAA : 76,2 % Proportion de AAA : 77,5 % Détenus en Europe Proportion de AAA : 31,9 % Proportion de AAA : 33,2 % Détenus par les résidents américains Proportion de AAA : 35,8 % Proportion de AAA : 32,0 % Bons du Trésor Dette des Agences Titres du secteur privé notés AAA RMBS (private label), CMBS et ABS notés AAA Titres du secteur privé non AAA RMBS (private label), CMBS et ABS non AAA Actions Note : ABS : titres adossés à des actifs ; RMBS : titres adossés à des créances hypothécaires résidentielles ; CMBS : titres adossés à des créances hypothécaires commerciales Sources : Estimations internes reposant sur le tableau des opérations ? nancières et sur les données du Treasury International Capital system Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 21 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke à concentrer leurs avoirs en titres du Trésor américain et des Agences américaines, même lorsque les rendements de ces produits ont baissé. Toutefois, d’autres investisseurs ont alors été incités à demander davantage d’actifs considérés comme substituables aux titres du Trésor et des Agences, exerçant une pression à la baisse également sur les taux d’intérêt de ces actifs privés. Ainsi, les taux d’intérêt sur les prêts hypothécaires conforming (satisfaisant aux conditions posées par les Agences pour les acquérir) représentés dans le graphique 1 ont diminué par rapport aux niveaux du début de la décennie 7 . Il aurait fallu que plusieurs conditions soient remplies pour que les entrées de capitaux provenant des pays en situation d’excédent d’épargne exercent une pression à la baisse non seulement sur les rendements des titres du Trésor et des Agences, mais également sur ceux des autres actifs sûrs comme les MBS private label béné? ciant d’une notation élevée. D’abord, ces entrées de capitaux auraient dû être concentrées sur les actifs américains les plus sûrs. Ensuite, ces entrées auraient dû être d’un volume signi? catif en comparaison du total des émissions nettes d’actifs apparemment sûrs aux États-Unis. Sur ce point, le graphique 4 fournit un éclairage contrasté. Il compare les entrées brutes de capitaux se dirigeant vers des titres américains apparemment sûrs (les bons du Trésor, les titres des Agences et la dette privée notée AAA) en provenance de plusieurs régions avec l’accroissement de l’encours total de titres américains sûrs. D’une part, les acquisitions d’actifs sûrs par les pays en situation d’excédent d’épargne ont fortement progressé sur la 7 Cf. également l’analyse des effets des entrées de capitaux, notamment en provenance des pays en situation d’excédent d’épargne, sur les marchés ? nanciers des États-Unis dans Caballero et Krishnamurthy (2009) ; Jagannathan, Kapoor et Schamnurg (2009) ; Brender et Pisani (2010) ; Bertaut, DeMarco, Kamin et Tryon (2010) ; Linde, Martin et Vigfusson (2010) Graphique 4 Flux à destination de titres américains notés AAA (en milliards de dollars) 1998-2002 2003-S1 2007 - 1 000 0 1 000 2 000 3 000 4 000 5 000 RMBS (private label), CMBS et ABS b) Autres titres du secteur privé c) Dette des Agences (y compris MBS) Bons du Trésor Variation : Variation des avoirs européens Variation des avoirs étrangers totaux Variation des encours totaux Variation des avoirs des pays contribuant à l’excédent d’épargne mondiale Variation des avoirs européens Variation des avoirs étrangers totaux a) Variation des encours totaux Variation des avoirs des pays contribuant à l’excédent d’épargne mondiale a) S’agissant des entrées de capitaux notés AAA aux États-Unis non attribuables aux pays contribuant à l’excédent d’épargne mondiale ni à l’Europe, les acquisitions effectuées par le Japon s’élèvent à 240 milliards de dollars en bons du Trésor et à 130 milliards de dollars de dette des Agences, et celles des centres extra-territoriaux des Caraïbes sont de l’ordre de 55 milliards de dollars en dette des Agences et de 160 milliards de dollars en RMBS, CMBS, et asset-backed securities notés AAA. b) Nous avons estimé la variation des avoirs étrangers (les avoirs totaux et ceux de l’Europe) en RMBS, CMBS, et asset-backed securities notés AAA en multipliant la variation des avoirs étrangers en titres adossés à des actifs (toutes catégories confondues) par la proportion de ces encours de titres estimés comme étant notés AAA sur la période de référence. c) Nous avons estimé la variation des avoirs étrangers (les avoirs totaux et ceux de l’Europe) en autres titres de créance du secteur privé notés AAA en multipliant la variation des avoirs étrangers en titres (toutes catégories confondues) par la part pondérée des encours de titres notés AAA sur la période de référence. Pour les deux périodes, la part pondérée correspond à la moyenne des parts de titres de créance ? nanciers et non ? nanciers notés AAA. Pour la période 1998-2002, les pondérations correspondent à la croissance des encours de titres de créance ? nanciers par rapport aux titres de créance non ? nanciers. Pour la période 2003-2007, des données plus détaillées relatives aux avoirs étrangers étant disponibles, les pondérations correspondent à la croissance des avoirs étrangers en titres de créance ? nanciers par rapport aux titres de créance non ? nanciers. Sources : Estimations internes reposant sur le tableau des opérations ? nancières et sur les données du Treasury International Capital system et de DealogicDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 22 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke période 2003-2007 par rapport à la période 1998-2002, qu’elles soient exprimées en dollars ou en proportion du total des émissions nettes. D’autre part, sur la période 2003-2007, les entrées en provenance des pays en situation d’excédent d’épargne ont représenté moins du quart de la hausse totale de l’encours de titres américains sûrs. Par conséquent, on peut se demander si l’incidence de ces entrées de capitaux sur les rendements des actifs américains sûrs, hors bons du Trésor et dette des Agences, comme les MBS private label, a vraiment été aussi importante. Si les entrées de capitaux en provenance des pays en situation d’excédent d’épargne n’ont sans doute pas augmenté suf? samment pour exercer un effet baissier important sur les rendements des actifs sûrs du secteur privé, les entrées de capitaux étrangers toutes sources confondues pourraient bien avoir joué ce rôle. Le graphique 4 montre que ces entrées ont fortement progressé sur la période 2003-2007, représentant plus de la moitié des émissions nettes d’actifs américains béné? ciant d’une notation élevée. Pour expliquer le comportement des rendements des actifs sûrs au cours de cette période, il peut donc être utile d’élargir le champ de l’analyse en incorporant les investissements étrangers réalisés par les pays autres que ceux dont l’épargne est excédentaire, ce qui sera l’objet de la partie ci-après. 2| LA DEMANDE D’ACTIFS AMÉRICAINS SÛRS PAR LES ÉCONOMIES AVANCÉES ÉTRANGÈRES Comme indiqué précédemment, une part importante (55 %) des titres béné? ciant d’une notation élevée émis par les résidents américains entre 2003 et 2007 a été vendue à des non-résidents. Cette part était même supérieure à celle relevée sur la période 1998-2002 (22 %), même si l’émission nette totale d’actifs apparemment sûrs est passée de 3 100 milliards de dollars au cours de la première période à 4 500 milliards au cours de la suivante (les émissions nettes de titres adossés à des actifs private label notés AAA, dont les titres adossés à des créances hypothécaires — mortgage-backed securities, MBS — sont passées de 700 milliards au cours de la première période à 2 000 milliards au cours de la suivante). Le fait que tant le niveau des taux hypothécaires que leur écart par rapport aux rendements des bons du Trésor aient diminué au cours de la dernière décennie, en dépit des émissions importantes de prêts hypothécaires, semble s’expliquer, en partie, par la forte demande d’actifs sûrs par les non-résidents. Au sein des économies avancées, la principale source de ? ux de capitaux bruts à destination des titres américains notés AAA entre 2003 et 2007 a été l’Europe 8 . Comme cela ressort du graphique 4, ces acquisitions se sont nettement intensi? ées à partir de la période 1998-2002 et ont été pratiquement aussi importantes que celles des pays en situation d’excédent d’épargne. En outre, le graphique 4 sous-estime vraisemblablement les acquisitions d’actifs américains apparemment sûrs effectuées par l’Europe, dans la mesure où il présente les acquisitions portant uniquement sur les actifs les plus sûrs (notés AAA). À la différence des pays en situation d’excédent d’épargne, dont les acquisitions nettes d’actifs américains au cours de la période ont consisté presque exclusivement en titres du Trésor et dette des Agences, les Européens ont acquis une palette d’actifs beaucoup plus diversi? ée (cf. graphique 5). En plus des titres notés AAA, ils ont acquis des montants assez importants de titres ne béné? ciant pas de cette notation, en particulier des obligations du secteur privé, dont la plupart, si elles n’af? chaient pas la notation la plus élevée, étaient néanmoins de bonne qualité (investment grade). En conséquence, si l’on prend en considération les acquisitions par les Européens aussi bien de titres notés AAA que de titres à peine moins bien notés, les acquisitions nettes européennes d’actifs américains apparemment sûrs (dans une acception plus large) ont presque certainement été supérieures à celles des pays en situation d’excédent d’épargne. Même si les demandes par l’Europe d’actifs américains apparemment sûrs ont signi? cativement renforcé celles des pays en situation d’excédent d’épargne, des différences notables ont été constatées entre ces deux groupes d’investisseurs. Premièrement, comme cela a été souligné précédemment, les préférences des Européens en matière d’actifs étaient largement plus diversi? ées que celles des pays en situation d’excédent d’épargne. Si l’on revient au graphique 3, il est clair que les investisseurs européens détenaient dans leur portefeuille une part bien moins importante de bons du Trésor et de dette des Agences des États-Unis que les pays en situation d’excédent d’épargne, tout 8 Pour les statistiques présentées dans cette contribution, l’Europe est représentée par la zone euro et le Royaume-Uni, avec compensation des créances ? nancières réciproques.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 23 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke en détenant une part beaucoup plus signi? cative d’asset-backed securities notés AAA (dont les MBS private label), comme souligné précédemment, ainsi que des actions et des créances moins bien notées. De fait, selon notre estimation, la part des titres les mieux notés dans le portefeuille de titres américains des Européens était du même ordre que dans le montant total des encours de titres américains 9 . Concernant les actifs plus risqués, les Européens détenaient une part moins importante d’actions, mais détenaient semble-t-il une part légèrement plus élevée d’instruments moins bien notés, tant en obligations du secteur privé qu’en asset-backed securities, que ne l’indiquaient les benchmarks en termes de capitalisation du marché. Par conséquent, les investissements européens aux États-Unis n’ont vraisemblablement pas été motivés par un seul et même objectif — l’acquisition d’actifs ? nanciers très sûrs et liquides — à la différence des investissements des pays en situation d’excédent d’épargne. Les investisseurs européens semblent avoir plutôt ciblé un portefeuille plus risqué que celui détenu par les pays en situation d’excédent d’épargne et, dans les faits, globalement comparable à la composition diversi? ée des encours de titres américains. Quant à l’origine de l’augmentation signi? cative de la détention par les Européens d’actifs américains, au nombre desquels ? gurent les MBS, au cours de la période 2003-2007, plusieurs explications sont plausibles. Premièrement, comme aux États-Unis, les baisses des taux d’intérêt à plus long terme en Europe ont indubitablement suscité un intérêt pour des actifs tels que les MBS américains qui offraient des rémunérations légèrement plus élevées tout en étant encore bien notés. Deuxièmement, l’Europe a entamé cette période avec un degré relativement prononcé de « biais domestique » dans ses investissements, et dans un contexte de diminution généralisée du biais domestique à l’échelle internationale, les progrès de la globalisation ? nancière ayant en outre vraisemblablement motivé des acquisitions d’actifs Graphique 5 Flux européens d’achats de titres américains, par catégories (en milliards de dollars) 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 - 100 0 100 300 500 200 400 600 700 800 Actions RMBS (private label), CMBS et ABS non AAA Autres titres de dette du secteur privé (hors ABS) non AAA RMBS (private label), CMBS et ABS notés AAA Autres titres de dette du secteur privé notés AAA Dette des Agences Bons du Trésor S1 a) a) Taux annualisé Note : La décomposition des ? ux européens d’achats de titres de dette du secteur privé entre asset-backed securities non AAA, autres titres non AAA, asset-backed securities notés AAA et autres titres notés AAA fait l’objet d’une estimation. Pour une description du processus d’estimation, cf. les notes de bas de page du graphique 4. Source : Estimations internes reposant sur les données du Treasury International Capital system 9 La composition des portefeuilles d’actifs américains détenus par des non-résidents ? gurant dans le graphique 3 repose sur des données TIC. Ces données précisent la catégorie d’instrument détenu — par exemple, bons du Trésor, dette des Agences, titres de créance du secteur privé, MBS, actions — mais pas leur notation. La ventilation des titres de créance du secteur privé entre AAA et non AAA est basée sur les parts de ces notations dans les encours totaux de ces titres. Comme la quasi totalité des MBS américains étaient notés AAA (cf. section 3 ci-dessous), notre estimation de la part notée AAA de ces titres détenus par les Européens devrait être à peu près correcte. Pour la détention par les Européens des titres de créance du secteur privé, la ventilation selon la notation est plus incertaine. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 24 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke américains (Bertaut, 2008). Troisièmement, une part importante de l’investissement en MBS américains à l’échelle internationale a trouvé son origine dans le développement des véhicules hors bilan des grandes banques internationales, et nombre d’entre elles étaient situées en Europe (Arteta, Carey, Correa et Kotter, 2009). Une dernière possibilité, avancée par Acharya et Schnabl (2010) entre autres, est que les exigences en matière de fonds propres réglementaires imposées aux banques mettant en place des véhicules hors bilan pour investir dans des MBS américains étaient insuf? santes, ce qui a également contribué à encourager les investissements dans ces actifs. Une deuxième différence entre les investisseurs des pays en situation d’excédent d’épargne et les investisseurs européens tient au fait que, tandis que les pays alimentant l’excès d’épargne mondiale enregistraient des excédents de leur compte de transactions courantes et investissaient les fonds ainsi accumulés en titres américains, l’Europe af? chait des comptes de transactions courantes tout juste à l’équilibre et recourait pour ses acquisitions de titres américains au ? nancement externe. Le graphique 6 présente la progression des créances et engagements internationaux bruts de l’Europe sur la période 2003-2007. Le fait que l’Europe ait émis des engagements sur l’extérieur et acquis des avoirs extérieurs pour des montants sensiblement équivalents ne signifie toutefois pas que le résultat net de ces transactions sur les marchés ? nanciers internationaux soit « blanc ». Le graphique 7 ret race l ’évolut ion du bi lan international de l’Europe de 2003 à 2007, montrant comment les achats de créances sur l’extérieur ont été ? nancés par l’émission d’engagements sur l’extérieur. La composition de ces ? ux de créances et d’engagements était globalement comparable, mais l’augmentation des créances recouvrait des montants importants d’asset-backed securities et d’autres instruments ? nanciers complexes, alors que la hausse des engagements s’est portée sur des titres classiques et des dépôts bancaires. Plus précisément, en s’attachant tout d’abord aux titres, le graphique 7 montre qu’une large part des émissions de titres européens détenus à l’extérieur a pris la forme d’actions et de dettes souveraines, tandis qu’une forte proportion des acquisitions par l’Europe de titres étrangers a été réalisée sous la Graphique 6 Créances et engagements bruts internationaux de l’Europe de 2003 à 2007 (en milliards de dollars) Créances Engagements 0 10 000 30 000 20 000 40 000 2003 2004 2005 2006 2007 Source : Banque d’Angleterre et Banque centrale européenne par l’intermédiaire de Haver Analytics Graphique 7 Flux ? nanciers transfrontières européens cumulés a) De janvier 2003 à juin 2007 (en milliards de dollars) Investissement direct Titres de créance des sociétés non financières Actions Autres titres de créance des sociétés financières RMBS, CMBS et ABS Différences Flux interbancaires nets et dépôts c) Prêts nets aux institutions non bancaires et autres b) Dette souveraine Produits dérivés nets 0 2 500 4 500 3 500 5 500 2 000 1 500 1 000 500 4 000 3 000 5 000 Créances Engagements a) Flux de la zone euro et du Royaume-Uni avec le reste du monde, déduction faite des ? ux intra-européens b) Composantes de « Autres investissements » dans les comptes ? nanciers de la zone euro et du Royaume-Uni qui ne sont pas répertoriées en ? ux interbancaires ou dépôts des résidents non bancaires, principalement prêts aux sociétés non bancaires et transactions des courtiers c) Les estimations des ? ux interbancaires et dépôts de résidents non bancaires reposent sur la composante bancaire de la rubrique « Autres investissements » des comptes ? nanciers de la zone euro et du Royaume-Uni ainsi que sur les données de la Banque des règlements internationaux. Source : Estimations des services du Système fédéral de réserveDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 25 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke forme d’asset-backed securities et autres titres de créance émis par des sociétés ? nancières étrangères, la plupart étant ? nalement émis aux États-Unis 10 . S’agissant des transactions entre banques et autres institutions essentiellement ? nancières, l’Europe a été prêteur net à l’extérieur à des sociétés non bancaires (« prêts nets aux institutions non-bancaires et autres »), mais a été destinataire net de ? ux interbancaires internationaux et autres dépôts de l’extérieur (« ? ux interbancaires nets et dépôts ») au cours de cette période 11 . Comme il est apparu après l’éclatement de la crise ? nancière, de nombreuses institutions ? nancières européennes ? nançaient leurs achats d’actifs américains grâce à des engagements à court terme libellés en dollars tels que des billets de trésorerie ou des dépôts bancaires, dont la plupart attiraient les investisseurs américains (McGuire et von Peter, 2009, Acharya et Schnabl, 2010) 12 . Ainsi, même si l’Europe n’enregistrait pas d’excédent de son compte de transactions courantes, ses institutions ? nancières et ses investisseurs se sont engagés dans un processus d’intermédiation qui a accru l’apport de ? nancement aux MBS et instruments assimilés, en particulier aux États-Unis. Comme le soulignent Acharya et Schnabl (2010), les entrées au titre des investissements en provenance tant de pays af? chant un dé? cit du compte de transactions courantes que de ceux en situation d’excédent ont été relativement importantes pour les marchés ? nanciers américains. Le tableau ci-dessus retrace l’interaction entre les évolutions de l’offre et de la demande de différents titres américains au cours de la période d’essor du marché de l’immobilier. Entre ? n 2003 et ? n 2007, la valeur de l’encours total de titres américains a augmenté d’environ 10 000 milliards de dollars, dont 10 La dette souveraine se rapporte à la dette émise par les États. Alors que les entrées de capitaux pour acheter la dette souveraine européenne ont contribué à ? nancer l’acquisition d’avoirs extérieurs par l’Europe dans son ensemble, rien ne permet de penser que ces entrées ont ? nancé une accumulation d’avoirs extérieurs par les États européens eux-mêmes. Aucune dette souveraine n’apparaît à l’actif du bilan ? gurant au graphique 7 car l’évolution de la détention par l’Europe de dette souveraine étrangère a été négligeable sur la période. 11 En raison de l’importance des ? ux bruts enregistrés dans les deux sens entre l’Europe et le reste du monde pour les catégories « Prêts nets aux institutions non bancaires et autres » et « Flux interbancaires nets et dépôts », nous présentons seulement les ? ux nets au graphique 7. La catégorie « Prêts nets aux institutions non bancaires et autres » regroupe principalement les prêts bancaires à long terme aux sociétés non bancaires, les prêts intragroupes entre sociétés non bancaires et certaines transactions réalisées par des courtiers. La catégorie « Flux interbancaires nets et dépôts », en plus des ? ux interbancaires et dépôts à l’étranger des résidents non bancaires, inclut également des estimations des opérations de pension nettes réalisées par des sociétés non bancaires, telles que les courtiers. Ces deux catégories sont tirées de et couvrent intégralement la catégorie « Autres investissements » du compte ? nancier de la balance des paiements de la zone euro et du Royaume-Uni. Mais de façon à faire apparaître ces catégories dans les conditions du graphique 7, nous avons également utilisé des données de la BRI, des comptes ? nanciers des différents pays européens et du compte ? nancier des États-Unis. 12 Il convient de noter que ces données ne rendent pas compte de la totalité du ? nancement en dollars des asset-backed securities américains par les Européens. Dans de nombreux cas, les ? liales américaines d’institutions européennes, notamment leurs véhicules hors bilan, ont tout à la fois reçu un ? nancement en dollars et acquis des asset-backed securities aux États-Unis ou dans les Caraïbes ; dès lors, ces transactions n’ont pas donné lieu aux ? ux ? nanciers transfrontières avec l’Europe présentés au graphique 7. Cela est particulièrement vrai pour le ? nancement en dollars par le biais de véhicules émettant des billets de trésorerie (commercial paper). Encours total de titres américains en 2003 et en 2007 (en milliards de dollars) Ensemble des titres (1) Bons du Trésor (2) Dette des Agences (3) Secteur privé noté AAA (4) ABS/MBS notés AAA (5) Secteur privé Non-AAA (6) ABS/MBS Non-AAA (7) Actions (8) Encours total de titres américains en 2003 29 757 3 342 5 969 393 1 439 4 093 254 14 266 Détenus par des investisseurs étrangers 5 239 1 477 571 157 162 1 003 29 1 839 dont : Europe 2 182 345 192 74 86 496 15 974 GSGs 870 449 198 5 11 33 2 172 Détenus par des résidents américains 24 518 1 864 5 398 236 1 277 3 090 225 12 427 Encours total de titres américains en 2007 40 169 4 113 6 786 425 3 154 5 286 458 19 947 Détenus par des investisseurs étrangers 9 796 2 384 1 384 214 788 1 679 114 3 232 dont : Europe 3 978 399 308 126 487 993 71 1 594 GSGs 2 082 905 656 9 44 72 6 389 Détenus par des résidents américains 30 373 1 729 5 402 210 2 366 3 607 344 16 715 Pour mémoire : Variation des avoirs étrangers/variation de la valeur des encours (%) 43,8 117,5 99,6 182,0 36,5 56,7 42,0 24,5 Note : Les variations des avoirs et des encours de titres incluent les effets de valorisation. Les pays en situation d’excédent d’épargne (GSG) recouvrent l’Asie (à l’exception du Japon) et le Moyen-Orient. Source : Estimations internes reposant sur le tableau des opérations ? nancières et sur les données du Treasury International Capital systemDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 26 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke approximativement 4 500 milliards ont été absorbés par des investisseurs étrangers 13 . L’encours de bons du Trésor et de dette des Agences a progressé de 1 600 milliards de dollars, et cette augmentation a été souscrite en intégralité par l’extérieur (en termes nets), dont 900 milliards ont été achetés par des pays en situation d’excédent d’épargne et moins de 200 milliards par des Européens. L’encours de MBS et d’autres asset-backed securities notés AAA a augmenté de 1 700 milliards de dollars, dont 1 100 milliards ont été acquis par les résidents américains et 400 milliards par les Européens 14 . Au ? nal, comme indiqué au bas du tableau, la part de l’accroissement de valeur de l’encours de titres américains absorbée par l’extérieur varie de 182 % pour les titres du secteur privé notés AAA (les non-résidents ont en effet absorbé l’intégralité des nouvelles émissions de ces titres et en ont également acheté aux résidents américains) à seulement 25 % pour les actions. Au total, les importantes entrées nettes de capitaux financées par les excédents des transactions courantes des pays à l’origine de l’excès d’épargne mondiale, conjuguées aux importantes entrées brutes en provenance de l’Europe (qui a émis de la dette souveraine et des dépôts bancaires, entre autres engagements, pour acquérir des produits structurés américains), ont probablement stimulé les demandes nettes d’actifs américains apparemment sûrs. Conjointement avec l’hypothèse fondatrice d’excès d’épargne mondiale, cela pourrait contribuer à expliquer pourquoi les rendements des actifs américains perçus comme sûrs, notamment les MBS, ont peu évolué en dépit du resserrement de la politique monétaire et des émissions importantes de prêts hypothécaires. 3| ÉVOLUTIONS DE L’OFFRE D’ACTIFS AMÉRICAINS APPAREMMENT SÛRS Compte tenu de la vigueur de la demande d’actifs sûrs des États-Unis, il aurait été surprenant qu’il n’y ait pas eu de hausse correspondante de l’offre de ces actifs. Caballero et Krishnamurthy (2009) soutiennent que la volonté de répondre à la demande d’actifs sûrs des investisseurs internationaux a été un facteur déterminant dans le processus qui a permis de transformer des prêts risqués en titres bien notés. Comme il ressort de la partie supérieure du graphique 8, lors de l’essor du marché immobilier 13 Une partie de la progression de la valeur de ces titres est imputable à des modi? cations dans la valorisation des actions, les effets de valorisation relatifs aux titres de créance étant vraisemblablement assez faibles. 14 Ces chiffres peuvent sous-estimer légèrement le montant de MBS américains détenus en ? n de compte par les Européens. De nombreux véhicules hors bilan de banques européennes étaient situés aux États-Unis, et les achats de titres adossés à des actifs par ces véhicules enregistrés comme des achats par des « résidents américains ». En outre, de nombreux véhicules de banques internationales européennes et américaines étaient situés dans des centres ? nanciers extraterritoriaux, où une large part des 300 milliards de dollars restants de titres adossés à des actifs américains étaient détenus. Graphique 8 Valeur des encours de prêts hypothécaires (en milliards de dollars) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Total 0 2 000 4 000 6 000 8 000 10 000 12 000 Subprime Taux variable, autres prime, et Alt-A Prime à taux fixe et FHA/VA Source : Estimations des services du Système fédéral de réserve Encours d’ABS, RMBS et CMBS, par notations (en milliards de dollars) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Encours totaux 0 2 000 1 000 4 000 3 000 5 000 6 000 7 000 8 000 9 000 Non notés À haut risque, private label Autres Investment Grade, private label Notés AAA, private label MBS d’Agences a) a) Comprend les MBS garantis par les agences de re? nancement hypothécaire (government - sponsored enterpr i ses — GSE) , la Federal Hous ing Administration (FHA), et la Veterans Administration (VA). Source : Flow of Funds et estimations internes reposant sur des données Dealogic Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 27 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke aux États-Unis, non seulement on a constaté une vive progression de l’octroi de nouveaux prêts hypothécaires, mais surtout la part de ces prêts qui était considérée la plus risquée, subprime et prime à taux variables dont Alt-A, a nettement progressé elle aussi. Et pourtant, comme le décrit la partie supérieure du graphique 8, la quasi-totalité de la hausse de l’encours de titres adossés à des actifs se serait vu attribuer la note AAA. Le graphique 9 examine la proportion notée AAA de différentes catégories de titres privés 15 . La part de titres adossés à des actifs private label qui a été notée AAA lors de l’essor du secteur de l’immobilier, soit environ 85 %, excédait très fortement la proportion notée AAA des obligations des sociétés ? nancières (15 %) et des obligations des sociétés non ? nancières (3 %). En outre, tandis que la part notée AAA des obligations du secteur privé est restée identique ou a baissé au plus fort de la phase d’essor du marché immobilier, la proportion notée AAA de titres adossés à des actifs private label a légèrement augmenté. Le processus par lequel quantité de prêts, pour bon nombre de qualité douteuse, ont été transformés en produits d’investissement structurés béné? ciant d’une notation élevée a été bien analysé par Gorton (2008, 2009) et Coval, Jurek et Stafford (2008), entre autres. En résumé, regrouper des prêts et mettre en place des tranches avec un ordre préétabli des priorités de paiement a permis à un certain nombre de titres d’être considérés comme beaucoup plus sûrs que le prêt moyen dans le pool sous-jacent de créances. Les motivations à l’origine de cette ingénierie ? nancière étaient claires : il y avait des béné? ces à retirer de la vente de titres à un prix qui s’est avéré en ? n de compte largement supérieur à la valeur de la garantie sous-jacente. Mais, fait tout aussi important, il est apparu que la propension des investisseurs à prendre délibérément un risque supplémentaire était limitée. Les investisseurs étaient disposés à rechercher un certain supplément de rendement en achetant des MBS notés AAA plutôt que de la dette des Agences (ou des obligations souveraines dans leurs pays), mais ils n’auraient vraisemblablement pas absorbé des MBS notés BBB en quantités importantes. En conséquence, le développement de l’ingénierie financière pour scinder en tranches les rémunérations tirées des créances hypothécaires de manière à créer des titres de créance bien notés a été, au moins en partie, une réponse endogène aux préférences pour le risque des investisseurs nationaux et étrangers (cf. Nadauld et Sherlund, 2009 ; Gerardi, Lehnert, Sherlund et Willen, 2008 ; et Mayer, Pence et Sherlund, 2009). La conjonction d’une demande forte de MBS bien notés et de la transformation de créances hypothécaires risquées en MBS bien notés par le secteur des services ? nanciers a accru la demande effective de « matière première », à savoir, l’octroi de nouveaux prêts hypothécaires. Comme il ressort du graphique 10, les émissions de prêts hypothécaires à risque (subprime) à taux variable se sont envolées au cours de cette période, mais les écarts de taux d’intérêt par rapport aux prêts hypothécaires conforming (qui étaient garantis par les agences de re? nancement hypothécaire) ont continué de diminuer. La demande croissante de titres adossés à ces prêts de la part des investisseurs, tant étrangers que nationaux, a contribué à maintenir ces écarts à un niveau faible. 15 Les données relatives aux notations attribuées aux obligations du secteur privé ont été obtenues grâce à la base DRS de Moody’s. Les données relatives aux notations des encours de MBS ont été estimées sur la base des notations des nouvelles émissions extraites des données de Dealogic. Graphique 9 Proportion des encours d’obligations notées AAA, par catégories (%) 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 RMBS (private label), CMBS et ABS Autres titres du secteur privé financier 0 20 40 60 80 100 Titres du secteur privé non financier Sources : Pour les RMBS, CMBS et ABS, estimations internes reposant sur des données Dealogic ; pour les titres du secteur privé, ? nancier et non ? nancier, Moody’sDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 28 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke Dans cette contribution, nous avons cherché à démontrer que les entrées de capitaux internationaux avaient vraisemblablement joué un rôle important dans la baisse des rendements des bons du Trésor et d’autres actifs américains apparemment sûrs, notamment les prêts hypothécaires, au cours des années ayant précédé la crise ? nancière. Comme cela a été mis en évidence par l’hypothèse de l’excès d’épargne mondiale et la littérature plus récente qui s’est intéressée à la con? guration internationale de l’offre d’actifs et des préférences en matière d’actifs, ces entrées de capitaux recouvraient des achats de bons du Trésor et de dette des Agences par les économies de marché émergentes à la recherche d’actifs sûrs dans lesquels investir les excédents de leur compte de transactions courantes. Néanmoins, ces entrées de capitaux recouvraient également des achats de MBS private label béné? ciant d’une notation élevée par des investisseurs situés dans d’autres économies avancées, en particulier en Europe, qui recherchaient une gamme d’actifs plus diversi? ée mais continuaient d’accorder beaucoup d’importance à la sécurité perçue. Si l’Europe dans son ensemble n’a pas enregistré d’excédent de son compte de transactions courantes au cours de cette période, à la différence des économies à l’origine de l’excès d’épargne mondiale, elle a pu ? nancer ses achats de titres américains, notamment de MBS, par l’émission de toute une palette d’engagements extérieurs. La composition des prêts hypothécaires nationaux faisant apparaître une proportion croissante de prêts subprime et autres prêts risqués, le secteur ? nancier américain a élaboré des techniques pour transformer ces prêts en titres apparemment sûrs, notés AAA, ceux-là même que réclamaient les investisseurs nationaux et étrangers. L’éclatement de la bulle immobilière qui a suivi et l’aveu que certains de ces titres étaient plus risqués qu’on ne l’avait précédemment admis ont contribué au déclenchement de la crise ? nancière. Rétrospectivement, les États-Unis, comme certaines nations émergentes au cours des années quatre-vingt-dix, ont tiré un enseignement de la crise : l’interaction entre fortes entrées de capitaux et faiblesses du système ? nancier national peut produire des effets non souhaités et dévastateurs. La réponse adéquate ne consiste pas à essayer de revenir en arrière sur la mondialisation ? nancière, qui est globalement largement béné? que. Les États-Unis doivent plutôt continuer de coopérer avec leurs partenaires internationaux pour améliorer les pratiques ? nancières du secteur privé et renforcer la régulation ? nancière, notamment la surveillance macroprudentielle. L’objectif ultime doit être de pouvoir gérer des ? ux, même très importants, de capitaux ? nanciers nationaux et internationaux d’une manière à la fois ef? ciente et propice à la stabilité ? nancière. Graphique 10 Émissions de prêts hypothécaires à taux variable à risque (subprime) (en milliers de prêts) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 0 20 40 60 80 100 140 120 160 180 Source : Estimations des services du Système fédéral de réserve Taux des prêts hypothécaires à taux variable subprime et conforming (%) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 ARM subprime ARM indexés sur les bons du Trésor à 1 an 0 2 4 8 6 10 12 ÉcartDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 29 Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 Ben Bernanke BIBLIOGRAPHIE Acharya (V. V.) et Schnabl (P.) (2010) “Do global banks spread global imbalances? Asset-backed commercial paper during the ? nancial crisis of 2007-09”, FMI, Economic Review, vol. 58 (1), p. 37-73 Arteta (C.), Carey (M.), Correa (R.) et Kotter (J.) 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Dans le contexte du régime de ciblage de l’in? ation qui caractérise la politique monétaire du Brésil, des mesures macroprudentielles se sont avérées un complément utile des politiques macroéconomiques traditionnelles. Cependant, les déséquilibres actuels de l’économie mondiale constituent un problème particulièrement épineux pour les responsables de politique économique. La communauté ? nancière internationale doit unir ses efforts sur deux fronts : améliorer la palette d’outils macroprudentiels et élaborer un cadre de coopération économique multilatérale plus robuste. HENRIQUE DE CAMPOS MEIRELLES Gouverneur Banque centrale du BrésilDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 32 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La stabilité ? nancière confrontée aux af? ux massifs de capitaux : le point de vue d’un marché émergent Henrique de Campos Meirelles L ’atonie persistante de l’activité et l’abondance de la liquidité dans les économies avancées ont entraîné un af? ux massif de capitaux vers les marchés émergents caractérisés par des fondamentaux solides et l’ouverture du compte ? nancier. Bien que les entrées de capitaux soient i n d é n i a b l e m e n t p ro f i ta b l e s a u x é c o n o m i e s émergentes, elles sont aussi potentiellement déstabilisatrices. L’expérience a montré que des af? ux de capitaux excessifs peuvent entraîner une volatilité excessive du taux de change, une prise de risque de crédit inacceptable et des bulles de prix d’actifs. Le dé? pour le Brésil et d’autres économies émergentes consiste à adopter des politiques qui, dans un contexte de déséquilibre des économies mondiales, leur permettent de conserver les béné? ces de l’investissement étranger tout en évitant les problèmes que ces excès sont susceptibles de poser. Compte tenu de la complexité des négociations qui ont lieu au niveau du G20 en vue du rééquilibrage de l’économie mondiale et d’une meilleure coordination des politiques macroéconomiques, aucun progrès s igni f i cat i f dans ce domaine n’es t à prévoi r à court terme. Afin de mieux analyser les défis auxquels les économies émergentes sont confrontées dans ce contexte, nous prendrons l’exemple du Brésil. Ce pays dispose d’un régime de change ? exible, ses marchés de capitaux sont ouverts et la Banque centrale constitue des réserves de change dans le cadre d’une stratégie de ciblage de l’in? ation. Les interventions stérilisées de la Banque centrale sur les marchés de change ont pour objet d’accroître la résistance du pays aux sorties de devises et de lisser les mouvements du taux de change, plutôt que d’en in? uencer la tendance. Ce cadre a été très béné? que au pays durant les dix années qui ont suivi son introduction, le Brésil af? chant une croissance économique plus forte et une in? ation faible pendant la majeure partie de la période, en dépit de la crise ? nancière internationale de 2007-2008. La situation économique mondiale actuelle pose cependant un dé? pour ce cadre en raison de l’af? ux massif de capitaux. Les mesures de politique macroéconomique, telles que les interventions de change et les impôts sur les investissements étrangers, sont la première ligne de défense que l’on érige généralement en cas d’af? ux massif de capitaux. Dans ce contexte, des mesures macroprudentielles peuvent s’avérer nécessaires. Le premier objectif doit consister à protéger le système ? nancier des cycles d’alternance de fortes hausses et de fortes baisses sur les marchés de change, de crédit ou d’actifs. Ces politiques sont également déterminantes pour prévenir l’apparition de bulles en amont. Les entrées de capitaux et les distorsions des prix d’actifs s’autoalimentent par le jeu d’une dynamique dans laquelle les capitaux étrangers entraînent une hausse des prix d’actifs et les rendements qui en résultent attirent encore plus de capitaux. Une politique mac roéconomique bien déf inie devrai t donc limiter ces interactions. Le Brésil connaît depuis longtemps l’instabilité macroéconomique, ce qui explique notre vigilance à l’égard des risques que les évolutions macroéconomiques font peser sur la stabilité ? nancière. Plusieurs aspects de notre cadre prudentiel ont été conçus en gardant ces risques à l’esprit. Premièrement, nous avons ? xé les exigences minimales en fonds propres à 11 % des actifs pondérés des risques, au lieu du ratio de 8 % inscrit dans l’accord de Bâle II. Sous l’effet d’une forme de pression morale, le niveau effectif des fonds propres dans le système a été porté à 17 % en moyenne. Nos institutions ? nancières disposent ainsi d’un coussin de sécurité supplémentaire pour faire face aux chocs systémiques. Deuxièmement, l’effet procyclique intégré dans les modèles internes de risque de marché et de crédit n’est pas présent, l’utilisation de ces modèles pour déterminer les exigences en fonds propres étant soumise à l’approbation de l’autorité de supervision. De plus, nous disposons d’une règle prudentielle qui limite le comportement cyclique des banques, à savoir une règle de provisionnement qui prend en compte non seulement les pertes encourues mais également les pertes attendues. En outre, les réserves obligatoires déposées par les banques auprès de la Banque centrale du Brésil ont été ? xées à un niveau relativement élevé, constituant ainsi un important réservoir de liquidité pouvant être utilisé en cas d’assèchement de la liquidité internationale ou d’autres imprévus. Le double rôle de la Banque centrale, à la fois autorité monétaire et autorité de supervision des institutions ? nancières, facilite le recours ciblé et en temps utile aux réserves des banques. Enf in, not re réglementat ion prudent iel le es t traditionnellement axée sur la prévention ; elle compor te, par exemple, des l imi tat ions aux expositions importantes d’une manière générale et au risque de change en particulier. Les échanges Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 33 La stabilité ? nancière confrontée aux af? ux massifs de capitaux : le point de vue d’un marché émergent Henrique de Campos Meirelles sur les marchés de dérivés de gré à gré doivent être enregistrés auprès d’une chambre de compensation, et seules les institutions ? nancières peuvent effectuer des opérations sur les dérivés de crédit. En substance, nous accordons une priorité élevée au contrôle sur place et au contrôle sur pièces, et de nombreuses caractéristiques de notre cadre réglementaire sont déjà en conformité avec Bâle III. Ces caractéristiques nous ont offert un niveau de protection acceptable pendant la dernière crise ? nancière. Elles nous ont également permis d’être solidement armés pour contrecarrer la principale incidence de la crise sur le système bancaire brésilien : le quasi-effondrement des lignes de crédit internationales avait entraîné une crise intérieure de crédit et de liquidité. Ce problème a été traité en diminuant les réserves obligatoires des banques et en orientant une partie des fonds vers les petites banques, particulièrement frappées par la crise ; en relevant le plafond de garantie des dépôts à 20 millions de réaux pour certains dépôts à long terme et en autorisant le rachat de portefeuilles de prêts par le fonds de garantie des dépôts ? nancé par le secteur privé. La reconnaissance des provisions excédentaires comme fonds propres de base (Tier 1) a été également déterminante. L’action de l’Autorité monétaire pour rétablir la liquidité en devises a consisté à vendre des dollars sur les marchés au comptant et à terme et à utiliser les réserves de change pour octroyer des lignes de crédit en remplacement des prêts internationaux. Une forte reprise des marchés intérieurs du crédit et le retour à une liquidité domestique abondante ont permis, à ce stade, de supprimer la quasi-totalité des mesures d’urgence. Avec le rétablissement de l’économie brésilienne, la Banque centrale a relevé son principal taux directeur. En conséquence, le creusement des différentiels de croissance du PIB brésilien et de taux d’intérêt par rapport aux économies développées a favorisé les entrées de capitaux. Non seulement les investissements de portefeuille et les investissements directs étrangers mais également les opérations de portage (carry trade) ont fortement augmenté sous l’in? uence de l’optimisme suscité par les perspectives de l’économie brésilienne. Il faut noter, cependant, que les entrées de capitaux liées aux investissements directs ont une volatilité relativement faible. En dé? nitive, nous sommes à nouveau confrontés au problème représenté par une avalanche d’entrées de capitaux potentiellement volatils, une appréciation du taux de change et un dé? cit du compte de transactions courantes. Pour y répondre, les autorités budgétaires ont relevé de 2 % à 6 % la taxation des entrées de capitaux au titre des placements obligataires. La Banque centrale a augmenté ses achats de devises sur le marché des changes au comptant et a pris également des mesures pour limiter les prises de risques de change excessives sur les produits dérivés. En? n, elle a nettement durci les règles applicables aux quotités de ? nancement. Pour en revenir à la situation mondiale, la crise ? nancière nous a enseigné la nécessité de développer de meilleures politiques pour empêcher que les déséquilibres mondiaux ne menacent la stabilité ? nancière. De notre point de vue, ces politiques relèvent de deux catégories de fond. Nous devons d’abord construire un cadre de coopération macroéconomique internationale plus solide. Ce cadre doit fournir des incitations permettant d’éviter les effets de contagion négatifs pouvant provenir des politiques macroéconomiques nationales. Ensuite, lorsque de telles circonstances se produisent, nous devons reconnaître qu’il incombe aux pays disposant d’un cadre de politique économique responsable de réagir aux éventuels effets de contagion. En conclusion, nous soutenons fermement les initiatives récentes de la communauté internationale des superviseurs ? nanciers visant à renforcer les règles prudentielles.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 35 Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière MARK CARNEY Gouverneur Banque du Canada Comprendre le lien entre les déséquilibres internationaux et la stabilité ? nancière est essentiel pour bien saisir non seulement ce qui s’est produit à l’occasion de la crise, mais aussi ce qui pourrait arriver à l’avenir. Les déséquilibres et vulnérabilités qui affectaient l’économie mondiale avant la crise ont commencé à réapparaître. Une demande mondiale insuf? sante et des taux d’intérêt exceptionnellement bas dans de nombreux pays créent un contexte propice à des comportements extrêmement risqués dans le secteur ? nancier. Ne pas prendre de mesures pour corriger les déséquilibres mondiaux ne peut en dé? nitive que miner la reprise économique et la stabilité ? nancière à l’échelle internationale. Plusieurs lignes de défense s’imposent pour contrer cette issue, notamment une plus grande responsabilité de la part des ménages, des entreprises et des gouvernements pour gérer leur dette, et une surveillance renforcée du secteur ? nancier.Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 36 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 B ien que de nombreuses causes soient à l ’or igine de la c r i se f inanc ière, son intensité et son envergure témoignent d’une accumulation de déséquilibres sans précédent à l’échelle mondiale. Pendant un moment, les importants déséquilibres des balances courantes ont favorisé des taux d’intérêt réels bas, aidé à contenir la volatilité macroéconomique et contribué à l’excès de con? ance généralisé qui atteignait les participants a u ma rc h é . L a s ta b i l i t é d e l ’ e n v i ro n n eme n t macroéconomique et la liquidité des marchés étaient considérées comme allant de soi, ce qui a alimenté la quête de rendement et le recours au levier ? nancier, et donné lieu à une sous-évaluation spectaculaire des risques. Le système monétaire international ne réussissant pas à favoriser un ajustement ordonné en temps opportun, lorsque l’heure des comptes est venue, elle fut des plus brutales. Dans la période qui a précédé la crise, alors que beaucoup, dont la Banque du Canada, mettaient constamment en garde contre les dangers associés aux déséquilibres internationaux, peu d’acteurs percevaient le lien qui existait entre ceux-ci et la stabilité ? nancière. Comprendre le l ien ent re les déséqui l ibres internationaux et la stabilité ? nancière est essentiel pour bien saisir non seulement ce qui s’est produit à l’occasion de la crise, mais aussi ce qui pourrait arriver à l’avenir. Les déséquilibres et vulnérabilités qui affectaient l’économie mondiale avant la crise ont commencé à réapparaître. Compte tenu des carences du système monétaire international actuel et des tensions persistantes au sein du système ? nancier mondial, ces déséquilibres présentent à nouveau des risques pour une croissance forte et durable à l’échelle du globe. Pour mieux comprendre ces risques, nous nous proposons, dans le présent article, d’examiner tout d’abord certains facteurs à l’origine des déséquilibres mondiaux qui ont pu être observés dans la période précédant la crise, ainsi que la manière dont ils ont contribué à l’instabilité ? nancière. Nous décrivons ensuite en quoi la résurgence de ces déséquilibres crée de nouveaux risques pour le système ? nancier international. Une fois ces risques analysés, la conclusion coule de source : ne pas prendre de mesures pour corriger les déséquilibres mondiaux minerai t en déf ini t ive la repr i se à l ’échel le internationale. 1| LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET LA STABILITÉ FINANCIÈRE AVANT LA CRISE Les déséquilibres des balances courantes les plus importants qu’on ait connus en temps de paix depuis le début du XXe siècle tiennent à une combinaison de changements structurels et de choix de politique. 1|1 Changements structurels D e u x g ra n d s c h a n g e m e n t s s t r u c t u re l s o n t fait réapparaître des déséquilibres à l’échelle internationale ces vingt dernières années. En premier lieu, l’intégration économique de la Chine, de l’Inde et d’autres économies de marché émergentes a constitué un tournant sans précédent et une mutation structurelle fondamentalement positive pour l’économie mondiale. Jamais dans l’histoire, l’intégration économique n’a touché autant d’individus, tant en chiffres absolus qu’en pourcentage de la population mondiale. Ainsi, lorsque l’Amérique du Nord et la périphérie de l’Europe ont été intégrées durant la seconde partie du XIXe siècle, leur population totale équivalait à la moitié de celle des pays avancés de l’époque (graphique 1). Pour le Japon de l’après-guerre, cette proportion était de 10 %. Par comparaison, la Chine et l’Inde à elles Graphique 1 Augmentation de la part des États-Unis et des économies émergentes dans le PIB mondial pendant les périodes de forte croissance (%) États-Unis Chine, Inde, Brésil, Mexique, Indonésie et Corée du Sud 1870-1913 1966-2006 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 Source : MaddisonLes déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 37 seules représentent aujourd’hui deux fois et demie la population des pays avancés. Si l’on tient compte du pourcentage de la population dans le secteur des biens échangeables, l’offre effective de main-d’œuvre mondiale a quadruplé entre 1980 et 2005, le gros de l’augmentation s’étant produit après 1990. Et cette tendance est appelée à se poursuivre : la population active intégrée à l’échelle du globe devrait encore doubler d’ici 2050 (Carney, 2008). En second lieu, l’économie mondiale s’est ouverte radicalement : les exportations de marchandises représentent maintenant quelque 20 % du PIB mondial, contre environ 9 % au sommet de la dernière grande vague de mondialisation. Les ? ux de capitaux transfrontières comptent aujourd’hui pour environ 15 % du PIB mondial, comparativement à 3 % au tournant du siècle dernier (Carney, 2008) 1 . Depuis les années 1980, les ? ux de capitaux entre les économies — avancées ou émergentes — ont explosé, au point d’entraîner une hausse substantielle des créances transfrontières (graphique 2). Une des conséquences de cette intégration ? nancière plus poussée est que les chocs touchant tant l’économie réelle que le secteur ? nancier se transmettent maintenant rapidement d’un marché ? nancier à l’autre. L’histoire montre que les systèmes internationaux dans lesquels prédominent les régimes de changes ? xes ou dirigés réagissent rarement bien aux chocs structurels d’envergure. Cette faille résulte de deux problèmes très courants : la rigidité à la baisse des prix et des salaires nominaux et un processus d’ajustement asymétrique. À court terme, il est généralement beaucoup moins coûteux, sur les plans tant économique que politique, pour les pays qui enregistrent un excédent au titre de la balance des paiements de le conserver et d’accumuler des réserves que pour les pays en dé? cit de maintenir des dé? cits. Les pays en dé? cit doivent soit puiser dans leurs réserves, soit dévaluer leur monnaie. L’accumulation de réserves par les pays en excédent n’est limitée que par son incidence ? nale sur les prix intérieurs. Selon l’ouverture du système ? nancier et le degré de stérilisation, cette incidence peut être retardée pendant très longtemps (Carney, 2010a) 2 . Dans un tel contexte, on peut aboutir à des risques considérables pour la stabilité ? nancière. Comme il fallait s’y attendre, le système monétaire international actuel, de par sa nature hybride — dans le sens où s’y côtoient des régimes de changes ? xes et ? ottants —, a été incapable de favoriser l’ajustement nécessaire entre les pays af? chant un excédent et ceux qui accusent un dé? cit. 1|2 Choix de politique Les déséquilibres internationaux résultent également de choix de politique effectués tant par des économies de marché émergentes que par des économies avancées. Parmi les premières, nombreuses sont celles qui ont conduit des politiques de change ayant eu pour effet, en pratique, d’empêcher l’ajustement des taux de change réels. De fait, étant donné l’ampleur du miracle économique, il est remarquable que les monnaies des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ne se soient appréciées que de 5 % en termes réels par rapport à celles des pays du G7 au cours des dix dernières années (graphique 3). Les économies de marché émergentes ont ainsi accumulé des réserves de change massives, qui présentent une concentration élevée à la fois par détenteur (environ 50 % sont détenues par les cinq principaux pays) et par devise (les deux tiers sont en dollars américains). 1 « Les implications de la mondialisation pour l’économie et les politiques publiques », discours prononcé le 18 février 2008 par le gouverneur Mark Carney devant la Chambre de commerce de la Colombie Britannique et le Business Council of British Columbia. http://www.banqueducanada.ca/fr/discours/2008/sp08-2f.html 2 « Rétablir la con? ance dans le système monétaire international », discours prononcé le 10 septembre 2010 par le gouverneur Mark Carney à la table ronde de Spruce Meadows, Changing Fortunes. http://www.banqueducanada.ca/fr/discours/2010/disc100910.html Graphique 2 Avoirs et engagements extérieurs en termes bruts (en % du PIB) 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 Royaume-Uni Zone euro Japon Suisse États-Unis 0 500 1 000 1 500 Source : Lane et Milesi-Ferretti (2007)Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 38 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Le maintien d’un taux de change à un niveau arti? ciellement bas passe par le contrôle des capitaux et la stérilisation des interventions, deux mécanismes qui s’avèrent plus ou moins ef? caces au ? l du temps. La répression ? nancière maximise certes l’ef? cacité de la stérilisation, mais à un coût élevé. En effet, les entreprises et les ménages ayant un accès limité au crédit du fait des stérilisations, les facteurs structurels qui favorisent des taux d’épargne élevés se voient renforcés. Résultat : de nombreuses économies de marché émergentes af? chent des surplus d’épargne, ce qui est en particulier le cas de la Chine depuis le début des années deux mille (graphique 4). L e s p o l i t i q u e s m o n é t a i r e s e t b u d g é t a i r e s expansionnistes mises en œuvre dans les pays avancés au lendemain de la récession de 2001, conjuguées aux taux d’épargne élevés en Asie orientale, ont donné lieu à des déséquilibres considérables à l’échelle mondiale, à des ? ux massifs de capitaux et à une problématique de taux d’intérêt à long terme très bas. À leur tour, ces taux bas sans risque ont attisé la quête de rendement et encouragé un recours excessif au levier ? nancier. En? n, la déréglementation du crédit à l’habitation et à la consommation a accentué le recul séculaire de l’épargne privée. Des vulnérabilités ont découlé de cette combinaison de déséquilibres macroéconomiques et de défaillances microéconomiques sur le plan de la gestion du risque, de la supervision et de la réglementation ? nancière. Les taux d’in? ation bas, stables et prévisibles ainsi que la faible variabilité de l’activité économique — surtout en présence de taux d’intérêt exceptionnellement bas et stables — ont engendré un excès de con? ance chez les participants aux marchés ? nanciers, qui ont été portés à prendre des risques en fonction du nouvel équilibre perçu 3 . Les décideurs publics au sein des économies avancées ont mis trop de temps à détecter et à contrer les risques émergents. Le résultat a été une période de croissance de plus en plus déséquilibrée, sans les signaux réels et ? nanciers essentiels pour favoriser un ajustement économique ordonné en temps opportun. Il y a trois ans, les tensions sont devenues énormes. Les systèmes ? nanciers des économies avancées ont été paralysés, presque tous les actifs ? nanciers du monde ont été réévalués et la demande privée des économies avancées s’est écroulée. Les mesures d’intervention officielles adoptées en réaction à l’effondrement ont consisté en un assouplissement sans précédent des politiques budgétaires et monétaires, assouplissement qui a permis de gagner du temps pour que les ajustements nécessaires soient opérés. Mais une solution durable exige un rééquilibrage de l’offre et de la demande Graphique 4 Niveaux de l’investissement et de l’épargne en Chine (% du PIB) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Investissements Épargne 30 35 40 45 50 55 Source : OCDE 3 De fait, il semble que les risques soient d’autant plus élevés qu’ils sont évalués à de bas niveaux. Une faible variabilité de l’in? ation et de la production fait diminuer la valeur exposée au risque ? nancière et favorise une plus grande prise de risques en fonction de la valeur exposée au risque prospective, les activités des investisseurs s’étendant des marchés liquides vers des marchés moins liquides. Parallèlement, des taux d’intérêt bas et stables favorisent l’accentuation des asymétries entre les actifs et les passifs sur les marchés du crédit et des changes. Ces tendances s’avèrent particulièrement marquées lorsque les investisseurs sont convaincus que les taux d’intérêt vont rester bas. Graphique 3 Taux de change effectifs, en termes réels, des BRIC par rapport au G7 (base 100 de l’indice = janvier 2000) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 90 95 100 105 110 Sources : FMI, Bloomberg et organismes statistiques nationauxLes déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 39 mondiales, lequel ne se produira pas sans des modifications du fonctionnement des systèmes monétaire et ? nancier internationaux. 2| LA RÉSURGENCE DES DÉSÉQUILIBRES ET DES RISQUES POUR LA STABILITÉ FINANCIÈRE 2|1 Une reprise hésitante À terme, la reprise économique dépendra très largement du rééquilibrage de la demande à l’échelle mondiale. La tâche n’est pas aisée, et nécessitera la mise en œuvre, à la fois par les économies avancées et les économies émergentes, du train de réformes proposées dans le Cadre du G20 pour une croissance forte, durable et équilibrée. Il s’agit notamment : • de réformer et de redresser le secteur ? nancier ; • d’assainir les ? nances publiques, au moment approprié, dans les pays qui en ont besoin ; • de mener des réformes structurelles pour stimuler la croissance économique ; • de faire en sorte que les taux de change soient davantage déterminés par le marché. Des progrès ont été accomplis : un certain nombre de réformes touchant au secteur financier ont été convenues et ont commencé à être mises en œuvre, à l’instar des nouvelles normes de fonds propres et de liquidité (Bâle III). L’assainissement des ? nances publiques a débuté dans de nombreux pays. Toutefois, les réformes structurelles visant à stimuler la croissance marquent un peu le pas, et l’ajustement des taux de change est encore entravé. L’ajustement des taux de change réels, en particulier, est essentiel au rééquilibrage de la croissance mondiale. Il se ferait le plus efficacement par l’intermédiaire de mouvements des taux de change nominaux, ce qui permettrait aux salaires et aux prix relatifs de s’adapter de façon rapide et symétrique a? n de rééquilibrer le solde extérieur. Or, actuellement, le système monétaire international évolue vers une immense zone dollar. Plus d’une douzaine de pays constituent des réserves qui grossissent à un taux annuel de 10 % ou plus, et des États représentant plus de 40 % des échanges commerciaux avec les États-Unis dirigent maintenant leur monnaie. Par conséquent, l’ajustement des taux de change réels est plus susceptible de se produire par l’entremise de modi? cations des salaires et des prix globaux. Les répercussions sur les prix des actifs, la production, l’emploi et la stabilité ? nancière pourraient être considérables, car l’absence d’un ajustement nominal aggraverait les pressions in? ationnistes dans les pays dont la monnaie est largement sous-évaluée, de même que les pressions désin? ationnistes s’exerçant à d’autres endroits (en premier lieu dans les pays avancés). PRESSIONS INFLATIONNISTES DANS LES ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES Déjà, les pressions in? ationnistes sont à la hausse dans les économies émergentes (graphique 5). En dépit de perspectives divergentes au chapitre de la croissance et de l’in? ation, de nombreux pays appliquant un régime de changes ? xes se conforment de facto à la politique monétaire américaine, laquelle ne cadre pas avec leur situation (graphique 6). Si cette divergence dans l’orientation optimale de la politique monétaire persiste, les tensions qui s’exercent sur le système ? nancier s’intensi? eront. Graphique 5 In? ation mesurée par l’indice des prix à la consommation (% de variation en glissement annuel) Moyenne des BRIC Zone euro États-Unis Janv. 2008 Mai Sept. Janv. 2009 Mai Sept. Janv. 2010 Mai Sept. - 4 - 2 0 2 4 6 8 10 12 Source : Organismes statistiques nationaux Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 40 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 PRESSIONS DÉSINFLATIONNISTES DANS LES ÉCONOMIES AVANCÉES Des pressions désin? ationnistes sont évidentes dans les grandes économies avancées (graphique 5). L’aptitude de ces dernières à faire croître la demande intérieure est diminuée, compte tenu de contraintes budgétaires et de l’ampleur de l’assainissement des bilans qui est nécessaire. La demande doit provenir de l’extérieur — la compétitivité internationale de ces économies doit donc être rebâtie à la faveur de changements des taux de change nominaux ou, à défaut, d’une baisse des salaires et des prix intérieurs. Cette dynamique est peut-être la plus défavorable dans les pays de l’Europe périphérique, pour lesquels le premier remède n’est pas une option. L’ampleur de ces pressions désin? ationnistes est particulièrement évidente dans le fait que les taux directeurs demeurent à leur valeur plancher dans de nombreux pays et que des mesures supplémentaires de politique monétaire non traditionnelles ont été prises. Dans ce contexte, les entraves à l’ajustement apportées actuellement par les pays en excédent entraînent une 4 Voir Reinhart et Reinhart (2010) : After the Fall, Macroeconomic Challenges: The Decade Ahead, symposium sur la politique économique, Banque fédérale de réserve de Kansas City (http://www.kansascityfed.org/publicat/sympos/2010/reinhart-paper.pdf). Dans le cadre de l’établissement du dispositif de Bâle III, le Comité de Bâle a passé en revue les études existantes sur le coût des crises ? nancières et mis en lumière des coûts potentiels énormes pour la croissance du PIB, qui concernent tant les économies avancées que les pays émergents. Voir An assessment of the long-term economic impact of stronger capital and liquidity requirements, à l’adresse http://www.bis.org/publ/bcbs173.pdf (en anglais seulement). 5 « Les conséquences économiques des réformes », conférence de 2010 de la Bundesbank prononcée par Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada, à la Deutsche Bundesbank, 14 septembre 2010 (http://www.banqueducanada.ca/fr/discours/2010/disc140910.html). insuf? sance de la demande mondiale. Cela risque de susciter une dynamique semblable à celle que connaît la zone euro, mais à l’échelle de la planète, le rythme de croissance demeurant faible dans de nombreux pays. L’absence d’un rééquilibrage de la demande mondiale pourrait s’avérer très coûteuse. Les coûts potentiels sont astronomiques : jusqu’à 7 billions de dollars en perte de production à l’échelle du globe d’ici 2015 (Carney, 2010a). Il va sans dire que les répercussions sur la stabilité ? nancière seraient profondes. 2|2 Les risques pour la stabilité ? nancière Une croissance mondiale dont l’équilibre n’est pas restauré et une insuf? sance de la demande mondiale pourraient ébranler la stabilité ? nancière par différents canaux, entre autres l’incidence d’une croissance économique anémique sur le secteur ? nancier et la viabilité des ? nances publiques, l’in? uence du maintien de taux d’intérêt bas sur un large éventail d’acteurs des marchés ? nanciers et les effets déstabilisateurs d’af? ux de capitaux excessifs dans les économies émergentes. LENTEUR DE LA REPRISE, DETTE SOUVERAINE ET SECTEUR BANCAIRE L’histoire nous enseigne que les récessions qui s ’ac compagnent d’une c r i se f inanc ière sont généralement plus profondes et sont suivies d’une reprise deux fois plus lente. Dans la décennie suivant une grave crise ? nancière, le taux de croissance a tendance à être inférieur d’un point de pourcentage, et le taux de chômage, supérieur de cinq points 4 . La reprise actuelle aux États-Unis ne fait pas exception, et nous estimons qu’en Europe, le manque à gagner par rapport à la croissance tendancielle d’avant la crise pourrait ? nalement se chiffrer à 40 % du PIB européen à long terme (Carney, 2010b) 5 . Ce dé? cit de production économique se répercute directement sur le secteur ? nancier en diminuant le rythme auquel les banques peuvent assainir leurs bilans, en maintenant un niveau élevé de pertes sur créances et en limitant d’autres sources de revenus. Graphique 6 La politique monétaire américaine convient-elle aux autres pays ? (%) Écart de production de la Chine Écart de production des États-Unis Taux cible des fonds fédéraux - 6 - 4 - 2 0 2 4 6 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Sources : Système fédéral de réserve, Banque du CanadaLes déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 41 Comme les événements des derniers mois l’ont douloureusement fait ressortir, les problèmes liés à la faiblesse du secteur bancaire et à l’état des ? nances publiques peuvent ? nir par s’imbriquer. La lenteur de la reprise est appelée à accentuer les pressions sur la situation budgétaire des économies avancées, soulevant dans certains cas des préoccupations quant à la capacité et à la volonté de ces pays de soutenir le secteur ? nancier si cela était nécessaire. Une réévaluation du risque souverain pourrait aussi compromettre la stabilité ? nancière en provoquant une volatilité sur les marchés et en rehaussant les coûts de ? nancement des banques. De plus, les institutions financières et les investisseurs institutionnels sont d’importants détenteurs de dette souveraine et sont de ce fait exposés aux turbulences sur les marchés de cette dette. UNE PÉRIODE PROLONGÉE DE BAS TAUX D’INTÉRÊT Conf rontées aux pres s ions dés inf lat ionni s tes résultant des déséquilibres internationaux, les économies avancées ont maintenu leurs taux directeurs à des niveaux exceptionnellement bas et mis en œuvre des mesures non traditionnelles pour créer des conditions monétaires stimulantes. Des taux directeurs à un niveau historiquement bas, même s’ils sont requis pour assurer la stabilité des prix, créent leurs propres risques. Abstraction faite de la politique monétaire, les autorités devront demeurer aussi vigilantes qu’elles l’ont été par le passé devant la possibilité de déséquilibres ? nanciers dans un contexte de taux d’intérêt encore bas et de stabilité des prix relative. Si de telles mesures sont essentielles dans le contexte actuel, le maintien de bas taux d’intérêt sur une longue période peut créer des risques particuliers qui sont susceptibles d’exacerber les dif? cultés pesant sur le système ? nancier et qui doivent faire l’objet d’une surveillance attentive. Ainsi, la conviction que les taux d’intérêt vont demeurer bas pendant longtemps peut donner lieu à divers types de comportement à risque dans le secteur ? nancier. Le faible rendement des instruments ? nanciers ordinaires peut par exemple inciter les institutions ? nancières et les investisseurs en général à rechercher activement des placements plus risqués a? n de boni? er leurs rendements. Il y a des signes ? agrants de ce type de comportement dans divers marchés. Lorsqu’un comportement de cette nature perdure, le pro? l de risque et la vulnérabilité aux chocs s’accentuent considérablement. Dans ce contexte, un renversement des conditions de marché se solderait par de lourdes pertes pour les investisseurs et les institutions ? nancières et aurait des répercussions sur l’ensemble de l’économie. Les pressions qui s’exercent sur les compagnies d ’ a s s u ra n c e e t l e s c a i s s e s d e re t ra i t e s o n t particulièrement apparentes, du fait des rendements ou des prestations garantis à plus long terme qu’elles fournissent. Parce qu’elle a pour effet de faire baisser les rendements des actifs et d’augmenter la valeur actualisée nette des passifs, une période prolongée de bas taux d’intérêt rend ces garanties plus dif? ciles à respecter. A? n d’éviter toute insuf? sance potentielle, les gestionnaires de fonds pourraient se tourner vers des actifs plus risqués dans l’espoir d’obtenir un meilleur rendement ou raccourcir la durée de leurs placements pour limiter les asymétries entre les actifs et les passifs. Autre exemple, les banques ont pro? té des taux de ? nancement à court terme peu élevés pour reconstituer leur capital, en investissant dans les obligations d’État à long terme. Cette stratégie est ef? cace dans une certaine mesure, mais elle peut diminuer le sentiment d’urgence qu’éprouvent les banques à réduire leur levier ? nancier ou à déprécier leurs actifs de mauvaise qualité. L’expérience passée nous a effectivement montré que des taux directeurs bas facilitent la reconduction de prêts non viables. L’exemple classique est celui du Japon des années quatre-vingt-dix, où les banques permettaient à des débiteurs de reconduire des emprunts pour lesquels ils étaient en mesure de rembourser les paiements d’intérêt à des taux presque nuls mais non le principal. En optant pour la reconduction des prêts plutôt que leur radiation, les banques ont préservé leur capital, mais cette pratique a retardé la restructuration nécessaire de leur secteur. Qui plus est, la présence d’entreprises non viables a limité la concurrence, réduit les investissements et empêché l’entrée de nouvelles entreprises. De même, le crédit aux ménages tend à s’accroître rapidement à la faveur de taux d’intérêt bas. Par conséquent, la proportion des ménages dans une situation ? nancière dif? cile augmente de façon considérable. Sans un changement de comportement marqué, la proportion des ménages susceptibles Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 42 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 d’être gravement touchés par un choc augmentera encore davantage. ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES, QUÊTE DE RENDEMENT ET BULLES DES PRIX DES ACTIFS La faiblesse persistante des taux d’intérêt, conjuguée à une croissance économique modeste dans les économies avancées, amène les investisseurs en quête de rendement à se tourner de plus en plus vers les économies de marché émergentes. Ainsi, les ? ux de capitaux vers ces pays ont fait un bond marqué dans le sillage de la crise (graphique 7). Dans le contexte de conditions monétaires souples, ces ? ux ont donné lieu à des craintes que des bulles des prix des actifs ne voient le jour sur les marchés boursiers ou immobiliers des économies émergentes (graphique 8). Parce qu’elles cherchent à se préserver des cycles d’expansion et de repli abrupts, nombre de ces économies tentent de limiter ces pressions en mettant en place des mesures de contrôle des capitaux (qui peuvent prendre la forme de politiques macroprudentielles, mais qui, essentiellement, ne font qu’introduire de nouvelles rigidités au sein du système monétaire international) 6 . Une réaction plus viable consisterait à régler le problème des rigidités actuelles du système monétaire international, qui contribuent aux déséquilibres mondiaux. 3| POUR L’AVENIR L’expérience donne à penser que des périodes prolongées de taux inhabituellement bas peuvent embrouiller l’évaluation des risques ? nanciers, provoquer une quête de rendement et retarder les ajustements des bilans. Il existe plusieurs lignes de défense. La première est fondée sur les décisions des particuliers, des sociétés, des banques et des gouvernements. Les mesures exceptionnelles sont seulement un moyen de parvenir à une ? n. Le retour à la normale ? nira par se faire et s’accompagnera de taux d’intérêt et de coûts d’emprunt plus normaux. Il incombe aux ménages de veiller à ce que dans l’avenir, ils puissent rembourser les dettes qu’ils ont contractées aujourd’hui. De la même façon, il appartient aux institutions ? nancières de voir à ce que leurs clients soient à même d’assurer le service de leurs dettes. De façon plus générale, les participants au marché devraient résister à l’excès de con? ance et réévaluer constamment les risques. Ce n’est pas parce que les taux sont bas aujourd’hui que ce sera nécessairement le cas demain. Lorsqu’elle se produit, la réévaluation des risques peut être impitoyable : plus l’excès de con? ance est grand, plus l’heure des comptes est brutale. 6 Les résultats du contrôle des ? ux de capitaux ne sont pas encourageants, car, au ? l du temps, ces mesures sont souvent contournées. Graphique 7 Total des ? ux de capitaux privés vers les économies de marchés émergentes (en milliards de dollars) Total des flux de capitaux privés nets 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010p p = Prévisions Source : Institut de ? nance internationale Graphique 8 Chine : indice des prix de revente d’appartements (moyenne de 17 villes, pondérée en fonction de la population) Juil. 2009 Sept. Nov. Sept. Nov. Janv. 2010 Mars Mai Juil. 100 110 120 130 140 150 160 170 Source : Soufun et calculs de la Banque du CanadaLes déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Mark Carney Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 43 La deuxième ligne de défense consiste en un renforcement de la supervision des activités comportant des risques. Les simulations de crise dans les grandes économies devraient être axées sur les asymétries excessives d’échéances et de monnaies, la recherche des pratiques accommodantes (comme l’octroi d’une part disproportionnée de prêts à des industries vulnérables ou l’assouplissement des normes visant les débiteurs existants) et l’analyse de l’incidence de déplacements importants le long des courbes de rendement. Ces efforts seront renforcés par l’imposition des nouvelles règles de Bâle III. Ces mesures, dont un ratio de levier, de nouvelles règles de calcul des fonds propres au titre des portefeuilles de négociation et des normes en matière de liquidité, contribueront à empêcher un recours excessif au levier ? nancier et à la transformation des échéances. La troisième ligne de défense est l’élaboration et l’utilisation sélective de mesures macroprudentielles. Dans les marchés de ? nancement, l’adoption du calcul des marges en fonction du cycle intégral peut contribuer à empêcher les cycles de liquidité. Dans les marchés d’actifs plus vastes, les volants de fonds propres contracycliques peuvent être utilisés pour contrer la création excessive de crédit. Fait important à noter, à la suite de l’entente des dirigeants des pays du G20 à Séoul, le Comité de Bâle a approuvé ce cadre. Ces lignes de défense représentent des réponses imparfaites face à un climat mondial dif? cile, et la meilleure politique consiste à s’attaquer aux déséquilibres sous-jacents. Les pays doivent mettre en œuvre les réformes établies dans le Cadre du G20 pour une croissance forte, durable et équilibrée et son processus d’évaluation mutuelle. Cela implique notamment d’assainir les finances publiques, d’assurer une plus grande ? exibilité des taux de change dans les économies de marché émergentes, de mettre en œuvre des réformes structurelles pour stimuler la croissance et de poursuivre la réforme et le redressement du secteur ? nancier. Ces mesures, alliées à la vigilance des organes de supervision du secteur ? nancier et à la résistance des acteurs du marché à l’excès de con? ance, sont les meilleurs moyens de garantir la pérennité de la reprise.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 45 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique Les déséquilibres mondiaux existent depuis un certain temps déjà. Pendant de nombreuses années, ils ont été largement ignorés par les puissances économiques mondiales. Ces déséquilibres ont constitué un terreau favorable pour l’émergence d’une crise ? nancière majeure. Malheureusement, un grand nombre des mesures mises en œuvre en réponse à la crise ont exacerbé le potentiel de nocivité de ces déséquilibres. La manifestation la plus récente en a été le développement rapide des politiques non coopératives de chacun pour soi vers lesquelles nous entraîne l’absence de coordination des réponses apportées aux déséquilibres mondiaux. Dans un tel scénario, les responsables du G20 doivent être vigilants et consacrer leurs efforts à rechercher un accord possible sur les solutions à apporter aux déséquilibres sous-jacents ; faute de quoi, nous sèmerions les germes d’une nouvelle crise aux effets potentiellement plus dévastateurs. AGUSTÍN CARSTENS Gouverneur Banque du Mexique NB : Agustín Carstens tient à remercier Manuel Ramos Francia et Miguel Diaz Diaz pour leurs commentaires et leurs suggestions. L’argumentation présentée dans cet article n’engage que son auteur.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 46 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique Agustín Carstens L es déséquilibres mondiaux sont un phénomène très complexe qui résulte de l’interaction de fac teu r s mu lt iples. La mond ia l i sat ion des marchés de capitaux, une augmentation sans précédent de la consommation dans la première économie mondiale et l’émergence du pays le plus peuplé du monde en tant que puissance économique capable de produire des biens en très grandes quantités à très bas coûts sont quelques-uns des principaux éléments à l’origine de ces déséquilibres. Ils sont apparus il y a plus de dix ans sous la forme d’un dé? cit persistant du compte de transactions courantes des États-Unis et, par voie de conséquence, d’excédents dans un cer t ain nombre de pays, tout par t iculièrement en Ch ine. Aupa ravant, la pr incipa le inquiétude suscitée par cette situation était la possibilité qu’une correction rapide et désordonnée des déséquilibres ne précipite le monde dans une crise. Désormais, la préoccupation première a trait aux effets de l’éventuel développement des politiques non coopératives de chacun pour soi vers lesquelles nous entraîne la nécessaire correction des déséquilibres mondiaux, dans le contexte d’une crise ? nancière de grande ampleur, dont la résolution est toujours en cours. La question de l’importance de la contribution des déséqui l ibres mondiaux à la c r i se a été fréquemment posée. Si le rôle de ces déséquilibres dans le déclenchement de la crise ? nancière n’est pas unanimement reconnu, il semble qu’il existe un point d’accord sur l’existence d’une interaction forte entre les deux phénomènes. Avant la crise, le ? ot de ressources bon marché et abondantes disponibles dans le système ? nancier des États-Unis, caractéristique des déséquilibres mondiaux, a contribué à créer les conditions néces sai res à l ’appar i t ion des per turbat ions. Ces ressources étaient allouées aux différents secteurs de l’économie américaine, notamment l’immobilier résidentiel. L’ampleur de ces ? ux de capitaux, conjuguée aux insuf? sances désormais bien établies de la régulation et de la surveillance des institutions ? nancières, a nourri une envolée des prix des logements, qui s’est transformée en « bulle ». Cette évolution, associée à un marché hypothécaire extrêmement actif, s’est traduite par une augmentation importante de la richesse apparente de la population américaine. La bulle des prix de l’immobilier résidentiel qui s’est ainsi formée aux États-Unis a entraîné une hausse de la consommation supérieure aux niveaux compatibles avec le revenu permanent. Cette situation n’était pas inquiétante a priori car cette augmentation du patrimoine des ménages semblait être durable. Toutefois, a posteriori, il est devenu évident que la hausse des prix des logements n’était que temporaire. Par conséquent, les niveaux de consommation auxquels la société américaine s’était habituée sont devenus insoutenables, de nombreux ménages se retrouvant confrontés au remboursement d’une dette importante sans en avoir réellement la capacité. Voici donc le scénario qui s’annonce actuellement pour les États-Unis : une situation dans laquelle une réduction des niveaux et des pro? ls de consommation apparaît inévitable ; cependant les modalités de cet ajustement sont incertaines en raison de son ampleur, des instruments disponibles pour le maîtriser, et des complications politiques qui y sont liées. Une caractéristique principale de la crise récente est son caractère mondial et le fait qu’elle a ébranlé la stabilité du système ? nancier tout entier, provoquant la panique des investisseurs. Au plus fort de la crise, ? n 2008 et début 2009, les capitaux ont af? ué aux États-Unis sous l’effet de considérations paradoxales de « fuite vers les valeurs refuges » ; le paradoxe étant qu’en vertu de considérations de cet ordre, les ressources aient été dirigées vers un pays aux prises avec une crise bancaire, une politique budgétaire expansionniste, une orientation laxiste de la politique monétaire et d’importants dé? cits budgétaire et du compte de transactions courantes. Il est dif? cile d’envisager que des capitaux af? uent dans un pays présentant ces caractéristiques, mais c’est bien ce qui s’est produit pour les États-Unis, compte tenu de la solidité de ses institutions, de sa richesse, et de l’impression que le gouvernement américain disposait d’une assez grande latitude pour faire face aux circonstances (comme il l’a fait jusqu’ici). Mais ces phénomènes excluaient une dépréciation réelle substantielle du dollar, qui aurait allégé les coûts de transition de la sortie de crise et aurait contribué à atténuer les tensions imputables aux déséquilibres mondiaux, accélérant en fait leur correction. En ce sens, ces ? ux de capitaux ont désactivé l’un des principaux mécanismes de correction des déséquilibres. En effet, par le passé, c’est précisément un ajustement brutal du taux de change qui a constitué le principal mécanisme de correction lors des épisodes où des pays avaient accumulé des dé? cits non soutenables au plus fort des Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 47 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique Agustín Carstens déséquilibres budgétaires et de l’expansion monétaire et dans un contexte de véritable effondrement du système bancaire. Après l’éclatement de la crise, l’ampleur des déséquilibres mondiaux a nettement diminué, mais il semble que cette réaction ait essentiellement été un phénomène de court terme, les tendances antérieures ayant déjà réapparu. Cela souligne l’importance d’un suivi et d’une étude attentive des soldes des transactions courantes et d’autres agrégats pour évaluer les mesures qui doivent être prises a? n de réduire les éventuels risques qui y sont associés. S’agissant des pays qui se trouvent dans la situation opposée, les trois plus grandes économies après les États-Unis (à savoir la Chine, l’Allemagne et le Japon) dégagent un excédent persistant du compte de transactions courantes depuis un certain temps déjà. Toutefois, la Chine représente le cas le plus intéressant en raison du regard porté, à l’échelle internationale, sur la gestion de sa devise découlant de sa stratégie de croissance. Cela étant, il est logique de centrer l’analyse sur la Chine et les États-Unis, même si l’on doit garder à l’esprit que la Chine n’est pas l’unique contrepartie du dé? cit très important du compte de transactions courantes américain. Au total, et même si cela peut surprendre, les fondamentaux de l’économie chinoise vont dans le sens d’un taux de change réel relativement déprécié. En particulier, l’importance de l’épargne de précaution liée à l’absence de dispositifs de protection sociale, une stratégie en matière de réserves de change reposant sur l’acquisition de bons du Trésor américains qui s’explique par le sous-développement du système ? nancier chinois et un réservoir de main-d’œuvre très abondante et élastique (et donc à bas salaires réels) résultant de pro? ls de migration des zones rurales vers les centres de production, tous ces éléments contribuent à la compression de l’absorption, et par conséquent, au maintien d’un taux de change réel relativement déprécié. Dans ce contexte, pour traiter les déséquilibres mondiaux, il faut encourager les réformes structurelles visant à réduire les faiblesses sous-jacentes de pays comme la Chine qui limitent la ? exibilité du taux de change. La création de dispositifs de protection sociale en Chine et le développement de son système ? nancier pourraient réduire les niveaux d’épargne domestique et la dépendance vis-à-vis des bons du Trésor américains comme source principale d’actifs sans risque. De même, la Chine pourrait également autoriser les réserves de change à venir irriguer des secteurs qui ont été fermés et sont sous-développés, atténuant la pression à la baisse directe sur le taux de change et créant des sources réelles de développement sans qu’il soit nécessaire de maintenir un taux de change réel constamment sous-évalué. En effet, la nécessité d’une plus grande ? exibilité du taux de change des économies du G20 découle de la conviction qu’elle entraînerait une correction moins coûteuse des déséquilibres mondiaux en termes de croissance économique et de volatilité ? nancière. L’ajustement de la consommation aux États-Unis, rendu nécessaire par le processus de désendettement des ménages et la situation complexe du marché du travail américain, impliquent d’éventuels risques dé? ationnistes. Toutefois, l’enclenchement d’un processus dé? ationniste dans une économie dont le niveau d’endettement est élevé ne ferait qu’accentuer le problème. Compte tenu de cette situation complexe, il est compréhensible que la Réserve fédérale américaine mette en œuvre une politique monétaire extrêmement accommodante. Il est néanmoins regrettable que cette politique produise des effets indésirables à l’échelle mondiale. C’est précisément pour cette raison qu’il est urgent d’accroître la flexibilité du taux de change de certaines économies asiatiques, et particulièrement de la Chine, ce qui contribuerait à réduire le recours à une politique monétaire accommodante dans les économies avancées. Récemment, l’investissement dans les économies de marché émergentes est devenu plus attractif pour plusieurs raisons, notamment le taux de croissance plus élevé de ces pays, le fait qu’ils sortent de la crise sans avoir subi de dommages structurels signi? catifs et aussi la plus grande liberté dont ils disposent pour la mise en œuvre éventuelle de politiques visant à stimuler la croissance. Cependant, ce caractère relativement attractif des économies émergentes a été accentué par la politique d’expansion monétaire offensive menée par les États-Unis. Par conséquent, les ? ux de capitaux vers ces pays ont connu une augmentation massive. Cela pourrait être, en soi, un bon signe. Toutefois, la vitesse de ces entrées de capitaux et les montants qu’ils représentent peuvent constituer des forces déstabilisatrices, ce qui a suscité l’inquiétude de certaines économies tirées par les Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 48 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique Agustín Carstens exportations, dont la monnaie s’apprécie en termes réels au détriment de leurs secteurs exportateurs. À cet égard, il est important d’établir une distinction entre les pays dont les monnaies s’apprécient en raison de phénomènes structurels sous-jacents et ceux qui pâtissent pour l’essentiel de la politique monétaire anormalement laxiste menée par les économies avancées, en particulier les États-Unis. L’augmentation des ? ux de capitaux peut être une force puissante de développement ; cependant, pour en tirer le meilleur pro? t, il est nécessaire de différencier les capitaux destinés à ? nancer des projets à long terme des ressources à court terme qu’un pays attire simplement parce que les conditions monétaires sont laxistes dans d’autres pays. À cet égard, il est important que les économies émergentes prennent des mesures visant à stimuler les investissements dans des projets à long terme productifs et à réduire les entrées de capitaux susceptibles d’entraîner une hausse injusti? ée de la consommation intérieure. Il faut donc que ces pays s’ouvrent et permettent aux ? ux d’investissement de se diriger vers les secteurs dont l’accès est actuellement limité, de manière à tirer pleinement pro? t de l’augmentation des ? ux de capitaux. Certains pays prennent prétexte des externalités négatives que sont susceptibles de produire des entrées rapides et massives de capitaux pour justi? er l’introduction de taxes et autres contrôles sur ces capitaux, ainsi que la mise en œuvre d’une politique de change interventionniste. De telles réactions, conjuguées aux politiques monétaires laxistes des économies avancées, menacent la stabilité ? nancière et la croissance à long terme de l’économie mondiale en la plaçant au seuil d’une situation très délicate sur le marché des changes, dont personne ne ressort gagnant. Cela est dû au fait que, si les politiques mises en œuvre servent à résoudre des problèmes à court terme, elles créent en revanche des distorsions à long terme au sein de l’économie, nuisant ainsi à l’activité. En outre, l’ef? cacité de ces politiques est limitée en raison de l’internationalisation croissante des marchés de capitaux. La tendance à imposer des restrictions sur les ? ux de capitaux et des barrières commerciales, et même à se livrer une « guerre des monnaies » nous rappelle l’ère protectionniste sur laquelle nous nous étions employés avec tant de force à tirer un trait. Il est important de souligner que les pays qui refuseront de céder à ces pratiques sont davantage susceptibles de subir des coûts à court terme, mais il est aussi plus probable qu’ils tireront pro? t, dans le futur, de la stabilité des ? ux de capitaux et du fait de ne pas avoir introduit d’importantes distorsions dans leurs économies. Les responsables de la politique économique doivent donc effectuer un arbitrage entre court terme et long terme, qui rend la prise de décision dif? cile. À la lumière de l’expérience, il est plus fructueux de privilégier le long terme ; néanmoins, les circonstances peuvent conduire à adopter des mesures à contrecœur, lorsque la pression devient trop forte. Espérons seulement que, lorsqu’elles sont adoptées, ces mesures soient mises en œuvre de la manière la moins douloureuse possible. En résumé, il est donc urgent, à mon avis, que le monde évolue vers un scénario comportant une plus grande coordination entre les pays. Cela implique, à l’évidence, de manifester plus qu’un intérêt de pure forme au partage des responsabilités. D’une part, les pays excédentaires doivent mettre en place une politique structurelle propice à un taux de change réel d’équilibre plus élevé. D’autre part, les pays dé? citaires doivent adopter une politique compatible avec un taux de change réel d’équilibre plus faible, c’est-à-dire une politique qui reconnaisse la nécessité que le degré d’absorption de capitaux d’un pays soit soutenable à long terme et non une politique susceptible de comporter des externalités très négatives pour la plupart des pays et qui, en dé? nitive, ne ferait probablement que retarder les ajustements requis. Au niveau international, ce débat peut être comparé au classique « dilemme du prisonnier ». Si le statu quo permet d’obtenir un meilleur résultat, les incitations sont cependant telles que, si chacun des acteurs a intérêt à prendre une décision individuelle, la combinaison de leurs stratégies peut entraîner la ruine collective. Ainsi, les décideurs des pays du G20 doivent insister suf? samment sur le caractère répété de ce jeu pour rechercher l’équilibre le plus ef? cient en incitant les pays à coopérer. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 49 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique Agustín Carstens En conclusion, on peut af? rmer que les déséquilibres mondiaux ont constitué un terreau fertile pour l’éruption de la crise ? nancière. Lorsque celle-ci s’est matérialisée, elle a déstabilisé le secteur ? nancier à l’échelle internationale, ce qui a eu une incidence signi? cative sur les perspectives de croissance des principales économies avancées. En outre, l’atonie de l’économie observée après les turbulences a incité les responsables de la politique économique à tenter de stimuler la croissance au moyen d’un large éventail de politiques expansionnistes. Un scénario dans lequel les déséquilibres mondiaux ne seraient pas corrigés peut aggraver la situation de l’économie mondiale. Parmi les sources de préoccupation ? gure le fait que certains pays développés af? chent une dette publique importante et en hausse, en raison des programmes de relance onéreux qu’ils ont adoptés et des coûts de ren? ouement, et que les politiques mises en œuvre entraînent une distorsion de plus en plus importante des ? ux de capitaux et des conditions monétaires, l’intention (parfois déguisée) étant de disposer d’un avantage sur les autres pays. Dans ce scénario, les décideurs doivent être vigilants et chercher des solutions créatives à ces nouvelles conditions ; sinon, il se pourrait que nous soyons en train de faire le lit d’une nouvelle crise, potentiellement plus préjudiciable et dévastatrice.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 51 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Les réponses apportées par les autorités à la crise mondiale ont contribué à stabiliser les économies et ont contenu la menace de l’instabilité ? nancière. Cependant, l’augmentation de la dette souveraine, l’affaiblissement du système ? nancier et la disparité des perspectives de croissance économique à l’échelle mondiale risquent de faire apparaître de nouveaux déséquilibres et de nouvelles vulnérabilités. Pour limiter ces risques, il est essentiel de remédier aux défaillances aussi bien au niveau macroéconomique que sur les marchés ? nanciers. La régulation des marchés ? nanciers et la surveillance bancaire font d’ores et déjà l’objet d’importantes modi? cations. Au niveau macroéconomique, les efforts visent à renforcer la coordination des politiques économiques dans le cadre du G20. De nouvelles institutions, telles que les autorités macroprudentielles, sont mises en place dans de nombreux pays pour surveiller et s’opposer à l’apparition d’un risque systémique. Il existe cependant plusieurs domaines dans lesquels les cadres mis en place par les autorités doivent être encore renforcés. Au niveau international, il faut rééquilibrer la demande mondiale entre pays excédentaires et pays dé? citaires et garantir le retour à une croissance durable, en évitant les mesures de politique économique contradictoires, susceptibles de créer une instabilité. Des politiques macroprudentielles ef? caces nécessitent une dé? nition claire des responsabilités et doivent être cohérentes avec les politiques monétaires. En Europe, la gouvernance économique doit être plus ef? cace a? n de favoriser une plus grande intégration économique et renforcer l’euro, ce qui suppose notamment de dé? nir des règles plus strictes concernant les politiques budgétaires, d’exercer une surveillance plus vaste des déséquilibres macroéconomiques et d’élaborer un mécanisme ef? cace de gestion des crises. MARIO DRAGHI Gouverneur Banque d’ItalieDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 52 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi 1| LA REPRISE APRÈS LA GRANDE RÉCESSION : LES RISQUES ET LES PRIORITÉS QUI NOUS ATTENDENT Jusqu’à présent, la reprise économique a été soutenue dans les pays émergents, plus faible qu’il ne serait nécessaire pour réduire le chômage aux États-Unis, et inégale et globalement peu dynamique dans la zone euro. Les réponses apportées par les autorités ont varié selon la situation conjoncturelle et les priorités de politique économique des différents pays. Dans les économies avancées, les politiques monétaires demeurent accommodantes pour favoriser un meilleur ancrage de la reprise. Cependant, les anticipations de maintien des taux d’intérêt à un bas niveau durant une période prolongée pourraient encourager une prise de risque excessive sur les marchés ? nanciers, créant des distorsions de prix d’actifs et des vulnérabilités. Durant les années qui ont précédé la crise, la persistance d’un bas niveau des taux d’intérêt à l’échelle mondiale et les anticipations d’une s tabi l i té mac roéconomique pers i s tante (la « grande modération ») ont amené les intervenants de marché à sous-estimer les risques associés à de nombreuses catégories d’actifs. Cela a contribué à créer un environnement ? nancier favorisant l’explosion de la dette privée et à l’accentuation des déséquilibres extérieurs. La diminution des primes de risque et de liquidité résultant de la « quête de rendement » a fortement incité les institutions ? nancières à accroître leur endettement 1 . Ces phénomènes pourraient réapparaître au moment où les systèmes économiques et ? nanciers se remettent de la crise, à moins que leurs causes sous-jacentes ne soient traitées. D’où la nécessité pour les banques centrales de procéder à une correction rapide et déterminée de la politique monétaire, une fois que les conditions macroéconomiques le permettront, et pour la politique prudentielle et réglementaire de contenir l’accumulation des risques par les institutions ? nancières. En Europe, les politiques budgétaires sont désormais clairement axées sur la réduction des déficits publics et sur la limitation de la croissance de la dette, ce qui n’est pas encore le cas ailleurs. Il est essentiel que les gouvernements procèdent aux ajustements budgétaires qu’ils se sont engagés à mettre en œuvre, notamment dans les pays de la zone euro où les préoccupations concernant la soutenabilité de la dette publique sont les plus vives. À plus long terme, une position budgétaire solide est également indispensable pour faire face aux pressions qu’engendre le vieillissement de la population. Dans les pays où les dépenses liées au vieillissement devraient augmenter de manière signi? cative, il est urgent de réformer les régimes de retraite, le système de santé et le dispositif des soins de longue durée. Les politiques structurelles visant à renforcer la croissance peuvent alléger la charge de l’ajustement budgétaire et le rendre crédible. La situation sur les marchés ? nanciers internationaux s’est nettement améliorée depuis la phase la plus aiguë de la crise, mais des tensions subsistent. En Europe, notamment, l’interaction entre le risque souverain et la fragilité de certains pans du secteur bancaire est encore source de tensions signi? catives. L e s d é s é q u i l i b re s m o n d i a u x , q u i s ’ é ta i e n t temporairement atténués sous l’effet de la récession, commencent de nouveau à s’accentuer. Les ? ux de capitaux en direction de certains marchés émergents, favorisés par les écarts de taux d’intérêt, exercent une pression sur les taux de change. Certains pays ont recours aux interventions sur les marchés de change pour freiner l’appréciation de leur monnaie et soutenir ainsi leurs exportations. Les déséquilibres extérieurs ne sont pas nécessairement mauvais en soi. Dans les économies ouvertes, l’épargne doit, dans l’idéal, servir à ? nancer les projets les plus productifs, des déséquilibres pouvant alors apparaître naturellement en raison des différences de comportement en matière d’épargne, des écarts de rendement du capital, ou des divers degrés de risque ou de liquidité des différents actifs. En revanche, des déséquilibres persistants peuvent être le symptôme de distorsions plus fondamentales, si les incitations à épargner et à investir ainsi que l’évaluation du risque et de la liquidité présentent elles-mêmes des distorsions. Le caractère irrégulier de la reprise, la divergence des politiques économiques, la persistance du bas niveau des taux d’intérêt, les risques liés à l’augmentation 1 Cf., notamment, Adrian et Shin (2008) et Brunnermeier (2009)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 53 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi de la dette souveraine, les déséquilibres importants dans les systèmes de paiement et les pressions qui s’exercent sur les taux de change sont autant de facteurs qui constituent une importante menace pour l’économie mondiale. Pour réduire ces risques de manière ef? cace et amener la reprise sur un terrain plus sûr, les responsables de la politique économique doivent prendre des mesures dans de nombreux domaines. La suite du présent article se concentre sur trois d’entre eux. Premièrement, le cadre pour la coordination internationale doit être amélioré de manière signi? cative : nous devons à présent renforcer les dispositifs de coopération susceptibles de soutenir la croissance et de rendre le système économique et ? nancier mondial moins sujet aux excès et aux crises, ce qui passe par la ? nalisation de la réforme de la régulation ? nancière. Deuxièmement, nous devons conduire des politiques macroprudentielles bien conçues qui, conjointement avec des politiques monétaires garantissant la stabilité des prix, limitent l’apparition de déséquilibres ? nanciers. Troisièmement, il est urgent de réformer le cadre de la gouvernance économique en Europe. 2| LA COORDINATION INTERNATIONALE : LE CADRE DU G20 Lors du sommet de Pittsburgh en 2009, les pays du G20 se sont engagés à travailler ensemble pour garantir une reprise durable et placer l’économie mondiale sur une trajectoire de croissance forte et durable à moyen terme. C’est dans cette optique qu’a été créé le Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée. Ce cadre repose sur un processus multilatéral par le biais duquel les pays du G20 recensent les objectifs pour l’économie mondiale ainsi que les politiques nécessaires à leur réalisation. L’évaluation de la cohérence mutuelle de ces politiques constitue l’objectif de l’« évaluation mutuelle » (Mutual Assessment Process, MAP) des progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs partagés. En particulier, des déséquilibres majeurs et persistants justi? ent que la nature et les causes profondes des obstacles au rééquilibrage soient évaluées dans le cadre du processus d’évaluation mutuelle. Des lignes directrices indicatives, composées d’une série d’indicateurs, serviraient de mécanisme pour faciliter l’identi? cation précoce de déséquilibres majeurs nécessitant de prendre des actions préventives et correctives. Comme en a convenu le G20, le schéma de la demande doit devenir plus équilibré à l’échelle mondiale. Dans les économies af? chant d’importants excédents extérieurs et des réserves élevées, les politiques devraient avoir pour objectif de stimuler la demande privée. Dans la plupart des économies avancées, des politiques axées sur l’offre et des réformes structurelles devraient renforcer la croissance potentielle. Ces conclusions découlent du constat dif? cilement obtenu que l’action collective est inévitable et de nature à accroître la prospérité. Des progrès sont en passe d’être accomplis, mais d’importants dé? s subsistent a? n de parvenir à l’objectif d’une croissance forte, durable et équilibrée. En particulier, seules des mesures limitées ont été prises en faveur du rééquilibrage extérieur. Les domaines prioritaires sont les suivants : les réformes structurelles et une plus grande ? exibilité du taux de change a? n de renforcer la demande intérieure dans les économies émergentes, la poursuite de l’assainissement budgétaire dans les économies avancées à l’aide de mesures propices à la croissance et la réforme des marchés de produits et du travail dans l’ensemble des pays du G20 a? n d’accroître leur capacité productive. S’attaquer au problème des déséquilibres extérieurs est primordial. On peut se demander ce qu’il serait advenu de l’économie mondiale si ce rééquilibrage avait eu lieu en temps voulu. Un scénario contrefactuel de ce type a été étudié à la Banque d’Italie 2 , pour la période allant de 2002 à 2007. Dans l’ensemble, les résultats de cet exercice, obtenus par simulation d’un modèle macroéconométrique mondial, mettent en lumière la complémentarité des mesures prises par les autorités dans les pays dé? citaires et excédentaires pour corriger les déséquilibres à la fois internes et mondiaux. Durant la période de simulation, les États-Unis auraient connu un ralentissement de leur activité, et non la très forte baisse enregistrée 2 Cf. Catte et al. (2010)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 54 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi lors de la dernière récession. Point important, la hausse des prix des logements aurait été beaucoup moins prononcée et plus conforme à l’expérience historique, et l’amélioration du solde courant aurait été substantielle. À l’échelle mondiale, la dispersion des soldes courants serait demeurée quasiment inchangée, alors qu’elle a en fait doublé 3 . S’il n’existe aucune garantie que la Grande récession aurait pu être évitée, l’environnement mondial aurait néanmoins été beaucoup plus équilibré. Par conséquent, la propagation de la crise aurait probablement été moins destructrice, dans la mesure où le système ? nancier américain et l’économie mondiale auraient été moins vulnérables. Dans un système mondial où les déséquilibres extérieurs demeurent importants et où les ? ux de capitaux peuvent s’inverser brutalement, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur un système f inanc ier à la foi s ef f i c ient et plus robus te, imperméable aux incitations perverses qui ont entraîné l’accumulation de risques excessifs à l’origine de la crise. Sous l’égide du G20 et grâce aux travaux du Conseil de stabilité ? nancière et de ses membres, la réforme des règles régissant le système ? nancier mondial progresse à grands pas. Notre but consiste à recréer un système ? nancier caractérisé par un niveau d’endettement moins élevé, une transparence accrue qui nous permette d’identi? er et de gérer les risques, une surveillance prudentielle et réglementaire renforcée et où la défaillance de certains intermédiaires en dif? culté n’entraîne pas forcément de perturbations majeures pour le reste du système ni pour l’économie réelle. Les nouvelles règles de Bâle constituent une étape majeure de la réforme. Elles introduisent une dé? nition homogène des fonds propres bancaires dans les différents pays, elles améliorent de manière signi? cative tant la qualité que la quantité de ces fonds propres, renforçant ainsi la capacité des banques à absorber les pertes, elles limitent leur endettement, tant au bilan qu’au hors bilan, elles dé? nissent de nouvelles normes de liquidité, réduisant ainsi l’inadéquation de la liquidité au sein du système. Les nouvelles règles sont introduites de manière progressive a? n de préserver la capacité du système bancaire à ? nancer l’économie. La deuxième étape consiste à traiter la question des risques créés par les institutions ? nancières d’importance systémique (SIFI), institutions qui, en raison de leur taille, de leur complexité et de leur présence dans les parties vitales du système ? nancier mondial sont susceptibles, en cas de dif? cultés, de menacer l’ensemble du système et doivent donc à tout prix être ren? ouées. En novembre dernier, le G20 a entériné les propositions du Conseil de stabilité ? nancière concernant ces institutions, qui reposent sur quatre piliers : i) La mise en œuvre dans chaque pays d’un cadre de résolution permettant aux autorités de procéder à la résolution des SIFI sans déstabiliser gravement le système ? nancier et sans en faire assumer le coût aux contribuables ; pour y parvenir, nous devons modi? er nos législations nationales à l’aide des pouvoirs et des outils juridiques et statutaires requis a? n de transférer les activités ou créer des banques relais (bridge banks) pour maintenir les services ? nanciers essentiels et imposer les pertes aux créanciers. Nous devons également mettre en place des accords au niveau international entre les autorités du pays d’origine et du pays d’accueil, qui dé? nissent clairement les rôles et les responsabilités en matière de résolution d’une institution. ii) L’obligation pour les SIFI, en particulier au niveau mondial (G–SIFIs), de disposer d’une capacité d’absorption des pertes plus élevée que les intermédiaires qui ne présentent pas d’importance systémique, supérieure aux exigences minimales dé? nies dans Bâle III. Une solution consisterait à introduire une surcharge en capital, ou un niveau minimal de capital contingent, ou encore l’obligation d’émettre un certain montant de dette dite « bail-in-able » (permettant d’imposer des pertes aux créanciers ou d’être converties en actions lorsque la banque est en dif? culté). Ces derniers instruments contribueraient également à discipliner les créanciers et les actionnaires, réduisant ainsi les risques d’aléa moral posés par les institutions « trop importantes pour faire faillite » (too-big-to-fail). 3 La dispersion correspond à la somme des valeurs absolues du solde courant aux États-Unis, au Japon, en Allemagne et en Chine, pondérées par le PIB mondial.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 55 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi iii) La mise en place d’une surveillance plus ef? cace et plus approfondie des SIFI, proportionnelle à leur taille et à leur complexité. Dans de nombreux pays, cela nécessitera de renforcer les mandats, l’indépendance, les ressources et les pouvoirs des autorités de surveillance. iv) L’amélioration des infrastructures critiques, notamment la normalisation des produits dérivés échangés de gré à gré ainsi que la mise en place de plateformes de négociation régulées avec compensation par des contreparties centrales ; ces mesures contribueront à réduire la contagion d’une institution à l’autre en cas de défaillance de l’une d’entre elles et garantiront que les infrastructures clés ne constituent pas elles-mêmes une menace systémique. Les travaux du Conseil de stabilité ? nancière portent également sur un autre problème apparu à l’occasion de la dernière crise : le rôle et le fonctionnement des agences de notation de crédit. Il s’agit d’éviter la dépendance excessive et mécanique des institutions et des marchés à l’égard des notations of? cielles, notamment en retirant les références aux agences de notation dans les textes de loi, et de limiter de la sorte les inconvénients les plus évidents du système actuel, du point de vue de la procyclicité et des tensions potentiellement déstabilisatrices pour les marchés. Enfin, nous devons empêcher que l’arbitrage réglementaire aboutisse à une accumulation de risques dans le « système bancaire parallèle » (shadow banking system) qui, bien que gravement touché par la crise et par les contrôles plus stricts qui en ont découlé, continue de jouer un rôle majeur dans le processus de transformation de la liquidité et d’intermédiation du crédit. La mise en place d’une protection réglementaire pour remédier aux risques liés à la résurgence de l’activité bancaire parallèle sera l’une des principales priorités du Conseil de stabilité ? nancière au cours des prochaines années. Nous ne pourrons jamais éviter toutes les crises. Mais les évolutions en cours contribueront de manière signi? cative à réduire la probabilité qu’elles surviennent ainsi que leur ampleur. 3| LES POLITIQUES MACROPRUDENTIELLES ET LEUR INTERACTION AVEC LA POLITIQUE MONÉTAIRE L’élaboration de politiques macroprudentielles bien conçues constitue un autre grand axe qui se dessine dans le paysage international. Dans le monde entier, on assiste à la création de nouvelles institutions chargées de contrôler et de limiter les déséquilibres mondiaux et le risque systémique. Il s’agit notamment du cadre d’évaluation des vulnérabilités ? nancières au niveau mondial mis en place par le FMI et le CSF, de la création du Financial Stability Oversight Council (FSOC) aux États-Unis et du Comité européen du risque systémique (CERS) dans l’Union européenne, ainsi que d’initiatives similaires dans d’autres pays. Dans ce domaine, un certain nombre de dé? s doivent être relevés par les autorités. Une première question fondamentale porte sur les objectifs de la politique macroprudentielle. L’objectif ? nal de cette politique doit être la stabilité ? nancière. Or, il est dif? cile d’en fournir une mesure ou une approximation. Les crises financières sont des événements peu fréquents, susceptibles de revêtir des formes diverses et de résulter de différents facteurs. Par conséquent, la politique macroprudentielle est plus dif? cile à rendre opérationnelle que, par exemple, la politique monétaire, pour laquelle il existe un mandat clair (stabilité des prix, objectifs d’in? ation) qui s’accompagne d’indicateurs (mesures de l’in? ation) et d’instruments (taux d’intérêt à court terme) relativement précis. Dans ce contexte, quand on cherche à dé? nir le mandat de l’autorité macroprudentielle, il faut effectuer un arbitrage entre la clarté et la spéci? cité, d’une part, et la robustesse, de l’autre. À un extrême, il est possible de dé? nir des objectifs « au sens large », par exemple réduire la probabilité et la gravité des crises ? nancières, ainsi qu’assurer la résistance du système ? nancier. Cette formulation du mandat a été retenue pour les principales instances macroprudentielles créées dans le sillage de la crise ? nancière, notamment le CERS et le FSOC. À l’autre extrême, des objectifs « spécifiques » pourraient être fixés, visant, par exemple, la « modération du cycle de crédit ». Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 56 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi Un mandat « large » est exhaustif et oblige l’autorité macroprudentielle à se préoccuper de toutes les sources potentielles de crise. Parallèlement, du fait même de cette caractéristique, cette autorité a plus de dif? cultés à justi? er clairement ses actions. Les alertes sur les risques ou les recommandations reposant sur un ensemble d’analyses pourraient aisément être remises en cause par les intéressés sur la base d’une autre série d’analyses. De plus, il n’est pas évident de déterminer comment l’on pourrait évaluer le respect de ce mandat. En moyenne, une crise ? nancière survient tous les vingt ans. En dehors des périodes de crise ? nancière, il est dif? cile de tenir l’autorité macroprudentielle pour responsable (de cette absence de crise ? nancière), de sorte que mesurer ses performances peut être très délicat. En revanche, si un mandat « spécifique » était retenu, (la modération du cycle de crédit par exemple) il serait relativement simple de le dé? nir et d’en assurer le suivi. Les alertes sur les risques ou les recommandations reposant sur ce type de mandat seraient plus dif? ciles à remettre en cause et pourraient déclencher une action plus rapide et ef? cace. Un mandat « spéci? que » simpli? erait également les questions de responsabilité. Toutefois, dans ce cas, l’autorité macroprudentielle ne saurait être tenue responsable de ne pas agir en fonction des signaux et des événements hors du champ de son mandat : il serait dif? cile de lui reprocher le développement d’une crise en période de faible croissance du crédit, par exemple, parce que la croissance du crédit serait intervenue en dehors de la dé? nition of? cielle du crédit. Au total, le choix d’un mandat « large » par le CERS et le FSOC est tout à fait justi? é. Néanmoins, les régulateurs et les autorités macroprudentielles elles-mêmes devraient être conscients des risques que posera cette formulation au cours des prochaines années, qui seront décisives pour la mise en place et la réussite des nouvelles politiques. Des difficultés similaires se font jour pour la dé? nition des outils appropriés pour les politiques macroprudentielles. Un risque ? nancier systémique peut provenir de nombreuses sources, de sorte que dans certains cas, il peut être nécessaire de recourir à des instruments très différents. Cela implique qu’en général, les autorités macroprudentielles devront agir « par l’intermédiaire » d’autres autorités, par exemple celles qui sont chargées des politiques microprudentielles, budgétaires ou couvrant d’autres domaines économiques. Parallèlement, il apparaît que les crises ? nancières sont souvent associées à d’importantes ? uctuations du crédit et des prix des actifs. Selon la plupart des analyses, y compris celles de la Banque d’Italie, pour modérer la croissance du crédit et des prix des actifs et réduire la probabilité des crises ? nancières, le recours à des instruments comme les variations contracycliques des exigences en fonds propres des banques ou des ratios rapportant le montant du prêt accordé à la valeur du bien acquis (loan-to-value) pourrait s’avérer utile. Par conséquent, les instruments des politiques macroprudentielles affecteront des variables qui sont également affectées par la politique monétaire, comme l’offre de crédit ou les taux appliqués aux prêts. L’interaction potentielle entre ces deux types de politiques doit être bien comprise et prise en compte. Comme l’a récemment souligné Christian Noyer 4 , les objectifs des politiques macroprudentielles et des politiques monétaires doivent rester bien distincts. En particulier, la crise a renforcé les arguments en faveur d’une politique monétaire demeurant fermement axée sur le maintien de la stabilité des prix : les anticipations d’in? ation sont demeurées solidement ancrées pendant la crise, donnant aux autorités monétaires la ? exibilité nécessaire pour réagir avec vigueur à la récession, notamment par des mesures non conventionnelles. Alors que la stabilité des prix demeure l’objectif principal, l’un des enseignements à tirer de la crise est manifestement que la politique monétaire doit être mieux préparée à contrer les évolutions de la monnaie et du crédit susceptibles de susciter l’apparition de déséquilibres financiers, même en l’absence de risques d’in? ation immédiats 5 . À cet égard, la politique monétaire peut recevoir un 4 Cf. Noyer (2010) 5 Il a été souligné, en particulier dans les travaux de la BRI (cf. par exemple, Borio et Lowe, 2004) que grâce au succès des politiques de macrostabilisation et aux modi? cations structurelles intervenues dans la réactivité de l’offre globale (en partie sous l’effet de la mondialisation), les anticipations d’in? ation sont désormais ancrées beaucoup plus fermement, et les épisodes de création excessive de liquidité et de crédit tendent à se re? éter fondamentalement dans des bulles de prix d’actifs plutôt que dans des hausses des prix à la consommation. De plus, les cycles de prix d’actifs tendent à être associés à d’importantes modi? cations de l’endettement et à aggraver les vulnérabilités ? nancières, créant ainsi d’importants risques pour la stabilité macroéconomique à moyen et long terme (Visco, 2009).Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 57 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi soutien important des politiques macroprudentielles : en réduisant la procyclicité de la création de crédit, elles peuvent contribuer à atténuer le cycle économique. C e p e n d a n t , l a c o o rd i n a t i o n e n t re l ’ a u to r i t é macroprudentielle et la banque centrale peut présenter des défaillances. La principale question qui se pose est celle de la relation entre le taux directeur et les « nouveaux » instruments mac roprudent iel s. I l es t néces sai re de bien appréhender les effets macroéconomiques des politiques macroprudentielles. Tel est le cas, en particulier, si l’on accepte l’idée selon laquelle les outils macroprudentiels, tels que les coussins de fonds propres, devraient être maniés de façon discrétionnaire. L’analyse théorique et empirique de l’interaction entre les politiques monétaire et macroprudentielle en est encore à ses débuts ; il conviendra de faire avancer la recherche sur ces questions. Selon les études actuellement menées à la Banque d’Italie, des politiques macroprudentielles fondées sur des instruments contracycliques tels que des volants de fonds propres ou des ratios loan-to-value pour lisser les ? uctuations de l’activité de prêt pourraient contribuer à atténuer les ? uctuations de la production. Toutefois, un manque de coopération entre les autorités monétaires et macroprudentielles peut créer le risque d’une défaillance de la coordination et de résultats macroéconomiques sous-optimaux (comme une forte instabilité des instruments des politiques macroprudentielles et monétaires) 6 . Ces résultats sont dus au fait que les politiques macroprudentielles et monétaires affectent des variables macroéconomiques étroitement liées, tout en ayant des objectifs différents, de sorte qu’elles peuvent parfois donner des impulsions qui ne vont pas dans la même direction. À cet égard, les nouveaux dispositifs institutionnels européens semblent conçus de façon appropriée. Dans l’Union européenne, la cohérence entre les politiques macroprudentielle et monétaire sera assurée par la composition du CERS, au sein duquel les banques centrales jouent un rôle prédominant. De plus, les con? its potentiels entre ces deux politiques seront limités par le fait que les outils et les actions de la politique macroprudentielle seront normalement plus sélectifs et mieux dé? nis au plan sectoriel et géographique que ce n’est le cas pour la politique monétaire. 4| UNE NOUVELLE GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE Les récentes turbulences sur les marchés ? nanciers, particulièrement celles qui sont associées à la crise de la dette souveraine dans certains pays de la zone euro, ont douloureusement souligné le fait que l’intégration et l’interdépendance économiques créées par la monnaie commune nécessitent une plus forte coordination des politiques économiques et le renforcement de la gouvernance. L’Union monétaire n’est pas en question. Il existe un fort intérêt commun à préserver l’euro, qui noue un lien entre tous les pays participants, ceux dont la situation est solide comme ceux qui connaissent actuellement des dif? cultés. Depuis sa création, l’euro s’est érigé en monnaie stable et crédible sur les marchés internationaux ; pendant la crise, il a constitué un ancrage de stabilité. Il représente une étape cruciale vers le renforcement de l’unité e u ro p é e n n e. L e p ro c e s s u s e s t c e r ta i n eme n t incomplet et comporte des zones de fragilité, dont certaines ont été mises en évidence par la crise. Il nous faut affronter ces épreuves en avançant, non en reculant. Les responsables européens doivent désormais axer leur action sur au moins trois domaines : Premièrement, ils doivent procéder aux ajustements budgétaires propices à la croissance qu’ils se sont engagés à mettre en œuvre. Deuxièmement, ils doivent s’attacher aux réformes structurelles dont l’Europe a besoin pour stimuler la croissance potentielle ; les problèmes actuels de nombreux pays proviennent tout autant d’un endettement excessif que de la faible croissance économique anticipée pour les années à venir. 6 Cf. Angelini, Neri et Panetta (2010). Bean et al. (2010) ont obtenu des résultats similaires.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 58 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi Troisièmement, il leur faut trouver un accord sur une réforme en profondeur de la gouvernance économique européenne. La crise a mis en lumière des carences majeures. Les règles et procédures budgétaires n’ont pas été en mesure de garantir la mise en œuvre de politiques prudentes : de nombreux États membres sont entrés dans la crise avec une dette publique déjà élevée et des marges de manœuvre insuf? santes ; dans le cas de la Grèce, la surveillance n’a pas même garanti l’utilisation d’une comptabilisation appropriée ni de normes statistiques saines. De plus, les déséquilibres macroéconomiques n’ont pas été suf? samment pris en compte dans la conception de la gouvernance de l’Union économique et monétaire : les tensions n’ont pas frappé seulement les pays qui avaient des problèmes de ? nances publiques mais aussi ceux qui présentaient un dé? cit extérieur élevé, une croissance déséquilibrée et/ou un secteur privé fortement endetté. En? n, il n’existait pas non plus de cadre approprié permettant de sauvegarder la stabilité ? nancière de la zone euro en situation de crise. Des propositions de réforme ont été formulées dans ces trois domaines par la Commission européenne et le groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy. En ce qui concerne la surveillance en matière budgétaire, le rapport du Groupe de travail énonce que « le critère de dette… devrait être rendu opérationnel pour être effectivement appliqué ». On ne peut que se féliciter de cette proposition. À la vérité, si le Traité de Maastricht impose aux pays qui présentent une dette publique élevée de la réduire « à un rythme satisfaisant », cette disposition n’a jamais été effectivement appliquée. Le rapport envisage également une plus large palette de sanctions, tant ? nancières que politiques, à appliquer progressivement en commençant à un stade précoce dans le processus de surveillance budgétaire, a? n de renforcer les incitations à se conformer aux règles en période de conjoncture favorable. Toutefois, les procédures demeurent trop longues et largement déterminées par les décisions discrétionnaires du Conseil européen. C’est là le problème fondamental de la surveillance multilatérale dans sa conception actuelle. Il n’existe pas d’instance indépendante de mise en œuvre des règles européennes : les superviseurs sont les supervisés eux-mêmes. En ce qui concerne la surveillance des déséquilibres macroéconomiques, le Groupe de travail propose un mécanisme d’alerte reposant sur l’analyse des évolutions macroéconomiques et de la compétitivité, e t u n m é c a n i s m e d e m i s e e n a p p l i c a t i o n comportant des sanctions si un pays « en situation de déséquilibre excessif » ne se conforme pas aux recommandations du Conseil. Comme il ressort de la crise, les déséquilibres macroéconomiques peuvent entraîner des évolutions non soutenables et avoir des effets de contagion dangereux pour d’autres pays 7 . Toutefois, la conception et la mise en œuvre de contrôles effectifs dans ce domaine présentent certaines dif? cultés. Premièrement, la détection rapide des déséquilibres macroéconomiques peut êt re problémat ique ; deuxièmement , t rouver un consensus sur les pol i t iques appropr iées pour s’attaquer aux problèmes structurels n’est pas s imple, à tout le moins. Pour évi ter de longues négociations stériles entre le Conseil, la Commission et le pays examiné, il faut des procédures transparentes, un engagement sans équivoque de la part des États membres et il faut aussi s’attacher à un nombre limité d’indicateurs, ceux qui ont directement trait aux menaces pesant sur la stabilité ? nancière. Dans ce domaine, j’espère que le CERS apportera une contribution importante à l’analyse et à la prévention de certains des déséquilibres majeurs. En? n, il est important que la zone euro se dote d’un cadre qui lui permettre de faire face à de graves difficultés financières et d’éviter la contagion. Les conséquences de l’absence d’un mécanisme bien conçu de résolution des crises sont clairement apparues au printemps dernier lors de la crise grecque : l’incertitude a accru les coûts de ? nancement pour la quasi-totalité des pays membres, y compris pour ceux qui apportaient leur soutien ? nancier. Un cadre de gestion des crises doit être élaboré pour garantir des incitations appropriées pour les pays demandeurs de soutien ? nancier et pour les marchés privés du crédit a? n de limiter le risque d’aléa moral. À ? n novembre 2010, l’Eurogroupe s’est mis d’accord sur les principales caractéristiques d’un cadre de gestion des crises visant à sauvegarder la stabilité ? nancière de la zone euro dans son ensemble. En particulier, il a souligné (i) que l’aide sera conditionnée à un programme strict d’ajustement économique et 7 Cf., par exemple, Giavazzi et Spaventa (2010)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 59 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi budgétaire et reposera sur une analyse approfondie de la soutenabilité de la dette et (ii) clari? é le fait que le mécanisme ne représente pas un sauvetage inconditionnel et qu’il existe toujours une possibilité que les créanciers privés subissent des pertes si le pays concerné ne réussit pas à procéder à l’ajustement nécessaire. Ces propositions vont dans le bon sens. Toutefois, nombre de questions importantes doivent encore être réglées. C’est là une illustration classique du proverbe qui veut que « le diable se cache dans les détails ». Seule une manifestation claire de coopération, de solidarité et de constance permettra de renforcer la Communauté européenne et l’euro. Les réponses des autorités à la crise mondiale ont contribué à stabiliser la con? ance et à limiter la menace de l’instabilité ? nancière. Les pays ont mené une action conjointe au plus fort de la crise. Toutefois, malgré les annonces relatives à l’importance de la coordination, ils ont ensuite eu recours à des politiques adoptant une optique essentiellement nationale. Renforcer la coordination multilatérale en vue de limiter les distorsions au niveau mondial demeure une priorité. En fait, la forte accumulation de dette publique et une situation prolongée de liquidité abondante font désormais courir le risque de voir apparaître de nouveaux déséquilibres et de nouvelles vulnérabilités. Il est également essentiel de mener résolument les réformes de la réglementation et de la supervision ? nancière déjà préparées par le Conseil de stabilité ? nancière et le Comité de Bâle. Ces réformes rendront les systèmes ? nanciers plus résistants et moins procycliques et corrigeront les distorsions des incitations qui ont joué un rôle important dans cette crise. En général, cette approche suggère qu’il faut s’efforcer d’améliorer la gouvernance mondiale. Après tout, les problèmes mondiaux doivent être résolus à l’échelle mondiale, ce qui suppose que des organisations internationales comme le FMI et les forums internationaux comme le G20 doivent jouer un rôle important, parallèlement à des normes et des codes internationaux plus stricts. En Europe, les pays ont répondu à la crise à la fois individuellement, en prenant des mesures de politique budgétaire en vue de contenir le risque souverain et de prévenir la contagion, et collectivement, par la mise en place de nouvelles institutions et de nouvelles règles. Ce processus n’est pas encore achevé. Les pays dotés des institutions publiques les plus faibles n’étaient pas en mesure de surmonter leurs dif? cultés économiques sans aide extérieure. Les règles européennes étant quasi automatiques, rapides et sensibles aux signaux des marchés, ces pays peuvent s’appuyer sur les nations plus solides pour faire preuve de la détermination qui leur fait défaut. Une politique monétaire qui assure la stabilité des prix à moyen terme et un cadre plus robuste de contrôle des dé? cits publics sont fondamentaux. Il est également essentiel de restaurer la croissance économique pour maintenir la stabilité des prix. C’est sur cet axe que la cohésion de l’Union sera mise à l’épreuve : la capacité de favoriser une croissance harmonieuse et soutenue pour l’ensemble des États membres, avec des règles communes qui, comme celles régissant les ? nances publiques, vont aider les pays à la traîne à entreprendre les réformes structurelles nécessaires.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 60 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Mario Draghi BIBLIOGRAPHIE Adrian (T.) et Shin (H.), (2008a) “Liquidity and ? nancial cycles”, document de travail de la BRI, n° 256 Angelini (P.), Neri (S.) et Panetta (F.) (2010) “ M o n e t a r y a n d M a c r o p r u d e n t i a l P o l i c i e s ”, Banque d’Italie, mimeo Bean (C.) (2010) “The Great Moderation, the Great Panic, and the Great Contraction”, Journal of the European Economic Association, 8/ 2-3 : 289–325 Bean (C.), Paustian (M.), Penalver (A.) et Taylor (T.) (2010) “Monetary policy after the fall”, intervention lors de la conférence annuelle de la Banque fédérale de réserve de Kansas City, Jackson Hole, Wyoming Borio (C.) et Lowe (P.) (2004) “Securing sustainable price stability: should credit come back from the wilderness?”, document de travail de la BRI, n° 157, juillet Brunnermeier (M.) (2009) “Deciphering the liquidity and credit crunch 2007-2008”, Journal of Economic Perspectives, 23/1 : 77-100 Catte (P.), Cova (P.), Pagano (P.) et Visco (I.) (2010) “The role of macroeconomic policies in the global crisis”, Banca d'Italia Occasional Papers, 69, juillet Giavazzi (F.) et Spaventa (L.) 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(2009) “The global crisis: the role of policies and the international monetary system”, dans G20 Workshop on the global economy, macroeconomic causes of the crisis: key lessons: 60-80Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 61 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes La crise récente a montré que pour renforcer la stabilité ? nancière, la communauté internationale ne devait pas seulement remédier aux insuf? sances de la régulation des institutions ? nancières et des marchés, mais également apporter une solution durable au problème des déséquilibres mondiaux. Le résultat initial de la crise ? nancière et de la récession économique a été la diminution des déséquilibres mondiaux, notamment la réduction des dé? cits et des excédents des transactions courantes des principaux acteurs du commerce international et une croissance modérée du taux d’épargne dans les économies avancées. À plus long terme, toutefois, à moins que des mesures ef? caces ne soient prises, l’économie mondiale d’après-crise, caractérisée par une dette publique d’un niveau sans précédent dans de nombreux pays d’importance systémique, pourrait être à nouveau confrontée aux risques de déséquilibres mondiaux, tels que les guerres monétaires, les pressions protectionnistes et l’instabilité ? nancière. Les solutions à ce problème sont aussi variées que ses causes et appellent des actions coordonnées des pays développés et des pays en développement. Outre l’ajustement des politiques macroéconomiques et des politiques de change, il est nécessaire de poursuivre des réformes structurelles destinées à élever le taux d’épargne dans les économies avancées et à favoriser une croissance tirée par la demande intérieure dans les économies de marché émergentes. Compte tenu de la persistance du motif de précaution pour expliquer la détention d’importantes réserves de change par de nombreuses économies en développement dont le compte de capital est volatil, la mise en œuvre d’un ? let de sécurité ? nancière mondiale équitable dans le cadre de la réforme des infrastructures ? nancières internationales, conjuguée au renforcement des systèmes ? nanciers nationaux, jouera un rôle important dans le rétablissement d’une croissance mondiale équilibrée. SERGEY IGNATIEV Président Banque de Russie NB : Alexey Ulyukaev, Premier vice-président de la Banque de Russie, Vladimir Smenkovskiy, Conseiller du président et Elizaveta Danilova, Chef économiste à la Direction des opérations de marché, ont coopéré avec l’auteur à la rédaction de cet article.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 62 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev R e s ta u re r l ’ é q u i l i b re d e s c o m p t e s d e transactions courantes au niveau mondial, faussé au cours de la décennie précédente, constitue une priorité de premier plan pour la communauté internationale attachée à garantir une croissance économique à long terme soutenable. Les déséquilibres mondiaux ont créé de gigantesques problèmes économiques à l’échelle internationale, provoquant une baisse excessive des taux d’intérêt réels à long terme et une forte progression des prêts à haut risque, et ont été de ce fait un des principaux facteurs à l’origine de la crise ? nancière. Pendant les années précédant la crise, l’abondance de liquidités et la faiblesse du coût de ? nancement ont favorisé une allocation inef? cace des ressources mondiales, maintenu un niveau excessif de consommation dans de nombreux pays, créé des bulles de prix d’actifs et entraîné une augmentation de la dette étrangère et intérieure. Durant cette période, nombre d’économistes ont mis en garde contre les menaces constituées par la montée des déséquilibres affectant les flux commerciaux et de capitaux entre les principales économies mondiales, en particulier les niveaux faramineux atteints par le dé? cit du compte de transactions courantes des États-Unis et l’excédent courant de la Chine, phénomène qui résultait d’un excès d’épargne dans les pays en développement et d’une consommation excessive dans les pays développés. Selon ces observateurs, une crise était susceptible de se produire si les investisseurs internationaux interrompaient brusquement leurs achats de titres de créance américains ? nançant le dé? cit courant croissant des États-Unis, ce qui aurait fortement mis à mal l’économie américaine et affecté la demande mondiale globale. Toutefois, les dif? cultés sont venues de là où on les attendait le moins, c’est-à-dire du marché hypothécaire américain, tandis que les actifs peu risqués libellés en dollars ont non seulement conservé leur attrait, mais sont devenus des « valeurs-refuge » pour les investisseurs qui retiraient leurs fonds des marchés émergents plus risqués. Par la suite, le problème local d’un seul marché, certes le plus vaste du monde, créé par la qualité médiocre des prêts immobiliers « subprime » et les périls inhérents à l’activité de titrisation, a provoqué une crise ? nancière majeure et pratiquement paralysé les marchés ? nanciers. La contagion s’est étendue au monde entier parce qu’au cours des années précédant la crise, les investisseurs n’avaient, pour la plupart, pas correctement évalué leurs risques et que la régulation et la surveillance des institutions et des marchés ? nanciers présentaient de nombreuses carences. Les déséquilibres économiques mondiaux ont créé une situation qui a incité les banques et autres investisseurs à prendre des risques excessifs avant la crise et sont également susceptibles, à l’avenir, de déstabiliser le système ? nancier mondial. Toutefois, si l’on impose une régulation plus contraignante et de nouvelles restrictions au secteur bancaire des principales économies, les banques seront incitées à rechercher de nouveaux marchés et de nouveaux instruments offrant des rendements plus élevés. Par conséquent, pour prévenir la survenue de nouvelles crises ou limiter leurs conséquences, la communauté internationale ne doit pas seulement réformer la régulation, en durcissant les contraintes de capital et de liquidité pour les banques, en amé l i o ra n t l ’ i n f ra s t r u c t u re f i n a n c i è re e t e n s’attaquant au problème des institutions ? nancières d’importance systémique, mais il lui faut également traiter le problème des déséquilibres mondiaux. 1| ORIGINES DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX Les déséquilibres mondiaux constituent un problème complexe, un cercle vicieux particulier créé à la fois par les pays développés et ceux en développement. D’une part, les déséquilibres résultent des insuf? sances des politiques macroéconomiques mises en œuvre dans les économies avancées au cours de la période qui a précédé la crise. Ces pays ont pendant longtemps mené une politique monétaire trop accommodante, excessivement axée sur la dynamique de l’indice des prix à la consommation (IPC) tout en ignorant certains indicateurs importants de menaces potentielles pesant sur la stabilité ? nancière, comme les prix des actifs et les cours des matières premières. Même quand le Système fédéral de réserve a commencé à relever son taux objectif dans la seconde moitié des années 2000, les taux d’intérêt à long terme américains sont demeurés inchangés. Cette situation extrêmement inhabituelle résultait largement du creusement des déséquilibres mondiaux : à mesure que les excédents commerciaux augmentaient, les pays en développement exportateurs accumulaient Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 63 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev des réserves de change pour les placer en bons du Trésor américain. Compte tenu de la persistance de l’excès de liquidité et du faible coût des ressources, les banques n’ont pas hésité à prendre des risques importants, contribuant ainsi à l’instabilité ? nancière. De plus, les pays développés ne se sont pas s u f f i s a m m e n t e n g a g é s d a n s u n p ro c e s s u s d’assainissement à long terme durant la période de croissance économique rapide qui a précédé la crise. En fait, ils ont, pour la plupart, continué à mener des politiques budgétaires procycliques favorisant également une consommation excessive. Ils n’ont pas su mettre à pro? t la croissance des recettes ? scales liée à l’essor des secteurs du logement, de la construction et des services ? nanciers pour réaliser des excédents budgétaires. Par conséquent, avec la diminution brutale de ces recettes pendant la crise, la vulnérabilité de la situation budgétaire de ces pays est devenue patente. D’autre part, les déséquilibres ont en partie résulté de la stratégie suivie par certains pays en développement, qui ont stimulé les exportations et la croissance économique en sous-évaluant leurs monnaies. Cela a entraîné une croissance signi? cative de leurs réserves d’or et de devises, bien que l’on doive admettre qu’il existe aussi des facteurs objectifs à l’origine des déséquilibres des balances commerciales et des comptes de transactions courantes des différents pays. De plus, la propension excessive à épargner de certaines économies émergentes qui ont accumulé d’importantes réserves d’or et de devises s’explique aussi par le souhait de constituer un coussin de sécurité contre d’éventuels chocs extérieurs, conséquence des crises ? nancières régionales des années quatre-vingt-dix. La Russie fait partie de ce groupe de pays, qui se caractérisent par une forte volatilité du compte de capital et du compte ? nancier, par des entrées massives de capitaux spéculatifs (prêts à fuir rapidement le pays dès le premier choc ? nancier), une forte dépendance vis-à-vis des exportations, des marchés volatils et une relative faiblesse du système financier. Accumuler des réserves constitue une nécessité objective pour ces pays, qui ne peuvent compter, au niveau des institutions ? nancières internationales, sur des accords de prêt appropriés et prévisibles leur donnant un accès garanti à des volumes suf? sants de crédit. Les modèles empiriques qui analysent la croissance sans précédent des réserves au cours des dix dernières années reposent sur cette même logique de comportement des pays en développement. L’une des premières propositions formulées à ce sujet, la règle « Guidotti-Greenspan » élaborée après la crise de 1997-1998, recommande que les réserves d’un pays couvrent au moins sa dette extérieure à court terme. Selon les modèles récents d’accumulation des réserves de change (O. Jeanne, 2007 1 ), un pays dé? nit son montant optimal de réserves en comparant les coûts d’une crise potentielle (fuite des capitaux et baisse de la production) avec le coût d’opportunité de la détention de réserves (au lieu de réaliser des investissements plus rentables). En analysant les prédictions des modèles pour les pays asiatiques, l’auteur parvient à la conclusion que le niveau de réserves de ces pays est justi? é si les pertes prévues liées à la crise sont supérieures à 60 % du PIB alors que, selon l’estimation de l’auteur, la perte attendue résultant de la contraction des entrées de capitaux est proche de 10-15 % du PIB. Néanmoins, de nombreux pays particulièrement vulnérables au risque de sorties de capitaux pourraient subir des pertes nettement plus importantes en cas de crise majeure. Par exemple, à la suite de la crise de 1997-1998, la Corée du Sud et la Malaisie ont enregistré des pertes indirectes (la différence entre les taux de croissance effectif et potentiel du PIB au cours de la période d’après-crise) à hauteur de 50 % du PIB environ (estimations du FMI) 2 . En cas de crise, les réserves peuvent être mobilisées pour rembourser la dette extérieure de l’État, des banques et des entreprises du secteur public, sécuriser les importations et soutenir le taux de change de la monnaie nationale, ce qui peut contribuer à réduire autant que possible les conséquences négatives de la crise pour l’économie. L’expérience de la Russie le con? rme : pendant la dernière crise, nous avons dû utiliser une part importante de nos réserves pour maintenir la stabilité ? nancière et limiter l’onde de choc pour les entreprises et les ménages. Grâce à la dévaluation contrôlée et progressive du rouble, la con? ance du public dans la monnaie nationale et le système bancaire a été préservée. Depuis août 2008, la plus forte chute du cours du rouble par rapport au dollar s’est établie 1 Jeanne (2007) : International reserves in emerging market countries: too much of a good thing?, Brookings Papers on Economic Activity, 38(1) 2 Laeven et Valencia (2008) : Systemic banking crises: a new database, IMF Working Paper, septembreDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 64 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev à 48 %, et les sorties de capitaux sur la période allant du troisième trimestre 2008 au premier trimestre 2009 sont ressorties à 195 milliards de dollars. Si la Russie n’avait pas disposé de suf? samment de réserves, la dépréciation du rouble aurait été plus prononcée et ses conséquences plus désastreuses pour la stabilité financière et macroéconomique. Dans d’autres économies émergentes, les sorties de capitaux au cours de la phase la plus aiguë de la crise ont été beaucoup plus faibles qu’en Russie (cf. tableau 1) ce qui montre que les réserves accumulées par la Russie ont été appropriées aux risques existants. Quand la situation économique mondiale est stable, l’existence d’un montant important de réserves de change dans les pays en développement facilite la réduction du risque-pays et réduit le coût du crédit pour le secteur privé, ce qui améliore l’ef? cacité de l’allocation mondiale du capital. Par conséquent, les causes et les conséquences des déséquilibres mondiaux résultant des politiques des pays émergents sont complexes et sujettes à controverses. Les États-Unis et d’autres économies avancées sont « contraints » d’accepter les investissements qui résultent des politiques suivies par leurs partenaires commerciaux et les investisseurs internationaux, qui investissent activement en obligations d’État et en titres de créance du secteur privé de ces pays. Par exemple, sur la période comprise entre 2001 et 2007, les investissements étrangers en titres du Trésor des États-Unis ont été multipliés par 2,7 et ceux en obligations d’entreprises américaines par 3,1 3 . À la vérité, cette « contrainte » s’est avérée extrêmement confortable pour ces pays au cours des années qui ont précédé la crise. Tout en épargnant fort peu, ils ont beaucoup consommé, empruntant des fonds au monde entier à des taux d’intérêt faibles et plaçant une partie de ces fonds dans les pays en développement à des taux nettement plus élevés. Une des explications du caractère durable des déséquilibres mondiaux réside dans l’imperfection du système monétaire international qui, largement fondé sur la domination du dollar des États-Unis en tant que monnaie de réserve, ne dispose pas d’instruments suf? sants pour fournir de la liquidité globale. Le statut du dollar comme principale monnaie de réserve a entraîné le creusement des dé? cits jumeaux des États-Unis (budgétaire et du compte de transactions courantes), dont il a facilité le ? nancement, faisant obstacle à la réduction du dé? cit budgétaire structurel du pays. Les déséquilibres ne se sont pas seulement aggravés parce que le FMI ne disposait pas d’un mécanisme à même d’assurer ef? cacement l’accès de tous les pays à ses facilités, mais également parce qu’il n’existait aucun outil capable de contraindre la plupart des États membres à mettre en œuvre ses recommandations formulées dans le cadre de la surveillance bilatérale et multilatérale. Pa r c o n s é q u e n t , l ’ a n a l y s e d e s o r i g i n e s d e s déséquilibres mondiaux montre que leur creusement constitue un problème commun aux pays développés et en développement, qui doit être résolu par l’action concertée de toutes les nations. 2| INCIDENCE DE LA CRISE FINANCIÈRE SUR LES DÉSÉQUILIBRES AFFECTANT L’ÉCONOMIE MONDIALE La crise ? nancière aux conséquences désastreuses a entraîné une contraction marquée de l’activité de prêts aux États-Unis, provoquant une chute de la consommation. Les ménages américains, n’ayant plus accès aux prêts à bon marché, ont accru leur épargne. Par conséquent, leur taux d’épargne (épargne en pourcentage du revenu disponible) a augmenté 3 Données relatives à la position extérieure. Source : Département américain du Commerce Tableau 1 Indicateurs du secteur extérieur d’une sélection de pays du G20 durant la crise Pays Dépréciation maximale par rapport au dollar depuis le 01.08.08 Contraction des réserves de change pendant la période correspondante Contraction des réserves de change en milliards de dollars Sortie de capitaux sur la période correspondante en milliards de dollars Russie 48 % 36 % 212,8 193,0 Corée du Sud 45 % 19 % 46,0 42,6 Brésil 60 % - 2 % -3,2 17,1 Inde 22 % 19 % 57,3 11,4 Source : Calculs de la Banque de Russie à partir de données BloombergDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 65 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev pour atteindre son niveau le plus élevé depuis le début des années quatre-vingt-dix (graphique 1). Au premier semestre 2010, la propension à épargner des ménages est demeurée stable, aux alentours de 6 %. En 2010, le taux d’épargne nationale, qui inclut également l’épargne des entreprises et des administrations publiques, s’est également accru et, selon le FMI, il devrait af? cher au cours des cinq prochaines années une croissance modérée qui le porterait à son niveau d’avant la crise (cf. tableau 2). Dans le même temps, on a observé une forte baisse du dé? cit du compte de transactions courantes des États-Unis et une réduction simultanée de l’excédent des transactions courantes de la Chine (cf. tableau 3). Ainsi, dans un premier temps, la crise a quelque peu atténué les déséquilibres existants, mais cet effet semble avoir été de courte durée. En 2010, les pays en développement, notamment la Chine, ont encore af? ché une forte croissance du PIB, tandis que les principales économies mondiales (États-Unis, Royaume-Uni et zone euro considérée globalement) ont enregistré un ralentissement de la croissance économique. Selon une estimation provisoire de janvier 2011, le PIB de la Chine a progressé de 10,3 % en 2010, ce qui représente une hausse de 1,1 point de pourcentage par rapport à 2009. À partir de 2012, le dé? cit du compte de transactions courantes des États-Unis commencera à augmenter à nouveau, d’après les prévisions du FMI. Le problème des déséquilibres mondiaux pourrait encore s’aggraver en raison de l’accroissement signi? catif de la dette publique de l’ensemble des principales économies durant la crise. L’intensi? cation des déséquilibres et l’augmentation de la charge Tableau 2 Dynamique du taux d’épargne nationale et perspectives pour une sélection de pays du G20 (en % du PIB) Pays 1995 2000 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Japon 30 28 27 28 28 27 23 23 23 24 24 24 24 Royaume-Uni 16 15 14 14 16 15 13 12 13 14 15 15 16 États-Unis 16 18 15 16 14 12 11 12 14 15 16 16 16 France 19 21 20 21 21 20 17 18 18 19 19 19 19 Allemagne 21 20 23 26 29 28 23 25 24 24 23 23 22 Brésil 16 14 19 19 18 17 15 n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. Chine 43 37 51 53 52 52 52 n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. Inde 27 25 34 35 36 34 n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. Russie 28 36 31 31 31 31 22 26 n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. Source : FMI (données et perspectives des économies avancées), Banque mondiale, statistiques nationales, Bloomberg Graphique 1 Taux d’épargne des ménages aux États-Unis (en % du revenu disponible) 0 2 4 6 8 10 12 1952 1956 1960 1964 1968 1972 1976 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Source : Département américain du Commerce, Bureau des Études économiquesDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 66 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev de la dette publique pourraient remettre en cause l’existence d’actifs sans risque dans l’économie, ce qui pourrait ensuite déstabiliser le système ? nancier, puisque ces actifs sont à la base de l’évaluation de la quasi-totalité des actifs ? nanciers. La situation budgétaire est meilleure en Russie que dans les autres pays du G20, ce qui ouvre de plus grandes possibilités d’utilisation des mesures de relance, le cas échéant, et contribue à la stabilité ? nancière. D’une part, la politique monétaire accommodante encore suivie par les principaux pays industrialisés favorisera la dévaluation de leurs devises, rendant leurs exportations plus compétitives et réduisant les déséquilibres mondiaux. D’autre part, l’injection d’un important volume de liquidité stimulera l’af? ux de capitaux spéculatifs vers les marchés émergents où les taux d’intérêt sont beaucoup plus élevés, ce qui renforcera encore le risque d’instabilité ? nancière, de bulles de prix d’actifs et de brusques sorties de capitaux. Dans ces circonstances, de nombreux pays ayant un régime de libre circulation des capitaux introduisent à nouveau des restrictions aux entrées de capitaux étrangers. La récente crise ? nancière a apporté des éléments empiriques montrant que, dans certains cas, les restrictions aux mouvements de capitaux peuvent contribuer à modi? er la structure des investissements (en faveur d’investissements à long terme moins risqués) et éviter les conséquences les plus néfastes de la crise 4 . Par conséquent, le FMI, qui a défendu pendant 4 Ostry et al. (2010) : Capital in? ows: the role of controls, note de position des services du FMI, 19 février Graphique 2 Dette consolidée des administrations publiques du G7 et du G20 Estimation du FMI à ? n 2010 et variation sur la période 2009-2010 (en % du PIB) 15 0 60 105 150 195 240 Japon Italie États-Unis France Canada Royaume-Uni Allemagne Inde Brésil Argentine Mexique Turquie Afrique du Sud Corée Indonésie Australie Chine Arabie Saoudite Russie 2009 Diminution 2010 Augmentation G7 G20 Source : Calculs de la Banque de Russie reposant sur les données du FMI Tableau 3 Compte de transactions courantes d’une sélection de pays : évolutions sur longue période et prévisions du FMI (montants en milliards de dollars) Pays 1995 2000 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Japon 111 120 166 170 211 157 142 166 133 135 130 126 122 Royaume-Uni - 14 - 39 - 60 - 83 - 73 - 44 - 24 - 50 - 49 - 45 - 36 - 32 - 32 États-Unis - 114 - 416 - 748 - 803 - 718 - 669 - 378 - 467 - 400 - 420 - 466 - 524 - 602 France 7 19 - 10 -13 - 26 - 55 - 51 - 46 - 46 - 46 - 48 - 51 - 54 Allemagne - 30 - 33 143 188 254 246 163 200 196 182 173 161 145 Brésil - 18 - 24 14 14 2 - 28 - 24 - 52 - 65 - 77 - 81 - 84 - 92 Chine 2 21 161 253 372 436 297 270 325 394 494 621 778 Inde - 6 - 5 - 10 - 9 - 8 - 25 - 36 - 44 -50 - 54 - 53 - 53 -53 Russie 7 47 84 94 77 104 50 70 62 47 44 37 33 Source : FMI, bases de données des Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 67 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev des décennies la libre circulation des capitaux dans les pays ayant déjà libéralisé leur compte de capital, a maintenant légèrement modi? é son approche : à l’occasion d’un discours prononcé à Shanghai en octobre 2010, le directeur général du FMI a déclaré que des mesures restrictives pouvaient être utilisées dans certains cas lorsque les entrées de capitaux sont susceptibles d’avoir un effet déstabilisateur. Il convient de noter que la panoplie de mesures applicables pour limiter les entrées de capitaux peut être large et inclure divers instruments administratifs et de marché ainsi que des instruments de régulation prudentielle, qui sont conçus pour accroître la stabilité des institutions ? nancières et in? uencer indirectement les entrées de capitaux étrangers. Par exemple, en octobre 2010, la Thaïlande a instauré une taxe de 15 % sur les revenus d’obligations d’État versés à des investisseurs étrangers et le Brésil a levé un impôt sur les investissements étrangers (en différenciant les taux d’imposition applicables aux actions des sociétés brésiliennes, aux obligations des émetteurs brésiliens, etc.). L’objectif principal des mesures annoncées par la Corée du Sud en juin dernier était, quant à lui, de limiter la croissance des engagements étrangers dans le secteur bancaire. Ces mesures prudentielles comportent une limitation de la position en produits dérivés libellés en devises, une restriction sur les prêts libellés en devises étrangères octroyés par les banques et des exigences plus fortes en matière de liquidité pour les actifs des banques coréennes libellés en devises étrangères. La Russie a supprimé toutes les restrictions aux mouvements de capitaux en 2006 et n’envisage pas de les rétablir. Nous estimons que certaines mesures réglementaires destinées à maintenir la stabilité du secteur ? nancier, à limiter l’excès de prêts et à prévenir les bulles de prix d’actifs peuvent être utiles dans certaines circonstances. Cependant, de manière générale, la Russie demeure attachée aux principes de libre circulation des capitaux, ce qui, à nos yeux, constitue la bonne approche pour améliorer à long terme le climat de l’investissement. Au total, la Russie a su se protéger contre les conséquences les plus destructrices des sorties de capitaux pendant la crise. Lorsque les recettes tirées des exportations ont augmenté sous l’effet de la hausse des prix du pétrole et que l’économie russe a vu af? uer des capitaux étrangers d’une ampleur sans précédent, la Banque de Russie et le gouvernement russe ont accumulé des réserves importantes et créé des fonds de stabilisation, ce qui a protégé l’économie contre les pertes en capital quand les investisseurs ont été pris de panique. Aucune nouvelle limitation n’a été imposée aux entrées ou aux sorties de capitaux. Les réserves et les fonds de stabilisation sont i n d u b i t a b l e m e n t d e s a r m e s ex t r ê m e m e n t importantes pour lutter contre la crise, mais elles ne sont pas suf? santes. L’expérience a montré que même de vastes réserves peuvent ne pas suf? re à maintenir la stabilité sur le marché des changes au plus fort d’une crise aiguë quand ces réserves diminuent rapidement en raison de la détérioration des anticipations et du comportement grégaire. Ainsi, la stratégie d’accumulation de réserves et de fonds doit être appuyée par d’autres mesures, notamment de nature macroéconomique et une coordination avec les partenaires commerciaux. 3| LES MESURES DE LIMITATION DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET DE SOUTIEN À LA STABILITÉ FINANCIÈRE Un réajustement de la politique de change de certaines économies émergentes et le refus des pays du G20 de participer à des « guerres monétaires » sont des initiatives importantes pour la résolution du problème des déséquilibres mondiaux, mais cela n’est pas suf? sant. Il est également nécessaire de relever le taux d’épargne des pays industrialisés en s’appuyant sur des réformes structurelles de grande ampleur. Les mesures prévues pour réduire les dé? cits budgétaires dans la plupart de ces économies, les réformes des systèmes de retraite, d’éducation et de santé et la suppression des subventions excessives dans certains secteurs aideront ces pays à optimiser les dépenses dans leur économie et à préserver les taux de croissance atteints en se fondant sur l’utilisation maximale de leurs ressources internes tout en limitant la progression de la dette extérieure. Par ailleurs, il est extrêmement important que les économies émergentes stimulent la consommation intérieure. Le taux d’épargne nationale impressionnant de la Chine (de l’ordre de 52 % du PIB en 2009) et sa progression rapide (par rapport à 37 % en 1999) Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 68 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Sergey Ignatiev s’expliquent par des taux d’épargne les plus élevés du monde dans tous les secteurs : administrations publiques, entreprises et ménages. Ces niveaux ont été atteints, pour partie, sous l’effet de taux de croissance économique considérables et, pour partie, en raison de certains facteurs institutionnels et démographiques (la restructuration des entreprises publiques, la transition vers un système de retraite pré? nancé et la progression signi? cative de la part de la population en âge de travailler), dont l’effet va s’estomper à l’avenir. Le secteur public, dont l’épargne a apporté la plus forte contribution à la hausse du taux d’épargne en Chine, doit accroître ses dépenses au titre des programmes sociaux. Dans les rapports de ses consultations au titre de l’Article IV, le FMI fait remarquer que pour réorienter son économie vers la croissance de la consommation intérieure, la Chine devrait non seulement augmenter les transferts sociaux et mettre en œuvre des réformes structurelles dans le secteur des entreprises, mais aussi laisser s’apprécier le renminbi, ce qui accroîtrait la consommation du secteur privé. La Chine est manifestement face à un dilemme : laisser sa monnaie devenir trop forte semble dangereux car le pays risquerait alors de perdre son avantage concurrentiel, tandis que le refus de renforcer le taux de change comporte un risque de surchauffe de l’économie. Pour résoudre le problème des déséquilibres mondiaux, la communauté internationale doit également traiter celui lié à l’accumulation de réserves par les pays en développement en vue de constituer un volant de précaution. Les rythmes de croissance plus rapides enregistrés par ces pays créent les conditions objectives d’entrées de capitaux étrangers. Mais les réserves sont nécessaires pour se prémunir contre le risque d’importantes sorties de capitaux. À l’avenir, l’élaboration d’un ? let de sécurité ? nancière à l’échelle mondiale contribuera à réduire les besoins des pays en réserves d’or et de devises. L’amélioration des instruments du FMI, avec notamment la Ligne de crédit ? exible et la Ligne de crédit de précaution, jouera un rôle prépondérant. Ces mécanismes devraient être accessibles aux pays disposant d’une politique de régulation macroéconomique et ? nancière solide, mais qui souffrent cependant d’une forte volatilité du compte ? nancier. Il est important en ce cas de s’assurer que l’utilisation de ces instruments ne soit pas interprétée comme un signal de détresse émis par les pays souhaitant recourir aux lignes de crédit du FMI. Au contraire, ils devraient contribuer à renforcer la con? ance des investisseurs et à stabiliser la situation. Pour soutenir la stabilité financière dans les économies émergentes, i l es t néces sai re de rendre les opérations de carry trade et d’autres investissements spéculatifs moins attrayants et de prendre des mesures pour accroître la proportion d’investissements à long terme. L’une des actions actuellement entreprises par la Russie consiste à rendre moins attrayants les investissements spéculatifs en actifs libellés en roubles en assurant une plus grande ? exibilité du taux de change du rouble. Des mesures destinées à renforcer le système ? nancier et à améliorer la régulation contribueront à réduire le risque d’une double crise, qui se produirait si les sorties de capitaux étrangers incitaient les résidents à opérer d’importants retraits de fonds du système ? nancier. En outre, la Russie, de même que les autres économies émergentes, doit stimuler le développement de sources de croissance internes stables dans l’économie réelle. À l’évidence, on ne peut pas éliminer les déséquilibres mondiaux du jour au lendemain et l’économie mondiale sera encore confrontée à ce problème pendant un certain temps. Toutefois, il ne faut pas laisser les déséquilibres augmenter dans une proportion telle que les relations internationales ressembleraient à ce qu’elles étaient à l’époque des guerres monétaires et du protectionnisme. Empêcher une évolution de cet ordre est de la responsabilité conjointe des pays en situation de dé? cit de leur compte de transactions courantes et des pays en excédent. Cependant, la meilleure solution de long terme au problème des déséquilibres serait, tant pour les pays développés que pour ceux en développement, de veiller à un rapport plus équilibré à l’échelle nationale entre épargne et investissement en menant à bien les nécessaires réformes structurelles. Dans le même temps, il est clair que pour la réalisation de ces objectifs, la communauté internationale devrait béné? cier du soutien constant d’une économie mondiale ouverte, de marchés ? nanciers internationaux libres et d’un système monétaire international plus ef? cace et équitable.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 69 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant CHOONGSOO KIM Gouverneur Banque de Corée La récente crise ? nancière mondiale a fait apparaître de plus en plus clairement que les déséquilibres mondiaux constituent un problème systémique exerçant une forte incidence sur les politiques macroéconomiques d’un certain nombre de pays ainsi que sur les ? ux de capitaux transfrontières mais également, qu’ils pourraient être liés directement et indirectement à la crise mondiale. En tant que principal forum de résolution des questions économiques mondiales, le G20 doit ouvrir la voie à des réformes exhaustives et systémiques permettant d’assurer l’équilibre mondial et la stabilité ? nancière, objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant. Pour cela, nous devons d’abord étoffer le dispositif adopté en 2009 en vue de renforcer la coordination des politiques entre les pays membres. Nous devons poursuivre les efforts consentis pour la mise en œuvre des ? lets de sécurité ? nancière mondiaux et la réforme de la réglementation ? nancière, et atteindre des résultats tangibles sur des questions essentielles telles que l’amélioration du système monétaire international (SMI) et l’élaboration d’un cadre de politique macroprudentielle. Par ailleurs, les banques centrales doivent développer des cadres de politique monétaire permettant de traiter ef? cacement le problème des phases de bulle et de chute des prix des actifs a? n de garantir la stabilité ? nancière. La coordination des politiques économiques recherchée par le G20 est indispensable pour assurer la croissance partagée de l’économie mondiale, mais cet objectif s’avère d’autant plus dif? cile qu’il peut aller à l’encontre des intérêts à court terme des différents pays. Nous avons toutefois réussi, lors des précédents sommets du G20, à réduire nos divergences d’opinion sur des questions essentielles, ce qui constitue une étape importante dans l’instauration d’un climat de con? ance mutuelle. À cet égard, je suis convaincu que le G20 parviendra à élaborer une forte coordination des politiques, fondée sur la con? ance mutuelle.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 70 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim L a récente crise ? nancière mondiale a montré que les déséquilibres mondiaux constituent un problème systémique qui in? ue fortement sur les politiques macroéconomiques de plusieurs pays, ainsi que sur les ? ux de capitaux transfrontières. On peut considérer que ces déséquilibres sont liés à la crise, à la fois directement et indirectement. Aujourd’hui, un nombre croissant d’observateurs estime que les déséquilibres mondiaux et l’instabilité ? nancière se sont mutuellement renforcés via leurs interactions et qu’ils ont précipité le déclenchement d’une vraie crise à la faveur de la mondialisation. Il est de plus en plus admis que les déséquilibres mondiaux sont un problème auquel i l faut impérativement remédier pour parvenir à une croissance économique durable et stable sur l’ensemble du globe. Les pays membres du G20 se sont ainsi entendus sur la nécessité de procéder à une analyse structurelle pour identi? er les causes de ces déséquilibres, et de coordonner étroitement leurs politiques au niveau international. À cette ? n, le sommet 2009 du G20, qui s’est tenu à Pittsburgh, a appelé à la mise en place d’un « Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée », et le sommet 2010, à Séoul, a abouti à l’adoption d’un plan d’action détaillé (le « Plan d’action de Séoul ») qui orientera les futures stratégies de ces pays. Cet article se penchera tout d’abord sur les tendances des déséquilibres mondiaux, puis sur leurs causes, leur persistance et leurs interactions avec la stabilité financière. Il proposera ensuite des stratégies envisageables pour atténuer ces déséquilibres et empêcher la résurgence de crises ? nancières. 1| TENDANCES, CAUSES ET VIABILITÉ DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX 1|1 Les tendances On peut distinguer trois grandes phases de déséquilibres mondiaux à compter des années quatre-vingt. Chacun de ces épisodes a des caractéristiques et des causes qui lui sont propres, et nous mettrons l’accent sur l’évolution du dé? cit des États-Unis. PREMIÈRE PHASE : LES ANNÉES QUATRE-VINGT Le dé? cit substantiel que les États-Unis ont enregistré à partir des années quatre-vingt a mis en évidence le problème des déséquilibres des comptes de transactions courantes 1 . Sur cette période, le dé? cit de la balance commerciale américaine vis-à-vis de Graphique 1 Tendances des déséquilibres mondiaux (%) Déficit des transactions courantes des États-Unis (en proportion du PIB, échelle de gauche) Déficit des transactions courantes au niveau mondial (en proportion du PIB, échelle de gauche) 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 0 1 - 120 - 100 - 80 - 60 - 40 - 20 0 20 Première phase Deuxième phase Troisième phase Part du déficit des États-Unis dans le total des déficits des transactions courantes au niveau mondial (échelle de droite) Source : Base de données des Perspectives de l’économie mondiale, FMI (avril 2010) 1 Dans le cas des États-Unis, le dé? cit courant en pourcentage du PIB est passé de 0,2 % à 3,4 % sur la période 1982-1987, et il s’est aussi creusé en pourcentage du total des dé? cits des comptes courants au niveau mondial, passant de 3,5 % à 57,5 % sur la même période. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 71 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim pays développés comme le Japon et l’Allemagne a représenté près de 50 % du total des dé? cits des comptes de transactions courantes au niveau mondial. À cette époque, les déséquilibres des transactions courantes étaient un problème qui se limitait à quelques pays avancés. Ils étaient donc gérés plus ou moins facilement dans le cadre d’organisations de coopération économique entre ces pays, telles que le G5. En fait, ces déséquilibres ont été rapidement corrigés grâce aux ajustements des taux de change prévus par l’Accord du Plaza de 1985, à la réduction du dé? cit budgétaire des États-Unis dans le cadre de l’Accord du Louvre de 1987 et aux efforts destinés à stimuler la demande intérieure au Japon et en Allemagne, les deux pays qui af? chaient alors les excédents les plus importants. DEUXIÈME PHASE : LES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX L’équilibre semble avoir été rétabli dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, mais les déséquilibres se sont de nouveau aggravés avec le creusement rapide du dé? cit courant des États-Unis à partir de 1996. Alors que le Japon, pays le plus excédentaire, continuait de dégager d’importants excédents, ces déséquilibres se sont aussi accrus significativement dans les pays producteurs de pétrole et dans les économies émergentes d’Asie après la crise ? nancière asiatique de 1998. Pendant cette période, grâce au développement des technologies de l’information, les États-Unis ont dégagé une croissance économique soutenue, et ils ont béné? cié d’entrées de capitaux de plus en plus abondantes. Le dollar s’est ainsi fortement apprécié, ce qui a accentué le dé? cit chronique du compte des transactions courantes de ce pays. TROISIÈME PHASE : LE DÉBUT DES ANNÉES DEUX MILLE Au début des années deux-mille, le problème des déséquilibres des comptes de transactions courantes est devenu un phénomène mondial : outre les États-Unis et d’autres pays du G7, il a aussi touché divers pays d’Europe, des pays émergents et des pays producteurs de pétrole 2 . Avant la crise ? nancière mondiale, le ratio du dé? cit des transactions courantes sur le PIB était passé de 3,9 % en 2001 à 5,2 % en 2007 3 aux États-Unis, et de 2,0 % à 5,0 % 3 , en moyenne, dans certains pays d’Europe 4 dé? citaires. Sur la même période, parmi les pays excédentaires, plusieurs économies avancées, dont le Japon et l’Allemagne, les pays asiatiques émergents et les producteurs de pétrole ont tous dégagé des excédents encore plus importants. TENDANCES ACTUELLES ET PERSPECTIVES Lorsque la crise financière a éclaté en 2008, l’économie mondiale s’est fortement contractée, et les déséquilibres mondiaux se sont temporairement atténués 5 . Cependant, ils se sont de nouveau accentués quand le redressement de l’économie mondiale s’est amorcé au début de l’année 2010. D’après les prévisions d’organisations internationales comme le FMI et l’OCDE, même s’ils ne seront pas aussi marqués, dans un premier temps, qu’avant la crise, ils ne cesseront pas de s’accroître à mesure que les États-Unis et d’autres économies continueront de se rétablir et que la consommation progressera. 2 Le total des dé? cits courants en pourcentage du PIB mondial est passé de 1,8 % en 2001 à 2,7 % en 2006. 3 Base de données des Perspectives de l’économie mondiale, FMI (avril 2010) 4 Espagne, Grèce, Italie, Royaume-Uni et Turquie 5 Le total des dé? cits courants en pourcentage du PIB mondial est tombé de 2,7 % en 2008 à 1,8 % en 2009. Graphique 2 Prévisions du FMI de soldes des transactions courantes (en % du PIB mondial) Pays asiatiques émergents Chine Pays producteurs de pétrole Japon Allemagne Pays européens déficitaires États-Unis - 3 - 2 - 1 0 1 2 3 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 2013 2015 2010 2012 2014 Estimations du FMI Source : Base de données des Perspectives de l’économie mondiale, FMI (octobre 2010)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 72 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim Rétrospectivement, la tendance des déséquilibres mondiaux à partir des années quatre-vingt montre que ces déséquilibres sont en train de devenir un problème mondial, qui ne préoccupe plus uniquement quelques pays avancés, mais qui concerne de nombreuses autres économies, y compris émergentes. C’est donc à des enceintes mondiales de coopération, telles que le G20, qu’il appartient d’orchestrer les mesures visant à remédier à ces déséquilibres. 1|2 Les déséquilibres et leur viabilité LES CAUSES DES DÉSÉQUILIBRES Les facteurs qui engendrent ces déséquilibres ont fait l’objet de vifs débats ; cependant il n’existe pas une cause unique à ce problème structurel très complexe. Persistance des déséquilibres des changes parmi les grands pays Selon l’une des principales thèses avancées, l’accumulation de dé? cits des transactions courantes par les États-Unis serait liée à la rigidité de la politique de change de certains de ses principaux partenaires commerciaux et, pour que ce problème disparaisse, il faudrait que le dollar continue de se déprécier 6 . Cette théorie se fonde sur la relation inverse entre le compte de transactions courantes des États-Unis et le taux de change du dollar depuis les années quatre-vingt. Creusement des écarts de taux d’épargne nette entre les grands pays Une autre théorie 7 souligne le creusement des écarts de taux d’épargne nette entre pays dé? citaires et pays excédentaires. Avant la crise ? nancière mondiale, l’épargne nationale nette (épargne moins investissement) des grands pays excédentaires tels que la Chine et l’Allemagne, n’a cessé d’augmenter, tandis que le taux d’épargne des États-Unis et du Royaume-Uni diminuait. Selon cette théorie, une telle tendance s’explique par des facteurs structurels autres que les taux de change. Les importants excédents des transactions courantes des pays émergents seraient dus à des facteurs économiques et sociaux, notamment à l’opacité de la direction des entreprises, à l’inadéquation des ? lets de sécurité sociaux et à la pyramide des âges. Plus précisément, dans ces pays, il existe peu de circuits de ? nancement car les marchés ? nanciers sont sous-développés, et la gouvernance et la direction Graphique 3 Prévisions de l’OCDE de soldes des transactions courantes (en milliers de milliards de dollars) Pays asiatiques émergents Chine Zone euro Japon Europe de l’Est Moyen-Orient et Afrique États-Unis - 1,0 - 0,5 0 0,5 1,0 1,5 2007 2008 2009 2011 2010 Estimations de l’OCDE Source : Perspectives économiques de l’OCDE (avril 2010) 6 Mussa (2004), Obstfeld et Rogoff (2005), ainsi que Blanchard et al. (2005), ont suggéré de dévaluer le dollar de, respectivement, 30 %, 15-34 % et 40-90 % pour résorber le dé? cit chronique du compte courant des États-Unis. 7 Chamon et Prasad (2010) ; Servén et Nguyen (2010) Graphique 4 Compte de transactions courantes des États-Unis et taux de change effectif réel du dollar (indice) (en % du PIB) 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Taux de change effectifs réels (échelle de gauche) Compte de transactions courantes (échelle de droite) 90 95 100 105 110 115 120 125 130 135 - 7 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 0 1 2 Sources : Base de données des Perspectives de l’économie mondiale, FMI (avril 2010) et BRIDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 73 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim d’entreprise manquent de transparence, surtout dans les grands groupes. En général, les entreprises sont donc fortement tributaires d’un ? nancement interne, d’où une épargne plus élevée que dans les économies avancées. De plus, l’inadéquation des ? lets de sécurité sociaux (régimes de retraite, systèmes de santé, etc.) encourage une épargne de précaution, et les ménages peinent à accéder aux marchés de capitaux pour obtenir, par exemple, des prêts à la consommation. En? n, la structure démographique de ces pays se caractérise par une grande proportion de jeunes, qui, habituellement, affichent une plus forte propension à épargner. Parmi les facteurs structurels expliquant le recul du taux d’épargne aux États-Unis, plusieurs auteurs 8 citent la baisse des taux d’intérêt à long terme dans un contexte de diminution de l’incertitude économique 9 à partir des années quatre-vingt. De plus, certains 10 avancent que les dé? cits des comptes de transactions courantes se sont accentués sous l’effet de l’essor des prix des actifs avant la crise ? nancière mondiale, et que l’anticipation de hausses supplémentaires a favorisé une expansion de la consommation (réduction de l’épargne). Creusement des dé? cits budgétaires Dans le cas des États-Unis et de plusieurs pays européens, dont la Grèce, le creusement du dé? cit budgétaire a été considéré comme l’une des principales raisons du dé? cit persistant des transactions courantes 11 . En général, un accroissement du dé? cit budgétaire contribue à la persistance du dé? cit du compte de transactions courantes, car il réduit le différentiel entre épargne et investissement dans l’ensemble de l’économie, ainsi que la capacité d’épargne du secteur public. Aux États-Unis, le budget de la sécurité a augmenté exponentiellement après le 11 septembre 2001 et le solde budgétaire est devenu dé? citaire 12 en 2002. Les pays européens à compte de transactions courantes dé? citaire, tels que la Grèce, ont vu leur assiette ? scale s’amenuiser, notamment en raison d’un taux de chômage élevé, tandis que leur dé? cit budgétaire se creusait à cause du vieillissement de leur population et de la hausse des dépenses sociales qui en résulte. Préférence pour les actifs sûrs Certains universitaires 13 af? rment que la persistance des déséquilibres mondiaux est liée aux déséquilibres entre l’offre et la demande d’actifs sûrs, que beaucoup d’opérateurs privilégient pour la sécurité et la liquidité qu’ils paraissent offrir. 8 Barnett et Straub (2008) ont analysé la politique monétaire en tant que facteur exerçant la plus forte in? uence sur les mouvements des comptes de transactions courantes des États-Unis. 9 La tendance décroissante de la volatilité des variables macroéconomiques sur cette période est généralement appelée la « Grande modération ». 10 Fratzscher et al. (2007) considèrent que les hausses du prix des actifs, par exemple dans l’immobilier résidentiel, ont fait subir un choc au marché et entraîné une augmentation de la consommation à long terme ainsi qu’une appréciation des taux de change, ce qui a continuellement creusé le dé? cit commercial des États-Unis. 11 Obstfeld et Rogoff (2005) ; Salvatore (2006) 12 Normandin (1999) a procédé à une analyse avec un modèle VAR qui s’appuie sur des chiffres relatifs au revenu national et à la balance des paiements des États-Unis pour la période 1950-1992. Les résultats qu’il a présentés montrent qu’un dollar de dé? cit budgétaire s’est traduit par un dé? cit des transactions courantes compris entre 0,22 et 0,98 dollar. 13 Caballero (2006) ; Caballero et al. (2008) Tableau 1 Tendances de l’épargne nationale nette des grands pays excédentaires et dé? citaires (%) 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Chine 2,0 4,2 2,4 2,5 2,5 7,5 7,9 Allemagne - 0,6 - 0,8 - 1,6 2,2 4,8 6,5 6,7 États-Unis - 1,8 - 1,4 - 2,8 - 4,1 - 5,2 - 4,2 - 5,7 Royaume-Uni - 0,8 - 0,4 - 2,7 - 1,7 - 2,1 - 3,4 - 1,6 Note : Épargne domestique nette = taux d’épargne – taux d’investissement Taux d’investissement = [(formation brute de capital ? xe intérieur + accroissement des stocks)/PIB] × 100 Source : Banque de Corée, Economic Statistics System (ECOS) Graphique 5 Total des réserves en devises et obligations du Trésor américain détenues par des opérateurs étrangers (en milliers de milliards de dollars) Total des réserves en devises 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 0 2 4 6 8 10 Obligations du Trésor américain détenues par des opérateurs étrangers Note : Les chiffres relatifs aux obligations du Trésor américain détenues par des opérateurs étrangers ne sont pas disponibles pour la période allant de 1995 à 2001. Source : Base de données COFER du FMIDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 74 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim A p r è s l a c r i s e f i n a n c i è r e a s i a t i q u e d e s années quatre-vingt-dix, la demande d’actifs sûrs a augmenté à mesure que les pays émergents accumulaient d’abondantes réserves de précaution pour faire face à l’éventualité d’une nouvelle crise. En revanche, les pays avancés, exception faite des États-Unis, ont eu de plus en plus de dif? cultés à proposer des actifs sûrs à la suite de l’éclatement de la bulle des actifs au Japon, dans les années quatre-vingt-dix, et du ralentissement de l’activité économique en Europe. La demande s’est donc concentrée sur les États-Unis, ce qui a induit, au début des années deux mille, un déséquilibre entre l’offre et la demande d’actifs sûrs. Garanties destinées à attirer l’investissement étranger Des pays de la périphérie (les économies émergentes) ont cherché à accroître leurs exportations vers les pays du centre (émettant les devises majeures) en organisant la dépréciation de leur taux de change dans le cadre de leur stratégie de croissance. Certains se sont également efforcés de détenir davantage d’actifs des pays du centre, notamment des obligations du Trésor américain, qui servent de garanties pour attirer des investissements stables, par exemple sous la forme de ? ux d’investissements directs étrangers (IDE) en provenance du centre. Ce phénomène est considéré comme une autre raison expliquant les déséquilibres mondiaux 14 . Dans l’ancien système de Bretton Woods, les États-Unis formaient le centre, et le Japon et l’Europe la périphérie. Plus récemment, les économies émergentes sont devenues les pays de la périphérie, d’où l’émergence du système de « Bretton Woods II ». Cette évolution contribue, elle aussi, à la persistance des déséquilibres mondiaux. LES DÉSÉQUILIBRES SONT-ILS TENABLES ? Au vu des interactions entre les différentes causes des déséquilibres mondiaux, les analystes se divisent en deux camps lorsqu’il s’agit de déterminer si ces déséquilibres pourraient persister à l’avenir. Des déséquilibres non tenables D’après les partisans de cette approche 15 , les déséquilibres mondiaux ne sont pas tenables car ils re? ètent des déséquilibres macroéconomiques, dont l’asymétrie des taux de change entre grands pays, la faiblesse des taux d’épargne et le creusement du dé? cit budgétaire des pays à compte de transactions courantes dé? citaire. C’est pourquoi les tenants de cette théorie craignent que l’instabilité ne gagne le marché ? nancier mondial et que l’économie mondiale ne soit contrainte d’effectuer un atterrissage en catastrophe si ces déséquilibres macroéconomiques ne sont pas corrigés. Il en résulterait une chute brutale du taux de change du dollar, sous l’effet d’un alourdissement supplémentaire de la dette extérieure nette des États-Unis. Des déséquilibres tenables D’après cette théorie 16 , une relation symbiotique va se développer entre pays excédentaires et pays dé? citaires, étant donné que les premiers restent très demandeurs des actifs des seconds, et notamment des obligations du Trésor américain. Cette théorie considère donc que les déséquilibres mondiaux sont tenables, pour plusieurs raisons : les taux d’épargne restent élevés en Chine et dans d’autres pays excédentaires, les pays émergents se procurent des titres qui serviront de sûretés, dans l’espoir d’attirer des investissements (IDE, etc.), et il existe une préférence pour les actifs sûrs. La théorie récente On es t ime aujourd’hui que les déséqui l ibres m o n d i a u x s o n t l i é s à l a c r i s e f i n a n c i è r e mondiale à la fois directement et indirectement, ce qui cor robore en par t ie la théor ie selon laquelle ces déséquilibres ne sont pas tenables. Un large consensus est ainsi apparu, selon lequel, pour corriger les déséquilibres, les pays doivent coordonner leurs politiques macroéconomiques, leurs réformes structurelles et leurs politiques économiques en général. Même si la récente crise ? nancière n’a entraîné ni l’effondrement du dollar ni l’atterrissage en catastrophe de l’économie mondiale, contrairement à ce que prévoyaient les tenants de la théorie des déséquilibres intenables, nous ne pouvons pas exclure cette éventualité à l’avenir. Il faut donc poursuivre les efforts qui visent à traiter le problème au niveau planétaire, via le G20. 14 Dooley et al. (2003 et 2007) 15 Summers (2004) ; Obstfeld et Rogoff (2005) ; Cline (2005 et 2007) ; Bergsten (2007) ; Feldstein (2008) 16 Dooley et al. (2003) ; Caballero (2006) ; Caballero et al. (2008)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 75 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim 2| DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET STABILITÉ FINANCIÈRE 2|1 Les caractéristiques de la crise ? nancière mondiale Avant la récente crise ? nancière mondiale, il y a eu trois grandes crises ? nancières durant l’ère post-Bretton Woods : la crise de la dette extérieure de l’Amérique latine dans les années quatre-vingt, l a c r i s e d e s b a n q u e s s c a n d i n a ve s d a n s l e s années quatre-vingt-dix et la crise financière asiatique, également dans les années quatre-vingt-dix. Ces crises n’étaient pas imputables aux mêmes causes, mais toutes avaient en commun d’être liées aux déséquilibres mondiaux. La récente crise est, elle, fondamentalement différente : ce sont les interactions entre les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres du secteur financier, des interactions qui se sont mutuellement renforcées, qui ont déclenché, propagé et intensifié cette crise. Relativement récent, ce mécanisme de formation d’une crise s’est développé dans un contexte de libéralisation des comptes ? nanciers, de déréglementation ? nancière et d’accélération de l’innovation ? nancière. Encadré Caractéristiques des grandes crises ? nancières des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix La crise de la dette extérieure de l’Amérique latine Dans les années quatre-vingt, le déploiement de stratégies de croissance économique élaborées par l’État a avancé à grands pas en Amérique latine, et notamment au Mexique. Ces stratégies visaient à étoffer la demande intérieure, à encourager les exportations de matières premières et à soutenir les activités de substitution aux importations. Elles ont fait considérablement gon? er la dette extérieure de ces pays, surtout dans le secteur public, au point d’entraîner une crise de la dette extérieure. Deux facteurs ont apparemment joué un rôle décisif : la nette diminution de la capacité de remboursement des pays d’Amérique latine et la brusque accélération des sorties de capitaux sous l’effet conjugué d’une hausse rapide des taux d’intérêt internationaux et d’une chute des cours du pétrole et d’autres matières premières. La crise des banques scandinaves Dans les années quatre-vingt, la Suède, la Finlande et la Norvège ont connu un net essor des prêts bancaires, une expansion excessive du crédit et la formation de bulles du prix des actifs. Ces trois pays ont continué de mettre en œuvre une politique de protection sociale tout en faisant progresser la libéralisation ? nancière et en accordant une exonération ? scale sur les intérêts des prêts. Puis, vers 1990, ils ont tous relevé leurs taux directeurs et supprimé les exonérations ? scales sur les intérêts perçus. Dans le même temps, leur économie a commencé à ralentir sous l’effet d’un ? échissement de leurs exportations, lui-même dû à un recul de l’activité mondiale. Le prix des actifs a alors chuté et les faillites se sont multipliées, provoquant une crise bancaire dans toute la région. La crise ? nancière asiatique La Thaïlande, l’Indonésie et la Corée avaient réussi à mettre en place des politiques macroéconomiques stables, elles béné? ciaient de ? nances publiques relativement saines et elles encourageaient une libéralisation ? nancière progressive. Elles ont pourtant subi de plein fouet la crise de la ? n des années quatre-vingt-dix, en raison du taux d’endettement élevé de leur secteur privé et du brusque arrêt des ? ux de capitaux. Les universitaires 1 estiment en effet que, si les investisseurs ont des anticipations négatives à l’égard des politiques publiques, ces anticipations peuvent devenir auto-réalisatrices, provoquant un tarissement soudain des ? ux de capitaux et l’éruption d’une crise ? nancière qui se propage ensuite. 1 Obstfeld (1996) ; Calvo (1998), etcDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 76 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim 2|2 Théories relatives aux interactions entre les déséquilibres mondiaux et l’instabilité ? nancière Les déséquilibres mondiaux ont-ils joué un rôle essentiel dans la récente crise ? nancière mondiale ? Les avis sont partagés. Pour certains, les interactions sont relativement faibles, alors que pour d’autres, elles sont signi? catives. DES INTERACTIONS FAIBLES Certains observateurs 17 af? rment qu’il existe peu d’interactions entre les déséquilibres mondiaux et la dernière crise mondiale, car, durant cette crise, les États-Unis ont continué de recevoir des ? ux de capitaux, ce qui a fait monter le dollar, contrairement aux prévisions des tenants de la théorie des déséquilibres intenables. La récente crise serait par conséquent imputable à une régulation et à une supervision insuf? santes, et les déséquilibres mondiaux n’auraient joué qu’un rôle mineur, voire aucun rôle. DES INTERACTIONS FORTES Selon cette école de pensée, même si les déséquilibres mondiaux n’ont pas directement provoqué la récente crise ? nancière, ils ont joué un rôle crucial en accroissant le risque de survenue d’une telle crise. Avant la crise, les pays disposant d’un compte de transactions courantes excédentaire avaient étoffé leurs réserves en devises avec des actifs libellés en dollars, induisant une baisse des taux longs, un phénomène appelé « l’énigme Greenspan ». Cette faiblesse des taux d’intérêt a provoqué la formation d’une bulle du prix des actifs, ce qui incite certains à considérer que les déséquilibres mondiaux ont au moins contribué à la crise 18 . En revanche, Shin (2009), Acharya et Schnabl (2009), ainsi que d’autres, pensent que les déséquilibres mondiaux ont joué un rôle fondamental dans la récente crise : à mesure que la bulle des actifs se formait, ces déséquilibres ont encouragé l’innovation ? nancière et induit une croissance rapide des intermédiaires financiers. À compter des années deux mille, l’investissement étranger dans les produits ? nanciers des États-Unis, notamment dans les titres adossés à des actifs (asset-backed securities) a considérablement augmenté, ce qui a favorisé la formation d’une bulle du prix des actifs via une expansion rapide du crédit. En même temps, l’effet de richesse associé à ce renchérissement des actifs a donné un élan important à la consommation, intensi? ant le cercle vicieux des déséquilibres mondiaux. Graphique 6 Part de l’investissement étranger dans les obligations du Trésor américain (en milliers de milliards de dollars) Établissements non financiers non publics Autres établissements financiers Agences gouvernementales Banques commerciales Marchés financiers 0 1 3 5 6 2 4 7 2002 2003 2004 2006 2005 Sources : Trésor américain et Shin (2009) 17 DeLong (2008) ; Dooley et Garber (2009) ; Backus et Cooley (2010) 18 Obstfeld et Rogoff (2009) ; Blanchard et Milesi-Ferretti (2009) ; Roubini (2009) ; Portes (2009) Graphique 7 Indice des prix de l’immobilier résidentiel et consommation aux États-Unis (%) (%) 63 64 65 67 66 69 68 71 70 - 20 - 15 - 10 0 - 5 10 5 20 15 Consommation privée/PIB (échelle de gauche) 1988 1992 1990 1994 1996 2000 1998 2002 2004 2006 2008 Variation du prix des logements (échelle de droite) Source : Indice national S&P/Case Shiller des prix de l’immobilier résidentielDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 77 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim Cependant, malgré l’accélération de l’innovation et l’essor de l’intermédiation ? nancière, les autorités n’ont pas exercé une régulation et une supervision adéquates. Les établissements ? nanciers ont donc continué à prendre des risques excessifs. En outre, les banques centrales n’ont pas su remédier au problème des cycles d’alternance de bulle et de chute du prix des actifs, d’où l’instabilité croissante du système ? nancier. La dernière crise ? nancière mondiale a montré que, dans un environnement où les monnaies de réserve sont peu nombreuses, l’accumulation de déséquilibres mondiaux déstabilise le système monétai re internat ional (SMI ) et ac c roî t par conséquent la probabilité d’une crise. À la suite de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, le système ? nancier mondial est devenu très instable, et une pénurie sévère de dollars (dollar crunch) s’est produite. Certaines économies émergentes se sont retrouvées confrontées à de graves problèmes de déséquilibres en devises dans leurs comptes, car les investissements de leurs entreprises dépendaient fortement des capitaux étrangers, ainsi qu’à une crise de la liquidité, en raison de sorties soudaines de capitaux étrangers. Cette pénurie de dollars a eu de profondes répercussions négatives non seulement sur les marchés émergents, mais également sur les régions et les pays dont la monnaie est une monnaie de réserve, tels que le Royaume-Uni et la zone euro. Elle ne s’est atténuée que lorsque le système de réserve américain a injecté des liquidités en dollars, dans le cadre d’accords d’échanges de devises (swaps) 19 passés avec les banques centrales des grands pays avancés et émergents. Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’analyse des interactions entre les déséquilibres mondiaux et l’instabilité ? nancière met en évidence une relation étroite, par laquelle ces deux phénomènes se sont mutuellement renforcés. Il ne serait donc pas exagéré d’af? rmer que les déséquilibres mondiaux ont contribué à la fois directement et indirectement au déclenchement de la crise récente, ce qui laisse à penser qu’en les corrigeant a? n d’améliorer la stabilité ? nancière, on pourra éviter la résurgence de crises. 3| COMMENT RÉSORBER LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET EMPÊCHER LES CRISES FINANCIÈRES ? 3|1 Mettre en place un mécanisme de réaction systématique via le G20 Depuis la récente crise ? nancière, le G20, principal forum de la coopération économique internationale, r é f l é c h i t à d e s me s u re s d e s t i n é e s à r é a g i r ef? cacement, à empêcher la résurgence d’une telle crise et à poser les bases d’une croissance mondiale durable et équilibrée. Lors du sommet de Séoul en novembre 2010, les dirigeants du G20 ont approuvé plusieurs accords portant sur des objectifs essentiels, notamment le développement du Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée, la réforme du FMI, la réforme de la régulation ? nancière et les améliorations à apporter aux ? lets de sécurité ? nancière mondiale (Global Financial Safety Nets – GFSN). En convenant de discuter plus avant de l’élaboration d’un cadre macroprudentiel et de mesures permettant de renforcer la stabilité du SMI, ils ont également créé les conditions nécessaires à la poursuite des efforts qui visent à établir un nouveau paradigme économique mondial. Ces nouveaux objectifs ont été proposés, respectivement, par la Corée et par la France. C’est la prise de conscience de la nécessité d’instaurer un mécanisme de réaction global et systématique via le G20, plutôt que des mesures distinctes dans différents domaines, qui a motivé ces efforts du G20. En effet, la récente crise a été déclenchée et ampli? ée par les interactions entre les déséquilibres mondiaux et l’instabilité ? nancière, interactions elles-mêmes engendrées par des bulles du prix des actifs. Le G20 va donc poursuivre ses efforts d’amélioration du Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée, de réforme de la régulation ? nancière et de mise en place de GFSN en s’appuyant sur ce qui a déjà été accompli en 2010. Parallèlement, il s’attachera, par différentes mesures, à assurer la stabilité du SMI. 19 Les échanges de devises effectués dans le cadre de ces accords ont représenté 80 milliards de dollars avec la Banque d’Angleterre, 120 milliards avec la Banque du Japon, 240 milliards avec la Banque centrale européenne, 30 milliards avec la Banque du Canada, 30 milliards avec la Banque de réserve d’Australie et 30 milliards avec la Banque de Corée.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 78 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim DÉVELOPPER LE CADRE POUR UNE CROISSANCE FORTE, DURABLE ET ÉQUILIBRÉE Les déséquilibres mondiaux ne sont pas uniquement dus aux taux de change. Pour les résorber, tant les pays excédentaires que les pays dé? citaires doivent améliorer leurs politiques économiques, grâce notamment à une étroite coordination de leurs politiques macroéconomiques et structurelles. Dans les pays à compte des transactions courantes excédentaire, il faut inciter l’État et le secteur privé à réduire leur taux d’épargne et à étoffer la demande intérieure en soutenant, par exemple, les différentes branches des services. De leur côté, les pays dé? citaire doivent s’attacher à dynamiser l’épargne de leur secteur public et dé? nir des mesures encourageant une hausse de l’épargne privée, y compris après la reprise de l’activité économique. RÉFORMER LA RÉGULATION FINANCIÈRE I l es t communément admi s que la récente crise ? nancière est survenue dans un contexte d’intensi? cation des déséquilibres mondiaux due au manque de régulation et de supervision de la sphère ? nancière. Des discussions supplémentaires sur la mise en place d’un cadre macroprudentiel, sur la réforme de la régulation du point de vue des marchés émergents et sur un encadrement plus strict du système bancaire parallèle (shadow banking), ainsi que le propose la France, doivent avoir lieu conformément à ce que les dirigeants du G20 ont décidé ensemble à Séoul. Il faut aussi, en parallèle, mettre en place les nouvelles règles concernant les fonds propres et la liquidité des banques. L’élaboration d’un cadre macroprudentiel, en par t i cul ier, devrai t permet t re de l imi ter les répercussions négatives (telles que la formation de bulles des prix d’actifs provoquée par un af? ux soudain de capitaux) en atténuant la procyclicité du secteur financier et en contrant les risques sys témiques qui peuvent résul ter des for tes connexions entre les établissements ? nanciers. À cette fin, il est essentiel de concevoir des instruments macroprudentiels qui réduiront la procyclicité, tels que la constitution de volants de fonds propres contracycliques et le provisionnement dynamique. En outre, nous devons impérativement dé? nir des règles et des mécanismes de supervision pour les établissements ? nanciers d’importance systémique, car l’intensi? cation des liens entre établissements génère des externalités de réseau : la mauvaise gestion d’un établissement peut affecter d’autres établissements et entraîner la propagation d’une crise via des répercussions en cascade. Les banques centrales doivent, elles aussi, tirer les conséquences de la crise ? nancière mondiale et poursuivre leurs efforts destinés à préserver la stabilité ? nancière en élaborant des cadres de politique monétaire qui remédieront au problème des cycles d’alternance de bulle et de chute du prix des actifs. METTRE EN PLACE DES FILETS DE SÉCURITÉ FINANCIÈRE MONDIALE Les GFSN permettront aux pays de faire face au tarissement soudain des ? ux de capitaux en complétant leurs réserves de change. Ils contribueront aussi à la prévention des crises, ou à leur résolution ex post, en facilitant le rééquilibrage économique mondial. On peut penser que ce dispositif incitera moins les pays émergents à accumuler des réserves en devises, ce qui réduira les distorsions des taux de change dues à l’intervention des autorités sur les marchés. De plus, la résorption des déséquilibres mondiaux pourrait lever les incertitudes pesant sur ces taux, ce qui serait béné? que à la fois aux économies avancées et aux économies émergentes. En 2010, le FMI a renforcé ses mécanismes de prêt de façon à élargir les fonctions des GFSN, mais, comme l’ont montré les discussions qui ont eu lieu à Séoul, il faudra poursuivre les efforts d’amélioration des ? lets de sécurité ? nancière. ASSURER LA STABILITÉ DU SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL La récente crise ayant mis en évidence l’instabilité de plus en plus grande du SMI, il faut améliorer les mécanismes institutionnels du SMI actuel, qui ne font intervenir qu’un petit nombre de monnaies de réserve, ainsi que ses mécanismes d’action, notamment en ? exibilisant les taux de change. Le SMI repose actuellement sur le principe que les déséquilibres mondiaux se corrigeront spontanément si les régimes de change sont ? exibles, ce qui signi? e que les pays doivent assouplir leur politique de change. De surcroît, même si le SMI continue de fonctionner avec un petit nombre de monnaies de réserve, la part des échanges mondiaux réalisés par des pays Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 79 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim dont la monnaie n’est pas une monnaie de réserve ne cesse d’augmenter, ce qui déstabilise encore plus le système. Nous devons par conséquent continuer à débattre des moyens de remédier à ces problèmes. Dans ce contexte, nous devons garder à l’esprit ce que Robert Trif? n a quali? é de dilemme lors de la mise en place du système de Bretton Woods. En 1947, cet économiste belge a en effet estimé que, si le commerce mondial reposait sur une seule grande monnaie, telle que le dollar des États-Unis, les émissions de cette monnaie allaient s’accroître à mesure que le commerce mondial se développerait, ce qui aboutirait à un niveau d’endettement intenable pour le pays émetteur et accentuerait l’instabilité du SMI. Cette mise en garde mérite toute notre attention, comme l’a montré la « pénurie de la monnaie de réserve » durant la crise ? nancière mondiale de 2008. 3|2 Quels dé? s à venir pour le G20 ? Durant l’année 2010, le G20 a cherché à surmonter la crise ? nancière mondiale en établissant un nouveau paradigme économique post-crise. Il peut être ? er des avancées non négligeables qui ont déjà été réalisées. Les membres du G20 sont notamment parvenus à s’entendre sur plusieurs points, en faisant taire leurs divergences. Cependant, malgré ces avancées, des incertitudes demeurent, par exemple en ce qui concerne le risque de contraction de l’activité économique dans les grands pays et le creusement des dé? cits budgétaires nationaux. Dans ce domaine aussi, la coordination des politiques des différents pays devient plus dif? cile. En outre, certains s’interrogent sur l’applicabilité des accords conclus entre les membres du G20 dans l’optique de remédier aux déséquilibres mondiaux. Étant donné que le G20 est une enceinte relativement récente et qu’il n’existe pas, à ce jour, de règles de mise en œuvre strictes, ces préoccupations sont tout à fait compréhensibles. Néanmoins, des règles souples peuvent se révéler tout aussi efficaces dans certaines conditions. C’est notamment le cas lorsque le G20 établit, de manière systématique et structurée, des liens de coopération qui reposent sur le respect mutuel entre les différentes parties et sur l’accumulation de mesures. Les pays savent alors que leur réputation risque d’être entachée s’ils refusent de se conformer aux décisions prises collectivement. Il faut certes se garder d’un optimisme exagéré, mais on peut raisonnablement penser que le G20 est en train de s’imposer. Depuis la création de cette enceinte, nous constatons en effet un rapprochement progressif entre les points de vue des pays avancés et ceux des pays émergents. Graphique 8 Part des échanges mondiaux réalisés par les pays dont la monnaie n’est pas une monnaie de réserve (%) 40 44 48 56 52 42 46 54 50 58 1980 1988 1984 1992 1996 2000 2004 2008 Note : • Les pays dont la monnaie est une monnaie de réserve sont les membres de la zone euro, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis. • Pays membres de la zone euro, hors Belgique, République slovaque et Slovénie Source : FMI (Statistiques ? nancières internationales)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 80 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Choongsoo Kim BIBLIOGRAPHIE Acharya (V.) et Schnabl (P.) (2009) “Do global banks spread global imbalances? The case of asset-backed commercial paper during the ? nancial crisis of 2007-09”, présenté lors de la 10 e conférence annuelle Jacques Polak Backus (D.) et Cooley (T.) 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Les déséquilibres mondiaux sont le re? et de la nature décentralisée du système monétaire et ? nancier international actuel. En effet, les principaux acteurs mondiaux cherchent tous, rationnellement, à servir leur propre intérêt. Mais la crise ? nancière a révélé que ce qui était justi? é pour chaque acteur considéré isolément ne l’était pas toujours au niveau global : ces actions individuelles ont eu des conséquences collectives. La principale leçon à tirer de la crise est qu’il est nécessaire de trouver de meilleurs moyens de garantir un résultat collectif satisfaisant. L’amélioration de la régulation ? nancière favorisera l’intermédiation des ? ux liés aux déséquilibres mondiaux. Toutefois, l’économie mondiale restera vulnérable face aux risques associés aux déséquilibres si ces derniers ne sont pas traités à la source. À l’avenir, il convient d’appliquer deux principes. Premièrement, les débats doivent être axés sur le désaccord sous-jacent relatif à la vitesse appropriée de l’ajustement au pro? l d’évolution réel de la dépense et donc à la réduction de ces déséquilibres. La teneur des débats dépend de la capacité des pays à maintenir ce cap sur la durée. Deuxièmement, de nombreuses mesures seront nécessaires, outre les modi? cations des taux de change, pour réduire les déséquilibres. Faute d’un accord sur ces deux principes, au mieux, on observera une faible reprise mondiale, et au pire, les germes de la prochaine crise ? nancière auront été semés. Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre MERVYN KING Gouverneur Banque d’AngleterreDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 84 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King E n 2009, la demande dans les principales économies mondiales a ? échi de quelque 2 500 milliards de dollars, soit 5 % du PIB, par rapport à la tendance observée avant la crise. Pratiquement aucun pays n’a été épargné par la tourmente ? nancière. Des mesures sans précédent ont certes permis au monde d’échapper à une deuxième Grande Dépression, mais la reprise mondiale a été jusqu’ici irrégulière et elle demeure fragile. Le présent article examine le rôle joué par les déséquilibres mondiaux dans la crise ? nancière, et l’importance d’un rééquilibrage de la demande mondiale pour favoriser une reprise soutenable. I l c h e rc h e e s s e n t i e l l eme n t à mo n t re r q u e dans l’économie mondiale actuelle, fortement interconnectée, la principale priorité des autorités nationales doit être de trouver des moyens de rééquilibrer la demande mondiale. Il est important (i) d’assurer un niveau de demande mondiale suf? sant pour permettre la poursuite de la reprise et (ii) de prévenir la survenue de futures crises. Graphique 1 Déséquilibres du compte de transactions courantes et taux d’intérêt à long terme (%) (en % du PIB mondial) 2 3 4 5 6 - 4 - 2 0 2 4 1998 1999 2000 2001 2002 2004 2005 2006 2007 2008 2003 2009 Reste du monde (échelle de droite) Autres économies émergentes en dé?cit (échelle de droite) Autres économies avancées en dé?cit (échelle de droite) Exportateurs de carburant (échelle de droite) Chine (échelle de droite) Japon, Allemagne (échelle de droite) États-Unis (échelle de droite) Rendement obligataire nominal à long terme a) (échelle de gauche) a) Économies avancées Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale Graphique 2 Soldes du compte de transactions courantes a) (en % du PIB national) - 8 - 6 - 4 - 2 0 2 4 6 8 10 1870 1887 1904 1921 1938 1955 1972 1989 2006 Chine France Allemagne Japon Royaume-Uni États-Unis Étalon-or Bretton Woods Entre-deux -guerres Période actuelle a) Moyenne mobile sur cinq ans Sources : FMI, Perspectives de l’économie mondiale ; Taylor (2002) ; calculs de la Banque d’Angleterre 1| LES DÉSÉQUILIBRES ONT CONTRIBUÉ À LA CRISE FINANCIÈRE Depuis l’effondrement du système de Bretton Woods au début des années soixante-dix, les arrangements monétaires internationaux ont évolué vers un système décentralisé. Les pays sont libres de faire des choix en toute indépendance en matière de politiques monétaire, de change et de stabilité ? nancière. Une plus grande mobilité des capitaux constitue également une des caractéristiques majeures du régime actuel. Sur la période qui a précédé la récente crise ? nancière, les ? ux nets de capitaux ont plus que doublé en moins de dix ans (graphique 1) et les déséquilibres mondiaux se sont creusés pour atteindre des niveaux pratiquement sans précédent (graphique 2). L’augmentation des ? ux de capitaux peut entraîner un accroissement de la production mondiale, dans la mesure où les investisseurs sont à la recherche des meilleures opportunités en matière d’investissement productif, et transfèrent l’épargne des pays où le produit marginal du capital est faible vers ceux où il est élevé. Toutefois, dans le système actuel, certaines économies avancées comme les États-Unis et le Royaume-Uni enregistrent des dé? cits importants et persistants des comptes de transactions courantes, alors que des économies de marché émergentes, en particulier en Asie et parmi les pays exportateurs de pétrole, af? chent des excédents. Le fait que ces ? ux de Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 85 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King capitaux en provenance des économies émergentes dynamiques et à forte intensité en main-d’œuvre se soient dirigés vers les économies avancées constitue, au moins dans certains cas, une énigme. Par conséquent, des facteurs autres que les différences en termes de produit marginal du capital ont dû être à l’œuvre (Lucas, 1990). Il convient de noter que les achats d’actifs étrangers ont davantage été le fait des secteurs publics des marchés émergents que de leurs secteurs privés, ce qui a entraîné une multiplication par plus de dix des réserves de change des pays considérés au cours des quinze dernières années. Les gouvernements des pays émergents ont joué un rôle d’intermédiation, détournant l’épargne nationale de l’économie locale pour l’orienter vers les marchés ? nanciers internationaux. De plus, leur choix s’est porté essentiellement sur des actifs sûrs, typiquement des actifs ? nanciers souverains. Ces déséquilibres croissants en termes de ? ux se sont accompagnés de déséquilibres croissants en termes de stocks. La position extérieure nette débitrice des États-Unis a quadruplé en dix ans, atteignant 3 500 milliards en 2008 (25 % du PIB). À l’inverse, les positions extérieures nettes créditrices du Japon et de l’Allemagne ont augmenté de, respectivement, 1 700 et 800 milliards (environ 35 % et 25 % du PIB de 2008) sur la même période, alors que les avoirs extérieurs nets de la Chine ont atteint 1 500 milliards de dollars, soit un tiers du PIB, en 2008. Comment s’explique cette réorientation des ? ux nets de capitaux ? Le graphique 1 montre qu’ils ont été associés à une baisse des taux d’intérêt à long terme, témoignant soit d’une diminution du niveau d’investissement souhaité soit d’une augmentation du niveau d’épargne souhaité au niveau mondial. Si ces évolutions se produisaient dans un pays donné, elles tendraient à améliorer le solde de son compte de transactions courantes, entraînant soit une baisse du dé? cit soit une hausse de l’excédent. Mais le fait que les déséquilibres des comptes de transactions courantes au niveau mondial aient augmenté au cours de cette période indique que ces modi? cations des soldes épargne-investissement se sont produites dans des pays qui enregistraient déjà des excédents. Le graphique 3 montre que l’augmentation des soldes épargne-investissement dans les pays en excédent a résulté pour l’essentiel d’une augmentation de l’épargne plutôt que d’une diminution de l’investissement. Même si le niveau d’investissement a été important et s’il a progressé dans les pays en excédent, celui de l’épargne a été encore plus élevé et a augmenté à un rythme plus rapide. L’excès d’épargne observé dans les pays en situation d’excédent a entraîné des sorties nettes de capitaux toujours plus importantes qui ont permis aux États-Unis et aux autres pays en dé? cit de continuer à ? nancer de nouveaux emprunts. Au sens comptable, l’augmentation de l’épargne des marchés émergents en pourcentage du PIB mondial a re? été deux facteurs. Si l’on prend l’exemple de la Chine, le graphique 4 montre que dans ce pays, l’épargne nationale a progressé en pourcentage du revenu national disponible à partir de 2001. Il ressort du graphique 5 que la part du PIB de la Chine dans le PIB mondial a doublé depuis 2001, ce qui a accentué l’accroissement de l’épargne chinoise en pourcentage du PIB mondial. Trois raisons, qui sont liées entre elles, peuvent expliquer l’accroissement de l’épargne domestique dans les économies émergentes. Premièrement, nombre de ces économies ont adopté une stratégie de développement des exportations de produits manufacturés pour créer des emplois, qui nécessitait le maintien du Graphique 3 Taux d’épargne et d’investissement des régions dont le compte de transactions est dé? citaire ou excédentaire a) (%) 0 5 10 15 20 25 30 35 40 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 Investissement – régions déficitaires Épargne – régions déficitaires Investissement – régions excédentaires Épargne – régions excédentaires a) Les régions excédentaires sont celles af? chant un excédent courant supérieur à 1 % du PIB en 2008 et comprennent la Communauté des États indépendants et la Mongolie, les pays asiatiques en développement, le Japon, le Moyen-Orient et les pays asiatiques nouvellement industrialisés ; les régions dé? citaires sont celles af? chant un dé? cit courant supérieur à 1 % du PIB et recouvrent l’Europe centrale et orientale, l’Afrique subsaharienne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Note : Le pourcentage du PIB correspond au pourcentage du PIB des régions excédentaires et à celui du PIB des régions dé? citaires. Source : FMI, Perspectives de l’économie mondialeDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 86 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King taux de change à des niveaux hautement compétitifs et a entraîné une importante accumulation de réserves de change. Deuxièmement, dans le sillage de la crise asiatique, les gouvernements ont décidé d’accumuler des réserves pour des motifs de précaution. Et troisièmement, le faible développement des systèmes ? nanciers peut avoir joué un rôle important via un certain nombre de canaux comprenant (i) le choix des ménages de s’auto-assurer en raison des carences des marchés domestiques de l’assurance (Mendoza et al., 2007) ; (ii) une offre insuf? sante d’actifs ? nanciers « sûrs » dans leur pays qui a incité les investisseurs des marchés émergents à accumuler des actifs « sûrs » provenant des marchés ? nanciers des économies avancées (Caballero et al., 2008) ; (iii) la réduction des dispositifs de protection sociale et de la fourniture de services de santé et d’éducation, qui a incité les ménages à accumuler une épargne de précaution (Chamon et Prasad, 2010) ; et (iv) une fourniture insuf? sante de services ? nanciers, qui a contraint les entreprises à mettre les béné? ces en réserve pour ? nancer les investissements futurs. Parallèlement, les autorités des économies avancées ont suivi une stratégie visant à maintenir la demande globale à un niveau compatible avec une in? ation faible et stable. Dans certains cas, cela impliquait d’enregistrer des dé? cits importants des comptes de transactions courantes. À l’époque, toutes les économies semblaient être gagnantes : celles qui épargnaient beaucoup créaient des emplois et celles qui épargnaient peu béné? ciaient d’une croissance plus rapide de la consommation réelle sous l’effet de la baisse des prix des produits manufacturés importés. En elles-mêmes, toutes ces actions étaient rationnelles. Tous les grands acteurs — pays, régulateurs, banques centrales et banques commerciales — poursuivaient rationnellement leur propre intérêt. Mais ce qui était justi? é pour chaque acteur considéré isolément ne l’était pas au niveau global. Ces actions individuelles ont eu des conséquences collectives. En particulier, l’excédent d’épargne a contribué à faire baisser les rendements des emprunts publics : ainsi, selon Warnock et Warnock (2009), en l’absence d’acquisitions de titres d’emprunt public des États-Unis par des entités publiques étrangères au cours des douze mois s’achevant en mai 2005, le rendement des obligations à dix ans du Trésor américain aurait été supérieur de quelque 80 points de base. Pour essayer de maintenir la rentabilité de leurs placements aux niveaux précédents, plus élevés, d’autres investisseurs se sont lancés dans une « quête de rendement » qui a encouragé la prise de risques, pour une grande part sous couvert « d’innovation ? nancière », ce qui a entraîné une sous-évaluation du risque. Cette évolution s’est traduite par une distinction moins nette entre des actifs présentant des qualités de signature différentes et par le développement d’instruments ? nanciers de plus en plus complexes ayant recours à l’effet de levier pour générer de meilleurs rendements. Ces prises de risque ont été rendues possibles par les insuf? sances de la régulation et de la surveillance ? nancières. Graphique 5 Épargne nationale et PIB de la Chine (en % du PIB mondial) Épargne nationale PIB 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale Graphique 4 Épargne nationale en Chine (en % du revenu disponible national) 0 10 20 30 40 50 60 1992 1995 1998 2001 2004 2007 Ménages Entreprises Administrations publiques Sourc e : Di s c ours du g ouve rneur Zhou Xiao chuan, 3 jui l l e t 2009, http://www.pbc.gov.cn/image_public/UserFiles/english/upload/File/ AddressattheGlobalThink-tankSummit[1]..pdfDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 87 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King Un tel pro? l de croissance, avec les déséquilibres et l’évaluation incorrecte du risque qui y étaient associés, n’était pas soutenable : la crise ? nancière qui s’en est suivie a menacé la stabilité de l’ensemble du système ? nancier. En effet, comme illustré au graphique 6, les crises ? nancières constituent une caractéristique essentielle du système monétaire et ? nancier international actuel, la réapparition de l’instabilité ? nancière mondiale coïncidant avec le rapide accroissement de la mobilité du capital. Le graphique 7 montre que l’évolution du taux de créances douteuses des pays entre 2007 et 2009 et celle du solde de leur compte de transactions courantes en 2007 présentent une corrélation, bien que, naturellement, la relation de cause à effet puisse s’exercer dans les deux sens. En comparaison, la relation entre l’évolution des taux de créances douteuses des pays et les ratios de fonds propres des banques n’est pas signi? cative. Le tableau 1 montre également que par rapport au système de Bretton Woods, le système monétaire et ? nancier international actuel a été durable, mais qu’il a également coexisté, en moyenne, avec une croissance mondiale plus lente et plus volatile, des récessions plus fréquentes, une in? ation plus forte et volatile, des dé? cits courants plus importants, et une plus grande fréquence des crises bancaires, des crises de change et des défauts de paiements extérieurs. Certes, ces mesures établies en moyenne sur une période masquent les améliorations importantes observées actuellement, la « grande modération » d’après 1990 étant associée à des résultats nettement supérieurs à ceux qui avaient été obtenus dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Néanmoins, à l’exception notable de l’in? ation, les résultats obtenus sur la période de Bretton Woods ont été supérieurs à ceux atteints depuis 1990. Si, bien entendu, il n’existe pas de lien de causalité, cela donne à penser que des améliorations sont possibles. Graphique 6 Mobilité des capitaux a) et incidence des crises bancaires b) (indice) (%) 0 5 10 15 20 25 30 0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1,0 1800 1850 1900 1950 2000 Mobilité des capitaux (échelle de gauche) Pays connaissant une crise bancaire (échelle de droite) a) L’indice d’Obstfeld et de Taylor relatif à la mobilité des capitaux est arbitraire et prend une valeur comprise entre 0 et 1. b) Moyenne sur trois ans Sources : Bordo et al. (2001) ; Obstfeld et Taylor (2004) ; Reinhart (2010) et calculs de la Banque d’Angleterre Graphique 7 Solde du compte de transactions courantes et taux de créances douteuses a) (abscisses : hausse du taux de créances douteuses ; ordonnées : compte de transactions courantes/PIB en %) - 10 0 y = - 0,8485x + 0,0083 R² = 0,2181 10 20 30 - 30 - 20 - 10 0 10 20 30 a) Solde du compte de transactions courantes en pourcentage du PIB en 2007 et variation du taux de créances douteuses entre 2007 et 2009 Sources : FMI, Rapport sur la stabilité ? nancière dans le monde et Perspectives de l’économie mondiale Graphique 8 Contributions de la Chine et des États-Unis à la croissance mondiale (contributions à la croissance annuelle du PIB, en points de %) Investissement – Chine (échelle de gauche) Consommation – Chine (échelle de gauche) Consommation – États-Unis (échelle de gauche) Investissement – États-Unis (échelle de gauche) PIB mondial (échelle de droite) - 1,0 - 0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 - 4 - 2 0 2 4 6 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Source : FMI, Perspectives de l’économie mondialeDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 88 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King Tableau 1 Sélection d’indicateurs permettant de mesurer la performance des SMFI au ? l du temps GROUPE A : PIB mondial (par habitant) a) In? ation mondiale b) Croissance Moyenne annuelle % Volatilité Coef? cient de variation Moyenne % Volatilité Écart type Points de pourcentage Avant l’étalon-or (1820-1869) 0,5 – – – Étalon-or (1870-1913) c) 1,3 1,2 0,6 3,0 Entre-deux-guerres (1925-1939) c) 1,2 3,3 0,0 4,6 Bretton Woods (1948-1972) d) 2,8 0,3 3,3 2,1 pour mémoire : 1948-1958 d) 2,7 0,4 3,1 2,9 1959-1972 3,0 0,3 3,5 1,3 Période actuelle (1973-2008) 1,8 0,7 4,8 3,5 pour mémoire : 1973-1989 1,4 0,8 7,5 3,4 1990-2008 2,2 0,6 2,3 0,9 GROUPE B : Récessions Déséquilibres des comptes de transactions courantes Années de croissance négative du PIB mondial Part de la période % Années de croissance négative pour un échantillon de pays e) Part de la période, pays médian % Excédents et dé? cits en % du PIB mondial f) Avant l’étalon-or (1820-1869) – – – Étalon-or (1870-1913) c) 7 19 2,4 Entre-deux-guerres (1925-1939) c) 21 27 1,2 Bretton Woods (1948-1972) d) 0 4 0,8 pour mémoire : 1948-1958 d) 0 0 0,8 1959-1972 0 0 0,8 Période actuelle (1973-2008) 0 13 2,2 pour mémoire : 1973-1989 0 18 1,6 1990-2008 0 11 2,8 GROUPE C : Incidence des crises Crises bancaires h) Nombre par an Crises de change i) Nombre par an Défaut extérieur j) Nombre par an Avant l’étalon-or (1820-1869) 0,6 – 0,7 Étalon-or (1870-1913) g) 1,3 0,6 0,9 Entre-deux-guerres (1925-1939) 2,1 1,7 1,5 Bretton Woods (1948-1972) 0,1 1,7 0,7 pour mémoire : 1948-1958 0,0 1,4 0,3 1959-1972 0,1 1,9 1,1 Période actuelle (1973-2009) 2,6 3,7 1,3 pour mémoire : 1973-1989 2,2 5,4 1,8 1990-2009 3,0 2,4 0,8 a) Libellé en dollars internationaux constants, d’après la dé? nition de Maddison (2006) b) Moyenne pondérée du PIB nominal de 12 pays c) Quand les données au niveau mondial ne sont pas disponibles, on utilise un sous-ensemble de pays déclarants. d) Les données relatives au PIB mondial sont disponibles à partir de 1950. e) Échantillon des pays actuels du G20 (y compris pays de l’UE), quand les données sont disponibles. f) Somme des valeurs absolues des excédents et des dé? cits. Sur la base des données disponibles pour un échantillon de pays du G20 et de l’UE. g) Les données relatives aux crises de change sont disponibles à partir de 1880. h) Sur la base d’un échantillon de 56 pays, en utilisant des données fondées sur une méthodologie établie par Bordo et al. (2001) i) Sur la base d’un échantillon de 56 pays, en utilisant des données fondées sur une méthodologie établie par Bordo et al. (2001) et complétée par Reinhart (2010), Mecagni et al. (2009) et Hutchinson et Noy (2006) j) Sur la base d’un échantillon de 45 pays. Les défauts extérieurs correspondent à la dé? nition de Reinhart (2010). Sources : Bordo et al. (2001) ; Global Financial Data ; Hutchinson et Noy (2006) ; Perspectives de l’économie mondiale du FMI ; Maddison (2006) données mises à jour disponibles à l’adresse suivante : http://www.ggdc.net/MADDISON/oriindex.htm ; Mecagni et al. (2009) ; Reinhart (2010) ; Taylor (2002) et calculs de la Banque d’AngleterreDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 89 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King En effet, la principale leçon de la crise est qu’il est nécessaire de trouver de meilleurs moyens de garantir un résultat collectif satisfaisant. La régulation ? nancière et la structure du système bancaire doivent être réformées pour prévenir la survenue d’une nouvelle crise ? nancière. Nombre des réformes nécessaires sont déjà en cours. L’amélioration de la régulation financière permettra d’assurer l’intermédiation des flux liés aux déséquilibres mondiaux. Toutefois, il ne faut pas trop attendre de la régulation : elle pourrait bien être contournée ou se diluer au ? l du temps, et l’on observera des fuites, tant d’un pays à l’autre que via le système bancaire parallèle (shadow banking system). Par conséquent, l’économie mondiale restera vulnérable face aux risques associés aux déséquilibres si ces derniers ne sont pas traités à la source. Il faudra pour cela faire en sorte que les politiques suivies par les pays donnent des résultats soutenables. 2| LE RÉÉQUILIBRAGE DE LA DEMANDE GLOBALE EST LA CLÉ D’UNE REPRISE SOUTENABLE Tous les pays s’entendent sur la nécessité d’un rééquilibrage mondial. Toutefois, il existe une nette différence entre la trajectoire d’ajustement ex ante qu’appellent de leurs vœux les pays excédentaires, qui doivent opérer une réorientation structurelle de leur stratégie tirée par les exportations, et l’ajustement ex ante préconisé par les pays en dé? cit, soumis à de plus fortes pressions pour réduire la charge de la dette des secteurs privé et public. Les débats sur la guerre des changes sont le symptôme d’un désaccord plus profond quant au calendrier de l’ajustement réel. Ce point a son importance parce que les excédents et les dé? cits devant s’annuler au niveau mondial, les différences entre ces trajectoires d’ajustement souhaité ex ante sont réconciliées ex post par les modi? cations du niveau de la production mondiale. Il existe donc un risque qu’à défaut d’accord sur une trajectoire commune d’ajustement, des politiques con? ictuelles n’entraînent une trajectoire ex post à un niveau trop faible de production mondiale. Le fonctionnement actuel du système monétaire et ? nancier international présente des distorsions. Les principaux pays en excédent et en déficit poursuivent des stratégies économiques qui sont en totale opposition, et ceci fait un certain nombre de victimes innocentes. En effet, les économies de marché émergentes qui ont opté pour un régime de ? ottement du change pâtissent désormais des efforts d’autres pays pour maintenir leur taux de change à un bas niveau, enregistrant des taux préoccupants d’entrées de capitaux et d’appréciation de leur monnaie. Par conséquent, le problème ne se limite pas à un con? it bilatéral entre la Chine et les États-Unis. Les tensions actuelles sur les changes illustrent la résistance aux modi? cations des prix relatifs, lesquels sont nécessaires à la réussite d’un rééquilibrage. La nécessité d’agir dans l’intérêt collectif doit encore être reconnue, faute de quoi, le recours d’un ou plusieurs pays au protectionnisme, perçu comme le seul instrument disponible au niveau national pour soutenir le nécessaire rééquilibrage, ne sera plus qu’une question de temps. Cette évolution risquerait d’entraîner, comme dans les années trente, un effondrement désastreux de l’activité dans le monde entier. Tous les pays en subiraient les ruineuses conséquences. Néanmoins, pour lutter contre le protectionnisme, il nous faut également lutter contre ses causes. Que faut-il faire ? Je suggère de fonder nos actions futures sur deux principes. Premièrement, il faut axer la discussion sur le désaccord sous-jacent relatif à la vitesse appropriée de l’ajustement au pro? l d’évolution réel de la dépense. La teneur du débat dépend de la capacité des pays à maintenir ce cap sur la durée. En l’absence d’un accord sur ce point, les politiques suivies entreront inévitablement en con? it. En revanche, une fois qu’un accord global aura été atteint, il devrait être plus facile de s’entendre sur les instruments à utiliser. Deuxièmement, en termes d’instruments, il faudrait considérer un grand nombre de mesures potentielles, et ne pas se limiter à la question des taux de change. Outre les taux de change, la palette d’instruments devrait inclure des règles du jeu pour le contrôle des entrées de capitaux, des moyens plus ef? caces pour permettre aux pays de s’auto-assurer, des programmes visant à accroître l’épargne dans les pays en dé? cit, des réformes structurelles pour stimuler la demande dans les pays en excédent et même le rôle et la gouvernance des institutions ? nancières internationales. Il faut conclure une « grande négociation » entre les principaux acteurs de l’économie mondiale. Une négociation qui reconnaîtra les avantages Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 90 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King d’un compromis relatif à la trajectoire réelle d ’ a j u s t eme n t é c o n omi q u e a f i n d ’ é v i t e r l e s conséquences dommageables d’une évolution vers le protectionnisme. Les taux de change devront en faire partie, mais ils s’inscrivent logiquement dans le cadre d’un accord de plus haut niveau sur le rééquilibrage et le maintien d’un niveau élevé de demande mondiale. Le forum naturel pour conclure cette négociation est le cadre du G20 pour une croissance forte, durable et équilibrée. Jusqu’ici, le processus n’a pas permis d’avancer sur la voie d’un meilleur résultat. Si nous ne réussissons pas à coopérer volontairement, un système automatique pourrait être envisagé pour restaurer la demande mondiale et préserver, dans le futur, la stabilité économique et ? nancière mondiale. Les déséquilibres mondiaux ont contribué à la crise ? nancière et il est impératif de rééquilibrer la demande globale pour parvenir à une reprise soutenable. L’amélioration de la régulation ? nancière permettra certes d’assurer l’intermédiation des ? ux liés aux déséquilibres mondiaux, mais elle a ses limites. Si nous ne traitons pas ces problèmes au niveau collectif, nous enregistrerons, au mieux, une faible reprise mondiale, et au pire, nous sèmerons les germes de la prochaine crise ? nancière. Les solutions pour éviter ces deux écueils sont entre nos mains.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 91 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Mervyn King BIBLIOGRAPHIE Bordo (M.), Eichengreen (B.), Klingebiel (D.) et Martinez Peria (M. S.) (2001) “Is the Crisis Problem Growing More Severe?”, Economic Policy, 16(32), p. 51-82 Caballero (R.), Farhi (E.) et Gourinchas (P.) (2008) “An equilibrium model of ‘global imbalances’ and low interest rates”, American Economic Review, vol. 98(1), p. 358-393 Chamon (M.) et Prasad (E.) (2010) “Why are savings rates of urban households in China rising?”, American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 2(1), p. 93-130 Feldstein (M.) et Horioka (C.) 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Par ailleurs, les déséquilibres s’inscrivent dans un contexte de taux de change variables et de processus accéléré de mondialisation ? nancière. En? n, la monnaie de réserve internationale est de fait celle d’un seul pays avancé dans le monde. La ? exibilité des taux de change qui, en principe, dispense les pays de la nécessité de défendre une parité, et la facilité d’accès au ? nancement privé étranger, qui les libère des limites imposées soit par le montant des réserves de change, soit par l’accès conditionnel aux ressources du FMI, expliquent dans une large mesure la hausse et la généralisation des dé? cits courants. En outre, la possibilité pour les États-Unis d’enregistrer des dé? cits qu’ils ? nancent parce qu’ils sont les émetteurs de la monnaie de réserve internationale a contribué de manière décisive à l’ampleur démesurée de ces déséquilibres. Or, la capacité à ? nancer les dé? cits grâce aux entrées de capitaux étrangers se distingue par sa variabilité et par un endettement accru qui débouche fréquemment sur des crises sévères. La stabilité ? nancière est par conséquent menacée. Par ailleurs, nombre des principaux pays avancés persistent à vouloir générer des excédents au lieu de promouvoir des taux de croissance rapides et d’améliorer la condition de leurs propres citoyens. Ainsi, l’ancien biais dé? ationniste qui impose des limites aux pays dé? citaires tout en laissant les principaux pays excédentaires mener librement des politiques restrictives de chacun pour soi à l’égard du reste du monde continue de régir le non-système actuel. À l’évidence, de nombreuses économies en développement à croissance rapide, qui impulsent désormais une dynamique à l’économie mondiale, jouent un rôle complètement différent depuis qu’elles ont surmonté les obstacles que les dé? cits imposaient jusqu’alors à leurs performances. Par conséquent, remédier aux déséquilibres mondiaux a? n d’éviter l’instabilité ? nancière nécessiterait, d’une part, une régulation au niveau international des ? ux de capitaux privés à caractère spéculatif et, d’autre part, la dé? nition d’un nouveau système monétaire international fonctionnant sur la base d’une monnaie de réserve multilatérale. En outre, pour remédier aux déséquilibres temporaires, il faudrait établir un mécanisme moins restrictif que la conditionnalité introduite par le FMI, comportant des obligations similaires pour les pays excédentaires et les pays dé? citaires tout en prenant en compte leur taux de croissance et leur stade de développement respectifs. Cependant, redresser les déséquilibres mondiaux ne doit pas se faire aux dépens de la croissance de l’économie mondiale qui, comme cela a été évoqué précédemment, repose désormais de plus en plus sur les pays en développement. Il faut, par conséquent, faire en sorte que les excédents des pays en développement menant avec succès une stratégie axée sur les exportations soient pris en compte dans un système de ce type. Ces pays pourront ainsi continuer de mener des politiques expansionnistes, de réduire les inégalités et de représenter une force dynamique sur le plan international. Déséquilibres mondiaux et pays en développement MERCEDES MARCÓ DEL PONT Gouverneur Banque centrale de la République argentineDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 94 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont D epuis quelques mois, les déséquilibres mondiaux sont revenus sur le devant de la scène. Aussi faible et fragile que soit la reprise, certains des déséquilibres les plus importants, qui s’étaient atténués sous l’effet du ralentissement de l’activité économique, ont recommencé à s’accentuer. Ainsi, af? chant une évolution en dents de scie, le dé? cit de la balance commerciale américaine se creuse depuis avril 2009. De leur côté, quelques autres grands pays voient leur excédent augmenter. Depuis peu, la balance commerciale de l’Allemagne et du Japon s’étoffe, tandis que, après une forte hausse sur 2003-2008, celle de la Chine ne cesse de céder du terrain, comme le montre le graphique suivant, présenté en base mensuelle. En outre, le Fonds monétaire international (FMI) estime que le dé? cit courant des États-Unis se creusera, passant de 378 milliards de dollars en 2009 à 466,5 milliards en 2010, alors que l’excédent cumulé de l’Allemagne et du Japon atteindra progressivement 366,5 milliards de dollars, contre 305 milliards en 2009 (l’excédent de la balance courante chinoise devrait avoisiner 270 milliards de dollars, soit moins que la somme des excédents de ces deux grands pays avancés, et 4,7 % du PIB chinois, ce qui est proche des 4 % évoqués par le secrétaire américain au Trésor à Séoul en novembre 2010) 1 . Cette nouvelle accentuation des déséquilibres mondiaux est préoccupante. L’expérience des quarante dernières années montre en effet qu’au-delà d’un certain point leur soutenabilité est loin d’être assurée et qu’ils entraînent une inversion du solde courant qui s’accompagne de crises caractérisées par de fortes variations des taux de change et des ? ux de capitaux 2 . L’accumulation des décalages des soldes courants, ces dernières années, se distingue toutefois à certains égards des épisodes précédents. 1| AMPLEUR ET GÉNÉRALISATION DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX Comme l’on peut le constater sur les graphiques suivants, l’ampleur des déséquilibres mondiaux, tant en valeur absolue que par rapport au PIB mondial, Graphique 1 Balances commerciales de la Chine, de l’Allemagne, du Japon et des États-Unis (en milliards de dollars, chiffres mensuels avec ajustement saisonnier) - 90 - 80 - 70 - 60 - 50 - 40 - 30 - 20 - 10 0 10 20 30 40 États-Unis Allemagne Japon Chine Janvier 2008 Mars Janvier Mai Juillet Sept. Nov. 2009 Mars Janvier Mai Juillet Sept. Nov. 2010 Mars Mai Juillet Sept. Source : Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), données GEM, exportations et importations de marchandises, valeurs corrigées des variations saisonnières, novembre 2010 1 Cf. FMI (octobre 2010), Perspectives de l’économie mondiale, base de données, par pays. L’excédent commercial de la Chine s’est accru en octobre, mais il est dif? cile de déterminer s’il s’agit d’une évolution saisonnière ou d’un revirement par rapport à sa tendance baissière. 2 Au début des années soixante-dix, l’accumulation de déséquilibres des soldes courants a conduit à l’abandon du système de Bretton Woods, ainsi qu’à l’introduction temporaire de mesures protectionnistes sur les échanges aux États-Unis. Les années quatre-vingt ont connu, elles aussi, une nouvelle accumulation d’asymétries des soldes courants avec une importante surévaluation du dollar des États-Unis, qui a été en partie gérée par des accords internationaux, mais qui a tout de même produit des perturbations majeures. Et, bien entendu, les années quatre-vingt-dix ont été caractérisées par de profonds déséquilibres, concernant surtout des pays en développement, ce qui a considérablement comprimé les ? ux de capitaux et engendré des crises généralisées.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 95 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont est nettement plus importante qu’au cours des trois décennies précédentes. Ces déséquilibres mondiaux se généralisent en outre à un nombre croissant de pays. Les mesures de leur dispersion con? rment leur progression (la dispersion augmente sur la durée même si l’on ne tient pas compte des États-Unis et de la Chine), ainsi que la présence d’asymétries et de « queues de distribution épaisses », signe de l’existence de cas extrêmes. La dispersion est étroitement associée à la mondialisation ? nancière 3 . Ces déséquilibres se caractérisent aussi par leur persistance mais, même lorsque l’on tient compte de cette tendance, le dé? cit américain constitue un cas particulier, car il est nettement plus important que ce que cette tendance pourrait expliquer 4 . Cependant, comme nous le montrerons plus loin, les pays en développement ont, dans l’ensemble, réussi au cours de la première décennie du XXI e siècle à dégager des soldes excédentaires, alors qu’ils étaient jusque-là dé? citaires. Il s’agit là d’une véritable rupture dans la persistance, évoquée plus haut, du signe du solde courant. 2| LA MONDIALISATION FINANCIÈRE ET LA PRÉDOMINANCE DU DOLLAR DES ÉTATS-UNIS COMME MONNAIE DE RÉSERVE 2|1 Le processus de mondialisation ? nancière et les pays en développement Bien sûr, comme nous venons de l ’évoquer, l’ampli? cation et, plus précisément, la généralisation des déséquilibres des soldes courants sont associées à un processus équivalent au niveau des flux ? nanciers, ainsi qu’au cas particulier des États-Unis, qui peuvent ? nancer leurs dé? cits par l’émission de la « monnaie de réserve » dominante. Au cours des deux dernières décennies, le processus de « ? nanciarisation » (ou approfondissement ? nancier), et son internationalisation, a donné aux pays la possibilité de gérer le dé? cit de leur balance des paiements en recourant au ? nancement privé, ce qui les a libérés des limites imposées par leurs réserves de change ou la « conditionnalité » des prêts du FMI. Graphique 2 Soldes des comptes de transactions courantes Somme des valeurs absolues (en milliards de dollars) 0 500 1 000 1 500 2 000 2 500 3 000 3 500 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010 3 Cf. Faruquee et Lee (2009), Global Dispersion of Current Accounts: Is the Universe Expanding?, IMF Staff Papers, vol. 56, n° 3. Cf. également Baclet et Vidon (2008) : La distribution mondiale des déséquilibres extérieurs : quelques faits stylisés, Banque de France, Débats économiques n° 6, juin 4 Cf. Faruquee, op.cit., graphique 5, p. 548 et Baclet, op.cit., graphique 4D, p. 6. Ce dernier fait apparaître un pic du coef? cient d’aplatissement (kurtosis) au début des années deux mille, qui disparaît presque entièrement lorsque l’on exclut les États-Unis. Graphique 3 Soldes des comptes de transactions courantes Somme des valeurs absolues (% du PIB mondial) 1 2 3 4 5 6 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 96 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont Ainsi, rien qu’aux États-Unis, les actifs ? nanciers sont passés de 192 à 442 % du PIB entre 1980 et 2007 5 . À l’échelon mondial, alors qu’ils correspondaient à peu près au PIB mondial en 1990 (55 billions de dollars), ils représentaient plus de 3,5 fois le PIB mondial en 2007 (196 billions) 6 . De plus, si en 2000, 11 pays seulement disposaient d’actifs ? nanciers représentant plus de 3,5 fois le PIB, en 2007, cette « profondeur du système ? nancier » était observable dans 25 pays, dont plusieurs pays en développement. Au cours de cette dernière année, 50 % de l’augmentation des actifs ? nanciers s’est produite dans les pays en développement 7 . Jusqu’en 2007, l’internationalisation des flux financiers a progressé encore plus rapidement que le processus d’approfondissement ? nancier. De p u i s 1 9 9 0 , l e s mo u veme n t s d e c a p i ta u x internationaux ont augmenté au rythme de 15 % par an, atteignant un volume 8,3 fois supérieur à celui de la première année (tandis que les échanges commerciaux internationaux n’ont été multipliés que par 3,4 sur cette même période). En 2007, ils représentaient environ 20 % du PIB mondial (quelque 11 billions de dollars) 8 . Si les États-Unis, le Royaume-Uni et la zone euro étaient incontestablement à l’origine de l’essentiel de ces mouvements ? nanciers internationaux, les ? ux auxquels participaient les pays en développement ont progressé deux fois plus vite que ceux qui ne concernaient que des pays avancés. Les graphiques suivants font apparaître l’accélération de l’expansion des entrées nettes de capitaux dans les pays en développement et, plus particulièrement, des ? ux privés, alors que les ? ux nets de capitaux publics (bilatéraux et multilatéraux) ont non seulement décru, mais sont même devenus négatifs en quelques années. Cette évolution a été facilitée par des mesures de libéralisation du compte financier mises en œuvre par les pays en développement. Cependant, comme l’ont avancé plusieurs études, les facteurs d’impulsion dans les principaux centres ? nanciers sont bien plus importants que les facteurs d’attraction des politiques publiques dans le pays béné? ciaire 9 . 2|2 L’instabilité des ? ux de capitaux et les cycles expansion-récession dans les pays en développement L’examen des performances des ? ux de capitaux à destination des pays en développement met toutefois en évidence leur instabilité. Les ? ux de capitaux publics, tout comme les ? ux de capitaux privés autres que les investissements directs étrangers, sont particulièrement instables. Cette forte instabilité montre que les ? ux de capitaux ne sont pas motivés par des politiques publiques erronées dans les pays béné? ciaires, contrairement à ce que de nombreux observateurs voudraient nous faire croire. En effet, si tel était le cas, les différences de situation conjoncturelle et les erreurs commises 5 Cf. McKinsey Global Institute, Global Capital Markets: Entering a new era (septembre 2009), Exhibit 1 et FMI, Global Financial Stability Report (avril 2009), tableau 3 où l’on peut véri? er que pour l’ensemble des marchés émergents, la relation entre les actifs ? nanciers et le PIB était de 272 %, contre 389 % pour l’Asie. 6 Cf. McKinsey Global Institute, Mapping global capital markets: Fifth annual report (octobre 2008) et Mapping global capital markets: Fourth annual report (janvier 2008) 7 Cf. McKinsey Global Institute (octobre 2008), op.cit., graphique 7 8 Cf. McKinsey Global Institute (octobre 2008), op.cit., graphique 4 et (janvier 2008), op.cit, graphique 3.2 9 Pour une contribution qui synthétise et reformule d’autres études sur les facteurs d’impulsion (push) et d’attraction (pull) dans la détermination des ? ux de capitaux à destination des pays en développement, cf. Ferrucci, Herzberg, Soussa et Taylor (juin 2004), Understanding capital ? ows to emerging market economies, dans Bank of England Financial Stability Review. Ces auteurs concluent ainsi : « Ce qu’il faut retenir, c’est que les ? ux bancaires et les spreads obligataires sont fortement in? uencés par les facteurs d’impulsion, même si cette in? uence est moins nette pour les ? ux bancaires, peut-être en raison de la nature de la relation banque-emprunteur. Les pays en développement doivent donc faire preuve de prudence lorsqu’ils empruntent trop massivement dans un contexte de ? nancement extérieur favorable, car l’emprunteur n’a le plus souvent aucune prise sur une inversion des conditions de crédit […] Il faut garder à l’esprit qu’un niveau d’endettement soutenable pendant une période faste risque de ne pas être tenable sur un horizon plus lointain, quelle que soit la solvabilité de l’emprunteur. » Graphique 4 Pays émergents et en développement Entrées nettes de capitaux (en milliards de dollars) 0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 97 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont dans les différents pays se compenseraient les unes les autres. Par conséquent, ce sont les facteurs d’impulsion qui entraînent des ? ux nets de capitaux des pays développés vers les pays en développement, mouvement qui est en grande partie déterminé par les conditions ? nancières prévalant dans les économies matures. En réalité, jusqu’à un certain degré, les ? ux de capitaux ont tendance à évoluer à l’inverse du cycle des économies d’origine des ? ux. Lorsque le cycle est en phase de ralentissement et que les taux d’intérêt sont bas du fait de la rareté des opportunités d’investissement, mais aussi des mesures de relance mises en œuvre par les autorités monétaires, cette faiblesse des taux d’intérêt « incite » les investisseurs à rechercher des placements plus rentables ailleurs. C’est sur ce phénomène que jouent ce que l’on appelle aujourd’hui les « opérations de portage », comme actuellement aux États-Unis avec la deuxième vague d’assouplissement quantitatif (QE2). En haut de cycle, c’est l’inverse qui se produit 10 . En outre, les ? ux de capitaux sont procycliques : ils ne lissent pas le revenu et la consommation dans le pays béné? ciaire, mais font le contraire 11 . Le comportement que nous venons de décrire conduit à un cycle d’expansion-récession bien ancré dans les pays en développement, dominé par les facteurs d’impulsion associés à l’instabilité des entrées de capitaux, lesquelles dépendent des cycles conjoncturels des principales économies avancées. En conséquence de ce cycle de facteurs d’impulsion, un autre cycle s’installe dans le pays en développement et acquiert une certaine indépendance vis-à-vis du premier. Pendant la phase initiale, essentiellement sous l’effet des événements qui se produisent sur les marchés internationaux (mais aussi de l’adoption de mesures favorables au marché dans les pays en développement), des capitaux privés commencent à af? uer dans ces pays lointains. Ces entrées de capitaux stimulent la demande en procurant simultanément les moyens nécessaires (en termes de devises) pour qu’une expansion économique s’amorce. Dans un environnement de croissance, les recettes publiques augmentent et la stabilité des prix est plus facile à instaurer, principalement parce que l’accessibilité du ? nancement étranger tend à déprimer le taux de change (du point de vue du ratio monnaie nationale/monnaie étrangère), ce qui Graphique 5 Pays émergents et en développement Entrées nettes de capitaux privés à l’exception des Investissements directs étrangers (IDE) (en milliards de dollars) - 100 - 50 0 50 100 150 200 250 300 350 400 1980 à 1989 1990 à 1997 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010 Graphique 6 Pays émergents et en développement Entrées nettes de capitaux et taux de croissance du PIB (en milliards de dollars et %) 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1992 1994 1996 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Flux nets de capitaux privés-Total (échelle de gauche) PIB (échelle de droite) Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, par groupes de pays, octobre 2010 10 Cf., par exemple, Suter, op.cit., ou Pettis (2001), The Volatility Machine, Oxford University Press, en particulier le chapitre 4 qui a pour sujet : 180 années d’expansion de la liquidité et de prêts internationaux. Dans les années vingt, le premier secrétaire général de la CNUCED, Raúl Prebisch, avait déjà décelé un tel schéma dans un marché émergent de l’époque, l’Argentine. Dans les années 1928-1929, il consacre plusieurs numéros de la publication d’analyse économique de la Banque centrale de la République argentine à décrire par exemple comment le « boum » de Wall Street et la politique monétaire restrictive mise en œuvre par la Réserve fédérale pour faire face à cette période d’« exubérance irrationnelle » avaient conduit au tarissement des entrées de capitaux sur le marché argentin, alors que ces derniers y avaient af? ué pendant une période d’argent facile aux États-Unis. De plus, Raúl Prebisch avançait que la volatilité des ? ux de capitaux constituait l’un des deux principaux moteurs du « cycle économique argentin », l’autre étant le comportement des exportations. 11 Cf., par exemple, Lane (2001), Do International Investment Income Flows Smooth Income?, Trinity College Dublin et CEPRDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 98 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont constitue un élément crucial des pressions sur les prix dans ces économies. Il semblerait qu’un cercle vertueux s’instaure ainsi. Cependant, des fragilités s’accumulent : dé? cit commercial, endettement vis-à-vis de l’étranger et taux de change qui désavantage les secteurs exportateurs. En cas de « rationnement » soudain des ? ux de capitaux et/ou d’augmentation des primes de « risque pays », la croissance ralentit et les recettes publiques se compriment. La hausse des taux d’intérêt et le repli du taux de croissance réduisent la viabilité de la dette, ce qui nécessite, lorsque le niveau d’endettement est élevé, de dégager un excédent primaire et/ou commercial toujours plus important, a? n d’éviter une augmentation explosive des ratios de dette publique ou de dette extérieure sur le PIB. Lorsque la viabilité de la dette diminue, le rationnement s’accentue et les taux d’intérêt augmentent encore. Le pays est contraint de subir un ajustement macroéconomique drastique. La crise est là. Il convient de noter que même si ce cycle a été lancé par des facteurs d’impulsion trouvant leur origine dans les économies avancées, la crise ne nécessite pas forcément, dans ce cas, une hausse des taux d’intérêt internationaux 12 . Une fois qu’elle a débuté, c’est un processus endogène. Dans sa phase ? nale, les sorties de capitaux répondent davantage à la situation économique du pays en développement qu’à des phénomènes internationaux 13 . Plusieurs mécanismes pourraient expliquer les conséquences pernicieuses de l’instabilité sur la croissance. On peut par exemple citer l’effet négatif des « esprits animaux », qui n’incitent pas les entreprises à investir davantage dans leurs capacités de production. L’instabilité peut aussi mener à des restrictions d’accès au ? nancement à long terme nécessaire pour les projets de développement. Dans l’ensemble, selon les termes de Kose et Prasad, l’intégration ? nancière « semble renforcer la relation négative entre croissance et volatilité » 14 . 2|3 Entrées de ? ux ? nanciers et croissance dans les pays en développement Plus généralement, au-delà de ses conséquences i n d i r e c t e s c o m m e l ’ i n s t a b i l i t é , l a r e l a t i o n q u ’ e n t re t i e n t l a c ro i s s a n c e a ve c l ’ o u ve r t u re ? nancière ou avec les entrées de capitaux est toutefois sérieusement remise en cause. Passant de s imples doutes quant à un pos s ible ef fet béné? que des entrées de capitaux sur la croissance à la conclusion qu’elles pourraient entraver la croissance, la littérature a fait des progrès signi? catifs dans les années qui ont précédé la crise actuelle. Dans les années quatre-vingt-dix, Jadish Bhagwati insistait déjà sur le fait que l’opinion selon laquelle l’ouverture ? nancière était propice à la croissance n e re p o s a i t s u r a u c u n fo n d eme n t t h é o r i q u e (équivalent à ceux qui s’appliquaient aux échanges internationaux) 15 . Par la suite, Rogoff et al., du département des Études du FMI, et, à nouveau, Raghuram Rajan, qui a dirigé ce même département, ont publié des articles montrant que les entrées de capitaux n’étaient pas nécessairement béné? ques à la croissance et que, comme l’avancent Rajan et al., ils pouvaient même lui être préjudiciables. En outre, selon le professeur Aizenman, de l’Université de Californie, l’auto? nancement est associé à des taux de croissance élevés. Pour ces deux derniers auteurs, et pour d’autres moins connus, à contre-courant de 12 Néanmoins, par exemple, les relèvements de taux d’intérêt aux États-Unis à la ? n des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt et, à nouveau, début 1994, portent une grande part de responsabilité dans les crises qui ont suivi, la première ayant presque exclusivement touché l’Amérique latine, et la seconde ayant frappé d’abord le Mexique, avant de s’étendre à l’Asie, à la Russie et à l’Amérique latine. 13 Cf., par exemple, Kaminsky, Reinhart et Vegh (2004), When it Rains it Pours: Procyclical Capital Flows and Macroeconomic Policies, NBER Working Paper, n° 10780 (septembre). Voici leurs conclusions : 1) les entrées nettes de capitaux sont procycliques (vis-à-vis des pays emprunteurs, y compris ceux de l’OCDE et pas uniquement pour les économies émergentes), 2) les politiques budgétaires et monétaires des pays en développement sont également procycliques et 3) les épisodes d’entrées massives de capitaux sont associés à une politique macroéconomique expansionniste et les sorties de capitaux à des mesures inverses. 14 Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale (avril 2005), chapitre II Two Current Issues Facing Developing Countries, section Output Volatility in Emerging Market and Developing Countries, encadré 2.3 : Why is Volatility Harmful?. La littérature traditionnelle ne se préoccupe que depuis peu des effets négatifs de l’instabilité. Cette préoccupation va à l’encontre des conclusions de Lucas (1987), Models of Business Cycles, pour qui ces ? uctuations ont un coût mineur pour le bien-être. Cf. également Kose, Prasad et Terrones (2005), Growth and Volatility in an Era of Globalisation, IMF Staff Papers, vol. 52, Special Issue. Selon ces auteurs, l’intégration commerciale et ? nancière pourrait avoir des effets signi? catifs sur l’instabilité des économies en développement. 15 Cf. Bhagwati (1998), The Capital Myth: The Difference between Trade in Widgets and Dollars, Foreign Affairs, (mai/juin). Paraphrasant le discours d’adieux du général Eisenhower, quittant la présidence des États-Unis, Bhagwati parle de « complexe Wall Street-Trésor » pour illustrer la manière dont, selon lui, le FMI est gouverné.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 99 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont la pensée traditionnelle sur le sujet, l’excédent du solde courant est favorable à la croissance 16 . Les différentes crises qui ont touché quasiment toutes les régions du monde et les conclusions des études susmentionnées ont conduit plus d’un pays et plus d’un pan de l’opinion publique à considérer que la libéralisation ? nancière menait à l’instabilité, et non à la croissance 17 . Par conséquent, au lieu d’enregistrer un dé? cit de leur compte de transactions courantes et de le ? nancer par des ent rées de capi taux, comme i l s l ’avaient fai t pendant près de deux décennies de mondialisation ? nancière, les pays en développement ont cherché à éviter les dé? cits, même s’ils n’y sont pas parvenus à chaque fois. Ils ont jugé préférable d’af? cher un excédent et de limiter les entrées de capitaux, en particulier celles qui ne sont pas associées à des investissements directs étrangers. Pour résumer, de nombreux pays ont choisi une stratégie « tirée par les exportations » plutôt que « tirée par la dette ». 2|4 Le dé? cit des États-Unis et le « privilège exorbitant » d’être émetteur de monnaie de réserve Par conséquent, les pays ont moins eu recours aux marchés ? nanciers internationaux privés pour ? nancer leur dé? cit courant, à une exception près, qui n’était pourtant pas un pays en développement : les États-Unis. Ces derniers pouvaient ? nancer leur dé? cit en émettant ce qui restait, même après l’effondrement du système de Bretton Woods, l’unique, et de loin la plus importante, « monnaie de réserve » de l’économie mondiale. En effet, comme on peut le déduire du graphique 7, le dollar des États-Unis entre pour 60 à 65 % dans les réserves de change au niveau mondial. Pour les économies avancées, cette proportion a même progressé pendant la première phase de la crise actuelle, c’est-à-dire du dernier trimestre 2007 au premier trimestre 2009. Aux États-Unis, lorsque la crise s’est déclarée, on n’a pas observé l’habituelle désaffection de la monnaie, que l’on a pu constater dans d’autres p a y s o u même a u x É ta t s -Un i s a u d é b u t d e s années soixante-dix. Au contraire, sur plusieurs trimestres, on a assisté à un engouement pour le dollar des États-Unis, que l’on a quali? é de « repli sur la qualité », malgré les graves dif? cultés que connaissait le secteur ? nancier et en dépit d’un déf i c i t extér ieur, quoique d’ampleur moindre que d’habitude. L’Administration et les autorités monétaires américaines ont donc eu le privilège de lutter contre la crise par une importante expansion monétaire et un creusement massif du dé? cit budgétaire, une situation inimaginable pour les autres pays enregistrant des dé? cits, et que le FMI n’aurait pas acceptée d’un pays utilisant ses « facilités » ou ses programmes de ? nancement. Cet épisode met en évidence une nouvelle facette de l’« exorbitant privilège » qui permet aux États-Unis d’af? cher année après année, et même en situation d e c r i s e, d e s d é f i c i t s ex t é r i e u rs imp o r ta n t s. Cet état de fait est en grande partie responsable 16 Cf. Prasad, Rogoff, Wei et Kose (2003), Effets de la mondialisation ? nancière sur les pays en développement : quelques constatations empiriques, FMI, (17 mars). Ce rapport a fait l’objet d’un débat dans le cadre d’un Forum économique du FMI auquel étaient présents trois des auteurs (Prasad, Rogoff et Wei), ainsi que C. Fred Bergsten (du Washington Institute of International Economics), Jeffrey Frankel (de la Kennedy School of Government de l’Université de Harvard) et le professeur Daniel Tarullo (de la faculté de droit de l’Université de Georgetown, actuellement membre du Conseil du Système fédéral de réserve). Cf. Les actes de cette réunion dans Is Financial Globalisation Harmful for Developing Countries?, Washington, D.C. (27 mai 2003). Les participants au débat ont surtout étayé les conclusions du rapport. C. Fred Bergsten a souligné qu’on confondait trop souvent libéralisation ? nancière et ouverture du compte ? nancier, car si la première est source d’avantages incontestables, la seconde ne s’est pas révélée particulièrement béné? que. Frankel a lui aussi plaidé en faveur de l’introduction de restrictions sur les mouvements de capitaux, comme l’a fait le Chili. Le département des études du FMI a également publié The Elusive Gains from International Financial Integration, par Gourinchas et Jeanne, document de travail du FMI, WP 04/74, mai 2004. Selon les estimations de ces auteurs, le passage de l’autarcie ? nancière absolue à la mobilité parfaite des capitaux pourrait rapporter une augmentation permanente de la consommation de l’ordre de 1 %. Pour la contribution du professeur Aizenman (2005), cf. Aizenman, Financial Liberalisations in Latin America in the 1990s: An Assessment, Economic Journal, p. 959-983, qui établit une relation positive entre l’auto? nancement et la croissance et, pour sa contribution précédente, qui expose la méthode de calcul du coef? cient d’auto? nancement, cf. une contribution élaborée pour la Banque mondiale, Aizenman, Pinto et Radziwill (2005), Sources for ? nancing domestic capital – Is foreign saving a viable option for developing countries? (avril). Pour Rajan et al., cf. Prasad, Rajan et Subramanian (2007), Foreign Capital and Economic Growth, dans Brookings Papers on Economic Activity (novembre). De plus, le professeur Stiglitz a commenté la contribution de Rogoff et al. (2004) dans Capital Market Liberalisation, Globalisation and the IMF, Oxford Review of Economic Policy, vol. 20, n° 11, en se demandant comment les auteurs avaient pu être surpris de constater que la libéralisation des entrées de capitaux n’était une condition ni nécessaire ni suf? sante à la croissance. 17 En réalité, du fait de la crise asiatique, le FMI a arrêté de parler d’un changement dans ses statuts qui aurait imposé à tous les pays membres de libéraliser leurs ? ux de capitaux, au même titre que leurs opérations courantes. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 100 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont de la persistance et de l’ampleur grandissante du problème des « déséquilibres mondiaux ». Tant que la monnaie d’un seul pays reste la monnaie de réserve « dominante » pour le monde entier, les dé? cits extérieurs deviennent à la fois inévitables et un pivot potentiel pour des crises dominées par une inversion du solde courant (le célèbre paradoxe de Trif? n), si le « repli sur la qualité » ? nit par s’épuiser. Si l’on voulait extrapoler certaines tendances, il suf? rait de regarder brièvement la composition des réserves de change des pays en développement à croissance rapide pour comprendre que cette hypothèse peut se réaliser. En effet, la proportion de dollars des États-Unis dans leurs réserves de change sui t une tendance bai s s ière marquée. De plus, dans le cas de ces pays, on n’a guère observé, pendant la crise, de repli sur le dollar des États-Unis, contrairement à ce qui s’est passé dans les économies avancées. Po u r r é s ume r, l a mo n d i a l i s a t i o n f i n a n c i è re, qui fait pendant aux dé? cits de la balance des opérations courantes et permet visiblement de les équilibrer simplement, se révèle à la fois un facteur d’instabilité et un obstacle à la croissance pour les pays en développement. À l’inverse, l’expérience montre qu’un excédent de la balance courante est un facteur de croissance. Dans la suite de cet article, nous montrerons comment un tel processus a pu s’installer. 3| PAYS EN DÉVELOPPEMENT : LES EXCÉDENTS DES OPÉRATIONS COURANTES COMME INSTRUMENT DE LA STRATÉGIE DE CROISSANCE ET LES MESURES VISANT À LES PÉRENNISER 3|1 Basculement du solde courant, réduction de l’endettement et accumulation de réserves de change L e g r a p h i q u e 8 mo n t r e t r è s c l a i r eme n t l e renversement de tendance de la balance courante des pays en développement. Cependant, on ne peut pas faire de généralisation car, parmi ces pays, des acteurs importants, tels le Brésil ou l’Inde, restent dé? citaires. Comme le font apparaître les deux graphiques 9 et 10, ces excédents se sont traduits par un recul s igni f i cat i f des niveaux d’endet tement extérieur, ce que nous appelons en Argentine une stratégie de « désendettement ». Dans les pays en développement dans leur ensemble, la dette extérieure a atteint des niveaux record en 1998 et 1999 : en 1998, elle culminait à 165 % des exportations, contre 78 % en 2010, et en 1999, elle représentait 41 % du PIB, pour ressortir à 25 % en 2010. Graphique 7 Proportion de dollars dans les réserves de change étrangères (%) 50 55 60 65 70 75 80 1995 1997* 1999 2001 2003 2005 2007 2009 T1 2007 T2 T3 T4 T1 2008 T2 T3 T4 T1 2009 T2p T3p T4p T1p 2010 T2p Monde Économies avancées Économies émergentes et en développement Source : FMI, base de données COFER, novembre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 101 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont En ce qui concerne le service de la dette, les pics ont été atteints en 1999 et 2002 (où il représentait, respectivement, 40 % des exportations, contre 26 % aujourd’hui, et 25 % du PIB, contre 8 % aujourd’hui) 18 . Le pas sage à un excédent dans les pays en d é ve l o p p eme n t a a b o u t i é g a l eme n t à u n e accumulation massive de réserves de change. Ces réserves y sont passées, entre 2005 et 2009, de 458 à 5 394 milliards de dollars, et de un tiers à deux tiers des réserves de change mondiales. Comme l’indique Rodrik, l’accumulation des réserves de change ne s’explique pas par l’ouverture des échanges. Pour preuve, les économies avancées, qui ont, elles, déjà largement ouvert leurs échanges, conservent toujours l’équivalent de 2 à 4 mois d’importations en réserves de change, chiffre en légère hausse sur les deux dernières années. En revanche, dans les pays en développement, les réserves représentent désormais environ 14 mois d’importations, alors qu’il y a 20 ans, elles se situaient au même niveau que celles des pays avancés, comme on peut le déduire du graphique 12 19 . S’agissant des pays en développement, l’accumulation de réserves de change pourrait constituer en soi un objectif de politique publique poursuivi à des ? ns exclusivement prudentielles. Dans un monde où les ? ux de capitaux sont très volatils et où, en outre, les rentrées de devises proviennent de la balance commerciale, sous l’effet d’importantes variations des cours et parfois même des volumes, au gré des Graphique 9 Pays émergents et en développement Dette extérieure, total en proportion du PIB et des exportations de biens et services (%) 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 0 50 100 150 200 250 Dette extérieure, total en proportion du PIB Dette extérieure, total en proportion des exportations de biens et services Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, par région, octobre 2010 Graphique 10 Pays émergents et en développement Dette extérieure, service total de la dette, en proportion du PIB et des exportations de biens et services (%) 0 Dette extérieure, service total de la dette, en proportion du PIB Dette extérieure, service total de la dette, en proportion des exportations de biens et services 5 10 15 20 25 30 35 40 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Source : FMI, base de données des Perspectives de l’économie mondiale, par région, octobre 2010 Graphique 8 Soldes des transactions courantes (en milliards de dollars) - 800 000 - 600 000 - 400 000 - 200 000 0 200 000 400 000 600 000 800 000 1980 1984 1988 1996 1992 2000 2004 2008 Économies en développement Économies en transition Économies développées Source : CNUCED, UNCTADstat, Tendances économiques, Balance des paiements, Compte courant net, annuel, 1980-2009 18 Des comparaisons avec la majorité des économies avancées nous éloigneraient par trop de l’objet principal de notre argument. 19 Cf. Rodrik (2006), The Social Cost of Foreign Exchange Reserves, NBER Working Paper, n° 11952 (janvier)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 102 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont aléas météorologiques, l’accumulation de réserves de change pourrait constituer une politique raisonnable pour se préparer une période « de vaches maigres ». De surcroît, comme la plupart des pays estiment que les préceptes d’ajustement prônés par le FMI sont éloignés de ce qui, à leurs yeux, et à ceux d’un panel signi? catif de chercheurs, constituerait une méthode adéquate pour régler leurs problèmes en cas de crise, l’accumulation de réserves de change devient une façon de s’auto-assurer contre des chocs imprévus 20 . Tant que les ? ux ? nanciers en direction des pays en développement restent instables et que l’on préfère éviter de faire appel au FMI en raison des restrictions quantitatives et d’une « conditionnalité » mal venue, l’accumulation de réserves de change constitue un puissant instrument d’auto-assurance comme l’a démontré la crise actuelle. 3|2 La politique de change La stratégie tirée par les exportations, que l’on ne cesse de préconiser aux pays en développement, ajoute un argument supplémentaire en faveur de l’accumulation de réserves de change. De nombreuses économies en développement qui ont opté pour une stratégie consistant à pénétrer sur les marchés étrangers non seulement grâce à leurs produits primaires, mais Graphique 11 Réserves de changes étrangères Distribution entre pays avancés et pays en développement (en milliards de dollars) 0 1 000 2 000 3 000 4 000 5 000 6 000 7 000 8 000 9 000 Économies émergentes et en développement Économies avancées 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 T1 2007 T2 T3 T4 T1 2008 T2 T3 T4 T1 2009 T2p T3p T4p T1p 2010 T2p p =données provisoires Source : FMI, base de données COFER, novembre 2010 Graphique 12 Réserves de changes étrangères Couverture mensuelle des importations (en mois) 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2 4 6 8 10 12 14 16 Pays en développement Pays à revenu élevé 1993 Source : FMI, base de données des Perspectives économiques mondiales, par groupes de pays, octobre 2010 20 Cf. Aizenman (nouvelle édition, 2005), International Reserves, The Palgrave Dictionary, et Aizenman et Lee (2005) : International Reserves: Precautionary versus Mercantilist Views, Theory and Evidence, document non publié, (août). Pour des contributions antérieures, cf. Ben-Bassat et Gottlieb (1992) : Optimal international reserves and sovereign risk, Journal of International Economics, 33. On retrouve une tentative encore plus ancienne d’estimer le niveau des réserves dans Heller (1966) : Optimal international reserves, Economic Journal, 76. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 103 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont également à leurs capacités, nouvellement acquises, de produire des biens manufacturés toujours plus sophistiqués, ont pris conscience d’un principe déjà bien connu il y a 50 ans : il ne faut pas que leur taux de change devienne surévalué. Cette surévaluation pourrait être le résultat du fameux « mal hollandais », qui frappe les pays traditionnellement exportateurs de produits primaires. Elle s’explique toutefois aussi par le fait qu’ils sont receveurs des « opérations de portage » menées durant la phase d’af? ux de capitaux motivés par des facteurs d’impulsion dans les économies avancées. En termes cycliques, comme nous l’avons déjà indiqué, dès qu’une phase de surévaluation est amorcée, le pays enregistre aussitôt un dé? cit extérieur, et accumule les engagements vis-à-vis de l’étranger. Ce processus s’est toujours terminé par une crise, à cause soit d’un revirement des marchés ? nanciers dans les économies avancées, soit du fait de la simple accumulation d’engagements vis-à-vis de l’étranger. Par conséquent, les pays adoptent de plus en plus fréquemment une politique active de lutte contre la surévaluation de leur taux de change, parfois combinée à des restrictions sur les entrées de capitaux à court terme. La politique de change demeure incontestablement un sujet de controverse et de revirement d’opinion, dans le contexte de la révision des régimes engagée par les différents pays surtout dans un environnement mondial en proie à de profondes transformations. Globalement, la plupart des pays sont passés de jure et, surtout, de facto du système de change de Bretton Woods à une forme de « ? ottement administré », que l’on peut quali? er de régime de change intermédiaire. Les taux de change posent problème, et plus particulièrement dans les pays en développement, car ils conditionnent fortement les prix à la fois au niveau des marchés ? nanciers et du commerce extérieur (ainsi qu’au niveau local). En raison des mécanismes des marchés ? nanciers, ce taux est des plus instables, alors que les conséquences de cette instabilité, en tant que signaux de prix pour l’économie « réelle », sont loin d’être positives, même si l’on pouvait, in ? ne, élaborer une couverture à court terme 21 . De surcroît, on a tiré la conclusion que, en raison de cette instabilité, lorsque les capitaux peuvent circuler librement, il n’y a pas de véritable autonomie de la politique monétaire dans un régime de change ? ottant, situation que l’on a appelée l’« impossible dualité », pour faire pendant à l’« impossible trinité » (trilemma) de Mundell 22 . Instaurer une politique monétaire autonome implique donc d’introduire des contrôles au moins sur les mouvements de capitaux à court terme (un sujet qui sera traité plus loin), et d’éviter les taux de change ? ottants. Mais, dans ce cas, quel serait le régime de change approprié pour un pays en développement axé sur la croissance mais ne recourant pas à l’« épargne extérieure », ou le cas échéant avec une extrême prudence ? 21 D’après Cooper, dans Exchange Rate Choices (juin 1999), « s’ils remplissent utilement le rôle d’amortisseur face aux perturbations réelles que connaît l’économie mondiale, les mouvements des taux de change sont aussi une source substantielle d’incertitude pour le commerce et la formation de capital, les mamelles du progrès économique » (passage souligné dans l’original). Par ailleurs, dans ce même ouvrage, Richard N. Cooper critique aussi vivement le plaidoyer énergique qu’avait lancé Harry G. Johnson en faveur du taux de change ? ottant, il y a quelques décennies : « Il (Harry G. Johnson) fait montre d’une foi touchante en la capacité des marchés privés à dé? nir le bon taux de change et à le maintenir à ce niveau ». Et de poursuivre en critiquant ses diverses hypothèses, sur lesquelles reposait l’argument du taux de change ? ottant, à savoir, par exemple, que le marché des changes était, comme tous les autres, petit au regard de la taille de l’économie, que ce marché était stable, que les variations des taux de change dépendaient des différentiels d’in? ation et que le marché élaborerait les instruments de couverture nécessaires. Obstfeld a montré, conjointement avec Rogoff, que le coût du ? ottement pourrait être de l’ordre de 1 % du PIB dans des conditions d’aversion pour le risque assez strictes ; cf. Obstfeld et Rogoff (1998), Risk and Exchange Rates, NBER Working Paper, n° 6694 (août). Par ailleurs Aghion, Bacchetta, Rancière et Rogoff ont élaboré un modèle, qu’ils ont véri? é sur un jeu de données portant sur 83 pays, sur la période 1960-2000, montrant qu’à l’exception du cas de pays af? chant un développement ? nancier très élevé (tel que mesuré par le ratio des prêts privés sur le PIB), la volatilité des taux de change obère la croissance ; cf. Aghion, Bacchetta, Rancière et Rogoff (2006), Exchange Rate Volatility and Productivity Growth: The Role of Financial Development, NBER Working Paper, n° 12117 (mars). 22 Cf. Cooper, op. cit. : « La libre circulation des capitaux et le régime de change ? ottant sont fondamentalement incompatibles… Bien sûr, la libre circulation des capitaux est également incompatible avec des taux de change ? xes mais ajustables… Ils [les pays] peuvent raisonnablement choisir de préserver leur droit à contrôler au moins certains types d’entrées ou de sorties de capitaux, aux ? ns de réduire la variabilité des taux de change à la fois nominaux et réels », se citant lui-même dans Should Capital Controls Be Banished?, op. cit. L’expression « impossible dualité » apparaît pour la première fois dans Flassbeck (2001) : The Exchange Rate: Economic Policy Tool or Market Price?, CNUCED Discussion Papers, n° 157, Genève, novembre. Dès les années trente, Raúl Prebisch, le premier secrétaire général de la CNUCED, alors directeur général de la toute nouvelle Banque centrale de la République argentine, plaidait déjà lui aussi pour un contrôle des changes aux ? ns d’une plus grande autonomie de la politique monétaire. Raúl Prebisch, qui s’était toujours considéré comme un économiste orthodoxe, a ? ni par défendre le système de contrôle des changes qui avait été institué en septembre 1931. Selon lui, le contrôle des changes était absolument nécessaire si l’on voulait pouvoir introduire une « politique monétaire nationale » qui permettrait au pays d’acquérir une certaine autonomie par rapport aux forces mondiales sur lesquelles il n’a pas de prise, argument qui fait peut-être écho au plaidoyer pour la « managed money » (monnaie gérée) de Keynes. Il considérait le contrôle des changes comme un mécanisme uniquement destiné à la sphère ? nancière et non, du moins selon ses écrits, comme un élément de protectionnisme pour la production nationale. C’est pourquoi l’Argentine, explique-t-il, doit avoir sa propre politique douanière, faute de quoi elle lui sera imposée par les grandes puissances. Cf. O’Connell (2001) : The Return of Vulnerability and Raúl Prebisch’s early thinking on the ‘Argentine Business Cycle’, ECLA Review, n° 75, décembre.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 104 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont Si le régime de change ne doit pas être ? ottant a? n de conférer un certain degré d’autonomie à la politique monétaire, il doit dans le même temps être conçu de façon à favoriser les exportations, et tout particulièrement les exportations non traditionnelles, ainsi qu’un léger excédent de la balance commerciale des biens et des services réels, a? n d’assurer le service d’une dette minime et de préserver l’IDE. Pour John Williamson, l’élément crucial du développement d’un tel solde extérieur « réel » positif réside dans le maintien d’un taux de change effectif réel compétitif, ou, comme il l’exprime, dans une approche du régime de change axée sur le développement 23 . D’autres contributions au débat sur la politique de change adéquate pour les pays en développement sont intervenues ultérieurement. S’appuyant sur l’examen d’un vaste échantillon de pays en développement sur la période 1950-2004, le professeur Dani Rodrik avance, de façon très convaincante, qu’un taux de change sous-évalué accélère nettement la croissance. Son argument s’articule autour de l’éradication des externalités qui ne permettent pas une croissance plus rapide des biens faisant l’objet d’échanges internationaux, notamment dans les secteurs non traditionnels : la surévaluation, en revanche, a tendance à freiner la croissance 24 . Et dans un récent document de travail du FMI, Andrew Berg et Yanliang Mao, utilisant une autre dé? nition de l’écart par rapport aux taux de change d’« équilibre », aboutissent globalement à la même conclusion 25 . Bien sûr, on pourrait facilement arguer qu’il y aurait « sophisme de composition » si tous les pays du monde cherchaient à atteindre des cibles de taux de change, autrement dit, il y a seulement n–1 degrés de liberté pour ? xer les taux de change des n pays du monde. Le raisonnement ci-dessus se résume au fait que, au sens le plus élémentaire, il y a interaction entre les systèmes commerciaux internationaux et les systèmes ? nanciers. Les pays en développement auraient besoin que les pays avancés acceptent d’adopter des taux de change compatibles avec leurs « excédents externes réels ». Cela suppose, par conséquent, d’accepter un excédent d’importation global, ce qui serait loin d’être impossible sur le plan de la balance des paiements, compte tenu du solde net soit positif soit légèrement négatif des économies avancées en termes de position extérieure. À défaut, le dynamisme actuel des pays en développement pourrait être stoppé. 3|3 L’introduction du contrôle des mouvements de capitaux Après cet examen des effets de la libéralisation ? nancière, une conclusion vient immédiatement à l’esprit : une première manière d’acquérir de l’autonomie, c’est-à-dire une certaine marge d’action (policy space) par rapport à l’instabilité des marchés ? nanciers mondiaux, et de ses effets délétères à la fois sur la stabilité et sur la croissance des pays en développement, consiste à mettre en place un système d’administration des ? ux de capitaux. En outre, d’après l’impossible trinité de Mundell, l’adoption d’une forme de contrôle des capitaux permet à un pays d’avoir sa propre politique de change sans devoir renoncer à une part d’autonomie sur sa politique monétaire 26 . Assez curieusement, ce système, même s’il n’est pas extrêmement populaire dans les cercles politiques, ne sort pas des « règles du jeu » formelles. Et d’ailleurs, les statuts du Fonds monétaire international autorisent le contrôle des capitaux 27 . 23 Cf. Williamson (2003) : Exchange Rate Policy and Development, Initiative for Policy Dialogue, Barcelone (2 juin). Toutefois, l’auteur attribue la paternité de cette idée à Bela Balassa et souligne que Max Corden a appelé cette approche, en prenant quelques libertés avec le concept, la « protection par les taux de change ». 24 Cf. Rodrik (2008) : The Real Exchange Rate and Economic Growth, Brookings Papers on Economic Activity, 2, p. 365-412. Dans la contribution de Rodrik, la sous-évaluation est calculée par rapport à un niveau à parité de pouvoir d’achat après prise en compte du revenu par habitant, de façon à intégrer l’effet Balassa-Samuelson. 25 Cf. Berg et Mao (2010) : The Real Exchange Rate and Growth Revisited: The Washington Consensus Strikes Back?, document de travail du FMI, WP/10/58, mars. Berg et Mao utilisent une dé? nition du taux de change d’équilibre fondamental (Fundamental Equilibrium Exchange Rate, FEER) intégrant les termes de l’échange, la consommation du secteur public (en proportion du PIB), l’investissement (également en proportion du PIB) et l’ouverture. Par conséquent, les sous-évaluations ou surévaluations sont rapportées à ce taux. 26 Comme l’ont souligné plusieurs auteurs, au premier rang desquels John Williamson, les critiques de l’impossible trinité ont été exagérées en raison de l’idée fausse selon laquelle seules des solutions triangulaires pourraient résoudre le trilemme, c’est-à-dire que les trois éléments ne peuvent être modulés de manière autonome. 27 Article VI (Transferts de capitaux), section 3 (Contrôle des transferts de capitaux) : « Les États membres peuvent prendre les mesures de contrôle nécessaires pour réglementer les mouvements internationaux de capitaux ». La crise asiatique a abruptement mis un terme à une tentative très active de réformer effectivement ces dispositions et de rendre obligatoire, pour les membres du Fonds, la libéralisation des mouvements de capitaux, parallèlement à l’obligation même de ne pas recourir aux restrictions sur les paiements courants inscrites dans l’Article VIII (Obligations générales des États membres), section 2 (Non-recours aux restrictions sur les paiements courants). En fait, le même Article VI, section 1 a) des Statuts du FMI indique : « Aucun État membre ne peut faire usage des ressources générales du Fonds pour faire face à des sorties de capitaux importantes ou prolongées », règle qui a été quelque peu négligée, comme l’af? rme M. Camdessus, lors des crises du XXI e siècle qui ont frappé d’abord le compte ? nancier du Mexique, puis plusieurs autres pays. C’était précisément de l’amendement de cet article dont le FMI était en train de débattre lorsque la crise asiatique a éclaté.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 105 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont Une contribution examinant une trentaine d’études empiriques des effets du contrôle des capitaux avance quatre raisons à son introduction. Premièrement, éviter l’appréciation des taux de change, qui pèserait sur la compétitivité. Deuxièmement, éviter l’accumulation de capitaux fébriles prêts à quitter le pays dès les premiers signes de dif? culté. Troisièmement, éviter des entrées trop massives qui pourraient générer des bulles de prix des actifs et de la surconsommation, ainsi que des perturbations dans le système ? nancier. Et quatrièmement, éviter la perte d’autonomie ? nancière 28 . Plusieurs types de contrôle des capitaux ont été mis en œuvre ou proposés. Les cercles du pouvoir et les analystes ont fait preuve de peu d’engouement pour le contrôle des capitaux de type administratif, qui, dans de nombreux pays avancés, a été démantelé seulement au cours des deux dernières décennies. En outre, il est majoritairement admis qu’il est préférable d’appliquer ce contrôle aux entrées qu’aux sorties de capitaux et que, au cas extrême où ce contrôle s’applique aux sorties, il doit être essentiellement temporaire. Toutefois, ces avis ne font pas l’unanimité 29 . La forme de contrôle des capitaux la plus connue et la plus largement acceptée réside dans l’obligation de cons t i tuer des réserves non rémunérées (uncompensated reserve requirement – URR) appliquée à une partie ou à la totalité des entrées de capitaux, autrement dit, dans la stérilisation d’une proportion signi? cative des entrées sous la forme d’un dépôt non porteur d’intérêts, de sorte qu’il devient moins rentable de jouer avec les mouvements de capitaux à court terme. C’est la solution qu’ont retenue le Chili dans les années quatre-vingt-dix et l’Argentine depuis 2005. Les pics des entrées de capitaux et l’accumulation de fragilités qui s’ensuit peuvent ainsi être tempérés, ce qui permettrait d’acquérir une certaine « marge d’action » pour la politique budgétaire et monétaire. On pourrait encore imposer une durée minimale de séjour dans le pays ou, comme en Colombie, interdire les investissements de portefeuille ou ceux dans l’immobilier a? n de réduire la volatilité des ? ux de capitaux et les bulles des prix des actifs. Une autre mesure visant à limiter les entrées de capitaux consisterait à les taxer. Cet instrument a été appliqué ponctuellement au Chili et il l’est actuellement au Brésil 30 . On pourrait également introduire une taxe sur les sorties de capitaux suf? sante pour rendre la spéculation à court terme non rentable. L’article de Magud et Reinhart susmentionné conclut que le contrôle des entrées de capitaux renforce l’indépendance de la politique monétaire, allège la pression sur les taux de change et modi? e la composition des ? ux de capitaux, au béné? ce des capitaux à long terme. Toutefois, le volume total de ces capitaux ne semble pas avoir été affecté. Par ailleurs, beaucoup s’accordent à af? rmer que les contrôles ? nissent par être contournés, mais, d’après Richard Cooper, la présence de marges signi? catives atteste en partie de leur ef? cacité 31 . Suivant l’image formulée par Stiglitz, même si un barrage a des fuites, il évite néanmoins une inondation massive de la vallée en contrebas. 28 Cf. Magud et Reinhart (2006) : Capital Controls: An evaluation, NBER Working Paper, n° 11973 (janvier) ; au lieu du terme « évitement », les auteurs utilisent le mot « peur », peut-être en référence à Carmen Reinhart et Guillermo Calvo, qui parlent de « peur du ? ottement » ; cf. Calvo et Reinhart (2002) : Fear of Floating, Quarterly Journal of Economics, vol. CXVII, Issue 2, mai. 29 Cf., par exemple, Epstein, Grabel et Jomo (2004) : Capital Management Techniques in Developing Countries, janvier. Ces auteurs réfutent quatre critiques habituelles adressées au contrôle des capitaux sur la base des expériences du Chili, de la Colombie, de la Malaisie et de Singapour. Selon eux, rien ne justi? e de penser a) que le contrôle des capitaux ne fonctionne qu’à « court terme » (ce n’est pas le cas à Singapour), b) qu’il doive éviter d’être toujours plus restrictif (ce n’est pas le cas au Chili, par exemple), c) qu’il ne fonctionne que sur les entrées, et non sur les sorties (cas de la Malaisie, auquel j’ajouterais celui de la Corée, qui s’était dotée de contrôles stricts sur les sorties, sans les rendre aussi explicites que ne l’a fait la Malaisie, montre que les contrôles sur les sorties se sont révélés assez ef? caces pour dégager une marge d’action lors de la crise de 1997-1998) ou d) que les coûts micro-économiques, et plus précisément ceux supportés par les petites entreprises, peuvent être signi? catifs au point d’en annihiler les avantages. 30 Il a également été proposé d’introduire une taxe sur toutes les rentrées de devises et d’en faire béné? cier les exportateurs via un système d’abattement de la TVA, ainsi que ceux qui gagnent un revenu à l’étranger, via le système d’impôt sur le revenu. Cette taxe pourrait être perçue par les établissements ? nanciers sur toute rentrée de devises sur la base d’une retenue à la source. Cf. Zee 2000) : Retarding Short-term Capital In? ows through a Withholding Tax, FMI WP/00/40, mars. 31 Cf. Cooper (1999) : Should Capital Controls be Banished?, Brookings Papers on Economic Activity, 1, Washington, D.C.. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 106 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont 4| LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT SONT LA « LOCOMOTIVE » DE L’ÉCONOMIE MONDIALE, CONTRAIREMENT À CERTAINS PAYS AVANCÉS AFFICHANT UN EXCÉDENT COURANT Cherchant à se préserver des aléas des marchés ? nanciers internationaux, ou à éviter la surévaluation de leur monnaie, les pays en développement dans l’ensemble, mais, nous l’avons vu, pas la totalité d’entre eux, af? chent désormais un solde courant excédentaire. Cependant, comme le montre le graphique ci-dessous, outre certains pays et régions en développement, l’Allemagne et le Japon enregistrent, eux aussi, un important excédent de la balance des opérations courantes. En réalité, leurs excédents ne cessent de croître depuis quelques années, tandis que ceux de la Chine et des pays en développement exportateurs de pétrole se compriment 32 . To u t e fo i s, l a d i f f é re n c e e n t re l e s p a y s e n développement et les grandes économies avancées af? chant un excédent tient au fait que les premiers, étant devenus une force motrice fondamentale de l’économie mondiale, enregistrent une croissance rapide, alors que les secondes ne font que suivre. Le contraste est ? agrant. Sur la période 1998-2009, tandis que les économies en développement béné? ciaient d’une croissance de 175 %, l’Allemagne et le Japon, les principales économies avancées af? chant un excédent, n’ont vu leur PIB réel croître que de, respectivement, 10,7 % et 7,2 %. En outre, comme en témoigne le graphique suivant, en seulement 10 ans, la part de l’augmentation du PIB mondial générée par les économies en développement est passée de 20 % à près de 70 %. Et, l’an dernier, alors que le PIB mondial déclinait, celui des économies en développement a continué de croître. Par conséquent, en adoptant des mesures de stimulation de leur croissance, les pays en développement excédentaires jouent le rôle de locomotive de l’économie mondiale, contrairement aux principales économies avancées au solde courant positif. Graphique 13 Soldes des comptes de transactions courantes (en milliards de dollars) 1988 1992 1996 2000 2004 2006 - 1 000 - 800 - 600 - 400 - 200 0 200 400 600 Chine Allemagne Japon États-Unis Asie de l’Est et du Sud-Est hors Chine Principaux pays exportateurs de pétrole : économies en développement 1980 1984 2010 Sources : FMI, Base de données des Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010 et CNUCED, Tendances économiques, Balance des paiements, Compte courant net, annuel, 1980-2009 Graphique 14 Economies en développement Proportion de la croissance mondiale du PIB réel (prix et taux de change de l’année 2000) (%) 1998 2008 2000 2002 2004 2006 10 20 30 40 50 60 70 Source : CNUCED, UNCTADStat, PIB à prix et taux de change constants (2000), novembre 2010 32 L’excédent du compte des opérations transactions de la Chine est tombé à 297 milliards de dollars en 2009, contre 372 milliards en 2007, et il devrait descendre à 270 milliards en 2010. Pour ce qui est de l’Allemagne et du Japon, même si leur excédent cumulé est passé de 464,7 milliards de dollars en 2007 à 305 milliards en 2009, il devrait, selon les estimations, se redresser à 366,5 milliards en 2010. Source : FMI, Base de données des Perspectives de l’économie mondiale, par pays, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 107 Déséquilibres mondiaux et pays en développement Mercedes Marcó del Pont À l’inverse, les économies avancées excédentaires à la croissance atone reproduisent les caractéristiques bien connues des biais dé? ationnistes du système international. À la différence des pays dé? citaires, elles peuvent toujours dé? nir librement leur propre politique publique ; malheureusement, comme en témoigne leur taux de croissance, ces mesures restrictives constituent des politiques du « chacun pour soi » vis-à-vis du reste du monde, la seule limite étant la capacité des autres pays à ? nancer leur dé? cit et à supporter l’endettement accumulé. Les pays en dé? cit, dont un certain nombre de pays en développement, mais aussi, depuis peu, des pays européens, préfèrent continuer de vivre soit dans le cadre des limites imposées par le volume de réserves de change, par les nombreuses conditionnalités imposées (à tort) par le FMI, ou encore par le nouveau cadre de ressources UE/zone euro, ce qui les contraint à suivre une voie dé? ationniste. Pour remédier aux déséquilibres mondiaux dans les années à venir, ou du moins les atténuer, il faut prendre des mesures au niveau national et international. Cependant, aucune solution ne doit aller à l’encontre de la croissance, du plein emploi et de la justice sociale. Premièrement, dans la sphère internationale, la réglementation des ? ux de capitaux transfrontières autres que les investissements directs étrangers, visant à réduire leur volatilité, constitue un enjeu majeur, qui n’a pourtant pour ainsi dire pas été abordé lors des discussions de ces dernières années sur la réglementation ? nancière. Deuxièmement, il conviendrait de réformer le système monétaire international, de façon à ce qu’il procure un moyen de paiement et une monnaie de réserve autres que ceux d’un pays ou d’un groupe de pays, éliminant du même coup un « privilège exorbitant » et une source majeure de déséquilibres mondiaux explosifs. Troisièmement, il s’agit de concevoir un système permettant d’apurer les déséquilibres temporaires entre pays en excédent et pays en dé? cit qui soit moins restrictif que les conditionnalités du Fonds monétaire international. Ce système devrait être assorti d’obligations symétriques pour les pays en excédent et ceux en dé? cit, mais tenir compte aussi suf? samment des différences de taux de croissance et de stade de développement. Quatrièmement, il serait souhaitable d’établir un dispositif de coopération entre les grandes économies avancées et en développement de sorte que les premières évitent la politique du chacun pour soi, qui confère un biais dé? ationniste à l’économie mondiale. À l’inverse, il faut ménager une marge pour les excédents générés par les stratégies axées sur les exportations des pays en développement qui sont devenus des « locomotives » de l’économie mondiale. À défaut, on risque d’entrer dans une phase récessionniste interminable. Tant que les progrès en ce sens seront maigres ou nuls, les pays en développement devront continuer d’essayer de générer de la croissance en évitant la surévaluation de leur monnaie, en se protégeant des aléas des marchés ? nanciers internationaux grâce à l’introduction de contrôles sur les mouvements de capitaux et s’auto-assurant grâce à l’accumulation de réserves de change, en luttant contre les inégalités sociales et en assurant un niveau de vie minimum et en constante amélioration à tous leurs citoyens dont ils doivent satisfaire les besoins élémentaires.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 109 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain Les entrées de capitaux en Afrique du Sud ont repris en 2009 et se sont renforcées en 2010, essentiellement sous l’effet du bas niveau des taux d’intérêt et d’un excédent de liquidité dans les économies avancées. Économie de marché émergente présentant un dé? cit des transactions courantes, l’Afrique du Sud est en partie tributaire de ces ? ux pour ? nancer son déséquilibre extérieur. Toutefois, ces entrées de capitaux ont exercé d’importantes tensions à la hausse sur le taux de change du rand, ce qui a eu des effets négatifs pour les secteurs exportateurs de l’économie. Les cours des obligations et des actions sud-africaines ont également fortement augmenté, ce qui peut susciter des inquiétudes quant à la soutenabilité de cette évolution et à d’éventuels retournements soudains de tendance. Néanmoins, l’économie et le système ? nancier de l’Afrique du Sud présentent également des caractéristiques qui favorisent la résistance du pays aux chocs et aux effets secondaires des déséquilibres mondiaux. À ce jour, l’Afrique du Sud n’a pas adopté de mesures directes en vue de supprimer le contrôle des capitaux et ce, pour plusieurs raisons. La réaction des autorités aux déséquilibres mondiaux consiste principalement à prendre des mesures monétaires et budgétaires contracycliques, à poursuivre l’accumulation de réserves de change pour modérer l’appréciation de la devise et à procéder à de nouveaux assouplissements du contrôle des sorties de capitaux. GILL MARCUS Gouverneur Banque de réserve d’Afrique du SudDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 110 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain Gill Marcus L es déséquilibres mondiaux sont depuis de nombreuses années une des caractéristiques de l’économie mondiale et leurs différents aspects font l’objet d’une attention qui varie au ? l des cycles d’expansion et de récession. Jusqu’à la dernière crise ? nancière et économique internationale, les préoccupations relatives aux déséquilibres mondiaux étaient centrées sur les causes et les effets des dé? cits courant et budgétaire des États-Unis, quali? és de « déficits jumeaux ». Ces sujets sont toujours d’actualité, mais l’attention se porte désormais sur les risques liés à un concept beaucoup plus large des déséquilibres mondiaux, selon lequel tous les pays sont concernés ou menacés d’une manière ou d’une autre, et préparent des réponses appropriées. Le présent article examine certains des risques que les déséquilibres mondiaux font peser sur la stabilité ? nancière dans les pays émergents en général, et en Afrique du Sud plus particulièrement. Il décrit également le scénario sud-africain et les réponses de ce pays aux effets de ces déséquilibres mondiaux sur son économie. 1| LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET LEURS RISQUES POUR LA STABILITÉ FINANCIÈRE Il est parfois utile de classer les risques pesant sur la stabilité ? nancière en fonction de leur dimension transversale (ou structurelle) et de leur dimension t emp o re l l e ( o u c y c l i q u e ) 1 . C e s d ime n s i o n s s ’appl iquent également aux r i sques l iés aux déséquilibres mondiaux, et ce type de classi? cation permet de les replacer dans leur contexte et de guider l’élaboration de réponses appropriées. 1|1 La dimension transversale La dimens ion t ransversale des déséqui l ibres mondiaux a trait aux différences constatées entre pays et groupes de pays en termes de profils d’épargne, d’investissement et de consommation. Certains déséquilibres, tels que les écarts de revenus entre les pays développés, les pays sous développés et les économies de marché émergentes, se sont ancrés dans la structure de l’économie mondiale au ? l des siècles. Ces divergences structurelles se manifestent par des déséquilibres persistants au niveau des échanges commerciaux, des ? nances publiques et des investissements internationaux. Depuis le début du XXI e siècle, le groupe des économies émergentes et en développement est devenu exportateur net de biens et de services vers le reste du monde. Le solde du compte de transactions courantes du groupe des marchés émergents est passé d’un dé? cit de 13 milliards de dollars en 1999 à un excédent de 723 milliards en 2008. Au total, les économies avancées enregistraient un dé? cit courant net de 495 milliards de dollars en 2008, contre un excédent de 12 milliards en 1999. À lui seul, le dé? cit courant des États-Unis s’élevait à plus de 700 milliards de dollars en 2008. La crise a, par la suite, réduit l’ampleur des dé? cits et des excédents courants sous l’effet de la baisse à la fois de la consommation des ménages, de l’investissement des entreprises et des échanges internationaux. Les déséquilibres extérieurs continuent toutefois d’être révélateurs de déséquilibres internes au niveau de la demande, aussi bien dans les économies excédentaires que dé? citaires, en raison d’une demande intérieure insuf? sante dans le premier cas et excessive dans le second 2 . D’une manière générale, les économies de marché émergentes ont accumulé d’importantes réserves, issues pour certains pays de leur excédent courant et, dans d’autres, des entrées enregistrées dans le compte ? nancier. Dans certains cas, l’accumulation de réserves résulte des efforts visant à contenir l ’appréc iat ion du taux de change. Ent re le premier trimestre 2000 et ? n 2009, les réserves des économies émergentes ont augmenté d’un peu plus de 3 000 milliards de dollars, cette hausse étant attribuable pour moitié à la Chine. En 2000, elles représentaient 36 % des réserves mondiales totales. En 2009, ce pourcentage était passé à 64 %. Ces montants ont été investis essentiellement dans les monnaies de réserve des économies avancées. Par conséquent, le groupe des pays émergents a enregistré 1 Cf. Borio (2010) : “Implementing a macroprudential framework: Blending boldness and realism”, intervention lors de la conférence BRI-HKMA sur la stabilité ? nancière, Hong-Kong, 5 et 6 juillet 2010 2 Les statistiques citées dans cette section sont tirées des publications régulières du FMI consacrées aux statistiques de balance des paiements et aux statistiques ? nancières internationales.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 111 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain Gill Marcus des sorties nettes de près de 600 milliards de dollars en 2008 si l’on inclut les ? ux au titre des réserves, tandis que les économies avancées ont af? ché des entrées nettes de 289 milliards. Les États-Unis sont demeurés le principal pays destinataire des ? ux d’investissements étrangers durant la crise, enregistrant des entrées nettes d’un peu plus de 500 milliards de dollars en 2008. Cette circularité est une caractéristique structurelle de l’économie mondiale de ces dix dernières années et a contribué aux déséquilibres croissants des positions extérieures des pays concernés. Fin 2008, les engagements nets des économies avancées vis-à-vis du reste du monde s’élevaient à 943 milliards de dollars, contre 178 milliards en 2000 3 . En revanche, le groupe des économies en développement et des économies de marché émergentes a enregistré une position créditrice nette de 750 milliards de dollars cette même année, après une position débitrice nette de 1 150 milliards en 2000 4 . Ces déséquilibres croissants ont fait l’objet d’un vif débat, suscitant des craintes quant à leur soutenabilité et nourrissant des spéculations autour des événements susceptibles d’avoir une incidence sur ces déséquilibres ainsi que de leurs conséquences. Néanmoins, la con? guration observée semble avoir résisté à la crise, les économies de marché émergentes af f i chant de mei l leures performances que les économies avancées et continuant de placer leurs avoirs de réserve dans les valeurs refuge, essentiellement des bons du Trésor américain. Toutefois, la tension paraît monter entre les principaux acteurs et les risques pour le système ? nancier ainsi que la mise en œuvre de mesures protectionnistes, ou la menace de telles mesures, s’accentuent. Ces tendances constituent un réel danger pour la stabilité ? nancière, les échanges commerciaux et la croissance au niveau mondial. 1|2 La dimension temporelle La dimension temporelle fait référence aux éléments cycliques des déséquilibres mondiaux et résulte essentiellement du comportement collectif des agents économiques face à l’évolution des conditions et des politiques économiques au cours des différentes phases du cycle conjoncturel. Ce comportement tend à être procyclique par nature. Il ampli? e le cycle conjoncturel et devient une source endogène de risque systémique car les intervenants de marché ajustent en fonction des mouvements du cycle leur appétence pour le risque, leurs politiques de tari? cation et les taux de rendement qu’ils exigent. La crise et les interventions des autorités publiques destinées à stabiliser le système ? nancier ont créé un certain nombre de déséquilibres cycliques qui, faute de trouver remède dans un délai raisonnable, risquent de devenir structurels par nature. Compte tenu de l’amplitude de la phase de crise, ces déséquilibres sont également beaucoup plus prononcés que les déséquilibres cycliques « normaux ». Ils renforcent également, à de nombreux égards, les déséquilibres structurels qui existaient avant la crise. On peut citer parmi les exemples de déséquilibres cycliques observés actuellement : • L’abondance de la l iquidi té et le niveau historiquement bas des taux d’intérêt dans la plupart des économies avancées. Les montants élevés de liquidité disponibles dans les économies avancées et la quasi-certitude que les taux débiteurs demeureront faibles pendant un certain temps incitent les investisseurs à effectuer des emprunts sur ces marchés et à investir dans des actifs à rendement plus élevé et plus risqués, accentuant ainsi le risque de formation d’une nouvelle série de bulles des prix d’actifs. • Divers pays avancés souffraient d’un déficit budgétaire croissant avant la crise. Or, les importants programmes de relance budgétaire et de soutien mis en œuvre par les autorités publiques ont très nettement accentué ces déséquilibres. Les États-Unis, de nombreux États membres de l’UE dont le Royaume-Uni, ainsi que le Japon, sont désormais contraints d’assainir leurs ? nances publiques alors que la reprise économique mondiale est encore fragile. • Tandis que le montant de la dette publique a explosé dans de nombreux pays, les émissions sur les marchés de la dette privée ont fortement diminué durant la crise. Cela a entraîné un déséquilibre entre la dette publique et la dette privée, auquel il faudra remédier au fur et à mesure de la normalisation du prix des instruments du marché de la dette privée et du regain d’appétence pour ces valeurs. 3 Au sein de ce groupe, certains pays af? chent une position créditrice nette élevée. 4 Cette évolution est essentiellement attribuable à la Chine, qui a enregistré une position créditrice nette de 1 500 milliards de dollars en 2008.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 112 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain Gill Marcus • Les économies de marché émergentes ont en général moins pâti de la crise que la plupart des économies avancées et les dommages directs subis par leur système ? nancier ont été beaucoup moins graves. Par conséquent, ces pays constituent des destinations attractives pour les ? ux d’investissement internationaux. Il existe toutefois un risque que ces ? ux soient motivés au ? nal par la volonté de jouer sur les écarts de taux (spread trading) plutôt que par le caractère intrinsèquement attractif du pays d’investissement, ce qui pourrait créer des distorsions au niveau des prix et de l’évaluation des risques liés aux actifs ? nanciers. • Sous l’effet des importantes entrées de capitaux étrangers, conjuguées à la faiblesse du dollar, les monnaies des économies de marché émergentes en régime de ? ottement pur se sont considérablement appréciées par rapport au dollar au cours des dix premiers mois de 2010, menaçant sérieusement les secteurs exportateurs et la croissance économique de ces pays. Plusieurs d’entre eux ont réagi en introduisant des taxes, un contrôle des capitaux et des pénalités sur les entrées de capitaux étrangers, mesures dont l’ef? cacité n’est pas prouvée à ce jour. Cependant, les nouvelles distorsions et volatilité des taux de change sont un autre déséquilibre hérité de la crise. 2| LE SCÉNARIO SUD-AFRICAIN L’Afrique du Sud a également été affectée par les ? ux de capitaux cycliques vers les marchés émergents. Les ? ux ? nanciers à destination de l’Afrique du Sud ont sensiblement augmenté en 2010 et, contrairement aux périodes précédentes d’entrées massives de capitaux, les achats portent davantage sur les obligations que sur les actions. Cette évolution tend à indiquer que c’est le différentiel de taux d’intérêt, plus que les anticipations de croissance, qui constitue sans doute le moteur principal de ces mouvements de capitaux. Au cours de l’année s’achevant ? n octobre 2010, les achats nets d’obligations sud-africaines par les non-résidents se sont élevés à 74 milliards de rands (soit 11 milliards de dollars environ), tandis que les achats nets d’actions ont représenté 22 milliards de rands (soit 3 milliards de dollars environ). Selon les informations disponibles, une part importante de ces montants provient de fonds de pension étrangers et de gestionnaires d’actifs en quête de rendement. Ces entrées de capitaux, cumulées aux ? ux d’investissements directs étrangers, ont entraîné une appréciation de la valeur nominale du rand, pondérée par les échanges, de près de 7 % pour l’année s’achevant ? n octobre et de 31 % depuis début 2009, ce qui a pesé lourdement sur les secteurs industriels et agricoles exportateurs d’Afrique du Sud. Ces entrées de capitaux ont également exercé des tensions à la hausse sur les cours des obligations et des actions sud-africaines. Sur toutes les échéances, les rendements des emprunts publics sud-africains se situent actuellement à leurs points bas historiques ou s’en rapprochent, tandis que le All-bond index, indice de rendement global calculé par la Bourse de Johannesburg (JSE Limited), a atteint un niveau record. Le All-share index, indice incluant toutes les actions établi par la JSE, est actuellement inférieur de quelque 3 % seulement à son niveau record de mai 2008, alors même que l’économie a traversé par la suite une récession et qu’elle fonctionne toujours largement en dessous de son potentiel. Il ne semble pas que les hausses des cours des obligations et des actions aient été liées à un accroissement du crédit intérieur, la progression des crédits accordés par les banques au secteur privé étant toujours faible. Les ? ux ? nanciers sont considérés comme la principale raison à l’origine des hausses des cours des obligations et des actions et, même si l’on estime que ces prix n’ont pas encore atteint un niveau caractéristique d’une « bulle », ils pourraient devenir déstabilisants si ces tendances se poursuivaient, notamment dans le cas de retournements brutaux des ? ux ? nanciers et de la demande de titres des marchés émergents. L’Afrique du Sud, en plus de subir les effets des déséquilibres mondiaux, est également confrontée à un certain nombre de déséquilibres internes : déséquilibres de la distribution des revenus, déséquilibres entre la production et la consommation, entre l’épargne et la consommation, entre la croissance de la productivité et les hausses de salaires et entre l’offre et la demande de catégories spéci? ques de compétences au sein de l’économie. Le taux de chômage du secteur formel non agricole de l’Afrique du Sud est légèrement supérieur à 25 % et plus d’un million d’emplois ont été détruits entre le quatrième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2010. Promouvoir une croissance économique créatrice d’emplois constitue une priorité pour le gouvernement et une condition indispensable à une stabilité ? nancière pérenne. Les déséquilibres internes sont souvent antagoniques, mais ils doivent Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 113 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain Gill Marcus néanmoins être traités par les différents organes du gouvernement et par la banque centrale au moyen de politiques et de stratégies appropriées. Toutefois, l’économie et le système financier de l’Afrique du Sud présentent certaines caractéristiques qui rendent cet État relativement plus résistant que de nombreux autres pays aux chocs et aux effets secondaires des déséquilibres mondiaux. Le ratio de fonds propres du système bancaire s’établit en moyenne au-dessus de 14 %, le ratio Tier 1 se situant à 10 % environ. Tout au long de la crise, le système bancaire et les marchés ? nanciers de l’Afrique du Sud ont continué à bien fonctionner sans nécessiter aucun soutien particulier. La croissance économique est devenue positive au troisième trimestre 2009, atteignant en moyenne quelque 4 % au premier semestre 2010. La dette des ménages, bien que toujours élevée (78 % du PIB), semble avoir atteint un pic et le niveau historiquement bas des taux d’intérêt favorise le désendettement. Le taux d’in? ation a diminué à 3,2 % en septembre 2010, niveau proche de l’extrémité inférieure de la fourchette comprise entre 3 et 6 %. Une politique monétaire accommodante soutient les secteurs de l’économie pénalisés par la vigueur de la monnaie, tout en facilitant un désendettement plus rapide des ménages. Les ratios de dette extérieure de l’Afrique du Sud sont faibles, la dette extérieure totale s’élevant à 28 % du PIB et la dette extérieure à court terme étant largement couverte par les réserves de change. En? n, bien que le dé? cit budgétaire ait augmenté pour atteindre 6,7 % du PIB au cours du ralentissement économique, conformément à l’orientation budgétaire contracyclique du gouvernement, son niveau reste modéré par rapport à celui de la plupart des économies avancées et de nombreux pays émergents. Selon les prévisions, le dé? cit budgétaire reviendra à 3,2 % du PIB en 2013-2014, à la faveur de l’accélération de la croissance économique et sans qu’il soit nécessaire d’introduire des mesures d’austérité. 3| LES RÉPONSES À APPORTER AUX EFFETS DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX Les solutions dont disposent les marchés émergents pour contrer les effets des déséquilibres mondiaux sur leurs économies nationales ne sont pas uniformes. Les marchés émergents dont les comptes de transactions courantes sont excédentaires disposent d’un ensemble d’options différentes de celles des pays dé? citaires pour contrebalancer les effets des entrées de capitaux. Si un pays est tributaire de ces ? ux pour ? nancer son compte de transactions courantes, il peut dif? cilement se permettre de les décourager de façon trop agressive ou de se montrer trop sélectif à leur égard. Contrairement à la plupart des pays émergents, l’Afrique du Sud a constamment enregistré un compte de transactions courantes dé? citaire depuis mi-2003, même si ce dé? cit a été ramené d’un pic de 8,5 % du PIB au premier trimestre 2008 à un niveau estimé à 4,2 % du PIB en 2010 5 . Des entrées sur le compte ? nancier sont donc nécessaires pour ? nancer le dé? cit du compte de transactions courantes ; elles ont d’ailleurs maintenu la balance des paiements de l’Afrique du Sud en excédent au ? l des années. L’ef? cacité de l’introduction de contrôles directs ou d’une taxation des entrées de capitaux est incertaine dans le contexte sud-africain. Le rand est librement convertible et béné? cie d’une liquidité plus élevée que nombre d’autres devises des pays émergents. Par conséquent, les investisseurs étrangers peuvent assez rapidement constituer et dénouer des positions en rands, moyennant un faible coût de transaction. En raison de sa relative liquidité, le rand est également plus volatil que la plupart des devises des marchés émergents et il est souvent utilisé par les investisseurs étrangers pour ajuster l’exposition globale de leurs portefeuilles à ces marchés. L’expérience a montré que les investissements de portefeuille étrangers peuvent connaître des retournements très rapides si le sentiment des investisseurs et l’appétence pour le risque changent au niveau mondial, entraînant des ajustements importants et soudains du taux de change du rand. L’application de contrôles directs dans un tel environnement devient particulièrement risquée et peut facilement entraîner des conséquences non souhaitées. Les responsables sud-africains ont jusqu’à présent préféré adopter des politiques monétaire et budgétaire à la fois contracycliques et accommodantes pour réduire l’impact d’un taux de change fort sur l’économie réelle. La Banque de réserve sud-africaine a également agi contre l’appréciation du taux de change du 5 Déclaration budgétaire à moyen terme du Trésor national, octobre 2010Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 114 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain Gill Marcus rand en augmentant modérément ses réserves de change. Toutefois, la baisse des taux d’intérêt et l’accumulation de réserves n’ont que partiellement réussi à empêcher une appréciation sensible du rand, pour les raisons suivantes. Premièrement, bien que le taux directeur ait été réduit au taux historiquement bas de 6,0 %, les différentiels de taux d’intérêt demeurent suf? samment importants pour être attractifs. Deuxièmement, la baisse des taux d’intérêt entraîne des effets empiriques contrastés sur le taux de change nominal du rand. Les anticipations de nouvelles baisses éventuelles des taux d’intérêt et d’une nouvelle appréciation de la monnaie augmentent la probabilité de plus-values sur les obligations, ce qui les rend encore plus attrayantes aux yeux des investisseurs étrangers. La baisse des taux d’intérêt accroît également l’attractivité du marché boursier sud-africain, les perspectives de croissance devenant plus favorables. Troisièmement, en raison des différentiels de taux d’intérêt, il devient coûteux d’assécher la liquidité intérieure qui se crée lors de l’absorption des entrées de capitaux par les réserves of? cielles. Quatrièmement, le montant des réserves qui devront être accumulées pour avoir une incidence appréciable sur le taux de change est considérable : le volume quotidien moyen de transactions sur le marché des changes sud-africain est de l’ordre de 10 milliards de dollars, dont un quart environ représentent des opérations au comptant. Dans sa déclaration budgétaire à moyen terme d’octobre 2010, le gouvernement a annoncé une nouvelle libéralisation des contrôles sur les sorties de capitaux, afin de permettre aux entreprises internationales d’effectuer des investissements via l’Afrique du Sud vers le reste de l’Afrique et de renforcer encore les possibilités offertes aux investisseurs résidents de diversifier leurs portefeuilles à l’international. Par exemple, il a été proposé de relever les limites annuelles sur les montants que les particuliers sud-africains peuvent investir à l’étranger et, par ailleurs, le prélèvement sur les sorties de capitaux des émigrants a été supprimé. Ces initiatives font partie de l’approche macroprudentielle du gouvernement, fondée sur le risque, de la gestion de l’exposition à l’international. I l exi s te toutefoi s des l imi tes à ce que les politiques monétaire, budgétaire, réglementaire ou macroprudentielle peuvent réaliser. Les agents économiques des secteurs public et privé doivent également adapter leur compor tement à un envi ronnement changeant . Les impor tateurs sud-africains bénéficient à l’heure actuelle de l’appréciation du rand. Ils doivent exploiter cette opportunité en important des biens d’équipement et en augmentant leurs capacités de production à des coûts beaucoup plus faibles que prévu, dans l’attente de la prochaine phase haussière de l’économie. L’accélération des importations de biens d’équipement permettra par ailleurs de réduire les tensions sur le taux de change. La compétitivité du secteur des exportations ne doit pas seulement reposer sur le taux de change du rand ; elle doit également être fondée sur l’amélioration de la compétitivité globale des entreprises sur les marchés internationaux. Dans l’environnement mondial actuel, un taux de change relativement fort peut constituer une caractéristique du scénario sud-africain pendant un certain temps, mais il convient également d’accorder toute l’importance voulue à l’amélioration de la compétitivité et de créer les incitations requises à cet égard par l’innovation, l’accroissement de la productivité, la baisse des coûts de production, les gains d’ef? cacité et l’amélioration de la qualité. Les déséquilibres mondiaux constituent une menace tant pour la stabilité ? nancière mondiale que pour celle des différents pays. Un pays ne peut apporter qu’une réponse limitée à ces déséquilibres et une approche multilatérale coordonnée est nécessaire pour les résorber de façon ordonnée au ? l du temps, dans l’intérêt de tous. Toutefois, il appartient également à chaque pays de traiter ses propres déséquilibres internes et structurels et de s’efforcer d’éviter d’en faire porter les conséquences à ses voisins et à ses partenaires commerciaux.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 115 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI DARMIN NASUTION Gouverneur Banque d’Indonésie Les choix divergents de politique économique opérés récemment dans les pays développés et les économies de marché émergentes se sont accompagnés d’une reprise des ? ux de capitaux transfrontières privés vers un certain nombre de pays. L’intégration croissante des marchés ? nanciers mondiaux a incité les capitaux en quête de meilleurs rendements à franchir plus facilement les frontières. Les économies de marché émergentes et les pays exportateurs de matières premières ont constitué la destination privilégiée de ces ? ux. Divers facteurs ont joué un rôle majeur à cet égard, notamment l’amélioration de la stabilité et de la gestion macroéconomiques, qui a ouvert de meilleures perspectives de croissance dans les économies de marché émergentes et conduit à l’ouverture du compte ? nancier à des degrés divers. Ces évolutions ont également résulté d’un certain nombre d’autres facteurs, comme des taux directeurs proches de zéro dans les principales places ? nancières et les faibles rendements perçus dans les économies avancées. Toutefois, les pays destinataires ont également constaté la volatilité accrue de ces entrées de capitaux. Si un bon dosage des politiques économiques au plan national est capital, les conséquences potentiellement sans précédent de ? ux de capitaux volatils appellent des mesures multidimensionnelles, notamment des initiatives régionales et mondiales. Le FMI est bien placé pour jouer un rôle accru en matière de surveillance, de fourniture de liquidité à l’échelle mondiale au travers de ses facilités de ? nancement et, aspect non moins important, de conseil en matière de politique économique en adoptant une approche moins standardisée et en faisant preuve d’une plus grande ouverture d’esprit. NB : Une précédente version de ce document a été présentée lors de la conférence conjointe FMI/Autorité monétaire de Singapour intitulée The IMF and the International Financial System: The Post-Crisis Agenda, 24 Septembre 2010, Singapour.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 116 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI Darmin Nasution L es politiques divergentes conduites récemment dans les pays développés et les pays émergents ont contribué à une reprise des ? ux de capitaux transfrontières privés vers un certain nombre de pays. Les marchés émergents se sont développés et sont devenus une destination privilégiée pour ces ? ux. Les déséquilibres mondiaux prennent un sens nouveau, qui se manifeste par un nouvel ensemble de facteurs d’incitation à l’entrée et à la sortie de capitaux. Dans les économies émergentes, les principaux facteurs d’attraction sont liés notamment à l’amélioration de la stabilité macroéconomique, qui a ouvert de meilleures perspectives de croissance, et à l’ouverture du compte ? nancier intervenue à des degrés divers. Ces phénomènes sont allés de pair avec plusieurs facteurs qui ont détourné les ? ux de capitaux des économies avancées, comme des taux directeurs proches de zéro et la faiblesse perçue des rendements. Les entrées de capitaux dans les pays émergents leur ont permis de récolter les béné? ces d’une intégration accrue de leurs marchés financiers domestiques dans le marché mondial. En dépit de ces aspects positifs, les récentes entrées de capitaux représentent également un dé? pour la gestion des politiques macroéconomiques et prudentielles, en raison des risques de surchauffe de l’économie, de perte de compétitivité, de coûts de stérilisation accrus et de grande vulnérabilité aux crises qu’elles sont susceptibles d’entraîner. 1| LA DYNAMIQUE DES FLUX DE CAPITAUX ET LA STABILITÉ FINANCIÈRE La crise mondiale de 2008 a perturbé les ? ux de capitaux, mais ceux-ci se sont redressés récemment, dans le sillage de l’atténuation de la crise. En fait, depuis début 2010, la vague de capitaux revenus massivement vers un certain nombre d’économies émergentes a suscité un regain d’attention pour la manière dont les politiques macroéconomiques doivent répondre à ce phénomène. Il est vrai que l’af? ux de capitaux vers les marchés émergents devrait avoir des répercussions économiques béné? ques en liaison avec le renforcement de l’intégration ? nancière. La libre circulation des capitaux devrait permettre une allocation plus ef? cace des ressources entre les épargnants et les investisseurs à travers le monde. Dans le contexte indonésien, l’appréciation de la monnaie liée aux entrées de capitaux a également contribué à améliorer les anticipations d’in? ation dans le pays. On sait toutefois que les entrées de capitaux sont de nature procyclique et qu’elles ont tendance à c omp l i q u e r l a g e s t i o n ma c ro é c o n omi q u e. La principale dif? culté est liée à leur dangereuse capacité à générer une surchauffe de l’économie, une perte de compétitivité, des coûts de stérilisation plus importants et une grande vulnérabilité aux crises. Les problèmes surviennent lorsque les entrées de capitaux ont un caractère très spéculatif et dépassent la capacité d’absorption de l’économie. D’autres dif? cultés apparaissent lorsque le marché domestique, étroit et sous-développé, est encore trop fragile pour faire face à des mouvements de capitaux aussi importants et incertains que ceux du marché ? nancier mondial. De fait, les ? ux de capitaux dirigés vers les pays émergents d’Asie ont été d’assez grande ampleur et très volatils. Les importantes entrées de capitaux à caractère spéculatif, en quête de rendements élevés, se portent généralement sur les instruments ? nanciers, entraînant une augmentation rapide et déstabilisante des prix des actifs. De plus, de par leur nature volatile, ces ? ux spéculatifs peuvent perturber le bon fonctionnement des marchés ? nanciers et représenter un danger pour la stabilité ? nancière. La cible de ces entrées de capitaux, principalement sous la forme d’investissements de portefeuille, est tributaire des variations de l’appétence pour le risque, des différentiels de taux d’intérêt et des anticipations relatives aux évolutions des taux de change. Lorsque les investisseurs se retirent brutalement, et collectivement, des marchés ? nanciers domestiques, les sorties de capitaux qui s’ensuivent affectent tous les compartiments du marché (marché des titres, marché des changes, marché monétaire et marché du crédit), la contagion se propageant d’un marché à l'autre. S’il n’est pas maîtrisé, cet évènement soudain et dommageable peut menacer la stabilité ? nancière globale et entraîner des pertes en termes de production et d’emploi.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 117 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI Darmin Nasution 2| LA GESTION DE LA VOLATILITÉ : L’EXPÉRIENCE INDONÉSIENNE Les flux de capitaux sont volatils par nature. Par conséquent, la dif? culté principale est de savoir comment conduire des politiques permettant à la fois d’anticiper et de gérer cette volatilité, marquée par des périodes d’entrées massives de capitaux suivies d’un retournement pouvant être brutal. Des politiques macroéconomiques et ? nancières saines au niveau national sont généralement considérées comme la première ligne de défense. Elles permettent de renforcer la crédibilité et de créer un climat propice aux investissements. La plupart des gouvernements et des banques centrales, dont la Banque d’Indonésie, ont adopté ce point de vue classique incitant à la prudence. Il faut également approfondir les marchés tout en renforçant la résistance de l’économie nationale. Des mesures spéci? ques et temporaires visant à limiter les comportements spéculatifs et à maintenir la stabilité du taux de change sont justi? ées. Elles permettront aux différents pays de préserver la stabilité macroéconomique. Cela ne signi? e pas, toutefois, que les autorités indonésiennes renoncent au principe d’une économie ouverte et axée sur le marché. Pour essayer de moduler le volume des entrées nettes de capitaux, la Banque d’Indonésie a mis en place des moyens d’action permettant de parvenir à un équilibre optimal entre la ? exibilité du taux de change, les interventions sur les marchés, l’accumulation de réserves, la gestion de la liquidité et la réglementation macroprudentielle. La ? exibilité du taux de change La ? exibilité du taux de change, qui a été très utile à l’Indonésie pour absorber les chocs externes durant la crise ? nancière mondiale de 2008-2009, devrait rester un volet important des mesures prises en réaction à la volatilité des ? ux de capitaux. Permettre au taux de change de s’ajuster peut limiter la transmission de la liquidité mondiale et les entrées de capitaux attirés par la perspective d'une appréciation de la monnaie. De toutes les économies asiatiques, l’Indonésie est considérée comme celle qui tolère le mieux une appréciation de son taux de change. La roupie indonésienne s’est appréciée de près de 34 % entre le point bas atteint en mars 2009 et avril 2010, annulant ainsi la dépréciation enregistrée pendant la crise (2008-2009), avant de se stabiliser entre avril et octobre 2010. Les interventions de marché Les interventions sur le marché des changes ? gurent parmi les principales décisions prises par la Banque d’Indonésie alors que le pays devait faire face à un important af? ux de capitaux. Des entrées de capitaux massives et soudaines entraînent fréquemment une forte appréciation du taux de change en peu de temps, générant des incertitudes pour les entreprises. Dans un tel contexte, des interventions ont été conduites pour atténuer les ? uctuations excessives ou indésirables du taux de change. L’ a p p r é c i a t i o n fo r t e e t d u ra b l e d e l a ro u p i e i n d o n é s i e n n e p e u t é g a l e m e n t a v o i r d e s r é p e r c u s s i o n s i m p o r ta n t e s s u r l ’ é c o n o m i e, principalement en portant atteinte à la compétitivité des secteurs exportateurs et en risquant de freiner la croissance économique. De même, si les entrées nettes de capitaux interviennent dans un contexte de dé? cit du compte de transactions courantes, l’appréciation de la monnaie en termes réels peut aggraver le déséquilibre externe, accroissant la vulnérabilité au risque d’un retournement brutal des ? ux de capitaux. Toutefois, en dépit de l’efficacité des mesures conventionnelles, la gestion de la politique monétaire s’est avérée complexe pour la Banque d’Indonésie. La stérilisation entraîne des coûts, dans la mesure où le taux d’intérêt versé par la Banque d’Indonésie sur ses certificats de banque centrale (SBI) est supérieur à celui qu’elle perçoit sur ses avoirs de réserve. Par conséquent, la stérilisation des entrées de capitaux par le biais de l’instrument de banque centrale a eu de graves conséquences sur le bilan de la banque centrale. La tâche est décourageante, étant donné que l’encours de la Banque d’Indonésie Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 118 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI Darmin Nasution en certi? cats portant intérêt émis pour absorber l’excédent de liquidité a nettement augmenté. L’accumulation de réserves Même si les interventions ont été jugées absolument nécessaires pour parvenir à un compromis optimal entre les soldes interne et externe, il convient ensuite de se demander si la Banque d’Indonésie doit accumuler des réserves de change. Le niveau, relativement faible actuellement, des réserves de change s’est-il avéré insuf? sant, y compris à titre de précaution ? Si tel est le cas, des entrées soudaines de capitaux peuvent représenter l’occasion pour la banque cent rale d’augmenter les réserves de change. Un nouveau renforcement limité des volants de réserves peut se justi? er dans la mesure où l’Indonésie, et d’autres économies émergentes, ont été exposées à l’aversion globale au risque, même si le niveau des réserves a été suf? sant jusqu’à présent pour couvrir plus de six mois d’importations et de paiements liés au service de la dette publique. La gestion de la liquidité Dans le cadre de sa stratégie visant à améliorer la gestion de la liquidité et à réduire la possibilité pour les étrangers de spéculer sur le marché des certi? cats de banque centrale, la Banque d'Indonésie a introduit, le 16 juin 2010, un instrument de dépôt à terme sans titre de dette sous-jacent. Cet instrument est incessible mais peut être remboursé avant la date d’échéance sous certaines conditions. La réglementation macroprudentielle Dans la mesure où les capitaux étrangers af? uant en Indonésie sont essentiellement des capitaux à court terme, une réponse purement macroéconomique et des mesures conventionnelles telles que le recours à des interventions stérilisées ne suf? t pas toujours. Diverses mesures prudentielles ciblées visant à limiter les entrées de capitaux à court terme de nature volatile se justi? ent et peuvent aider l’Indonésie à établir la stabilité macroéconomique et à préserver l’intégrité et la stabilité du système ? nancier. Une mesure prudentielle sélective, la Minimum One-Month SBI Holding, entrée en vigueur le 7 juillet 2010, a pour objectif d’empêcher des entrées et des sorties massives et soudaines de capitaux. Par cette mesure, tout acquéreur de certi? cats de la Banque d’Indonésie doit les conserver pendant une période minimale d’un mois (28 jours), que les titres soient achetés sur le marché primaire ou sur le marché secondaire et quelle que soit leur échéance. Cette mesure s’applique à la fois aux résidents et aux non-résidents. Elle a été bien accueillie par les intervenants de marché et a réussi à inciter les étrangers à arbitrer leurs portefeuilles en faveur d’échéances longues (généralement des emprunts publics). Elle a également permis de réduire la probabilité d’entrées ou de sorties de capitaux massives et soudaines, atténuant ainsi les variations du taux de change de la roupie indonésienne par rapport au dollar. En mettant en place cette réglementation ? nancière, la Banque d’Indonésie contribue à freiner l’action des marchés ? nanciers alimentés par la liquidité abondante résultant de l’excédent de ? ux de capitaux, ce qui a permis jusqu’à présent de renforcer la stabilité ? nancière. Les nouveaux rôles du Fonds monétaire international Même une économie en bonne santé, avec des politiques saines, risque d’être emportée par la tourmente de la récente crise ? nancière mondiale. C’est pourquoi la coordination des politiques au niveau mondial est importante pour la stabilité de l'ensemble du système ? nancier. Au niveau régional, plusieurs initiatives ont été prises, notamment la multilatéralisation de l’initiative de Chiang Mai, l’accord de swap bilatéral sur le yen et la ligne de swap entre la Fed et des banques centrales. Ces initiatives ont permis à la fois de ramener la con? ance sur les marchés et d’atténuer l’incidence des ? ux de capitaux volatils. Au plus haut niveau, le ? let de sécurité ? nancière à l’échelle mondiale n’a pas fourni de cadre Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 119 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI Darmin Nasution pour la prévention et la résolution des crises, les institutions ? nancières internationales et les banques internationales de développement occupant le devant de la scène. Le G20 a invité à un renforcement des rôles du FMI en matière d'anticipation et de résolution des crises. Les évolutions récentes vont clairement dans ce sens, notamment dans les deux domaines suivants : le renforcement de la surveillance et le développement du rôle du Fonds en matière de ? nancement. En tant qu’instrument important de prévention des crises, la surveillance du FMI doit s’adapter à un monde en mutation. À cet égard, la Banque d’Indonésie soutient l’extension des domaines de surveillance du Fonds pour y inclure la stabilité ? nancière internationale et l’incidence systémique des politiques nationales, qui n’entrent pas actuellement dans le champ de ses attributions en matière de surveillance. Cela ne devra pas, toutefois, conduire le FMI à intervenir dans le processus de décision au niveau national, a? n que les pays conservent l’indispensable maîtrise de leurs politiques. Il convient en particulier de s’attacher à améliorer la prévisibilité des ? nancements du FMI. Dans ce cas, les membres peuvent recevoir des ? nancements du Fonds en communiquant des informations aux autres États membres sur leur éligibilité aux facilités durant le processus de consultation au titre de l’Article IV, sans les publier dans le rapport correspondant. De plus, il est primordial que le FMI fournisse des conseils appropriés aux pays membres sur les politiques à suivre, à savoir des conseils qui ne seraient pas uniformes mais au contraire plus ? exibles et caractérisés par une plus grande ouverture d’esprit. Le FMI doit s’efforcer d’avoir un rôle consultatif plutôt que prescriptif, notamment dans les domaines du contrôle des ? ux de capitaux, des politiques de change et de l’accumulation des réserves. Un rôle consultatif permettrait d’intervenir sur la situation spéci? que d’un pays par le biais d’orientations sur la politique à suivre, tout en tenant également compte de l’incidence systémique au niveau régional ou international. Le résultat ? nal serait un soutien plus proportionné à l’effort global de recherche d’une croissance soutenable et équilibrée. L e s c o n s e i l s d u F M I d e v ro n t p o r t e r p l u s particulièrement sur trois domaines : le contrôle des ? ux de capitaux, les politiques macroprudentielles et l’approfondissement ? nancier. Le contrôle des ? ux de capitaux Pendant plus ieurs décennies, dominées par l’orthodoxie, il a été généralement admis que le contrôle des capitaux était par nature inef? cace et qu’il ne fallait pas y recourir. Cela a constitué un obstacle aux recherches pourtant indispensables sur ce sujet. Cette orthodoxie a commencé à évoluer pour faire place à une approche plus ? exible et plus ouverte. À cet égard, nous saluons comme une évolution positive la démarche du FMI qui a accompagné cette tendance. Dans son rapport d’avril 2010 sur la stabilité ? nancière dans le monde, le FMI souligne : « Il existe plusieurs types de contrôles différents susceptibles d’être mis en place avec des succès divers en fonction de la situation des différents pays. Globalement, le message est le suivant : une approche unique ne convient pas à tous. Dans la mesure où le recours aux contrôles des ? ux de capitaux n’est recommandé que pour traiter des entrées de capitaux temporaires, notamment celles liées à des facteurs externes, une telle mesure peut s’avérer utile même si son ef? cacité diminue au ? l du temps ». Il serait important que cette nouvelle vision du monde s’accompagne d’une stratégie de recherche et de communication. Dans le domaine de la recherche, le FMI ainsi que d’autres instances multilatérales et des instituts de recherche doivent mener des travaux plus approfondis sur les externalités négatives résultant des ? ux de capitaux importants et volatils, sur la manière de traiter ces externalités, sur le moment approprié pour recourir aux contrôles ainsi que sur les types de contrôles qui ont été les plus probants et dans quelles circonstances. De ce point de vue, les contrôles peuvent être considérés comme un élément du nouveau cadre macroprudentiel que chacun a réclamé lors de la crise ? nancière mondiale. À plus long terme, le FMI et la communauté internationale doivent jouer un rôle plus actif et développer un code de bonnes pratiques pour les contrôles prudentiels des ? ux de capitaux. De plus, les pays tireront le meilleur parti de ces conseils Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 120 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI Darmin Nasution s’ils sont débattus dans le cadre de la surveillance au titre de l’Article IV. Les mesures macroprudentielles Après la c r i se f inanc ière récente, le terme « macroprudentiel » est devenu très à la mode. Un volet essentiel des efforts internationaux visant à renforcer le système ? nancier consiste à développer l’orientation macroprudentielle des cadres règlementaires et prudentiels. Depuis la crise, il est de plus en plus admis que les mesures prudentielles recouvrent deux dimensions : une dimension microprudentielle pour limiter les dif? cultés au niveau des différentes banques et une dimension macroprudentielle pour limiter la crise ? nancière à l’échelle du système. Fort de son expérience du traitement des problèmes macroprudentiels de ses pays membres, le FMI doit jouer un rôle en dé? nissant une politique macroprudentielle adaptée. À cet égard, il peut aider à identi? er les facteurs de risque qui doivent être pris en compte dans l’approche macroprudentielle. Son concours serait utile compte tenu de la dif? culté croissante des travaux d’analyse ces dernières années, le système ? nancier devenant plus complexe et interconnecté entre les secteurs et les pays. L'approfondissement ? nancier Comme mentionné précédemment, les marchés de la plupart des économies émergentes, actuellement sous-développés et étroits, sont trop fragiles pour faire face à un marché ? nancier mondial de très grande taille et incertain. Dans un marché étroit, les entrées et sorties de capitaux à court terme entraînent une modi? cation substantielle des prix de marché et peuvent aisément faire dévier ceux-ci de leur valeur fondamentale. Par conséquent, dans le cadre d’une stratégie de moyen terme, les autorités des économies émergentes doivent s’attacher au renforcement de la résilience des systèmes ? nanciers et à l’approfondissement des marchés ? nanciers domestiques. L’approfondissement ? nancier permet une meilleure diversi? cation des portefeuilles et des risques, ce qui améliore en ? n de compte la résistance du système ? nancier aux chocs et à la volatilité. Dans ce contexte, le FMI doit tenir compte de la situation des pays membres lorsqu’il prodigue ses conseils en matière d’approfondissement ? nancier. La volatilité des ? ux de capitaux est un phénomène inévitable alors que l’économie mondiale est en pleine évolution et que la mondialisation se poursuit. Nous pouvons essayer d’y faire face de façon à réduire son ampleur et son incidence. Si le dosage des politiques économiques au plan intérieur est crucial, les répercussions potentielles sans précédent de la volatilité des ? ux de capitaux appellent en dé? nitive des mesures recouvrant toutes les dimensions possibles, notamment des initiatives régionales et mondiales. Le FMI est bien placé pour jouer son rôle en matière de surveillance, de fourniture de liquidité à l’échelle mondiale au travers de ses facilités de ? nancement et celui tout aussi important de conseil sur les politiques économiques avec toute la souplesse et l’ouverture d’esprit voulues.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 121 Le débat de politique économique de ces prochaines années s’articulera pour l’essentiel autour de deux questions : les déséquilibres mondiaux ont-ils contribué à la crise ? nancière ? La réduction de ces déséquilibres est-elle une condition préalable pour garantir la stabilité ? nancière mondiale ? Compte tenu des études et des analyses disponibles, on peut raisonnablement af? rmer que des facteurs communs sont probablement à l’origine à la fois de la crise et des déséquilibres mondiaux. Ils recouvrent notamment l’hétérogénéité des préférences en matière d’épargne, l’asymétrie des évolutions ? nancières entre les différents pays présents sur les marchés ? nanciers internationaux et l’insuf? sance de l’offre d’actifs liquides et sûrs à un niveau plus global. À plus long terme, la communauté internationale doit trouver le juste équilibre entre, d’une part, la légitime souveraineté des pays en matière de politique monétaire, de politique de change et de politique relative au compte de capital et, d’autre part, le renforcement des interdépendances, la complexité accrue du système mondial et la divergence des perspectives économiques des différents pays. De fait, le rééquilibrage de la demande mondiale ne pourra être qu’un processus progressif et à long terme. A? n de favoriser la résolution ordonnée des déséquilibres, tous les pays doivent veiller à ce que les politiques qu’ils mettent en œuvre ne créent pas de nouvelles distorsions au sein de l’économie mondiale. Plusieurs améliorations pourraient être apportées au système monétaire international pour dissuader la conduite de politiques susceptibles de créer des distorsions. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière CHRISTIAN NOYER Gouverneur Banque de FranceDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 122 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Christian Noyer D eux questions essentielles ressortent de l’examen du lien entre les déséquilibres mo n d i a u x e t l a s ta b i l i t é f i n a n c i è re. La première a trait au lien existant entre les déséquilibres mondiaux et la crise financière : cette dernière a-t-elle contribué aux déséquilibres ? La seconde est de nature prospective : la réduction des déséquilibres mondiaux est-elle une condition indispensable pour assurer la stabilité ? nancière mondiale ? La plupart des débats des prochaines années s’articuleront vraisemblablement autour de ces deux questions. Cet article commence par une analyse des liens existant entre les déséquilibres mondiaux et la crise. Il se poursuit par une évaluation de la con? guration actuelle des déséquilibres et des risques qui y sont associés. Sur cette base, il tente d’évaluer à quelle vitesse et dans quelles conditions pourrait s’effectuer un rééquilibrage ordonné de la demande entre les pays. Il conclut sur un examen de l’utilité d’éventuelles réformes du système monétaire international. 1| LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET LA CRISE FINANCIÈRE Existe-t-il une causalité entre les déséquilibres mondiaux et la crise ? nancière mondiale ? Il s’agit d’un thème sur lequel les milieux universitaires se livrent à des recherches actives et qui alimente également des discussions passionnées entre les autorités responsables. Selon certains, les déséquilibres mondiaux sont effectivement à l’origine de la crise. Selon d’autres, ce sont plutôt des facteurs nationaux qui en sont la cause. La présente Revue de la stabilité ? nancière rassemble un large éventail de points de vue sur le sujet et contribue à ce titre, espérons-le, à améliorer notre compréhension de la crise. De mon point de vue, la crise ? nancière était le symptôme de fragilités croissantes au sein de l’économie mondiale et l’on peut raisonnablement penser que certaines causes communes sont à l’origine à la fois de la crise et des déséquilibres eux-mêmes. Trois caractéristiques du système ? nancier mondial ont favorisé le développement de déséquilibres mondiaux pers i s tant s ains i que de f ragi l i tés ? nancières insoutenables. En premier lieu, les déséquilibres nationaux ont augmenté au sein de l’économie réelle au cours de la dernière décennie. Les pays émergents ont connu un très grand accroissement de leur capacité productive dans les années précédant la crise. Une modi? cation de la distribution primaire du revenu s’est produite dans le monde entier. En Chine, par exemple, la part des salaires dans le PIB a ? échi, revenant de 55 % en 1992 à 48 % en 2008 ; aux États-Unis, le salaire réel médian est resté stable au cours des quinze dernières années, en dépit d’une croissance annuelle du PIB en volume supérieure à 3 % sur la même période. En revanche, les pro? ls de consommation ont été très divergents selon les pays. La Chine et les États-Unis constituent, là encore, de bons exemples à cet égard. En Chine, la part de la consommation s’est réduite à hauteur de plus de 10 % du PIB en termes relatifs sur la dernière décennie. Leur consommation ayant pris du retard, la Chine et d’autres pays comparables ont accumulé une épargne importante qu’il a fallu recycler quelque part. Cette épargne a ? ni par être absorbée par la ? ambée du crédit qui a entraîné la crise dans quelques pays avancés. Aux États-Unis notamment, la consommation a continué de progresser, à la fois en termes absolus et en pourcentage du PIB, alimentant la demande d’importations. Les ménages américains pouvaient consommer davantage et épargner moins car ils se sentaient plus riches, malgré la stagnation de leurs salaires. Et ils se sentaient plus riches parce que la valeur de leur patrimoine immobilier et de leurs actifs ? nanciers augmentait rapidement et parce que cette tendance était présumée durable. Globalement, l’équilibre mondial entre la demande et l’offre de biens reposait sur la persistance d’une bulle de prix d’actifs aux États-Unis. En deuxième lieu, le développement financier a été asymétrique entre les pays et les régions. Les pays participant activement au système ? nancier mondial connaissent des situations très différentes, qu’il s’agisse des régimes de compte de capital, de l’importance et de la profondeur des marchés ? nanciers nationaux ou, plus généralement, de leur capacité à créer localement une offre suf? sante d’actifs sûrs et liquides. Certaines de ces différences re? ètent de véritables choix et préférences de modèle social qu’il convient de respecter et de prendre en compte. D’autres, toutefois, résultent de distorsions induites par les autorités, de façon délibérée ou involontaire, qui doivent être réduites ou éliminées. Les imperfections ? nancières domestiques et les Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 123 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Christian Noyer frictions sur les ? ux de capitaux internationaux interagissent pour créer et ampli? er les déséquilibres. L’instabilité financière est un produit de cette interaction. Une partie de cette instabilité se manifeste dans les mouvements de taux de change. Troisièmement, le système ? nancier international a été confronté à une pénurie d’actifs sûrs. Cette pénurie a incité le secteur ? nancier privé à créer des actifs apparemment sûrs grâce à l’innovation. Certains observateurs y voient l’une des causes fondamentales de l’apparition de bulles dans de nombreux pays avec une fréquence accrue, que ce soit sur le marché de l’immobilier, sur le marché ? nancier ou les deux. Seule l’économie des États-Unis et son système ? nancier ont la capacité de générer des actifs liquides et sûrs en quantités industrielles. Les marchés de capitaux américains exercent naturellement une attraction sur l’épargne mondiale, en particulier sur les réserves de change of? cielles. De plus, l’ingénierie ? nancière et les avancées technologiques ont permis aux établissements ? nanciers américains d’élaborer des produits complexes et apparemment sûrs, mais qui se sont révélés très fragiles. 2| LE RÉÉQUILIBRAGE DE L’ÉCONOMIE MONDIALE Le rééquilibrage de la demande mondiale ne pourra être qu’un processus progressif et de long terme. De nombreuses caractéristiques de la situation antérieure à la crise sont toujours présentes et vont persister encore un certain temps. Leur correction nécessitera des changements lents et en profondeur des économies nationales. Dans les pays en excédent, les ajustements prendront probablement du temps. Il s’agit d’un processus de longue durée, parce que le niveau élevé du taux d’épargne des pays en excédent est lié à de nombreux facteurs. Il est important de souligner que certains d’entre eux, comme les évolutions démographiques ou le sous-développement des systèmes ? nanciers nationaux, sont, par nature, structurels. Dans certains pays, le développement de ? lets de protection sociale (par exemple, des systèmes publics d’assurance maladie et de retraite, un meilleur accès au système éducatif) ainsi que l’augmentation des possibilités d’emprunt grâce au développement des systèmes ? nanciers permettraient de réduire l’épargne de précaution des ménages. Un meilleur accès au crédit et aux marchés ? nanciers pourrait contribuer de manière similaire à une diminution de l’épargne des entreprises, dans la mesure où celles-ci n’auraient plus à recourir autant aux béné? ces non distribués pour ? nancer leurs investissements. S’agissant des économies avancées, le progrès technique et les pressions exercées par les pays émergents ainsi que le chômage peuvent peser sur la dynamique des salaires. De plus, après la crise, un sentiment général d’insécurité économique entraînera probablement, pendant un certain nombre d’années, un accroissement de l’épargne. Dans la plupart des pays, et particulièrement en Europe, aux États-Unis et au Japon, il est urgent de procéder à un important assainissement budgétaire. La discipline de marché contribuera à imposer un assainissement marqué des ? nances publiques sur une période prolongée. L’un des objectifs essentiels de notre dialogue international doit être de s’accorder sur les rôles respectifs, dans la formation des déséquilibres internes, des facteurs structurels et de ceux qui sont induits par les politiques suivies. Cela nous permettrait de nous entendre sur les modi? cations qu’il conviendrait d’apporter à nos politiques nationales. Le « Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée » est tout désigné pour établir ce dialogue. Il devrait continuer à jouer un rôle central. Cet objectif partagé de rééquilibrage de la demande globale dans le monde a renforcé la cohésion af? chée par les pays du G20 pendant la phase aiguë de la crise. Il a joué un rôle essentiel en 2008 et en 2009 pour rétablir la con? ance et tracer le chemin de la reprise. Cependant, cette approche concertée des déséquilibres mondiaux pourrait avoir perdu de sa force récemment. Il y a un véritable débat autour de deux questions majeures et étroitement liées : premièrement, sur le rythme approprié du rééquilibrage, les pays avancés lui accordant un plus grand degré d’urgence ; et, deuxièmement, sur les stratégies les plus ef? caces, notamment en matière de taux de change. Nous devons nous appuyer sur trois réalités fondamentales. Premièrement, les pays sont libres de mener les politiques monétaires qu’ils estiment appropriées. En effet, lorsque les banques centrales sont indépendantes, elles sont juridiquement tenues Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 124 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Christian Noyer d’agir de la sorte. La politique monétaire doit être menée en fonction d’objectifs nationaux, mais toutes les banques centrales cherchent à atteindre la stabilité des prix. Cela vaut pour tous les pays, petits ou grands. Le monde a tiré un béné? ce considérable de deux décennies de stabilité des prix résultant de régimes monétaires fondés sur l’indépendance de la banque centrale et sur la primauté accordée à la stabilité interne des prix. Deuxièmement, en vertu des statuts du Fonds monétaire international (FMI), les pays sont libres de choisir leurs régimes de compte de capital et de change à condition d’éviter de manipuler les taux de change. Il s’agit d’un pilier fondamental de notre système actuel. Cette condition s’est révélée très complexe à dé? nir, et plus encore à mettre en œuvre. Le FMI a rencontré des dif? cultés en s’efforçant d’instaurer un processus ef? cace et symétrique de surveillance multilatérale. Troisièmement, le monde est caractérisé par une interdépendance et une complexité accrues. Les ? ux internationaux de capitaux ont créé une véritable interconnexion entre les pays. Le système monétaire et ? nancier est devenu « multipolaire ». Un nombre croissant de pays, tant développés qu’émergents, sont devenus des intervenants actifs sur les marchés de capitaux internationaux. Des effets de contagion se sont multipliés entre les politiques monétaires et économiques nationales. Et aucun pays ne peut être vraiment indifférent aux actions entreprises par les autres. Dans les circonstances actuelles, il est devenu beaucoup plus dif? cile de concilier ces trois réalités de base. On n e p e u t a t t r i b u e r l a re s p o n s a b i l i t é d e s déséquilibres à une seule cause spéci? que. Tous les pays ont des préoccupations légitimes. Mais nous devons également admettre que le rééquilibrage ne peut s’opérer sans un certain ajustement des prix relatifs. Dans les économies de marché, il est important que les producteurs se trouvent dans le juste environnement en termes de prix lorsqu’ils prennent des décisions d’investissement à long terme en technologie et en capacités de production. Les pays ont toute latitude, et devraient conserver cette liberté, pour choisir le régime et la politique de change les mieux adaptés, compte tenu de leurs spéci? cités nationales. Toutefois, l’ajustement du taux de change réel est partie intégrante d’une stratégie de rééquilibrage mondiale et ordonnée. Les divergences des politiques monétaires sont inévitables étant donné le rythme irrégulier de la reprise à travers le monde. En outre, pour chaque pays, il se peut qu’actuellement l’objectif de stabilité des prix ne coïncide pas avec l’objectif de stabilité ? nancière. Dans les économies avancées, l’assouplissement monétaire et les freins à la croissance du crédit créent un risque de nouveaux déséquilibres ? nanciers. Dans de nombreux pays émergents, les tensions in? ationnistes exigeraient un durcissement monétaire, mais cela risquerait à l’évidence de déclencher des entrées de capitaux déstabilisantes. Dans ce contexte, les politiques macroprudentielles ont un rôle essentiel à jouer. S’agissant des économies avancées, elles doivent viser à encourager la croissance du crédit, tout en renforçant la résilience du secteur ? nancier. Les autorités de surveillance doivent également se tenir prêtes à agir en cas d’apparition sur certains marchés de phénomènes s’apparentant à des bulles. En ce qui concerne les économies émergentes, des mesures visant à stabiliser les entrées de capitaux peuvent soulager les tensions pesant sur les conditions ? nancières internes et prévenir la formation de nouvelles bulles d’actifs. L’harmonisation complète et la convergence totale du développement ? nancier dans les différents pays ne sont ni souhaitables ni réalisables. Toutefois, l e d é ve l o p p eme n t f i n a n c i e r d e s é c o n omi e s émergentes peut contribuer dans une large mesure à l’élargissement de la gamme d’actifs ? nanciers sûrs et liquides proposés aux investisseurs nationaux et internationaux. De fait, les marchés de capitaux en monnaie locale se sont considérablement développés au cours des dix dernières années, sous l’effet de la très nette amélioration de la situation budgétaire des pays émergents. Il semble qu’il existe de vastes perspectives de développement d’accords ? nanciers et monétaires régionaux. Les énormes gisements d’épargne actuellement disponibles peuvent faire l’objet d’une intermédiation au niveau local au lieu de transiter par des systèmes ? nanciers situés dans les économies avancées. Les marchés ? nanciers régionaux devront être complétés et étayés par des accords monétaires. À travers l’initiative Chiang Mai, les pays asiatiques œuvrent à la mise en place progressive de tels dispositifs.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 125 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Christian Noyer Garantir une interaction harmonieuse entre les différents systèmes ? nanciers doit être une priorité. Une plus grande convergence est nécessaire entre économies avancées et pays émergents concernant leurs approches en matière de régulation ? nancière. Des progrès signi? catifs sont d’ailleurs en cours à cet égard. Les principaux pays émergents sont à présent membres à part entière du Conseil de stabilité ? nancière et du Comité de Bâle ; à ce titre, ils contribuent à l’effort de construction d’un système ? nancier mondial plus résistant et plus ef? cient. Pour sa part, le Comité de Bâle a réussi dans un laps de temps très court à renforcer considérablement le cadre prudentiel international applicable aux banques. La mise en œuvre de Bâle III par tous les pays de façon synchronisée constituerait une nouvelle avancée du système ? nancier mondial vers un cadre réglementaire homogène à l’échelle internationale. 3| LES PISTES POUR L’AVENIR L’économie mondiale, le système ? nancier mondial et le système monétaire international ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres. D’un point de vue général, plusieurs pistes se dessinent qui pourraient contribuer à améliorer le fonctionnement du système. Il est important que les pays qui décident d’ouvrir leurs marchés de capitaux soient suf? samment protégés contre les chocs financiers externes. Les pays émergents ont en permanence cherché à accroître leurs réserves de change, passées de 4 % du PIB en 1990 à plus de 20 % en moyenne à l’heure actuelle. Ces réserves servent de volant de sécurité contre d’éventuelles sorties brutales de capitaux. Elles permettent également de fournir de la liquidité aux institutions ? nancières nationales. Elles sont un outil de stabilité ? nancière à la fois interne et externe. La fourniture effective de liquidité et d’actifs sûrs en période de tensions demeurera incertaine à moyen terme, ce qui continuera d’inciter fortement les pays à constituer des réserves. La nécessité d’accumuler des réserves nationales pourrait toutefois être réduite grâce à la mise en place de mécanismes crédibles permettant l’apport de liquidité of? cielle sur une base multilatérale. À plus long terme, deux pistes sont envisageables pour améliorer l’ef? cacité et la stabilité de l’architecture ? nancière internationale. En premier lieu, nous devons trouver des moyens de remédier à la volatilité des ? ux de capitaux internationaux. Pour un pays donné, le contrôle des mouvements de capitaux est susceptible de réduire temporairement la pression sur son compte de capital, voire de limiter de façon permanente la volatilité de son taux de change. Pour l’ensemble du système international, cependant, ces contrôles pourraient tout simplement transférer cette pression sur d’autres pays ou d’autres catégories d’actifs et accentuer, plutôt que réduire, la volatilité globale. Il est sans doute possible d’éliminer ces effets négatifs. On peut notamment envisager un renforcement de la surveillance ? nancière. Les pays peuvent également recourir aux outils dits macroprudentiels. En effet, des voix se sont élevées pour prôner une politique macroprudentielle intégrant une perspective des marchés émergents, laissant penser que cette nouvelle approche de la régulation financière pourrait contenir la promesse d’une meilleure gestion des ? ux de capitaux importants. Plusieurs économies émergentes ont également instauré une certaine forme de contrôle des mouvements de capitaux. Un cadre prévisible dé? nissant les circonstances, les modalités et les conditions d’un recours à un contrôle temporaire des mouvements de capitaux serait certainement utile. Du point de vue du G20, il serait très utile d’examiner et d’évaluer de manière détaillée tout l’éventail des mesures disponibles pour gérer les mouvements de capitaux et préserver la stabilité ? nancière. En second lieu, il serait judicieux de trouver des moyens de déconnecter l’accumulation de réserves de change de la gestion du taux de change et, plus généralement, de la balance des paiements et des politiques monétaires. Actuellement, l’accumulation de réserves ne peut s’effectuer que par la conjonction d’un excédent de la balance des paiements et d’un certain niveau d’interventions de change. L’accumulation de réserves de précaution, aussi légitime soit-elle, a inévitablement des effets secondaires sur les politiques macroéconomiques internes et des retombées sur d’autres pays. La stabilisation de la demande de réserves internationales comporterait par conséquent de très nombreux avantages en termes de bien-être mondial. La nécessité d’accumuler Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 126 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Christian Noyer des réserves nationales pourrait être réduite grâce à la mise en place de mécanismes crédibles permettant l’apport de liquidité of? cielle sur une base multilatérale. D’où les travaux récents sur les « ? lets de sécurité ? nancière » au niveau international, qui sont devenus l’une des priorités du G20 sous la présidence coréenne. L’idée est d’améliorer la gamme des instruments disponibles pour amortir les pénuries de liquidité ou les interruptions brutales d’entrées de capitaux. Il s’agit là d’un point important de l’agenda sur lequel il faut réaliser des avancées. Des progrès signi? catifs ont été accomplis récemment dans ce sens, avec la création par le FMI de nouvelles facilités et la nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux, la plus importante jamais effectuée, d’un montant de 250 milliards de dollars. Il faut aller plus loin et entreprendre des travaux pour trouver des sources de liquidité internationale qui puissent réellement se substituer aux réserves sans créer d’aléa moral excessif. En? n, le système ? nancier mondial doit identi? er une instance appropriée pour traiter des évolutions des taux de change. Traditionnellement, ce rôle était dévolu au G7. Au cours des trente dernières années, celui-ci a contribué à promouvoir une forme de « discipline coopérative » reposant sur des taux de change ? ottants, un processus de concertation en cas de désalignement manifeste et profond entre les principales devises et, occasionnellement, le recours à des interventions publiques. Nous devons réfléchir à de nouvelles formes de discipline coopérative adaptées à une économie mondiale au sein de laquelle certains pays montent en puissance et deviennent des acteurs majeurs du système. Il est particulièrement important de relever ce dé? car la con? guration actuelle ne permet pas aux mouvements des taux de change de contribuer à la résorpt ion des déséqui l ibres mondiaux. I n é v i ta b l eme n t , l ’ o r i e n ta t i o n d e s p o l i t i q u e s budgétaire et monétaire continuera d’être adaptée à la situation conjoncturelle de chaque pays ou région. Il est essentiel de nous assurer que la volatilité des taux de change puisse être traitée par le biais d’une coopération accrue dans le domaine des politiques structurelles, s’accompagnant d’une communication appropriée à destination des intervenants de marché.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 127 Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Christian Noyer BIBLIOGRAPHIE Caballero (R. J.) (2006) “The macroeconomics of asset shortages”, 4 e Conférence des banques centrales organisée par la BCE, Francfort, novembre Caballero (R. J.), Farhi (E.) et Gourinchas (P.-O.) (2008a) “Financial crash, commodity prices, and global imbalances”, Brookings Papers on Economic Activity, Automne, p. 1-55 Caballero (R. J.), Farhi (E.) et Gourinchas (P.-O.) (2008b) “An equilibrium model of ‘global imbalances’ and low interest rates”, American Economic Review, 98:1, p. 358-393 Caballero (R. J.) et Krishnamurthy (A.) 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(2010) Fault lines: how hidden fractures still threaten the world economy, Princeton University Press Wei (S.-J.) et Ju (J.) (2010) “Domestic institutions and the bypass effect of ? nancial globalization”, American Economic Journal: Economic Policy, à paraîtreDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 129 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Alors que l’économie mondiale se redresse progressivement après avoir subi une récession sévère, les risques éventuels de déséquilibres mondiaux non soutenables sont l’objet d’un regain d’attention. Lors de l’évaluation de ce problème, il importe de ne pas s’intéresser exclusivement aux déséquilibres des comptes de transactions courantes proprement dits. Il convient plutôt de s’attacher à leurs causes profondes et à l’éventualité de les voir devenir des sources de déséquilibres ? nanciers non soutenables. La récente crise ? nancière ainsi que l’expérience du Japon dans les années quatre-vingt soulignent l’importance d’informations qui ne découlent pas nécessairement des statistiques de comptes de transactions courantes. Les déséquilibres ? nanciers non soutenables peuvent être mieux appréhendés au travers d’informations telles que l’accumulation de l’endettement, les ? ux bruts de capitaux transfrontières, la tari? cation du risque sur les marchés ? nanciers, et l’ampleur des asymétries relatives aux devises et aux échéances dans le système ? nancier. En évaluant soigneusement ces éléments, les banques centrales et les autres autorités seront à même de juger si les déséquilibres de comptes de transactions courantes traduisent une accumulation des déséquilibres ? nanciers domestiques. Dans la formulation de la politique macroéconomique, l’accent était traditionnellement mis sur le maintien de la stabilité interne ou sur une remise en ordre de la situation au plan domestique. Toutefois, avec le développement de la mondialisation, la simple agrégation des actions entreprises par chaque pays n’aboutit pas nécessairement à un résultat optimal à l’échelle mondiale. Il est devenu encore plus important que les pays s’intéressent aux effets de contagion de leurs politiques, qui se répercuteront d’ailleurs sur eux par le biais des interactions économiques et ? nancières. MASAAKI SHIRAKAWA Gouverneur Banque du JaponDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 130 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa L e débat sur les déséquilibres mondiaux a été ravivé au début des années deux mille, lorsque le dé? cit du compte de transactions courantes des États-Unis a commencé à se creuser tandis que l’excédent courant de certaines économies de marché émergentes, et notamment de la Chine, enregistrait une augmentation spectaculaire. Certains af? rment que les déséquilibres mondiaux ont été l’une des principales causes de la récente bulle du crédit aux États-Unis, et, par conséquent, de la crise ? nancière mondiale. À l’heure où l’économie mondiale se relève de cette grave récession, l’éventualité d’une accentuation de ces déséquilibres suscite logiquement un regain d’attention : si les déséquilibres mondiaux devenaient intenables, ils risqueraient de mettre en péril cette amorce de reprise. Dans un tel contexte, les dirigeants du G20 ont fait de la « durabilité externe » l’une de leurs priorités pour 2011. Le débat sur les déséquilibres mondiaux soulève de nombreuses questions. Quelle importance doit-on accorder au redressement des déséquilibres des comptes de transactions courantes en tant que tel ? Quelles sont les causes de ces déséquilibres ? Le fait que la principale monnaie de réserve soit celle du plus grand pays dé? citaire retarde-t-il le processus d’ajustement, l’incitation à réduire les dé? cits étant moins forte ? Dans quelle mesure l’existence d’un régime de change ? xe ou relativement rigide dans certains pays au solde courant excédentaire a-t-elle in? ué sur ces déséquilibres ? L’introduction de nouveaux actifs de réserve réduirait probablement la demande de dollars des États-Unis, mais comprimerait-elle aussi la demande de réserves de précaution, ce qui atténuerait les déséquilibres courants ? Ces questions sont étroitement liées aux discussions plus vastes qui portent sur le système monétaire international, et ne sont pas sans rappeler le débat qui a opposé White et Keynes lors de la négociation du système de Bretton Woods, il y a près de 70 ans. Le présent article s’efforcera entre autres de déterminer s’il est judicieux d’utiliser les excédents et les dé? cits des comptes de transactions courantes comme un indicateur de la viabilité des déséquilibres mondiaux. Dans la première section, nous étudierons l’expérience du Japon, en nous attachant en particulier aux années quatre-vingt, époque à laquelle ce pays a accumulé un excédent courant non négligeable et subissait des pressions de pays cherchant à l’inciter à le réduire. Dans la deuxième section, nous analyserons l’épisode de la crise mondiale actuelle. La troisième section tirera les enseignements du passé et de la période actuelle. La quatrième évoquera les aspects à prendre en compte dans les efforts que nous déployons pour éviter une prochaine crise mondiale et la cinquième exposera certaines des dif? cultés que doivent surmonter les décideurs. 1| LE CAS DU JAPON Lorsque l’on étudie l’évolution du solde des transactions courantes du Japon au cours des cinquante dernières années, on observe que, sous l’effet de l’amélioration rapide de la compétitivité de son secteur manufacturier, le Japon a commencé à enregistrer régulièrement un excédent commercial, et donc un excédent de ses transactions courantes, à compter du milieu des années soixante (cf. graphique 1). Les deux seules périodes qui font exception sont 1973-1975 et 1979-1980 : au moment du premier et du deuxième choc pétrolier, la ? ambée des cours du pétrole a comprimé cet excédent commercial. Au début des années quatre-vingt, les excédents commercial et courant du Japon ont af? ché une forte hausse, qui s’est accompagnée d’une montée Graphique 1 Balance des transactions courantes du Japon En proportion du PIB nominal (%) - 2 - 1 0 1 2 3 4 5 1960 0,1 % 1960-1969 0,8 % 1970-1979 2,1 % 1980-1989 2,4 % 1990-1999 3,3 % 2000-2009 1965 1980 1985 1990 1995 2000 2005 1970 1975 Sources : Banque du Japon, “Economic Statistics of Japan”, CEICDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 131 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa des pressions extérieures, tant bilatérales que multilatérales, visant à inciter le pays à réduire ses excédents. Pendant la première moitié des années quatre-vingt, on a cherché en priorité à restreindre les exportations dans des secteurs précis, comme en témoignent par exemple les restrictions volontaires des exportations automobiles vers les États-Unis, et à « ouvrir les marchés intérieurs japonais » aux produits et services étrangers. Dans l’optique de la libéralisation des marchés ? nanciers, le ministère des Finances japonais et le Trésor américain ont mis en place le « comité yen-dollar » en novembre 1983. En mai 1984, le rapport publié par ce comité a présenté un projet détaillé de libéralisation des marchés ? nanciers et de capitaux japonais et d’internationalisation du yen. Parallèlement, le yen, qui avait brièvement atteint 177 yens pour un dollar à la ? n des années soixante-dix, s’est le plus souvent inscrit dans une fourchette comprise entre 200 et 250 yens pour un dollar durant la première moitié des années quatre-vingt. Les principaux partenaires commerciaux du pays ont alors été de plus en plus convaincus qu’une appréciation du yen était nécessaire si l’on voulait limiter l’excédent commercial et courant japonais. En septembre 1985, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G5 ont annoncé dans l’« Accord du Plaza » 1 que l’existence d’importants déséquilibres des positions extérieures pouvait poser des problèmes et sont convenus que les taux de change devaient jouer un rôle dans la correction de ces déséquilibres extérieurs. Comme chacun sait, sur la base de cet accord, le G5 a commencé à intervenir conjointement sur les marchés des changes a? n de faire baisser la valeur du dollar. Ces cinq pays ont également pris des engagements individuels. Le Japon s’est notamment engagé à continuer d’ouvrir ses marchés intérieurs aux biens et services étrangers, en précisant que les efforts destinés à stimuler la demande s’attacheraient à augmenter la consommation et l’investissement par des mesures d’élargissement des marchés du crédit hypothécaire et du crédit à la consommation. Par ailleurs, le Japon s’est engagé à gérer sa politique monétaire de manière ? exible et à veiller au taux de change du yen. Conséquence de cet accord et des interventions qui ont suivi, la monnaie japonaise, qui avoisinait 240 yens pour un dollar avant la signature de l’Accord du Plaza, s’est fortement appréciée, pour atteindre 152 yens pour un dollar en septembre 1986. Mesuré en proportion du PIB, l’excédent courant du Japon a culminé à 4,2 % en 1986, avant de décliner par la suite 2 . L’excédent commercial dégagé par le Japon avec ses principaux partenaires s’est toutefois maintenu à un niveau élevé, et on est progressivement parvenu à la conclusion que les ajustements des taux de change ne pouvaient à eux seuls atténuer signi? cativement les déséquilibres des balances commerciales. Les pressions extérieures se sont alors davantage orientées sur une expansion de la demande intérieure. En février 1987, lors d’une réunion à Paris, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G6 ont rendu public l’« Accord du Louvre » 3 . Par cet accord, ministres et gouverneurs sont convenus que l’évolution substantielle des taux de change intervenue depuis l’Accord du Plaza allait de plus en plus contribuer à réduire les déséquilibres extérieurs, et que leurs monnaies respectives avaient désormais été ramenées à l’intérieur de fourchettes compatibles avec les fondamentaux économiques sous-jacents. Ils se sont également engagés à travailler en étroite coopération a? n de favoriser la stabilité des taux de change autour des niveaux de l’époque. Ministres et gouverneurs ont aussi reconnu que les profonds déséquilibres de la balance commerciale et du compte de transactions courantes de certains pays entraînaient de graves risques économiques et politiques. Chaque membre a une fois de plus pris des engagements spéci? ques et le Japon s’est engagé à mener une politique monétaire et budgétaire de nature à stimuler sa demande intérieure et à contribuer ainsi à réduire son excédent extérieur. De plus, la Banque du Japon a annoncé qu’elle allait abaisser son taux d’escompte de 0,5 point, à 2,5 %. Même si l’économie japonaise a progressé à vive allure, au rythme annuel de 4,7 % entre 1986 et 1988, et même si le prix des actifs a af? ché une augmentation à deux chiffres, ce taux directeur 1 Annonce des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales de la France, de l’Allemagne, du Japon, du Royaume-Uni et des États-Unis (22 septembre 1985) 2 En raison de l’effet de courbe en J initial, notamment, il a fallu attendre un certain temps avant que cet excédent ne se tasse. 3 Déclaration des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G6 (22 février 1987)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 132 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa très bas (2,5 %) a été maintenu pendant plus de deux ans, jusqu’à mai 1989, car l’in? ation s’était stabilisée à des niveaux très modestes 4 . Cette période de faiblesse des taux directeurs a duré beaucoup plus longtemps qu’en Allemagne, où le taux directeur a été maintenu à 2,5 % pendant moins d’un an 5 . Malgré les interventions répétées des grands pays à la suite de l’Accord du Louvre, le yen a continué de gagner du terrain face au dollar, atteignant 121 yens pour un dollar en novembre 1988, ce qui a fait craindre un ralentissement de l’économie intérieure, surtout dans les secteurs exportateurs. Pendant ce temps, les États-Unis n’ont pas relâché leurs pressions sur le Japon. Ainsi, en 1988, le Congrès américain a voté une loi « omnibus » sur le commerce 6 et, l’année suivante, les autorités américaines ont inscrit le Japon sur la liste des pays aux pratiques commerciales déloyales 7 . L’année 1989 marque le début de l’« Initiative sur les obstacles structurels » entre les États-Unis et le Japon. En juin 1990, un rapport conjoint a été ? nalisé et les autorités japonaises se sont engagées à mettre en place un programme d’investissement public de 430 000 milliards de yens (soit environ 100 % du PIB nominal) sur une période de dix ans 8 . L’excédent de la balance des transactions courantes japonaise a chuté à 1,4 % du PIB en 1990, mais avec l’éclatement de la bulle et le ralentissement de la croissance, le ratio excédent courant/PIB a augmenté une fois de plus, s’établissant en moyenne à 2,4 % pendant les années quatre-vingt-dix. Depuis 2000, l’excédent courant japonais ressort en moyenne à 3,3 % du PIB. Toutefois, sa composition a largement évolué. Dans le passé, l’excédent courant du pays re? était son excédent commercial (cf. graphique 2). Or, durant la dernière décennie, la part de l’excédent commercial a reculé et ces dernières années, les trois quarts de l’excédent courant proviennent de l’excédent de la balance des revenus. Cette balance est en effet fortement excédentaire car le Japon a accumulé des actifs extérieurs au ? l des années par le biais d’investissements directs et de portefeuille. Que nous apprend le cas du Japon ? P remi è reme n t , q u e l l e a é t é l ’ e f f i c a c i t é d e s ajus tement s des taux de change et d’aut res mesures macroéconomiques visant à remédier aux déséquilibres des comptes courants ? Il est évident que ces mesures ont induit une diminution de l’excédent commercial dans le cadre d’une dynamique cyclique, et, par conséquent, un repli de l’excédent des transactions courantes. Toutefois, si l’on ne tient pas compte des facteurs cycliques, il apparaît que les tendances sous-jacentes du solde courant n’ont guère évolué. Les nouvelles tentatives d’ajustement par la politique macroéconomique, en particulier par une période prolongée de politique budgétaire et monétaire accommodante, n’ont pas produit le résultat escompté. Elles ont plutôt eu des effets secondaires indésirables, puisqu’elles ont alimenté la bulle, et donc entraîné ultérieurement de graves problèmes. Par ailleurs, suivant la structure de la balance des transactions courantes, les excédents et les dé? cits peuvent être en grande partie prédéterminés. 4 En glissement annuel, la variation moyenne de l’indice des prix à la consommation entre 1986 et 1988 est ressortie à 0,5 %. 5 La Bundesbank a ramené son taux d’escompte de 3,0 % à 2,5 % en décembre 1987, avant de le porter de nouveau à 3,0 % en juillet 1988. Au moment où la Banque du Japon relevait son taux d’escompte à 3,0 %, en mai 1989, le taux directeur allemand s’établissait à 4,5 %. 6 Omnibus Foreign Trade and Competitiveness Act de 1988 7 Le Brésil et l’Inde ont également été classés parmi ces pays. 8 Selon ce rapport (Japan Structural Impediments Initiatives Joint Report), l’investissement public a été estimé à 263 000 milliards de yens pour la décennie précédente (exercices budgétaires 1981 à 1990). Graphique 2 Balance commerciale du Japon En proportion du PIB nominal (%) - 2 - 1 0 1 2 3 4 5 1960 1970 1975 1965 1980 1985 1990 1995 2000 2005 0,9 % 1960-1969 1,7 % 1970-1979 2,8 % 1980-1989 2,7 % 1990-1999 2,0 % 2000-2009 Source : CEICDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 133 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa Au Japon, comme nous l’avons vu plus haut, c’est l’important excédent de la balance des revenus qui t i re l ’excédent courant depui s quelques années. Lorsque nous étudions la situation des pays du G20, nous observons que ce n’est pas un cas isolé. En effet, on peut dans une large mesure imputer le dé? cit courant de l’Australie au dé? cit de sa balance des revenus. Dans de nombreux pays, la balance commerciale occupe une grande place dans le compte de transactions courantes, mais d’autres éléments, tels que la balance des revenus, exercent aussi un effet souvent non négligeable, voire signi? catif, sur la situation d’ensemble de la balance courante (cf. graphique 3). Cet état de fait re? ète la structure de l’économie, et il convient de bien le comprendre lorsque l’on évalue l’évolution du compte de transactions courantes. Deuxièmement, l’excédent courant était-il le signe de « déséquilibres » ? Il témoigne peut-être de « déséquilibres », mais il n’apporte pas d’informations suffisamment granulaires pour permettre une évaluation ef? cace. Il semble que d’autres indicateurs, tels que les fortes hausses du prix des actifs et la progression rapide de la dette des entreprises, traduisent mieux, et plus clairement, la formation de déséquilibres intenables (cf. graphiques 4 et 5). En effet, la persistance d’un important excédent courant au Japon n’a pas en elle-même donné d’indications claires concernant les bulles qui devaient ultérieurement être la cause première de graves atteintes à la stabilité économique. Troisièmement, comment la politique de change in? ue-t-elle sur l’économie dans son ensemble ? En s’efforçant à l’excès d’empêcher la monnaie de s’apprécier et d’atténuer les effets négatifs de l’appréciation du taux de change, on a laissé croire que la politique de faiblesse des taux d’intérêt allait durer. Cette conviction a été l’un des facteurs qui ont conduit à la formation de la bulle, et donc nui à la stabilité de l’économie. La politique monétaire accommodante adoptée à la suite de l’Accord du Louvre re? était à la fois les pressions extérieures des pays qui souhaitaient voir le Japon réduire son excédent courant et les préoccupations intérieures quant à l’effet délétère d’une appréciation du yen sur l’économie japonaise. Graphique 3 Balance des transactions courantes des membres du G20 En proportion du PIB nominal ; moyennne 2005-2009 (%) - 10 - 5 0 5 10 15 20 25 30 Chine Russie Allemagne Arabie saoudite Turquie Japon Argentine Corée Brésil France Italie États-Unis Royaume-Uni Australie Indonésie Canada Mexique Inde Afrique du Sud 6,2 7,4 8,5 - 4,9 - 4,9 - 2,3 3,7 - 4,8 2,8 1,5 1,5 0,4 - 0,1 - 0,8 - 1,2 - 1,5 - 2,6 - 5,4 22,9 Revenus Biens et services Transferts courants Solde courant Note : Tous les chiffres sont des moyennes simples. Les données 2009 sont des estimations. Sources : FMI, Perspectives de l’économie mondiale ; CEICDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 134 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa 2| LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE RÉCENTE Pendant la période qui a précédé l’éclatement de la récente crise ? nancière mondiale, au milieu des années deux mille, certains ont craint qu’une forte baisse de la valeur du dollar et un bond des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis ne s’accompagnent d’un ajustement chaotique. Constatant le creusement du dé? cit courant américain et l’accumulation de réserves de devises massives dans les pays émergents, ils estimaient possible que ces pays puissent à un moment donné refuser de continuer à ? nancer le dé? cit américain. Cependant, comme chacun sait, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Au moment où la crise ? nancière a éclaté, les acteurs du marché ayant développé une aversion extrême pour le risque, on a assisté à un repli mondial sur la qualité. Aux États-Unis, les taux d’intérêt à long terme ont alors amorcé une forte baisse tandis que la demande de bons du Trésor américains augmentait, et le dollar s’est raffermi vis-à-vis de la plupart des autres monnaies. Cette expérience, analogue au cas japonais, met également en évidence la nécessité de regarder au-delà des soldes courants a? n de déterminer les facteurs qui provoquent ces déséquilibres sous-jacents. Voici alors les questions qu’il convient de se poser : comment repérer les déséquilibres ou les distorsions risquant d’aboutir à des déséquilibres mondiaux Graphique 4 Principaux indicateurs économiques du Japon (1980-1992) Taux de change et taux d’escompte of? ciel (dollar/yen) (%) 120 160 200 240 280 2 4 6 8 10 1980 1982 Taux de change dollar/yen (moyenne sur la période) (échelle de gauche) 1984 1986 1988 1990 1992 Taux d'escompte officiel (échelle de droite) Prix des actifs et prêts bancaires (base : 1985=100) (variation en %, glissement annuel) 0 50 100 150 200 250 300 400 350 0 5 10 15 20 25 30 40 35 1980 1982 Prêts bancaires (échelle de droite) 1984 1986 1988 1990 1992 Indice des prix des terrains en zone urbaine (échelle de gauche) Indice boursier Nikkei 225 (échelle de gauche) PIB réel et IPC (%) - 2 0 2 4 6 8 1980 1982 Croissance du PIB réel (variation en glissement annuel) 1984 1986 1988 1990 1992 IPC (variation en glissement annuel) Sources : ministère des Affaires intérieures et des Communications, « Indice des prix à la consommation » ; CEIC ; Banque du Japon ; Economic Statistics Annual Graphique 5 Dette des entreprises au Japon En proportion du PIB nominal (%) 120 160 200 1965 1970 1975 1980 1985 1995 1990 2000 2005 2010 Tendance entre 1965 et 1984 Sources : Banque du Japon, Flow of Funds, gouvernement japonais, comptes nationauxDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 135 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa intenables ? À quels types d’informations, que les données sur les comptes de transactions courantes ne révèlent pas, devons-nous nous intéresser ? Compte tenu des enseignements supplémentaires que nous pouvons tirer de la crise ? nancière actuelle, nous souhaiterions mettre l’accent sur deux domaines qui méritent davantage d’attention. 2|1 Un effet de levier excessif To u t d ’ a b o rd , l ’ e f f e t d e l e v i e r e s t d e ve n u excessif. Les tendances à long terme du solde épargne/investissement (en proportion du PIB), l’équivalent du solde du compte courant, révèlent une hausse de l’épargne négative nette dans les années deux mille aux États-Unis (cf. graphique 6). Cette variation n’indique pas en elle-même si ces tendances sont tenables ou non. Cependant, lorsque nous examinons en plus l’évolution de la dette des ménages, nous observons des écarts importants par rapport aux tendances à long terme (cf. graphique 7). Cette situation rappelle celle du Japon dans les années quatre-vingt. Seul diffère le secteur dans lequel un effet de levier excessif s’est matérialisé. Au Japon, il s’agissait du secteur des entreprises (cf. graphique 5). Des écarts substantiels par rapport aux tendances à long terme ne sont pas, bien sûr, en eux-mêmes décisifs, mais permettent de penser que des déséquilibres ? nanciers intenables sont en train de s’accumuler. Il importe donc de procéder à une évaluation macroéconomique et aussi à un niveau un peu plus désagrégé, par exemple secteur par secteur. Les autorités pourraient ainsi mieux comprendre où des déséquilibres sont susceptibles de se former. Il est également essentiel de comprendre le mécanisme d’apport du crédit, qui alimente l’effet de levier. Avant la crise actuelle, les véhicules ad hoc (SIV) créés par les banques américaines et européennes achetaient fréquemment divers produits structurés émis par une banque initiatrice. Lorsque le marché des prêts subprime s’est effondré, ce sont les banques initiatrices, contraintes d’agir pour éviter que leur réputation ne soit entachée, qui ont dû gérer les risques de crédit et de liquidité des SIV. Le Japon a connu une situation analogue à la ? n des années quatre-vingt, lors de la bulle spéculative. À l’époque, les ménages et les entreprises qui souhaitaient obtenir un prêt immobilier recouraient souvent à des établissements ? nanciers non bancaires, dans bien des cas pour s’affranchir des contraintes de la réglementation. Ce mouvement s’est encore ampli? é lorsque les pouvoirs publics ont limité la croissance des prêts bancaires aux ménages et aux entreprises. Même si, de par leur structure, les établissements non bancaires ne faisaient pas partie de leur périmètre de consolidation, ce sont les banques mères qui ont dû faire face à la plupart des pertes. Ce qui s’est passé au Japon, et plus récemment aux États-Unis, montre qu’il ne faut pas se préoccuper uniquement du système bancaire of? ciel. En effet, le système bancaire parallèle a joué un rôle fondamental dans ces deux pays. Graphique 6 Solde de l’épargne et de l’investissement aux États-Unis En proportion du PIB nominal (%) - 15 0 - 10 - 5 5 10 1980 1984 1982 1986 1990 1994 1998 2002 1988 1992 2000 1996 2004 2008 2006 2010 Épargne nette Investissement net Ménages Entreprises Gouvernements Solde épargne/investissement Note : Solde épargne/investissement + écart statistique = balance des transactions courantes Source : Bureau de l’Analyse économique, National Income and Product Account Graphique 7 Dette des ménages aux États-Unis En proportion du PIB nominal (%) 40 100 60 80 120 1981 1985 1989 1993 1997 2001 2005 2009 Tendance entre 1981 et 2000 Source : Système fédéral de réserve, Flow of Funds AccountsDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 136 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa 2|2 Flux de capitaux bruts et pro? l de risque des établissements ? nanciers Les ? ux de capitaux bruts sont l’autre facteur à prendre en compte. Les ? ux nets qui correspondent au solde du compte courant n’apportent pas des informations suf? santes pour permettre de repérer les sources potentielles de déséquilibres non tenables. Il faut donc les compléter par d’autres types de données, tels que les tendances récentes dans la zone euro. Celle-ci a af? ché un compte courant globalement équilibré pendant la dernière décennie, mais les statistiques bancaires de la Banque des règlements internationaux (BRI) montrent que les banques de cette zone ont été des intermédiaires ? nanciers très actifs, transférant des dollars du système bancaire international vers le secteur non bancaire des États-Unis (cf. graphique 8). Malgré un vo lume net relat ivement faible, l’accumulation de risques — notamment l’asymétrie des échéances (maturity mismatch), l’asymétrie des devises (currency mismatch) et les risques de crédit, qui ont augmenté en valeur brute — a été considérable. Dans le monde entier, et surtout en Europe, les banques empruntaient des dollars à court terme sur le marché interbancaire et investissaient dans des actifs à long terme. Au milieu des années deux mille, le risque de ? nancement en dollars s’est rapidement accru à l’intérieur du système bancaire international, bien davantage que le risque de ? nancement dans les autres grandes monnaies (cf. graphique 9). Graphique 8 Créances transfrontières des banques de la zone euro, en dollars (en milliers de milliards de dollars) - 0,8 0,4 - 0,6 - 0,4 - 0,2 0,0 0,2 0,6 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Sur le secteur bancaire Sur le secteur non bancaire Note : Dernières données disponibles avril-juin 2010 Source : Banque des règlements internationaux, Statistiques bancaires territoriales Graphique 9 Créances transfrontières des banques déclarantes BRI, par monnaie Dollar (en milliers de milliards de dollars) - 2,0 - 1,5 - 0,5 - 1,0 0,0 0,5 1,0 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Euro (en milliers de milliards de dollars) - 1,0 - 0,5 0,0 0,5 1,0 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Ye n (en milliers de milliards de dollars) - 1,0 - 0,5 0,0 0,5 1,0 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Sur le secteur bancaire Sur le secteur non bancaire Note : Dernières données disponibles avril-juin 2010 Source : Banque des règlements internationaux, Statistiques bancaires territoriales Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 137 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa Lorsque la crise est survenue, les problèmes de solvabilité des contreparties ont suscité de plus en plus d’inquiétudes sur les marchés mondiaux, et les banques ont commencé à thésauriser des liquidités en dollars. Il en a résulté un gel du ? nancement interbancaire aux États-Unis, et, dès lors, de nombreux opérateurs ont eu du mal à obtenir des dollars. Ces fortes tensions ont persisté jusqu’à ce que les banques centrales, y compris la Banque du Japon, injectent des dollars dans le cadre d’accords de swap bilatéraux conclus avec la Réserve fédérale américaine. Graphique 10 Flux transfrontières transitant par le système bancaire international variation entre T4 2000 et T2 2007 variation entre T2 2007 et T3 2009 variation entre T3 2009 et T2 2010 Japon Pays d'Europe développés États-Unis Centres offshore Pays en développement Japon Pays d'Europe développés États-Unis Centres offshore Pays en développement Japon Pays d'Europe développés États-Unis Centres offshore Pays en développement Note : Chaque ? èche représente les variations nettes des créances interbancaires, du créancier au débiteur, entre deux régions. Plus la ? èche est épaisse, plus le ? ux est substantiel. Source : Banque des règlements internationaux, Statistiques bancaires territoriales Les statistiques bancaires de la BRI et d’autres sources nous aident à combler les lacunes dans les données relatives aux comptes courants. Elles révèlent que les fonds bancaires ont af? ué avant la crise dans les pays d’Europe avancés et qu’ils se sont rapidement taris après l’été 2007 (cf. graphique 10). Les banques déclarantes à la BRI ont vu reculer de plus de 20 % leurs expositions transfrontières aux États-Unis par rapport au pic du premier trimestre 2008. Leurs expositions au secteur privé, qui incluent les investissements dans des produits structurés, ont encore plus diminué : elles ont baissé de près de 30 % (cf. graphique 11). Graphique 11 Total des créances étrangères sur les États-Unis des banques déclarantes à la BRI, par secteur (en milliers de milliards de dollars) 0 1 2 3 4 5 6 7 T1 T2 T2 T2 T2 T2 T2 T3 T4 T4 T4 T4 T4 T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 Secteur privé Autres 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Note : Sur la base du risque ultime. Dernières données disponibles avril-juin 2010 Source : Banque des règlements internationaux, Statistiques bancaires consolidéesDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 138 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa Grâce aux données recueillies au niveau des établissements ? nanciers, les banques centrales, ainsi que les autres autorités de régulation et de supervision, peuvent évaluer le pro? l de risque réel des établissements. Ces données permettent également de comprendre la distribution des risques à différents niveaux d’agrégation, notamment au niveau macroéconomique. C’est à ce niveau-là qu’il est essentiel de déterminer où les risques se concentrent dans le système ? nancier, ainsi que les éventuelles interactions entre les opérateurs. 3| L’ÉVALUATION DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX Les soldes des comptes courants apportent des informat ions ut i les sur l ’état de l ’économie. Toutefois, la crise actuelle et d’autres événements antérieurs ont aussi montré qu’il peut être risqué de considérer simplement ces soldes comme un indicateur de déséquilibres mondiaux intenables. Nous n’entendons pas établir ici une liste exhaustive, mais nous souhaiterions mettre en évidence trois constats qui se dégagent de la situation actuelle et de situations antérieures. Premièrement, les excédents et les dé? cits résultant de choix délibérés des entités économiques, ils ne doivent pas être automatiquement jugés problématiques. Les tendances des excédents et des dé? cits courants re? ètent des tendances à long terme des activités d’épargne et d’investissement, qui, elles-mêmes, dépendent fortement des évolutions de l’économie et de la démographie. Ces excédents et ces dé? cits ne sont préoccupants que s’ils deviennent intenables. C’est pourquoi il est nécessaire de procéder à une évaluation globale minutieuse. Deuxièmement, il est souvent dif? cile d’opérer une distinction entre la composante structurelle et la composante cyclique du solde des comptes courants. Les tentatives de corriger la composante structurelle via la politique macroéconomique et la politique de change risquent de provoquer des déséquilibres ? nanciers susceptibles de déstabiliser l’économie. Une politique axée seulement sur les comptes de transactions courantes peut donc se révéler contre-productive. Troisièmement, les banques centrales et les autres autorités doivent évaluer le risque d’apparition de déséquilibres non tenables. Pour ce faire, elles disposent d’un large éventail d’indicateurs : prix des actifs, effet de levier, ? ux de capitaux bruts et informations sur la tari? cation du risque et sur le pro? l de risque des établissements ? nanciers. L e s i n fo rma t i o n s re l a t i ve s a u x c omp t e s d e transactions courantes ne peuvent rendre que partiellement compte de la situation. Dans le passé, lorsque les interactions entre les pays étaient principalement constituées par des échanges de biens et de services, l’évaluation des balances courantes et des balances commerciales donnait une image relativement précise des déséquilibres extérieurs qui s’amorçaient. Entre-temps, le volume des ? ux ? nanciers mondiaux a considérablement augmenté, et la vitesse de circulation des capitaux entre les pays s’est également accélérée. L’utilisation croissante d’instruments dérivés ajoute à la complexité. Il faut donc évaluer les déséquilibres mondiaux d’une autre manière. 4| IL FAUT SE PRÉPARER À DE NOUVEAUX TYPES DE CRISES Nous cherchons sans cesse des « ancrages monétaires » ou des « références monétaires ». Ces efforts ont dans un premier temps été fructueux, puis les mutations rapides du système économique et ? nancier les ont fait échouer ou les ont rendus obsolètes. Dans les années soixante-dix, nombre de pays avancés se sont fréquemment ? xé des objectifs de croissance de la masse monétaire. Cependant, avec l’accélération de l’innovation ? nancière, la relation entre ces objectifs et l’évolution de l’in? ation est devenue instable, et cette politique a ? ni par être abandonnée. Dans les années quatre-vingt-dix, c’est le ciblage de l’in? ation qui a prédominé, mais des problèmes de mise en œuvre sont apparus lorsque des bulles ont commencé à se former en prélude à la crise ? nancière actuelle. Il est en effet particulièrement dif? cile de déceler des déséquilibres qui se manifestent sous une forme autre qu’une in? ation des prix des produits et des services. De plus, nous sommes passés d’un système monétaire international reposant sur l’étalon-or à des régimes de taux de change ? ottants administrés. Ac tuel lement , les grandes monnaies f lot tent Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 139 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa librement, mais de nombreux pays ont encore un régime de change ? xe ou un régime de change ? ottant administré. Les déséquilibres des comptes de transactions courantes peuvent donc être l’un des nombreux indicateurs possibles. Néanmoins, il n’existe pas d’indicateur unique permettant d’identi? er les déséquilibres naissants, encore moins les déséquilibres mondiaux intenables. Il faut donc un cadre suf? samment souple, qui puisse s’adapter à l’évolution rapide des conditions économiques et financières. Chaque crise survient selon un processus qui lui est propre. Nous devons tirer les leçons du passé, sans pour autant considérer que les stratégies d’hier fonctionneront aussi demain. Il est par conséquent essentiel de faire preuve d’ouverture d’esprit. À l’heure où les autorités s’attachent à élaborer un cadre qui permettra de déceler et de corriger les déséquilibres mondiaux intenables dans un environnement économique et ? nancier en perpétuelle évolution, elles doivent bien comprendre trois éléments fondamentaux : deux tendances à long terme et un phénomène spéci? que au contexte actuel. Premièrement, il est évident que la mondialisation économique et ? nancière s’accélère encore. En outre, étant donné les progrès de la technologie, les interactions entre les marchés ? nanciers et entre les acteurs de ces marchés deviennent de plus en plus complexes : un choc dans une région du monde ne tarde pas à avoir des répercussions sur d’autres régions, souvent par des canaux inattendus. Ainsi, au niveau de la politique monétaire, le canal de la prise de risque peut avoir des effets plus amples et plus étendus que par le passé. La quête de rendements par les investisseurs internationaux en est une illustration. Deuxièmement, les pays émergents tiennent une place de plus en plus grande dans l’économie mondiale. Leur part est passée de 20 % en 1990 et 2000 à 31 % en 2009 en prix courants, et, d’après les prévisions, ces pays ont contribué à sept dixièmes de la croissance économique mondiale en 2010. Devenus les moteurs de cette croissance, ils ont par conséquent davantage de responsabilités en tant que membres de la communauté mondiale. Il faut par exemple admettre que la rigidité des taux de change des grands pays émergents a aujourd’hui des répercussions de plus en plus importantes sur l’économie mondiale. À condition d’être bien géré, l’ajustement structurel des entreprises nationales pourrait permettre le remplacement progressif des taux de change ? xes Graphique 12 Comptes de capital des pays émergents (en milliards de dollars) - 600 - 400 - 200 0 200 400 600 800 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Autres investissements, engagements Dérivés, en valeur nette Investissements de portefeuille, actifs Investissements directs étrangers Autres investissements, actifs investissements de portefeuille, engagements Investissements directs intérieurs Solde du compte de capital Entrées Sorties Note : Total des 30 pays suivants : Chine, Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Philippines, Vietnam, Bangladesh, Inde, Pakistan, Sri Lanka, Kazakhstan, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Pologne, Ukraine, Russie, Turquie, Islande, Argentine, Mexique, Brésil, Paraguay, Chili, Pérou, Colombie, Uruguay, Venezuela, Afrique du Sud et Arabie saoudite. Chiffres exprimés sur une base semestrielle. Jusqu’à 2005, les données pour l’Arabie saoudite ne sont pas incluses. Source : CEICDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 140 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa par des taux de change plus ? exibles, ainsi qu’une appréciation encadrée des monnaies nationales. Cependant, dans le même temps, les autorités des pays émergents doivent reconnaître que leur politique actuelle empêche une mise en œuvre ? exible de leur politique macroéconomique, notamment de la politique monétaire, et qu’elle transfère le coût de l’ajustement à d’autres pays. Si ceux-ci adoptent des mesures analogues a? n de retarder l’appréciation de leur monnaie, l’impact sur les pays qui autorisent leur taux de change à ? uctuer de manière ? exible pourrait en être ampli? é. Troisièmement, la situation actuelle est inédite : certains pays avancés sont en train de se remettre des effets de l’éclatement de la bulle, et, par voie de conséquence, la reprise ne s’opère pas partout au même rythme. Alors que la croissance reste vigoureuse dans les économies émergentes, la reprise est lente dans les économies avancées, notamment en raison du processus d’ajustement des bilans après la bulle. Les banques centrales des pays avancés ont introduit des mesures non conventionnelles de façon à pouvoir pratiquer une politique monétaire extrêmement accommodante. Les pays avancés ont atteint la borne zéro des taux d’intérêt et pâtissent d’un mécanisme de transmission faible à cause de la nécessité d’ajuster les bilans. L’assouplissement monétaire via le canal classique des taux d’intérêt ou du crédit ne fonctionne donc pas aussi bien que l’on pourrait s’y attendre. Dans un système ? nancier mondialisé où les économies sont imbriquées, avec des rythmes de croissance qui diffèrent d’un pays à l’autre, les capitaux se dirigent rapidement vers les économies émergentes en forte expansion qui ne souffrent pas de ces problèmes (cf. graphique 12). Le canal de la prise de risque fonctionne donc plus ef? cacement au niveau mondial. Puisque les économies émergentes ne pâtissent pas du contrecoup de la bulle, ces entrées de capitaux pourraient avoir des effets stimulants d’une ampleur inattendue. À la faveur de taux d’intérêt à court terme très bas dans les pays avancés, le portage a repris et on observe une corrélation de plus en plus forte entre les marchés d’actions des économies émergentes, ainsi qu’entre ces marchés et les marchés des matières premières (cf. graphique 13). Si, à l’avenir, ces ? ux ? nanciers devaient entraîner la formation de bulles et de brusques retournements de tendance, non seulement les économies émergentes en pâtiraient, mais également l’économie mondiale. Graphique 13 Corrélation entre indices des marchés d’actions et indices des marchés des matières premières des pays émergents (coef? cient de corrélation) - 0,1 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,7 0,6 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2009 2008 2010 Asie émergente, Europe émergente et Moyen-Orient Asie émergente et Amérique latine Amérique latine, Europe émergente et Moyen-Orient Marchés émergents et indice S&P GSCI Note : Les corrélations sont extraites de l’indice MSCI (Morgan Stanley Capital International) de chaque région et de l’indice S&P GSCI (Goldman Sachs Commodity Index). Chaque point indique le niveau de corrélation des rendements journaliers des 500 dernières séances de transactions. Dernières données disponibles au 30 novembre 2010. Source : BloombergDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 141 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa 5| QUELS DÉFIS LES AUTORITÉS DOIVENT-ELLES RELEVER ? Afin d’empêcher l’apparition de déséquilibres mondiaux intenables, les autorités ne doivent pas se contenter d’agir sur les comptes de transactions courantes. Un changement majeur est en train de s’opérer : avec l’accélération de la mondialisation, l’identi? cation de déséquilibres préjudiciables et la mise en œuvre de mesures de rééquilibrage ne peuvent plus relever uniquement des gouvernements nationaux. La politique macroéconomique était jusqu’ici traditionnellement axée sur la stabilité intérieure ou sur l’assainissement des ? nances publiques d’un pays. Néanmoins, dans une économie de plus en plus mondialisée, la simple somme des actions engagées par chaque pays ne produit pas forcément des résultats optimaux au niveau planétaire. C’est pourquoi les autorités des pays avancés comme celles des pays émergents doivent redé? nir ce que l’on entend par « stabilité intérieure ». Il ne suf? t pas de considérer l’impact direct des politiques publiques sur les économies nationales : du fait des interactions économiques et ? nancières entre les pays, il est aussi de plus en plus important de se préoccuper des répercussions internationales de ces politiques. Il n’existe pas de solution simple répondant aux besoins de tous les pays, tant du point de vue économique que politique, pour corriger les déséquilibres ? nanciers induits par d’importantes entrées de capitaux ou par la rigidité des régimes de change. Cependant, étant donné que nous avons tous pris place à bord du même bateau, les risques de sophisme de composition s’accroîtront si nous commençons tous par prendre des caps différents. Nous ne disposons pas de commandes manuelles, ni de pilote automatique, pour guider nos politiques économiques. C’est d’ailleurs ce que con? rment la complexité des mécanismes par lesquels la crise actuelle s’est propagée sur les marchés ? nanciers, ainsi que dans les différentes économies, et les dif? cultés nouvelles qui continuent d’apparaître à mesure que l’économie mondiale se redresse. Il faut par conséquent que les autorités acceptent d’apprendre humblement les unes des autres et engagent un dialogue constructif au lieu de rechercher des solutions sophistiquées, car nous ne savons pas précisément vers quelles eaux se dirige notre bateau.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 142 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Masaaki Shirakawa BIBLIOGRAPHIE Bank of Japan International Department (2010) “Japan’s balance of payment for 2009.” BOJ Reports & Research Papers Bernanke (B.) (2005) “The global saving glut and the US current account de? cit.” Intervention à la Conférence de Sandridge, Virginia Association of Economics, Richmond, Virginia Blanchard (O.) et Milesi-Ferretti (G. M.) (2009) “Global imbalances: in midstream?” Staff Position Note du FMI SPN/09/29 Borio (C.) et Disyatat (P.) 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Le présent article explique que ces débats devraient moins s’attacher à l’in? uence des taux de change sur les ? ux commerciaux, pour s’intéresser davantage aux déséquilibres entre épargne et investissement. Il convient en particulier de chercher à mieux comprendre pourquoi les ? ux de capitaux « remontent » (des pays émergents ou en développement vers les économies avancées). La solution à long terme à ces déséquilibres mondiaux passera non seulement par une correction des taux de change, mais aussi par une modi? cation des pro? ls d’épargne et d’investissement, dans les pays excédentaires comme dans les pays dé? citaires. Si un tel processus est possible, il prendra néanmoins beaucoup de temps. Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement GLENN STEVENS Gouverneur Banque de réserve d’AustralieDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 144 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement Glenn Stevens 1| QUE RECOUVRE LA NOTION DE « DÉSÉQUILIBRES » ? Pour beaucoup, le terme de « déséqui l ibres mondiaux » fait référence aux importants soldes du compte de transactions courantes que l’on observe, en positif ou en négatif, dans de nombreux pays. Or, le solde du compte courant d’un pays peut être perçu de plusieurs manières : c’est la différence entre le revenu d’un pays et son absorption ; la différence entre les biens, les services et les revenus que ce pays envoie à l’étranger et ceux qu’il acquiert à l’étranger ; ou encore la différence entre son épargne et son investissement (c’est-à-dire l’absorption nette de capital ? nancier). Ces concepts mesurent tous la même chose. Dans les années qui ont précédé la crise ? nancière récente, plusieurs grands pays ont dégagé un solde important de leur compte courant, solde positif pour certains et négatif pour d’autres. Des soldes des transactions courantes importants, ou, en d’autres termes, de volumineux flux de capitaux transfrontières, ne sont pas inhabituels. Ce qui est plus inquiétant, c’est leur ampleur et leur persistance au cours de la dernière décennie et le fait que certaines des plus grandes économies de la planète sont concernées. Sur cette période, les économies émergentes d’Asie, de même que le Japon, l’Allemagne et les pays exportateurs de pétrole, ont eu tendance à enregistrer de vastes excédents courants pendant que les États-Unis et plusieurs autres économies avancées, de la sphère anglophone en particulier, af? chaient des dé? cits courants persistants. 2| S’AGIT-IL VRAIMENT DE « DÉSÉQUILIBRES » ? Le terme déséquilibre suppose que la situation est non souhaitée ou instable. Toutefois, les ? ux transfrontières de biens et de services ou de capitaux n’ont rien d’intrinsèquement répréhensible et, inversement, un solde des transactions courantes à zéro, ou « à l’équilibre », n’a rien de vertueux en soi. D’ailleurs, l’un des avantages de la mondialisation n’est-il pas de permettre aux épargnants de rechercher le rendement le plus élevé, à condition d’en accepter le risque, sur le marché mondial ? Cet avantage a pour corollaire que le capital est libre de se diriger là où il sera employé de la manière la plus productive, ce qui est béné? que à la croissance mondiale. Ce qui est inhabituel dans la situation actuelle, c’est que les ? ux de capitaux ne semblent pas s’orienter vers de meilleurs rendements potentiels. Comme certains l’ont observé, le capital « remonte » des pays émergents ou en développement vers les économies avancées. Plus précisément, les pays d’Asie de l’Est ont enregistré des sorties de capitaux signi? catives tandis que les États-Unis et plusieurs autres économies avancées anglophones accueillaient des entrées de capitaux très abondantes. Cet article s’intéresse à l’évolution de l’épargne et de l’investissement dans les économies émergentes d’Asie de l’Est, non parce que ce sont les seules à avoir dégagé d’importants soldes courants, mais parce que ces soldes étaient à la fois volumineux et du signe opposé à celui que la théorie économique aurait prévu. 3| D’OÙ PROVIENNENT CES DÉSÉQUILIBRES ? Le débat sur les raisons de ces déséquilibres mondiaux se concentre dans une large mesure sur les taux de change. Selon une théorie, un groupe important de pays af? chant un excédent du compte de transactions courantes sont parvenus à cette situation à la faveur d’une stratégie mercantiliste consistant à maintenir un taux de change sous-évalué a? n de soutenir leurs exportations. Selon les partisans de cette théorie, la croissance impressionnante des réserves de change des banques centrales d’Asie de l’Est témoigne des efforts déployés par ces pays pour empêcher leur monnaie de s’apprécier. Les taux de change et les interventions des autorités ont de toute évidence contribué à la formation de ces déséquilibres, qui n’auraient pas atteint de telles proportions ni été aussi persistants si l’on avait laissé les taux de change réagir librement au jeu de l’offre et de la demande induit par le compte courant. Toutefois, s’attacher à l’in? uence des taux de change sur la compétitivité des exportations des pays revient à négliger un autre aspect : le rôle du comportement d’épargne et d’investissement. La tendance à un taux d’épargne élevé dans les pays en développement s’explique par plusieurs Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 145 Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement Glenn Stevens facteurs, dont le niveau minimal des ? lets de sécurité sociaux et le sous-développement des marchés ? nanciers, qui n’offrent que peu d’opportunités pour l’investissement de l’épargne des ménages. Du point de vue de la croissance, l’idéal serait que les pays en développement emploient cette épargne et tout surcroît de fonds en provenance de l’étranger pour stimuler leurs investissements (voire la consommation, dans les cas où elle est particulièrement faible). C’est ce qu’ont fait les pays d’Europe de l’Est pendant les années qui ont précédé la crise ? nancière mondiale, en ? nançant une grande partie de la hausse de leur investissement par des entrées de capitaux. Les économies d’Asie de l’Est ont toujours af? ché des taux d’épargne élevés. Pendant les années qui ont précédé la crise financière asiatique, cette situation d’abondance de l’épargne s’est a c c omp a g n é e d ’ u n n i ve a u d ’ i n ve s t i s s eme n t équivalent, voire supérieur (graphique 1). Pendant et immédiatement après la crise, on a toutefois observé une forte baisse de l’investissement en part du PIB dans plusieurs pays d’Asie de l’Est, et ce niveau d’investissement demeure depuis bien inférieur à l’épargne totale. Rétrospectivement, i l apparaî t que les niveaux d’ inves t i s sement antér ieurs n’étaient pas tenables, ou qu’une partie de cet investissement n’était pas judicieuse. Conjugué à la stabilité des ratios d’épargne, ce recul de l’investissement (en valeur absolue comme en proportion du PIB) dans la plupart des économies d’Asie de l’Est, qui a été dans une large mesure provoqué par la crise, a entraîné des excédents persistants des soldes courants à compter de 1998. Les politiques publiques ont également joué un rôle dans cette situation, car de nombreux pays ont décidé, après y avoir été fortement encouragés, d’étoffer leurs réserves a? n de se doter d’une forme d’auto-assurance face à la volatilité des ? ux de capitaux. Toutefois, il faut chercher à mieux comprendre pourquoi les taux d’investissement sont restés si faibles. En Chine, la situation est quelque peu différente. Relat ivement épargné par la c r i se as iat ique, l’investissement chinois a suivi une forte trajectoire haussière entre 2000 et 2005 (graphique 2). Il s’est ensuite légèrement tassé en proportion du PIB lorsque, constatant des signes de surchauffe sur les marchés de l’immobilier, les autorités chinoises ont introduit des mesures visant à freiner l’investissement dans le logement, entre autres. Il est ultérieurement reparti de plus belle. Néanmoins, cet essor de l’investissement a été surpassé par la hausse du taux d’épargne, qui a culminé à plus de 50 % du PIB en 2008. Ce bond de l’épargne s’explique par une progression des taux d’épargne dans tous les secteurs de l’économie : plusieurs réformes structurelles ont incité les ménages à épargner davantage ; les entreprises d’État ont dégagé des bénéfices substantiels (sans avoir à verser de dividendes à l’État), ce qui a gon? é leur épargne, et l’épargne publique s’est, elle aussi, accrue. La divergence Graphique 1 Épargne et investissement en Asie a) (en milliards de dollars) (en % du PIB) 1980 1988 1992 1996 2000 2004 2008 1984 - 100 0 100 200 300 400 500 0 10 20 30 Solde des transactions courantes (échelle de gauche) Épargne (échelle de droite) Investissement (échelle de droite) 600 a) Économies d’Asie en développement et nouvellement industrialisées, hors Chine et Inde Sources : FMI, Banque de réserve d’Australie et Banque mondiale Graphique 2 Épargne et investissement en Chine (en milliards de dollars) (en % du PIB) 1980 1988 1992 1996 2000 2004 2008 1984 - 200 0 200 400 600 800 1 000 0 10 20 30 50 40 60 Solde des transactions courantes (échelle de gauche) Épargne (échelle de droite) Investissement (échelle de droite) Sources : FMI, Banque de réserve d’Australie et Banque mondialeDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 146 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement Glenn Stevens notable entre les ratios d’épargne et d’investissement en Chine à compter de 2005 s’est traduite par un excédent signi? catif des transactions courantes. Dans les trois années à compter de 2004, l’excédent courant a ainsi triplé en proportion du PIB. À partir de la ? n des années quatre-vingt-dix, pour différentes raisons, les ratios d’épargne ont donc dépassé les ratios d’investissement en Asie de l’Est. Cet « excédent » d’épargne représentait environ 5 % du PIB dans une grande partie de ces pays, et a même avoisiné les 10 % du PIB en Chine durant l’année qui a précédé la crise ? nancière mondiale. Relayée par un excédent d’épargne non négligeable au Japon, en Allemagne et dans divers pays exportateurs de pétrole, cette hausse substantielle de l’épargne intérieure par rapport à l’investissement dans la région d’Asie de l’Est a conduit à un excédent ex ante de l’épargne mondiale par rapport à l’investissement. Cette importante accumulation de réserves de change dans les pays d’Asie de l’Est au cours des quelque cinq années qui ont précédé la crise ? nancière a pesé sur le rendement des actifs « sûrs », surtout aux États-Unis. Et naturellement, la politique monétaire très accommodante adoptée par les grandes économies avancées pendant une partie de la dernière décennie a aussi contribué à faire baisser les taux d’intérêt. Cet excédent d’épargne en provenance des pays excédentaires a af? ué sur les marchés où la demande d’épargne était très sensible aux variations des taux d’intérêt, c’est-à-dire aux États-Unis et dans d’autres pays, essentiellement anglophones. Malheureusement, une grande partie de ce capital n’a pas été utilisée à bon escient. La période prolongée de bas taux d’intérêt a conduit les investisseurs à se mettre en quête de rendements plus élevés, tandis que l’apparente stabilité de cet environnement les a convaincus que les placements offrant des rendements plus élevés étaient en fait moins risqués qu’ils ne l’étaient en réalité. Cette tendance s’est accentuée au point que les investisseurs se sont mis à acheter des produits complexes sans en comprendre les risques, ni même la composition. Cette offre apparemment illimitée de capital à bon marché a également incité à un recours accru à l’effet de levier destiné à maximiser les rendements. La piètre qualité de la régulation et de la supervision des institutions ? nancières dans un certain nombre de pays a exacerbé ces dif? cultés. Rien n’est venu mettre un frein à la multiplication des incitations perverses concernant les produits ? nanciers : on a accordé des crédits à des ménages qui n’avaient pas les moyens de les rembourser et vendu aux investisseurs des produits ? nanciers conçus par des acteurs qui y étaient directement intéressés. De plus, dans certains pays, les institutions ? nancières ont pris une ampleur telle que le coût de leur ren? ouement a fortement obéré les ? nances publiques. Tout cela a mal ? ni. Les coûts explicites de la crise ? nancière sont évidents, mais lorsque l’on s’intéresse au coût d’opportunité de l’utilisation de ce capital, on observe que le prix à payer est encore bien plus élevé. Il apparaît qu’une grande partie de ce capital a en réalité alimenté des bulles spéculatives dans certaines des économies avancées, alors qu’il aurait pu servir à améliorer la productivité, et donc le niveau de vie, dans les économies en développement ou émergentes. 4| ET MAINTENANT ? Ces « déséquilibres » se sont dans une certaine mesure atténués au cours des dernières années. Aux États-Unis, les ménages épargnent depuis peu une part plus importante de leur revenu et dépensent moins pour les biens et les services relevant de la consommation immédiate (importations comprises). Toutefois, l’augmentation des dépenses publiques est supérieure à ce surcroît d’épargne des ménages, d’où un repli de l’épargne totale. En Asie, et particulièrement en Chine, la consommation privée demeure vigoureuse malgré la faiblesse des principaux marchés d’exportation, ce qui laisse à penser que ces économies s’affranchissent un peu de leur dépendance vis-à-vis des exportations et s’appuient davantage sur leur marché intérieur pour alimenter leur croissance. La monnaie de ces pays s’est en outre légèrement appréciée depuis la crise, même si quelques devises asiatiques restent en deçà de leur niveau antérieur à la crise. Ces évolutions se sont traduites par une diminution du solde des transactions courantes de la Chine et des États-Unis, surtout par comparaison avec leur niveau élevé (en valeur absolue) sur la période précédant immédiatement la crise. Ces déséquilibres se résorbent toutefois alors que de nombreux pays avancés sont loin d’avoir renoué avec le plein emploi. Certains des effets décrits ci-dessus sont potentiellement de nature passagère Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 147 Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement Glenn Stevens et pourraient s’inverser dès que l’on observera les signes d’une croissance soutenue. Ainsi, bien que les ménages américains aient épargné davantage pendant la crise, peut-être se départiront-ils de leur prudence pour reprendre leurs anciennes habitudes de dépenses une fois que la croissance redécollera. Il faut donc parvenir à une allocation plus équilibrée de l’épargne dans le monde dans une situation de plein emploi. Toute solution à long terme passera par une coopération internationale plus poussée que par le passé. Elle imposera davantage de ? exibilité des taux de change des marchés émergents tels que la Chine. Elle pourrait aussi nécessiter une diminution de la proportion du revenu disponible consacrée à l’épargne dans certains pays d’Asie, peut-être via une majoration des salaires. Cependant, il serait également souhaitable qu’elle s’accompagne d’une progression des taux d’investissement dans certains cas. En? n, dans plusieurs grandes économies avancées, elle devra aussi s’accompagner d’un effort accru d’épargne à partir du revenu courant par rapport au niveau d’il y a quelques années, de la part des ménages dans certains cas, et des États dans la plupart des cas. Il est donc probable qu’il faudra un certain temps pour résorber l’intégralité de ces déséquilibres. Les comportements bien ancrés concernant le taux d’épargne souhaité, la ? exibilité du taux de change et le degré d’ouverture du compte ? nancier n’évolueront vraisemblablement que lentement. Pour faire reculer de façon durable les ratios d’épargne en Asie de l’Est, il faudra notamment y faire progresser davantage le niveau de vie et développer les ? lets de sécurité sociaux. Si l’on veut des taux de change plus ? exibles et une plus grande ouverture des comptes ? nanciers, il sera nécessaire de continuer de développer les systèmes ? nanciers locaux, a? n de permettre une gestion appropriée des risques et une allocation des capitaux vers des utilisations productives plutôt que « spéculatives ». Pour que les ménages amér i cains épargnent davantage et que ce nouveau compor tement résiste à la prochaine période d’essor conjoncturel, il faudra faire évoluer les attitudes vis-à-vis de la consommation, et aussi faire progresser l’épargne publique aux États-Unis. Tous ces changements sont réalisables, mais ils ne se feront pas du jour au lendemain.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 149 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde DR. DUVVURI SUBBARAO Gouverneur Banque de réserve d’Inde Comme avant la crise, le discours sur les déséquilibres mondiaux se concentre toujours largement sur l’équation à somme nulle du compte de transactions courantes, avec d’un côté les États-Unis et de l’autre le reste du monde. L’analyse se place essentiellement du point de vue des pays qui sont considérés comme faisant partie intégrante de cette équation. Cependant, ces déséquilibres ont eu des conséquences bien au-delà de ces quelques pays, exerçant souvent une profonde in? uence sur la stabilité ? nancière et la gestion monétaire de nombreux pays. Avant la crise, les ? ux massifs de capitaux transfrontières, résultant de l’excédent de liquidité dans les économies avancées et soutenus par l’expansion des bilans dans le secteur ? nancier, ont posé des dé? s considérables aux autorités nationales. Notre contribution tente d’expliquer que l’Inde n’a joué qu’un rôle périphérique dans ces déséquilibres. L’Inde se situe en effet à la périphérie des déséquilibres mondiaux, car elle n’a contribué ni à leur formation ni à leur propagation. Son processus de croissance n’est signi? cativement tributaire ni de la demande extérieure ni des ? ux de capitaux. Ce pays ne cherche pas à atteindre un niveau donné de dé? cit ou d’excédent de son solde courant pour étayer sa stratégie de croissance. Son taux de change est essentiellement déterminé par le marché. En? n, elle n’a pas non plus dé? ni de politique explicite d’accumulation de réserves. L’Inde a toutefois subi les conséquences des déséquilibres mondiaux car elle recevait des fonds du monde entier, pour la plupart volatils. Cette contribution explique les impératifs de politique publique qui sont apparus dans ce contexte et les mesures qui ont permis de remédier à ces problèmes. La réaction a été et continue d’être mue par une approche pragmatique et non doctrinaire, dont l’unique objectif est la stabilité macroéconomique et ? nancière. Cette contribution se clôt par une analyse des risques potentiels pour la stabilité ? nancière mondiale que pourrait induire la persistance de ces déséquilibres mondiaux et une évaluation de l’ef? cacité des efforts déployés au niveau mondial, au sein de divers forums multinationaux, a? n de trouver des solutions. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 150 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao M ê m e a va n t q u e n ’ a p p a ra i s s e n t l e s tensions liées à la crise des subprime de 2007, la persistance et le creusement des déséquilibres mondiaux étaient généralement considérés comme une menace pour la stabilité économique et ? nancière mondiale. Les moyens d’éviter un atterrissage brutal étaient déjà au centre de la plupart des discussions internationales. Après la crise, à la suite de la forte contraction des échanges mondiaux, ainsi que du repli de la production et de l’emploi dans les économies avancées, les déséquilibres se sont atténués. Cependant, les facteurs sous-jacents qui étaient à leur origine et les avaient pérennisés demeurent. En outre, la persistance de ces déséquilibres risque à l’avenir de peser de plus en plus sur les politiques publiques. L’asymétrie des rythmes de croissance et des politiques monétaires observée après la crise entre les économies avancées et les économies de marché émergentes (EME), et qui pourrait durer au-delà de 2011, aura des effets non négligeables sur les ? ux mondiaux d’échanges et de capitaux. Cette situation fait craindre que l’adoption de mesures protectionnistes, les interventions sur le marché des changes et le recours à des contrôles sur les mouvements de capitaux n’induisent des risques pour l’économie mondiale. Comme avant la crise, le discours sur les déséquilibres mondiaux se concentre toujours largement sur l’équation à somme nulle du compte de transactions courantes, avec d’un côté les États-Unis et de l’autre le reste du monde. L’analyse se place essentiellement du point de vue du « noyau » de pays qui sont perçus comme faisant partie intégrante de cette équation. Cependant, ces déséquilibres ont eu des conséquences bien au-delà de ces quelques pays, exerçant souvent une in? uence profonde sur la stabilité ? nancière et la gestion monétaire de nombreux pays, dont l’Inde. Étant donné que la plupart des arguments et des contre-arguments portant sur les différents aspects du problème des déséquilibres mondiaux sont connus de tous, cet article s’attachera plus particulièrement à deux grands aspects. Le premier a trait aux risques que fait peser la persistance des déséquilibres mondiaux sur la stabilité ? nancière dans les différents pays. Aucun pays ne pouvant à lui seul remédier à ces déséquilibres, des actions coordonnées à l’échelle mondiale seront nécessaires à la fois pour maîtriser les déséquilibres sans entraîner de perturbations et pour procurer des ? lets de sécurité aux pays dont les systèmes ? nanciers subissent les conséquences négatives de ces déséquilibres. Le deuxième aspect concerne les dé? s que l’Inde devra relever pour faire face aux effets de ces déséquilibres persistants, même si elle se situe à la périphérie du problème et de sa solution. Le cas de l’Inde montre qu’un pays peut dégager une croissance solide et la maintenir sans adopter de mesures qui contribuent aux déséquilibres mondiaux. Ces derniers sont certes en partie un résultat naturel de la mondialisation, et s’expliquent par les avantages comparatifs en termes de coûts. Mais ils sont essentiellement dus aux politiques publiques adoptées par les différents pays, lesquelles peuvent se révéler optimales pour le pays qui les applique, mais sous-optimales pour l’économie mondiale. Je conclurai donc en soulignant qu’une approche multilatérale coordonnée est le seul moyen de résoudre ce problème mondial. Si, comme par le passé, rien n’est fait pour y remédier, c’est une source déterminante d’instabilité ? nancière que l’on laissera ainsi perdurer. 1| POURQUOI LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX DOIVENT-ILS ÊTRE CONSIDÉRÉS COMME UNE CAUSE MAJEURE DE LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE ? Même si les débats menés à tous les niveaux a? n de comprendre la genèse de la crise mondiale ont mis en lumière plusieurs causes, j’insisterai, pour ma part, spéci? quement sur le rôle des déséquilibres mondiaux. En effet, en général, on renforce les mécanismes de prévention des crises sur la base des enseignements tirés de la crise, mais, au niveau international, on n’a guère progressé sur la coordination réelle des politiques publiques dans le but de contenir les futurs déséquilibres. Le « déséquilibre mondial » désigne la grande disparité des soldes des transactions courantes des différents pays, qui pour certains présentent des dé? cits importants et persistants et pour d’autres des excédents durables (cf. graphique 1). Cette généralisation masque la véritable nature du déséquilibre. Dans les années qui ont précédé la crise, les pays dé? citaires et excédentaires étaient devenus de plus en plus interdépendants. À mesure que l’épargne intérieure régressait, les pays dé? citaires, en particulier les États-Unis, dépendaient de plus en plus des ? ux de capitaux pour ? nancer leurs Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 151 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao investissements et leur consommation. Le dollar étant l’unique monnaie de réserve et faisant of? ce de valeur refuge, les États-Unis ont pu accéder librement aux capitaux du reste du monde. De l’autre côté, les pays présentant un solde courant excédentaire disposaient aussi d’une épargne intérieure, et devaient trouver des débouchés à l’étranger pour investir leurs excédents. Ils se sont mis à dépendre des pays dé? citaires, comme les États-Unis, tant pour générer cet excédent que pour l’investir. Cette relation de dépendance mutuelle pro? tait aux économies nationales, du moins à court terme, mais elle engendrait aussi des déséquilibres, qui ont commencé à menacer la stabilité monétaire et financière mondiale. 2| COMMENT LES DÉSÉQUILIBRES ONT-ILS PU CAUSER LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE ? Quat re fac teurs répondent à cet te ques t ion. Premièrement, un « excédent mondial d’épargne » est apparu et a exercé de fortes pressions à la baisse sur les taux d’intérêt mondiaux. Même lorsque les États-Unis ont relevé leurs taux courts, les taux longs n’ont pas évolué, d’où la fameuse « é n i gme » (c o n u n d r um) d ’Al a n Gre e n s p a n . Face à des taux d’intérêt réels constamment déprimés, les investisseurs en quête de rendement se sont intéressés aux instruments ? nanciers alternatifs, entraînant la multiplication des produits ? nanciers innovants aux États-Unis, ce qui s’est plus tard révélé destructeur. Deuxièmement, plusieurs EME et pays exportateurs de pétrole ont accumulé d’importantes réserves de change. Ce phénomène s’expliquait essentiellement par le creusement des déséquilibres, mais aussi en partie par la volonté de renforcer l’auto-assurance dans les différents pays après la crise asiatique du milieu des années quatre-vingt-dix. Du fait des règles de prudence qui régissent l’investissement des réserves of? cielles, le secteur privé a de plus en plus été évincé du marché des actifs ? nanciers de qualité et à faible risque. En outre, le risque est resté sous-valorisé aux États-Unis parce que le marché était convaincu que l’important dé? cit du compte courant de ce pays serait durablement ? nancé par l’augmentation des réserves de change du reste du monde. En conséquence, l’appétit pour les produits financiers, dont les risques étaient difficiles à comprendre, s’est accru. Troisièmement, la persistance des déséquilibres mondiaux, soutenue par l’excédent d’épargne et le statut de monnaie de réserve unique du dollar, a alimenté la bulle du prix des actifs. À mesure qu’elle gon? ait, cette bulle a déformé les incitations : aux États-Unis, les ménages ont désépargné et consommé davantage, encouragés par l’effet de richesse produit par le prix des actifs et par le recul du coût de l’endettement. S’il n’y avait pas eu ces déséquilibres mondiaux, il n’aurait guère été possible de soutenir de tels niveaux de consommation et de négliger l’épargne. Le quatrième et dernier facteur est l’absence de véritable alternative au dollar comme monnaie de réserve. Le déficit persistant du compte de transactions courantes des États-Unis est devenu un préalable à la demande mondiale de liquidité internationale. Cette con? ance dans le dollar a conduit les États-Unis à reporter les ajustements macroéconomiques nécessaires, et a peut-être aussi conduit à la dilution des normes de régulation et de supervision qui permettaient au système ? nancier américain de s’étendre librement en masquant ses vulnérabilités. Graphique 1 Déséquilibres mondiaux (solde extérieur courant en % du PIB mondial) - 3 - 2 0 - 1 1 2 3 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 États-Unis Pays exportateurs de pétrole Allemagne + Japon APDEC Chine + PEA Reste du monde Écart Note : CHN+PEA (pays émergents d’Asie) : Chine, Corée, Hong Kong (RAS de), Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, province chinoise de Taïwan et Thaïlande ; APDEC (autres pays ayant un dé? cit extérieur courant) : Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Slovénie et Turquie. Source : FMIDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 152 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao Avant la crise, dans les économies développées, les déséquilibres persistants ont notamment entraîné une expansion significative des bilans dans le secteur ? nancier. La ? nanciarisation croissante des économies s’est traduite par une croissance autoalimentée des produits et instruments ? nanciers, dont certains étaient clairement beaucoup plus risqués qu’on ne le pensait. Du point de vue de la stabilité financière, c’est la domination du secteur ? nancier qui a profondément in? uencé la philosophie de la réglementation avant la crise, ainsi que la propagation rapide de la crise dans le système ? nancier mondial. 3| LES DÉSÉQUILIBRES DEVRONT-ILS À L’AVENIR ÊTRE CONSIDÉRÉS COMME UN RISQUE POUR LA STABILITÉ FINANCIÈRE ? En l’absence d’efforts multilatéraux réels pour corriger les déséquilibres, les risques pour la stabilité monétaire et ? nancière mondiale demeureront. D’après les évaluations actuelles, la réduction récente des déséquilibres est au mieux temporaire, car leurs causes sous-jacentes ressurgiront au ? l du temps. Deux nouveaux facteurs auront des répercussions sur ces déséquilibres à court terme. Premièrement, selon les projections de l’OCDE, les écarts de production dans les économies avancées resteront négatifs jusqu’en 2015. Avec la reprise robuste et les solides perspectives de croissance dans les économies émergentes, l’asymétrie de la politique monétaire entre les économies avancées et les économies émergentes devrait non seulement perdurer mais s’accentuer. Si l’asymétrie de la croissance in? uera sur le solde courant des pays, les différentiels de taux d’intérêt et de perspectives béné? ciaires pourraient entraîner une intensi? cation des ? ux de capitaux en direction des économies émergentes, avec à la clé une appréciation du taux de change et du prix des actifs de ces pays. Deuxièmement, selon les projections des Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2010 du Fonds monétaire international (FMI), la capacité d’absorption des économies émergentes n’évoluant pas en conséquence, la plupart de ces entrées de fonds risquent de ? nir par s’ajouter à leurs réserves de change avant de repartir vers la valeur refuge que constitue le dollar. Nous reviendrons alors à la situation d’avant la crise, avec les mouvements de capitaux allant des économies émergentes vers les pays développés. À moins d’une perte de con? ance soudaine dans le dollar, hypothèse peu probable, on ne devrait assister ni à un atterrissage brutal ni à une résorption problématique des déséquilibres. Mais les incertitudes pesant sur le taux de change et sur le prix des actifs demeureront. Dans les grandes économies, la dynamique de la dette publique risque toutefois d’interférer avec le processus de correction des déséquilibres. Avant la crise, les entrées massives de capitaux dans les économies développées et la tendance générale à sous-tarifer les risques n’ont pas suscité d’inquiétudes quant au niveau élevé de la dette publique. Toutefois, depuis la crise, la situation budgétaire des États constitue l’un des principaux risques des allocations de portefeuilles au niveau mondial. La manière dont va se dérouler la suppression progressive de l’important soutien budgétaire sera déterminante pour la résorption des déséquilibres. Ce risque devrait aussi avoir une incidence sur le réajustement des taux de change. 4| LES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ET L’INDE L’Inde se situe à la périphérie des déséquilibres mondiaux, car elle n’a contribué ni à leur formation ni à leur propagation. Son processus de croissance n’est signi? cativement tributaire ni de la demande extérieure ni des flux de capitaux. Ce pays ne cherche pas à atteindre un niveau donné de dé? cit ou d’excédent de son solde courant pour étayer sa stratégie de croissance. Son taux de change est essentiellement déterminé par le marché. En? n, elle n’a pas dé? ni de politique explicite d’accumulation de réserves. Le présent article explique ces points en détail a? n de montrer que l’Inde n’a pas contribué aux déséquilibres mondiaux. Elle ne peut toutefois pas échapper à leurs effets, et, partant, a intérêt à ce que ces déséquilibres soient dé? nitivement corrigés. • L’Inde af? che un taux d’épargne intérieure élevé et un dé? cit courant tenable, ce qui la différencie des grands pays qui ont contribué aux déséquilibres mondiaux. Même si son taux d’épargne s’est signi? cativement amélioré au cours de la dernière décennie, son taux d’investissement continue d’être supérieur, signe d’une absorption complète de Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 153 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao l’épargne intérieure dans le pays (cf. graphique 2) 1 . Si l’on exclut une courte période durant laquelle le solde courant a été excédentaire, le dé? cit de l’Inde représente environ 3 % du PIB national (cf. graphique 3). L’épargne intérieure est donc complétée à la marge par des capitaux étrangers à hauteur des besoins de ? nancement du dé? cit courant. Globalement, le processus d’investissement et de croissance de l’Inde ne dépend pas outre mesure de la demande extérieure ou des capitaux étrangers. • En 1993, l’Inde s’est dotée d’un régime de change ? exible, orienté sur le marché. La politique de taux de change n’est pas guidée par un quelconque objectif lié aux exportations ou au solde courant dans la balance des paiements (cf. graphique 4). Elle vise en premier lieu à éviter la volatilité, en particulier celle provenant des ? ux de capitaux, mais les interventions ne sont pas conditionnées par un quelconque ciblage du taux de change. Le mouvement bidirectionnel du taux de change et le fait que ce dernier ne constitue pas un instrument de ciblage du solde extérieur ou de l’in? ation prouvent bien que les politiques publiques mises en œuvre par l’Inde ne contribuent pas aux déséquilibres mondiaux. Le comportement du taux de change effectif réel (TCER) montre également que la roupie n’est pas considérablement sous-évaluée sur la durée. Le TCER af? che en effet une tendance à revenir à la moyenne et est globalement resté proche de son niveau de base à moyen terme (cf. graphique 5). Graphique 2 Épargne et investissement (en % du PIB) Épargne intérieure brute Formation intérieure brute de capital 15 20 25 30 35 40 1981 -82 1983 -84 1985 -86 1987 -88 1989 -90 1991 -92 1993 -94 1995 -96 1997 -98 1999 -00 2001 -02 2003 -04 2005 -06 2007 -08 Source : Banque de réserve d’Inde Graphique 4 Taux de change roupie/dollar des États-Unis (roupies pour 1 dollar) Mars 1992 Mars 1994 Mars 1996 Mars 1998 Mars 2000 Mars 2002 Mars 2004 Mars 2006 Mars 2008 Mars 2010 25 30 35 40 45 50 55 Source : Banque de réserve d’Inde Graphique 3 Dé? cit du compte de transactions courantes (en % du PIB) - 4 - 3 - 2 - 1 0 1 2 3 1980 -81 1982 -83 1984 -85 1986 -87 1988 -89 1990 -91 1992 -93 1994 -95 1996 -97 1998 -99 2000 -01 2002 -03 2004 -05 2006 -07 2008 -09 Source : Banque de réserve d’Inde Graphique 5 TCER pondéré des échanges, 36 monnaies (base : 1993-1994 = 100) 85 90 95 100 105 110 Avril 1993 Avril 1995 Avril 1997 Avril 1999 Avril 2001 Avril 2003 Avril 2005 Avril 2007 Avril 2009 Source : Banque de réserve d’Inde 1 L’exercice ? nancier commençant en avril en Inde, toutes les données annuelles (des graphiques 2, 3 et 6) recouvrent deux années de calendrier et le trimestre T1 (du graphique 7) représente la période avril-juin.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 154 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao • L’Inde a souvent enregistré des augmentations subites des entrées de capitaux, en particulier sur 2003-2008, lorsque ces ? ux ont en partie servi à ? nancer le compte courant, le solde ayant alimenté les réserves. Le pro? l de ces ? ux correspond donc au mouvement attendu : ils vont des économies avancées vers les économies émergentes et en développement. Ils ne présentent donc pas la trajectoire inverse observée pour certains des pays qui ont contribué aux déséquilibres mondiaux. Comme on peut le constater sur le graphique 6, les entrées de capitaux annuelles nettes en Inde dépassent souvent les besoins de ? nancement du compte courant. Elles ressortaient à 10 % du PIB en 2007-2008, alors que le dé? cit courant ne représentait que de 1,3 % du PIB. En conséquence, le solde de ces ? ux est reparti vers le reste du monde via le déploiement des réserves de change indiennes sur les marchés internationaux. • L’ Inde n’a pas mi s en place de s t ratégie d’auto-assurance, même si certains analystes considèrent que les interventions de la Banque de réserve sur le marché des changes et l’augmentation signi? cative des réserves de change sur la dernière décennie témoignent bel et bien d’une telle stratégie. Il faut bien comprendre pourquoi ces deux indicateurs ne sont pas seuls à indiquer l’existence d’une politique d’auto-assurance. Les ? uctuations des réserves de change indiennes résultent de la politique de change adoptée par le pays, qui n’intervient sur le marché que pour lisser la volatilité du taux de change et éviter l’instabilité macroéconomique. Cette approche centrée sur la volatilité s’explique également par la source de la volatilité, c’est-à-dire les ? ux de capitaux. Comme le montre le graphique 7, les réserves de change de l’Inde se sont accrues parallèlement à l’encours global des engagements extérieurs et des engagements au titre des investissements de portefeuille, lesquels se sont parfois révélés très volatils. Pour gérer ces poussées soudaines, ces inversions et ces arrêts brusques des ? ux, dont les conséquences sont brutales et néfastes pour le taux de change et la liquidité intérieure, l’Inde intervient par des achats/ventes, ce qui apparaît dans ses réserves de change. Les réserves indiennes se sont ainsi constituées au fil des ans grâce aux flux de capitaux qui excédaient les besoins de ? nancement du solde courant, et ont parfois dû servir à contenir la volatilité lorsque les ? ux de capitaux s’inversaient. Mais surtout, étant donné la persistance des dé? cits de la balance commerciale et du solde courant de l’Inde, les réserves de change comportent des fonds empruntés. Ces fonds sont donc par nature différents des réserves accumulées grâce aux excédents de ces deux balances. Les réserves de change aident certes l’Inde à mieux supporter les chocs délétères sur son secteur extérieur, mais elles ne sont nullement le fruit d’une stratégie délibérée et qui aurait pu contribuer aux déséquilibres mondiaux. Graphique 7 Avoirs de réserve/total des engagements extérieurs et au titre des investissements de portefeuille (en milliards de dollars) 0 100 200 300 400 500 600 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T1 T2 T3 T4 2005-06 2006-07 2007-08 2008-09 2009-10 2010-11 Investissements de portefeuille Engagements Avoirs de réserve Source : Banque de réserve d’Inde Graphique 6 Flux nets de capitaux et ? ux nets de portefeuille (en % du PIB) Flux nets de portefeuilles vers l’Inde Flux nets de capitaux - 2 0 2 4 6 8 10 1990 -91 1992 -93 1994 -95 1996 -97 1998 -99 2000 -01 2002 -03 2004 -05 2006 -07 2008 -09 Source : Banque de réserve d’IndeDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 155 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao 5| COMMENT L’INDE GÈRE-T-ELLE LES CONSÉQUENCES DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX ? Étant donné la part croissante de l’Inde dans la mondialisation des ? ux commerciaux et ? nanciers, la gestion des conséquences des déséquilibres mondiaux constitue un dé? constant. Ce dernier s’est en outre fortement complexi? é lorsqu’il est apparu que ces déséquilibres comptaient parmi les principaux facteurs responsables de la crise mondiale. Juste avant la crise, l’Inde a dû activement gérer les augmentations soudaines de ? ux de capitaux déclenchées par l’excès mondial de liquidité. On sait aujourd’hui que les brefs épisodes d’af? ux massifs de capitaux, qui excèdent la capacité d’absorption d’une économie, ont un coût non négligeable. Du point de vue macroéconomique, une surréaction du taux de change devient possible, et risque de porter durablement préjudice à la compétitivité du secteur réel, et partant au solde courant. Ces entrées peuvent aussi aller à l’encontre des objectifs de la politique monétaire, en période de resserrement, et restreindre la marge de manœuvre des autorités monétaires pour la ? xation des taux d’intérêt. Elles ont aussi des conséquences pour la stabilité ? nancière : risques de bulles du prix des actifs, exposition excessive aux devises et éviction des établissements ? nanciers locaux de l’activité de prêt, ce qui accroît l’appétit pour le risque de ces derniers et les pousse à une mauvaise allocation des capitaux, motivée par la quête de rendement. Tous ces éléments font peser des coûts d’ajustement signi? catifs et compliquent la conduite de la politique monétaire et la gestion du taux de change. Concernant les ? ux de capitaux, la politique de l’Inde découle de l’objectif plus large, qui vise à maintenir la stabilité ? nancière et macroéconomique et ne se contente pas d’agir sur la seule variable du taux de change. En voici les principaux éléments : • un cadre explicite de gestion active du compte ? nancier, qui consiste à encourager les entrées de capitaux à long terme non générateurs de dette et à décourager les ? ux générateurs d’endettement ; • la volonté d’éviter que des entités du pays, en particulier l’État, ne commettent le « péché originel » en empruntant massivement des devises ; • des règles prudentielles visant à empêcher une dollarisation excessive des bilans des intermédiaires du secteur ? nancier, en particulier des banques ; • un important élargissement des possibilités d’investir à l’étranger pour les entités du pays. Ce dispositif a jusqu’ici évité à l’Inde d’avoir à mettre brusquement en place des contrôles sur les mouvements de capitaux, lesquels pourraient être perçus comme ayant un effet négatif à plus long terme. Dans tous les cas, ces contrôles ne peuvent servir ni à préserver un taux de change donné ni à réguler l’ensemble des ? ux. Ils ne peuvent être instaurés que pour réduire l’impact d’un excès de ? ux à court terme sur la volatilité. 6| RÉACTION MULTILATÉRALE AUX DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX Selon le processus de consultation multilatéral du FMI sur les déséquilibres mondiaux, adopté par le Comité monétaire et ? nancier international en 2006, les déséquilibres mondiaux étaient clairement considérés comme une source de vulnérabilité même avant la crise mondiale. De même, on savait plus ou moins ce que les pays devaient faire pour contenir les risques. Les actions actuellement envisagées par le G20 ne sont pas très différentes. Pour qu’il y ait rééquilibrage, les économies dé? citaires devront épargner davantage et consommer moins, tout en maintenant l’ouverture de leurs marchés et en renforçant la compétitivité de leurs exportations. Leur croissance doit s’appuyer davantage sur la demande extérieure et leur monnaie doit subir une dépréciation réelle. Les économies excédentaires devront adopter la position inverse, c’est-à-dire épargner moins et dépenser davantage, mais aussi privilégier la demande intérieure au détriment de la demande extérieure. De plus, elles devront également certainement laisser leurs monnaies s’apprécier. C’est pourquoi on pense généralement que la solution passe en partie par la ? uctuation des monnaies. Si l’on veut gérer les tensions sur les monnaies, il faut que tous les pays comprennent que les taux de change doivent rester alignés sur les fondamentaux économiques et s’entendent pour que les interventions sur les monnaies ne servent Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 156 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao pas la politique commerciale, mais permettent uniquement de remédier aux perturbations qui affectent la stabilité macroéconomique. Lors du sommet de Toronto, en juillet 2010, les dirigeants des pays du G20 sont ainsi convenus d’un « Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée ». Au cœur de ce Cadre se trouvent des stratégies à mettre à place par les économies avancées et émergentes pour rétablir leur balance extérieure et remettre en état leur secteur ? nancier, là où c’est nécessaire. Pour des raisons assez évidentes, le contenu et la mise en œuvre de ces stratégies nationales appellent à une coordination. Ce type de cadre ne peut fonctionner que dans un climat de con? ance et de réciprocité. Dans le cas des économies émergentes, l’essentiel serait qu’elles recourent à des options viables dans le but d’éviter l’effet potentiellement perturbateur d’une augmentation brutale des entrées comme des sorties de capitaux. Ce serait particulièrement pertinent pour les pays dont le compte ? nancier est relativement ouvert. À cet égard, les mesures ex ante de gestion des ? ux de capitaux seraient aussi importantes que les mesures ex post, qui consistent à gérer les conséquences. La gestion ex ante des ? ux de capitaux, qui s’appuie sur des mesures reposant sur les prix, a ? ni par être reconnue comme un outil légitime de gestion macroéconomique. Même des organisations comme le FMI assouplissent leur position à ce sujet. Ces mesures visent à modi? er la structure des incitations de prix qui s’offrent aux participants au marché et qui les poussent à in? échir leur comportement. Cependant, les données émanant de différents pays sur l’ef? cacité de ces mesures sont peu convaincantes. Les rares études qui existent indiquent que les contrôles sur les capitaux in? uent davantage sur la composition des entrées que sur leur volume cumulé et n’ont pas d’incidence signi? cative sur le taux de change réel. Le principal reproche formulé à l’encontre de ces mesures est qu’elles pourraient être dif? ciles à mettre en œuvre ef? cacement. Néanmoins, in ? ne, tout contournement des contrôles sur les mouvements de capitaux a un coût, et c’est précisément là que ces mesures atteignent en partie leur objectif : entraver les ? ux de capitaux. On voit généralement dans l’appréciation du taux de change l’option ex post à privilégier pour gérer les entrées. La seule mise en garde acceptée après la crise consiste à avancer que l’intervention n’est justi? ée que si la monnaie s’écarte signi? cativement de sa valeur fondamentale. Les conséquences de la crise ont donné lieu à un débat sur les coûts de la constitution de réserves au titre de l’auto-assurance, ainsi que sur les risques liés au maintien d’une seule monnaie de réserve : le dollar. Même si la plupart des pays soutiendront les accords mu l t i l a t é ra u x / r é g i o n a u x / b i l a t é ra u x v i s a n t à encourager des solutions de remplacement aux réserves de change, il pourrait être nécessaire de laisser en place la stratégie d’auto-assurance et les politiques nationales sur les réserves de change. Lorsque l’on évalue le niveau des réserves et le volume d’auto-assurance d’un pays, il est toutefois important de faire la distinction entre les pays dont les réserves sont une conséquence de l’excédent du compte courant et les pays af? chant un dé? cit de leur compte courant, comme l’Inde, dont les réserves résultent des entrées de capitaux qui dépassent la capacité d’absorption de leur économie. Concernant le débat sur la monnaie de réserve, nous devons étudier toutes les possibilités pour nous protéger des vulnérabilités induites par l’existence d’une seule monnaie de réserve. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 157 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Duvvuri Subbarao La crise nous a appris qu’aucun pays n’est isolé des autres et que les perturbations économiques et ? nancières, où qu’elles se produisent, peuvent provoquer partout des remous, voire des vagues. La crise nous enseigne aussi que du fait de l’intégration croissante des pays dans le système économique et ? nancier mondial, des réactions non coordonnées ne feront qu’aggraver les choses pour tous. Les problèmes mondiaux que nous rencontrons aujourd’hui sont complexes et ne peuvent pas avoir de solution simple. Nombre d’entre eux nécessitent des ajustements signi? catifs, et souvent douloureux, au niveau national, et dans un monde divisé en États-nations, il n’existe pas de cadre naturel pour l’économie mondiale. Dans le même temps, la crise montre que l’économie mondiale, en tant qu’entité, revêt plus d’importance que jamais. Étant donné que les déséquilibres mondiaux ont clairement contribué à la crise ? nancière, ils continueront à l’avenir de menacer la stabilité monétaire et ? nancière mondiale, à moins que des mesures propres à chaque pays mais coordonnées au niveau mondial ne soient mises en œuvre pour limiter au moins la part des déséquilibres qui est imputable aux politiques publiques. Parallèlement, les systèmes de gouvernance mondiaux doivent pouvoir garantir comme il se doit aux différents pays que leurs intérêts ne seront pas menacés en temps de crise, ce qui a fait cruellement défaut pendant la crise. Pour l’avenir, il conviendra de répondre à la question suivante : une régulation et une supervision du secteur ? nancier plus ef? caces, tant au niveau mondial que national, auraient-elles pu atténuer certaines des conséquences délétères des déséquilibres mondiaux ? Après tout, le secteur ? nancier est apparu comme le réceptacle ultime des externalités négatives produites par ces déséquilibres. Par conséquent, on aurait pu remédier au moins en partie aux conséquences néfastes des déséquilibres si l’on s’était intéressé à leur canal de propagation, c’est-à-dire au secteur ? nancier. C’est dans ce contexte que les cadres macroprudentiels nationaux prennent toute leur importance.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 159 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Cet article examine les grands dé? s intellectuels liés aux fondements théoriques, aux modèles analytiques et aux outils d’évaluation réglementaires dans le domaine de l’analyse de la stabilité ? nancière. Il s’attache aux moyens de détecter et de contenir le risque systémique et tente d’ébaucher des pistes utiles pour relever ces dé? s intellectuels. L’article débute par un examen de la nature et des origines de la stabilité ? nancière et du risque systémique. Il examine ensuite quatre domaines dans lesquels les leçons de la crise actuelle ont mis en exergue les dé? s majeurs rencontrés, en termes d’analyse, pour mieux comprendre la stabilité ? nancière et le risque systémique. L’article conclut sur la nécessité 1) d’approfondir la connaissance du fonctionnement de base des systèmes ? nanciers et des risques qu’ils génèrent, tout particulièrement en ce qui concerne l’innovation ? nancière et le rôle des intermédiaires ? nanciers non bancaires, 2) de mieux appréhender à quel moment et de quelle manière les systèmes ? nanciers passent de l’état de stabilité à celui d’instabilité, 3) de développer des modèles intégrant les interactions entre l’instabilité ? nancière généralisée et la performance de l’économie au sens large (dont les effets d’ampli? cation et les non-linéarités associées), et 4) d’étoffer encore ces modèles pour pouvoir évaluer l’ef? cacité des politiques de régulation macroprudentielle dans la maîtrise des risques systémiques. Pour remplir ces objectifs, il faudra réorienter dans ces directions d’importantes ressources au sein des milieux universitaires, des banques centrales et des autorités de surveillance. Il faudra également enrichir les modes de pensée dans le domaine de l’économie et de la ? nance. Les nouvelles approches à envisager ne doivent pas nécessairement reposer uniquement sur la notion d’équilibre et sur la rationalité et l’ef? cience universelles, mais aller au-delà de ces concepts. Les approches utilisées avec succès dans d’autres domaines, tels que les sciences naturelles, peuvent être une source d’inspiration utile à cet égard. JEAN-CLAUDE TRICHET Président Banque centrale européenne Président Conseil européen du risque systémiqueDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 160 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet L e présent article examine les principaux défis intellectuels liés aux fondements théoriques, aux modèles analytiques et aux outils d’évaluation réglementaires dans le domaine de l’analyse de la stabilité ? nancière. Il s’attache aux moyens de détecter et de contenir le risque systémique. L’article tente également d’ébaucher des pistes utiles pour relever ces dé? s intellectuels. Les nouveaux organes de surveillance qui viennent d’être créés en Europe, notamment le Conseil européen du risque systémique (CERS) au sein du Système européen de surveillance ? nancière (SESF), béné? cieraient largement d’avancées intellectuelles sur ces sujets. L’article débute par un examen de la nature et des origines de la stabilité ? nancière et du risque systémique, notamment de la façon dont ce risque peut être dé? ni et des facteurs susceptibles de concourir à la généralisation et à la dangerosité de l’instabilité ? nancière. Il passe ensuite en revue quatre domaines dans lesquels les leçons de la crise actuelle ont mis en exergue les dé? s majeurs rencontrés, en termes d’analyse, pour mieux comprendre la stabilité financière et le risque systémique. Le premier domaine concerne les dé? s qui se posent au niveau le plus fondamental du fonctionnement des systèmes ? nanciers, notamment sur la manière dont ceux-ci évoluent au ? l des innovations. Le deuxième domaine porte sur les dé? s à relever pour comprendre la transition entre les périodes paisibles et les périodes de crise. Troisièmement, il s’avère extrêmement dif? cile de développer de meilleurs outils pour évaluer les conséquences macroéconomiques de l’instabilité ? nancière. Quatrième et dernier point, nous disposons d’outils d’analyse et de modèles (ainsi que d’expériences) très limités pour évaluer comment le cadre réglementaire peut être utilisé pour contenir les risques au niveau du système ? nancier dans son ensemble et de l’économie globale. L’article se termine par quelques remarques en conclusion. 1| LES CRISES FINANCIÈRES, LA STABILITÉ ET LE RISQUE SYSTÉMIQUE 1|1 La signi? cation du risque systémique et les expériences des crises systémiques La crise que nous avons traversée au cours des trois dernières années constitue un exemple accablant de concrétisation du risque systémique. Le risque ? nancier systémique peut se dé? nir comme le risque Graphique 1 Instabilité systémique dans l’Union européenne 0,00 0,25 0,50 1,00 0,75 11 septembre 2001 Faillite de Lehman Brothers Début des problèmes liés aux dettes souveraines Problèmes signalés dans les investissements des banques et les hedge funds Dégradation des notations Faillite de des ABS subprime WorldCom Fév. Août Mai Nov. 2001 Fév. Août Mai Nov. 2002 Fév. Août Mai Nov. 2003 Fév. Août Mai Nov. 2004 Fév. Août Mai Nov. 2005 Fév. Août Mai Nov. 2006 Fév. Août Mai Nov. 2007 Fév. Août Mai Nov. 2008 Fév. Août Mai Nov. 2009 Fév. Août Mai Nov. 2010 Note : Le graphique présente l’indicateur composite de tensions systémiques (Composite Indicator of Systemic Stress) (CISS ; cf. Hollo et al., 2010) entre 2001 et 2010. Cet indicateur est construit à partir de plusieurs mesures de l’instabilité pour chacune des cinq composantes suivantes: marchés monétaires, marchés obligataires, marchés boursiers, marchés de change et intermédiaires ? nanciers. Les cinq composantes sont agrégées et pondérées en fonction de la corrélation existant entre elles (dimension systémique) et de leur corrélation avec la production industrielle (dimension de l’économie réelle). L’indicateur est normalisé entre 0 (absence de tension systémique) et 1 (tension systémique maximale). Il est calculé en temps réel à partir de données hebdomadaires.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 161 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet que l’instabilité financière prenne une ampleur telle que le fonctionnement du système ? nancier s’en trouve entravé au point d’entraîner de graves répercussions sur la croissance économique et le bien-être 1 . Le graphique 1 présente un indicateur, l’indicateur composite de tensions systémiques, qui a été élaboré par les services de la Banque centrale européenne (BCE) afin de prendre la mesure en temps réel de l’instabilité systémique à un moment donné 2 . Le graphique montre clairement comment le danger systémique est apparu dans l’Union européenne (UE) en août 2007, comment la situation a dégénéré en véritable crise systémique en septembre 2008 avec, notamment, la faillite de Lehman Brothers (lorsque l’indicateur est monté en ? èche en direction de sa valeur maximale de 1) et comment le processus d’atténuation des tensions a été contrarié en mai 2010, en particulier par la crise de la dette souveraine grecque. L’histoire compte de nombreuses crises ? nancières et certaines d’entre elles ont pris une ampleur sys témique. C’es t le cas par exemple de la Grande dépression mondiale des années trente et, à l'échelle des pays, des crises bancaires nordique et japonaise au cours des années quatre-vingt-dix. Chaque crise présente ses propres caractéristiques et le fait d’avoir tiré les leçons de la dernière crise n’offre aucune protection contre les crises futures, qui seront nécessairement différentes. De plus, dans un système économique dynamique, le progrès et la croissance ne peuvent être obtenus qu’en acceptant les risques, qui peuvent aller jusqu’à un risque de perte extrême en situation de crise. L’expérience des trois dernières années montre que, dans toutes les économies avancées, les autorités doivent améliorer considérablement leur capacité à détecter et à contenir les risques systémiques. La surveillance ? nancière, trop centrée sur la dimension microprudentielle des différents risques au niveau de chaque intermédiaire et de chaque marché, n’a pas suf? samment étudié comment les risques pouvaient s’additionner et se renforcer mutuellement. Pour faire mieux dans ce domaine, les autorités doivent davantage se pencher sur les origines profondes de l’instabilité systémique et, en particulier, sur la manière dont les risques peuvent atteindre une dimension systémique. 1|2 Comment l’instabilité ? nancière peut devenir systémique Les études montrent que l’instabilité ? nancière peut prendre des dimensions systémiques de trois manières différentes 3 . La première est la contagion. La faillite d’un agent ? nancier (ou l’effondrement d’un marché) peut entraîner la faillite d’autres agents ? nanciers (ou l’effondrement d’autres marchés), même si ceux-ci n’ont pas investi sur les mêmes risques (ou ne sont pas exposés aux mêmes risques) et ne subissent pas le même choc que celui qui a affecté le premier agent au départ 4 . Deuxièmement, des déséquilibres ? nanciers généralisés peuvent s’accumuler au ? l du temps puis se résorber brutalement. Hyman Minsky a décrit comment la consommation et l’investissement augmentent en période de conjoncture favorable, générant ainsi des revenus qui permettent de ? nancer davantage de consommation et d’investissement mais poussent également à négliger les risques croissants. Dans ce cas, même des évènements bénins peuvent entraîner une réévaluation du risque et un ralentissement endogène de l’expansion du crédit, lequel affecte défavorablement de nombreux agents et marchés en même temps 5 . Troisièmement, des chocs globaux négatifs sévères peuvent avoir une incidence négative affectant simultanément les intermédiaires et les marchés. Les recherches historiques ont montré que de nombreuses crises bancaires étaient associées à de graves récessions économiques 6 . Il convient de noter que ces trois mécanismes peuvent se déclencher indépendamment mais que, la plupart du temps, ils se renforcent mutuellement. 1 BCE (2009) 2 Hollo, Kremer et Lo Duca (2010). L’indicateur combine l’instabilité de différents marchés et intermédiaires ? nanciers, y compris leurs liens avec l’activité économique. Nombre d’anciens indicateurs du risque systémique se fondaient sur le système bancaire en utilisant les données des marchés (Avesani, 2005 ; Hartmann, Straetmans et de Vries, 2006 ; Segoviano et Goodhart, 2009). 3 De Bandt, Hartmann et Peydro (2009) et Trichet (2009) 4 Allen et Gale (2000), Freixas, Parigi et Rochet (2000) et Chen (1999) 5 Minsky (1977) et Kindleberger (1978) 6 Gorton (1988) et Demirgüe-Kunt et Detragiache (1998)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 162 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet Plusieurs caractéristiques propres aux systèmes ? nanciers rendent ceux-ci particulièrement sujets à ces formes de risque systémique. L e s ex t e r n a l i t é s s o n t l a p re m i è re d e c e s caractéristiques. Elles ont trait, en particulier, au réseau complexe et dynamique d’expositions entre les principaux intermédiaires. Ce qui, en période de calme, constitue un mécanisme ef? cient de partage du risque peut, en période de tensions, devenir un dangereux canal de transmission de l’instabilité. Deux parties contractantes n’ont pas de raison de prendre en compte les effets de leur prise de risque sur des tiers. En conséquence, le risque à l’échelle du système peut être supérieur à la somme des différents risques perçus. La seconde caractéristique est l’asymétrie de l’information. Les systèmes ? nanciers distribuent les fonds appartenant à des agents qui n’ont pas de connaissances précises sur les opportunités d’investissement prometteuses à des agents qui connaissent ces opportunités mais qui ne disposent pas des fonds nécessaires pour les saisir. Cette situation crée un problème d’agence entre les deux parties, qui peut être résolu de façon plus ou moins satisfaisante par le biais des contrats ? nanciers sous-jacents. Si les contrats sont incomplets et que de mauvaises nouvelles arrivent concernant certains projets d’investissement alors que les asymétries d’information ne permettent pas aux prêteurs de juger si cela affecte également d’autres projets, les ? nancements peuvent se volatiliser pour la totalité des projets, un phénomène souvent désigné par le terme de sélection adverse 7 . La propension particulière des systèmes ? nanciers à générer un risque systémique ne résulte pas simplement de ces deux imperfections. Les externalités et les problèmes d’information existent également dans d’autres secteurs économiques, mais les systèmes ? nanciers présentent des spéci? cités telles que leurs conséquences sont beaucoup plus sévères et généralisées. Premièrement, des actifs illiquides, le non-adossement des échéances entre l’actif et le passif et l’effet de levier ampli? ent le processus de répercussion des problèmes d’un intermédiaire ? nancier à travers le réseau complexe des expositions. Deuxièmement, l’existence de montants de dette importants au regard du capital et du ? nancement à court terme a des effets plus spectaculaires en période de crise. Ces caractéristiques, ajoutées aux imperfections précitées, produisent de puissantes réactions et des mécanismes d’ampli? cation qui peuvent entraîner des changements de régime soudains, faisant passer le système d’un état de relative tranquillité à une situation de turbulences (cf., par exemple, la montée en ? èche des valeurs de l’indicateur composite de tensions systémiques en août 2007 et septembre 2008 dans le graphique 1). Dans l’ensemble, on peut observer les ajustements non linéaires brutaux qui sont très caractéristiques de l’instabilité ? nancière. Un instrument d’analyse bien élaboré, conçu pour soutenir les politiques dans ce domaine, aurait permis de prendre parfaitement en compte la totalité de ces éléments. Les sections suivantes s’attachent à relever certains dé? s intellectuels que pose le développement d’un tel instrument, en utilisant les expériences de la crise actuelle et des crises précédentes. 2| DÉVELOPPER LES INSTRUMENTS D’ANALYSE POUR LES POLITIQUES RELATIVES À LA STABILITÉ FINANCIÈRE ET AU RISQUE SYSTÉMIQUE 2|1 Le fonctionnement de base des systèmes ? nanciers et les risques qu’ils impliquent Pour développer les outils d’analyse utiles aux politiques relatives à la stabilité financière et au risque systémique, un premier ensemble de défis intellectuels porte sur le fonctionnement en profondeur des systèmes ? nanciers. La crise a montré que les systèmes ? nanciers sont nettement moins bien compris qu’on ne le pensait. Même si d’importants éléments et implications de « l’ADN » des systèmes ? nanciers sont connus (leurs principales composantes, leurs fonctions essentielles, les indicateurs relatifs à leur ef? cience ou les risques fondamentaux susceptibles d’apparaître), il est dif? cile de saisir l’essence de certaines mutations majeures (les « innovations ? nancières ») et de prévoir comment l’ensemble réagit à des situations de crise spéci? ques, ces deux éléments pouvant être parfois fortement liés. 7 Stiglitz et Weiss (1981)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 163 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet La crise a appris aux autorités (et aux intervenants de marché) qu’il fallait améliorer la détection précoce de l’accumulation de vulnérabilités et de déséquilibres généralisés. Les outils analytiques servant de support à la politique en matière de stabilité ? nancière doivent donner aux autorités les moyens d’appréhender l’ef? cacité et les risques des nouveaux instruments ? nanciers et des nouveaux modèles d’activité des intermédiaires ? nanciers. Dans ce domaine, la crise a démontré en second lieu la nécessité de développer non seulement des modèles relatifs aux risques systémiques dans le secteur bancaire, mais également des modèles permettant de déterminer comment les intermédiaires ? nanciers non bancaires peuvent contribuer à la transmission de l’instabilité à l’échelle du système. Brunnermeier et Nagel (2004) ont montré que, si les hedge funds comptent, du point de vue technique, parmi les investisseurs les plus sophistiqués, entre 1998 et 2000 ils étaient massivement investis en valeurs technologiques, au lieu de constituer une force de correction des prix capable de ramener ces actions vers leur valeur fondamentale. Plus généralement, on ne mesure pas encore toutes les implications, en termes de stabilité ? nancière, de l’explosion au cours des vingt dernières années du secteur des institutions ? nancières à fort effet de levier, dont les capitaux sous gestion sont passés de 100 milliards de dollars environ en 1990 à 3 000 milliards en 2007 8 . Il convient également de souligner que les activités de certaines sociétés d’assurance sur les dérivés de crédit ont joué un rôle important dans la crise. Les activités de ce que l’on appelle les shadow banks (banques du système parallèle), qui n’étaient pas soumises au régime de surveillance des banques, ont elles-mêmes joué un rôle décisif dans la gestation de la crise des subprimes, qui a été le déclencheur de la crise ? nancière mondiale. Un troisième enseignement de la crise a trait à la nécessité d’actualiser l’image de fragmentation et de grande ef? cience des marchés ? nanciers. Ainsi que le montrent également des recherches de plus en plus nombreuses dans le domaine financier, la valorisation des actifs, les activités de ? nancement des entreprises et les processus d’intermédiation souffrent d’un certain nombre d’imperfections importantes auxquelles il convient de prêter une plus grande attention. Les externalités et l’asymétrie de l’information en sont deux exemples déjà évoqués. Les structures oligopolistiques des principaux marchés interbancaires en sont un autre. De nombreux marchés de produits dérivés sont dominés par un petit nombre d’intermédiaires ? nanciers très sophistiqués et complexes. Leur stratégie a probablement des effets très différents sur ces marchés de ce que pourrait suggérer le modèle de marchés parfaits et fragmentés. Il est nécessaire de mieux comprendre comment cette stratégie, qui parfois relève aussi d’un comportement de prédateur, est susceptible d’avoir des effets déstabilisateurs. Un courant de pensée plus radical répond aux dé? s analytiques posés par la crise sur un plan théorique plus fondamental. Il s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle certaines caractéristiques propres aux paradigmes économiques standard, notamment en macroéconomie (cf. également la sous-section 4|3 infra), ne leur permettent pas de prendre en compte les aspects essentiels des situations exceptionnelles comme celles de ces dernières années. En particulier, les modèles analytiques fondés sur une forte tendance à converger vers l’équilibre, sur une grande ef? cience des marchés et sur des agents rationnels représentatifs, ont de grandes dif? cultés à reproduire les effets d’ampli? cation, les non-linéarités et les chocs caractéristiques de l’instabilité systémique (cf. section 1 et graphique 1) 9 . Les modèles dits multi-agents ne reposent pas sur de puissants attracteurs d’équilibre et intègrent des agents hétérogènes dont les interactions directes ont une in? uence signi? cative sur les résultats économiques d’ensemble 10 . Ils s’appuient davantage sur des simulations de généralisation du comportement individuel (bottom-up) que sur des maximisations partant du niveau général (top-down). Ils ont été appliqués avec succès à un grand nombre de problèmes touchant différents domaines de la science, notamment la physique, la biologie, l’informatique, les systèmes de transports et les situations de panique, en particulier pour des problèmes dans lesquels l’ampli? cation, les phénomènes intermittents et les non-linéarités jouent un rôle signi? catif. Il sera 8 Thurner, Farmer et Geanakoplos (2010) montrent, à l’aide d’un modèle multi-agents (cf. ci-après) comment les achats à effet de levier d’actifs sous-évalués effectués par les fonds peuvent ampli? er les variations de prix. 9 Cf. Farmer et Geanakoplos (2008) pour une analyse des avantages et inconvénients des modèles d’équilibre économique 10 Cf., par exemple, Farmer et Foley (2009) ou LeBaron (2006)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 164 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet intéressant de voir dans quelle mesure les nouvelles applications au risque systémique peuvent contribuer à relever certains des dé? s examinés ci-après. Du point de vue des autorités publiques confrontées à une crise, qui doivent prendre des décisions rapides et non conventionnelles dans un contexte marqué par une non-linéarité généralisée, des avancées signi? catives dans ce nouveau domaine d’analyse sont primordiales. 2|2 La transition entre les périodes paisibles et les périodes de crise La deuxième série des dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière a trait au moment où le système passe de l’état de stabilité à celui d’instabilité. Ce qui distingue cette crise des précédentes, c’est notamment sa vitesse de propagation. Tandis que, dans les années quatre-vingt, le développement des crises de la dette souveraine s’est déroulé sur quelques années, celui de la crise ? nancière asiatique s’est compté en mois, et non en années. À son paroxysme, la crise actuelle, à partir de mi-septembre 2008 (cf. graphique 1), s’est propagée à travers le monde en l’espace de quelques jours. En physique, de tels phénomènes sont décrits comme des transitions de phase. Lorsque certains facteurs dépassent un niveau critique, un système adopte un comportement qualitativement différent de celui d’une situation dans laquelle les facteurs demeurent inférieurs à ce niveau. En s’appuyant sur des travaux de recherche fondamentale en physique concernant les « signaux de crépitement » et la « criticalité autorégulée » 11 , Bouchaud (2009) décrit comment le modèle Ising à champ aléatoire (initialement développé pour analyser l’ordre des spins dans un aimant désordonné) peut s’appliquer à la persistance et à l’éclatement des bulles ? nancières. Les investisseurs prennent leurs décisions en s’appuyant sur des variables fondamentales à évolution lente, comme les taux d’intérêt, l’in? ation, les anticipations de béné? ces etc. En parallèle, toutefois, ils sont in? uencés par l’opinion majoritaire des autres investisseurs. Sur ce point, l’opinion agrégée peut être sujette à d’importantes variations discontinues, même si les fondamentaux ne subissent pas nécessairement de changement signi? catif. En outre, l’analogie avec la physique illustre l’hystérésis de l’optimisme. De même qu’une vapeur sursaturée refuse de se transformer en liquide, de même l’optimisme s’auto-entretient (jusqu’à ce qu’un seuil critique soit atteint et qu’une « avalanche » de changements d’opinion se déclenche). Cette analogie avec la physique montre comment les déséquilibres qui se sont accumulés de façon endogène pendant une longue période peuvent faire l’objet d’une correction soudaine (cf. sous-section 1|2). Un autre enseignement en ce domaine concerne le rôle de la con? ance. Les opérations ? nancières reposent en dernier ressort sur la promesse de paiements futurs. Si les agents économiques commencent à douter que cette promesse se réalise, la con? ance peut s’évanouir et entraîner une chute sévère de la valorisation des actifs. C’est probablement encore plus vrai dans un système très complexe et fortement interconnecté, comme celui hérité de décennies d’approfondissement et de sophistication des marchés ? nanciers. Mais les facteurs non fondamentaux qui déterminent également la con? ance des agents ? nanciers dans les promesses de paiement intégrées à un système aussi complexe sont dif? ciles à dé? nir dans les modèles quantitatifs. Plus généralement, dans la pratique, il est dif? cile d’estimer comment et quand la confiance peut s’évaporer soudainement à très grande échelle, comme ce fut le cas notamment en septembre 2008, après la faillite de Lehman Brothers (cf. graphique 1). L’analyse de l’asymétrie et de l’imperfection de l’information est une orientation possible. Par exemple, des recherches récentes ont montré quels étaient les facteurs à l’origine des phénomènes de sélection adverse, qui entraînent un assèchement des marchés et une propagation de l’instabilité par contagion 12 . Une autre orientation consiste à intégrer plus largement les facteurs psychologiques dans les analyses économiques, comme on commence à le faire d’ailleurs dans le domaine de la ? nance comportementale. Tandis que la première approche repose encore sur l’hypothèse d’agents totalement rationnels, la seconde se fonde sur des données empiriques qui contredisent cette hypothèse. Akerlof et Shiller (2009) ont étudié divers facteurs psychologiques qui ont joué un rôle dans la crise actuelle, et il serait utile de mener ces travaux beaucoup plus loin 13 . 11 Sethna, Kahmen et Myers (2001) et Bak, Tang et Wiesenfeld (1988), respectivement 12 Cf., par exemple, Heider, Hoerova et Holthausen (2009) ou Morris et Shin (2010) 13 Cf. également Barberis (2009) ou Shefrin (2010)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 165 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet La conjonction de la complexité, de l’interconnexion, des promesses de paiement des contrats de dette, des limitations de l’information et de la nature humaine (les « esprits animaux ») peut entraîner des mécanismes violents de réaction et d’ampli? cation qui sont si caractéristiques du passage de la stabilité à l’instabilité. Pour toutes ces raisons, une connaissance étendue et approfondie du marché devrait continuer de jouer un rôle très important. 2|3 Les crises ? nancières et la macroéconomie Le troisième domaine dans lequel des dé? s intellectuels se posent pour l’analyse de la stabilité ? nancière a trait aux raisons pour lesquelles les autorités se préoccupent autant de la stabilité ? nancière, plus précisément de la mesure dans laquelle l’instabilité ? nancière affecte l’économie dans son ensemble, en particulier la croissance et le bien-être du consommateur, et aux raisons pour lesquelles la transmission à l’économie réelle peut se révéler parfois aussi rude. Les graphiques 2a) et 2b) illustrent la fourchette des prévisions de croissance du PIB de la zone euro selon les principaux instituts de prévision (ligne bleue en pointillés) et les taux de croissance observés (ligne orange continue), tel que ces données ont été communiquées aux responsables de la politique économique au cours des années « critiques » de 2008 et 2009, respectivement. En comparant le corridor formé par les lignes en pointillés et la ligne orange continue de la partie a) du graphique 2, on constate que tous les instituts de prévision ont constamment surestimé le taux de croissance pour 2008, même très près de la ? n de l’année. Sur la partie b) du graphique 2, on peut remarquer que le taux de croissance fortement négatif de – 4 % en 2009 (la « chute libre » de l’activité économique) a complètement échappé aux prévisionnistes jusqu’à ? n 2008. Les responsables de la politique économique, faute de disposer de prévisions ? ables, ont dû agir en s’appuyant sur des informations informelles et des données publiées en temps réel ainsi que sur leur sagesse et leur jugement propres pour apprécier l’évolution de la situation. Graphique 2 Erreurs de prévision de la croissance du PIB de la zone euro en temps réel et publications coïncidentes relatives à la croissance (%) a) 2008 b) 2009 0,0 0,5 1,5 1,0 3,5 3,0 2,5 2,0 Janv. 2008 Mars 2008 Mai 2008 Juillet 2008 Sept. 2008 Nov. 2008 T3 2007 T4 2007 T1 2008 T2 2008 T3 2008 Première publication des taux de croissance annuels (période de référence indiquée) Prévision maximale/minimale pour 2008 Taux de croissance annuel pour 2008 (ex post) T1 2008 T2 2008 T3 2008 T4 2008 - 5 - 4 - 3 1 2 3 4 0 - 1 - 2 Juillet 2008 Sept. Nov. Janv. 2009 Mars Mai Première publication des taux de croissance annuels (période de référence indiquée) Prévision maximale/minimale pour 2009 Taux de croissance annuel pour 2009 (ex post) T1 2009 Note : Le graphique a) compare la fourchette des prévisions relatives au PIB de la zone euro publiées en 2008 pour l’ensemble de l’année (corridor matérialisé par les lignes bleues en pointillés) avec le PIB ? nalement mesuré pour 2008 (ligne orange continue). La différence entre les deux correspond à l’erreur de prévision. Note : Le graphique b) compare la fourchette des prévisions relatives au PIB de la zone euro publiées entre juillet 2008 et juin 2009 pour l’ensemble de l’année 2009 (corridor matérialisé par les lignes bleues en pointillés) avec le PIB ? nalement mesuré pour 2008 (ligne orange continue). La différence entre les deux correspond à l’erreur de prévision. Les deux graphiques présentent également les chiffres de la croissance annuelle du PIB de la zone euro publiés par Eurostat pour la période s’achevant au trimestre indiqué (ligne verte continue). Les axes des abscisses se rapportent au mois de la publication concernée, sauf pour le dernier chiffre de la croissance du PIB en 2008 et 2009. La fourchette des prévisions du PIB est calculée à partir des prévisions ponctuelles maximales et minimales publiées par la Commission européenne, le FMI, l’OCDE, le Consensus économique, l’Eurobaromètre et l’Enquête auprès des prévisionnistes professionnels. Tous les taux de croissance sont exprimés en pourcentage.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 166 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet De nombreuses raisons peuvent expliquer l’ampleur des erreurs de prévision. On pourrait se contenter de les attribuer au fait qu’il est particulièrement dif? cile d’avoir une vision de l’avenir dans des circonstances extraordinaires. Il serait toutefois trop simple d’en rester là. Les erreurs peuvent aussi s’expliquer par le fait que les modèles macroéconomiques standards, qui sont généralement utilisés pour alimenter les projections, ne comportent pas de secteur ? nancier bien développé et sont de nature essentiellement linéaire. Il n’est donc guère étonnant qu’ils n’aient pas été en mesure de prévoir les graves conséquences de l’effondrement ? nancier sur les chiffres de la croissance. Aussi, un dé? intellectuel formidable consiste à élaborer des modèles agrégés qui (i) donnent aux systèmes ? nanciers le rôle central qu’ils jouent effectivement dans l’économie en dirigeant les excédents ? nanciers des entreprises, des ménages et des administrations vers les agents qui en ont besoin pour ? nancer leurs investissements et pour lisser leur consommation et (ii) intègrent dans ces systèmes ? nanciers des états d’instabilité g é n é ra l i s é e p r é s e n ta n t l e s c a ra c t é r i s t i q u e s examinées plus haut (défaillances bancaires et autres non-linéarités, effets de réaction et d’ampli? cation etc.). Bien qu’un nouveau courant de littérature traitant des modèles macroéconomiques à « frictions ? nancières » ait vu le jour, nous sommes encore très loin d’une nouvelle génération de modèles macroéconomiques qui relèveraient pleinement le dé? exposé 14 . Avec les avancées réalisées sur cet aspect de la recherche fondamentale, ces modèles pourraient également enrichir la panoplie d’outils de prévision macroéconomiques. Un dé? connexe peut être identi? é dans le domaine très important des tests de résistance macroéconomiques (stress tests). Un test de résistance classique part d’un scénario macroéconomique extrême mais plausible et examine son effet ponctuel sur les banques. Dans l’avenir, les dispositifs de tests de résistance pourraient prendre en considération la relation duale entre le système ? nancier et l’économie au sens large. Par exemple, les banques gravement affaiblies ont moins de latitude pour octroyer des prêts, ce qui a des retombées négatives sur la consommation et les investissements. Là encore, des effets cumulatifs et des ampli? cations, qui ne seraient pas pris en compte par les approches classiques, peuvent se produire dans la pratique. Par conséquent, des modèles agrégés du type décrit ci-dessus pourraient également enrichir la gamme d’outils des tests de résistance. 2|4 La régulation du risque systémique La quatrième et dernière série de dé? s intellectuels évoqués dans cet article a trait à la politique de régulation. Comment évaluer à l’avance si les mesures prises par les autorités de régulation exercent les effets stabilisateurs souhaités au niveau de l’ensemble du système ? nancier ? Cette question, étonnamment, n’avait jamais été posée. Dans le passé, la plupart des réglementations ? nancières étaient évaluées au niveau mi c roprudent iel , c’est-à-dire à l’aune de leur incidence sur les différents intermédiaires ou marchés. En l’absence de modèles agrégés présentant des caractérisations réalistes de l’instabilité ? nancière généralisée, comment concevoir de nouveaux instruments de régulation macroprudentielle et calibrer les outils adaptés à la sphère microprudentielle a? n d’obtenir les effets désirés sur la stabilité systémique et le bien-être ? À la lecture de certains résultats de la théorie des systèmes complexes, on pourrait conclure à l’impossibilité de piloter ces systèmes avec précision. Par conséquent, une solution efficace pourrait consister à s’assurer que les agents disposent, au sein du système, de volants de sécurité importants a? n de pouvoir survivre même à des chocs extrêmes, plutôt que d’essayer de supprimer ou de limiter directement les risques. Il est très dif? cile de déterminer à quelle hauteur devraient se monter ces volants. Selon la philosophie du nouveau dispositif de fonds propres et de liquidité (Bâle III), il est nécessaire qu’ils soient plus importants qu’ils ne l’étaient auparavant 15 . Bien que les nouvelles normes prévoient une multitude de mesures de régulation au niveau microprudentiel, elles comportent aussi des éléments macroprudentiels. Ces mesures ont été développées en réponse aux carences majeures identifiées pendant la crise, à savoir l’insuf? sance quantitative et qualitative de la base de fonds propres des institutions 14 Cf. BCE (2010) pour une étude de la littérature et une description plus détaillée des dé? s à venir et la sous-section 2|1 pour l’approche de la modélisation multi-agents vue comme une alternative à la macroéconomie standard 15 Ce cadre vient d’être approuvé par les gouverneurs de banque centrale et les responsables du contrôle bancaire (Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, 2010 b,c et d).Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 167 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet ? nancières, la sous-estimation du risque de liquidité ainsi que l’accumulation d’un endettement excessif au sein du système financier (qui est l’un des déséquilibres mentionnés dans la sous-section 1|2). En plus de satisfaire à des exigences réglementaires plus strictes en termes de quantité et de qualité des fonds propres réglementaires ainsi que des coussins de liquidité, les banques devront constituer des volants de fonds propres supplémentaires pendant les périodes favorables, pour couvrir les pertes en périodes de crise. Un volant dit « de conservation » des fonds propres servira de rempart contre les excès en matière de distribution de dividendes et de rémunérations pendant les périodes fastes. Ces excès ont pu contribuer à la déstabilisation de l’ensemble du secteur ? nancier dans un passé récent. Le volant de conservation sera complété par un volant contracyclique prenant explicitement en compte l’environnement macrofinancier (par exemple, une expansion excessive du crédit) dans lequel opèrent les intermédiaires ? nanciers. Ce système de volant de fonds propres devrait contribuer à limiter la procyclicité inhérente au secteur ? nancier ( le phénomène potent iel d’ac cumulat ion de déséquilibres généralisés suivie de leur résorption). Au-delà de cette procyclicité qui constitue une forme du r i sque sys témique, les régulateurs s’inquiètent de plus en plus des interconnections entre les institutions financières d’importance s y s t émi q u e (S y s t emi c a l l y imp o r ta n t f i n a n c i a l institutions – SIFI) et des externalités importantes que ces intermédiaires ? nanciers peuvent exercer sur les autres intermédiaires et l’ensemble du système (cf. section 1). Des économistes ont récemment proposé que ces intermédiaires renforcent leurs fonds propres ou s’acquittent d’un impôt ou d’un prélèvement, respectivement, proportionnellement au risque d’externalités 16 . Selon eux, si le montant de fonds propres ou celui de l’impôt/prélèvement était déterminé par l’endettement, le non-adossement des échéances et la croissance des actifs, les intermédiaires seraient dissuadés de devenir la source de ces externalités. En pratique, toutefois, les sources et les variantes de ces externalités sont multiples et de nature diverse. Les débats récents sur les politiques à mener ont montré combien il est complexe et ardu d’introduire des surcharges sur les fonds propres ou sur la liquidité dans le dispositif actuel de régulation, notamment en raison de la dif? culté de mesurer avec précision et de façon exhaustive l’ensemble des externalités (incidence systémique). Les initiatives dans le domaine de la régulation au niveau international s’articulent autour des grands axes suivants : (i) réduire la probabilité de défaillance des SIFI (ii) limiter l’incidence de leur défaillance; (iii) renforcer leur supervision et (iv) renforcer les infrastructures ? nancières 17 . Un large consensus s’est dégagé pour considérer que les SIFI devaient avoir une capacité d’absorption des pertes à la hauteur de leur importance systémique, et donc supérieure à celle des institutions non systémiques. D’importants travaux sont en cours pour identi? er les SIFI et évaluer la capacité supplémentaire d’absorption des pertes, qui devra être déterminée en associant des exigences supplémentaires de fonds propres à d’autres instruments innovants, tels que le capital contingent et la dette dite bail-in-able (permettant d’imposer des pertes aux créanciers ou d’être convertie en actions lorsque la banque est en dif? culté). Parallèlement, des efforts considérables sont déployés en vue d’améliorer la capacité de rétablissement des SIFI 18 . Les exemples les plus éloquents dans ce domaine sont la mise en place de régimes ef? caces de résolution des défaillances, le développement de plans de redressement et de résolution et la création de fonds de résolution ad hoc. Pour traiter la question des liens et de la contagion, on constate également une tendance générale à diriger les transactions, chaque fois que c’est possible, vers des contreparties centrales de compensation. De cette manière, le risque de contrepartie peut être géré plus ef? cacement et les politiques de décotes peuvent être plus opérantes. Toutefois, le développement des contreparties centrales en institutions hautement systémiques, rend nécessaire la mise en place d’une stricte surveillance de ces institutions. En? n, la conscience de l’importance de la qualité, de la quantité et de la rapidité de l’information pour la solidité et la stabilité du système ? nancier incite 16 Brunnermeier et al. (2009) et Perotti et Suarez (2009). Des mesures favorables aux marchés ont également été proposées pour atténuer les dif? cultés de ? nancement des banques en période de crise systémique de liquidité, mais elles doivent être approfondies avant de devenir opérationnelles (Nicoletti Altimari et Saello, 2010). 17 Conseil de stabilité ? nancière (2010) 18 Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (2010a) et Commission européenne (2010)Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 168 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet 19 Cf., par exemple, le mandat de l’Of? ce for Financial Research mis en place par les États-Unis 20 Cf. Comité sur le système ? nancier mondial (Committee on the Global Financial System — CGFS) pour une vue d’ensemble de l’utilisation actuelle de ces instruments et d’autres instruments de politique macroprudentielle dans le passé 21 Cf. Boissay (2010) pour une récente étude sur les origines de ces déséquilibres et leur rôle sur la stabilité ? nancière à réaliser des efforts en vue d’améliorer la collecte des données 19 , de développer les tests de résistance pour en faire un véritable outil macroprudentiel intégré à un cadre visant à renforcer la résistance du système et d’œuvrer pour une harmonisation de normes comptables re? étant aussi ? dèlement que possible la valeur économique des contrats. La crise actuelle nous rappelle également les dangers d’une dette et d’un levier d’endettement excessifs. Par exemple, nous savons que le ? nancement par endettement d’un large éventail d’agents économiques (allant des ménages aux grands intermédiaires ? nanciers complexes) ne disposant pas de revenus, de fonds propres ou de garanties suf? sants, a constitué une cause majeure de l’instabilité. L’une des données de ce problème tenant aux ? ux massifs de crédits sur les marchés du crédit hypothécaire dans un certain nombre de grands pays, on ne doit pas négliger des outils tels que le ratio loan-to-value (montant du prêt rapporté à la valeur du bien acquis) et le plafonnement de l’endettement par rapport au revenu. Certains pays émergents d’Asie ont une expérience intéressante de l’utilisation de ces instruments de politique macroprudentielle axés sur la demande 20 . Il convient de ré? échir sur la question de savoir si les expériences positives des pays ayant durci les limites d’endettement justi? eraient de généraliser ces mesures pour en faire des instruments pleinement contracycliques (tout en les assouplissant en phase de ralentissement économique). Il faut également se demander si les expériences de pays émergents de taille relativement modeste seraient transposables à de grands pays industriels dotés de systèmes ? nanciers très développés. D’un point de vue institutionnel, l’Europe a réalisé une avancée avec la création du Conseil européen du risque systémique — CERS (European Systemic Risk Board — ESRB), organe chargé de la surveillance macroprudentielle du système ? nancier au sein de l’UE. Le CERS est chargé de la surveillance du risque systémique et, le cas échéant, d’émettre des avertissements et de formuler des recommandations de politique publique sur la situation en cours et à moyen et long termes ; il s’appuie sur la panoplie des outils mentionnés précédemment et s’emploie à développer de nouveaux instruments adaptés aux évolutions du secteur. La force de cette nouvelle institution repose sur les membres qui la composent, c’est-à-dire l’ensemble des banques centrales et des autorités de surveillance de l’UE, plus la Commission et un représentant des structures du Conseil. Cette composition devrait permettre un traitement harmonisé des questions d’ordre microprudentiel et macroprudentiel et conférer le poids nécessaire à ses recommandations. La création du CERS s’inscrit dans un contexte marqué par la nécessité de gérer et de prévenir les crises. Il était temps de mettre en place de tels fondements d’un système ? nancier véritablement stable et ef? cace. Au niveau international, il est encore plus dif? cile d’apporter des réponses appropriées à l’apparition des risques systémiques. Les déséquilibres mondiaux sont toujours présents et pourraient encore se creuser à l’avenir 21 . Bien que cette question soit évoquée de façon plus détaillée dans d’autres contributions de cette revue et dépasse le champ du présent article, il convient de mener une ré? exion plus approfondie sur la manière de renforcer la résistance du système monétaire international face à ces déséquilibres et de rendre les structures politiques plus ? exibles de manière à y remédier plus ef? cacement que dans le passé. Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 169 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet La détection et l’atténuation du risque systémique constituent les principaux dé? s que doivent relever les autorités à l’aube de cette nouvelle ère de la surveillance macroprudentielle. Ils exigent des cadres et des outils analytiques permettant de comprendre ce risque et d’y porter remède. Les autorités doivent approfondir leur connaissance du fonctionnement de base des systèmes ? nanciers et des risques qu’ils génèrent. Elles doivent mieux évaluer à quel moment et de quelle manière les systèmes ? nanciers passent de l’état de stabilité à celui d’instabilité. Elles doivent développer des modèles intégrant véritablement les interactions entre l’instabilité ? nancière généralisée, la consommation, l’investissement et la croissance au niveau agrégé. Et elles doivent étoffer encore ces modèles pour pouvoir évaluer l’ef? cacité des politiques de régulation macroprudentielle dans la maîtrise des risques systémiques. Respecter cet ambitieux programme sera le dé? des années à venir. Pour le réaliser, il faudra réorienter dans ces directions d’importantes ressources au sein des milieux universitaires, des banques centrales et des autorités de surveillance. Il faudra également enrichir les modes de pensée dans les domaines de l’économie et de la ? nance. Les nouvelles approches à envisager ne doivent pas nécessairement reposer sur les seules notions d’équilibre et sur la rationalité et l’ef? cience universelles, mais aller au-delà de ces concepts. Les approches qui ont été utilisées avec succès dans d’autres domaines, tels que les sciences naturelles, pourraient constituer une source d’inspiration utile à cet égard. Le Système européen de banques centrales a réalisé un important effort de recherche en vue de développer les outils analytiques dont disposent les banques centrales avec la mise en place du réseau de recherche macroprudentielle MaRs, (Macroprudential Research network). De nombreux chercheurs de toutes les banques centrales de l’UE y contribuent, en suivant trois axes de travaux : 1) les modèles macro? nanciers reliant la stabilité ? nancière aux performances de l’économie; 2) les systèmes d’alerte précoce et les indicateurs de risque systémique et 3) l’évaluation des risques de contagion. Le réseau MaRs présentera ses principaux résultats en 2012 et, dans l’intervalle, intensi? era ses échanges avec des universitaires et des chercheurs provenant d’autres horizons que celui des banques centrales.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 170 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Jean-Claude Trichet BIBLIOGRAPHIE Akerlof (G. A.) et Shiller (R.) (2009) Animal Spirits: How Human Psychology Drives the Economy and Why it Matters for Global Capitalism, Princeton University Press, Princeton (NJ) Allen (F.) et Gale (D.) (2000) “Financial contagion”, Journal of Political Economy, 108, p. 1-33 Avesani (R. G.) (2005) “A market-based approach to evaluate ? nancial system risk and stability”, document de travail du FMI, 05/232, décembre Bak (P.), Tang (C.) et Wiesenfeld (K.) 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Les chantiers les plus importants de ce programme portent sur la régulation ? nancière et sur les déséquilibres macroéconomiques. S’agissant de la réforme de la régulation, une étape décisive a déjà été franchie avec l’élaboration du dispositif de Bâle III. Certaines questions restent toutefois en suspens, comme celle des modalités du traitement des institutions ? nancières d’importance systémique et d’une approche appropriée s’agissant du « système bancaire de l’ombre » (shadow banking system). Les déséquilibres macroéconomiques mondiaux doivent être traités non seulement parce qu’ils re? ètent les obstacles sous-jacents à une croissance soutenable mais également parce qu’ils constituent, en tant que tels, une menace pour la stabilité. Au niveau régional, la zone euro, tout en enregistrant un solde équilibré vis-à-vis du reste du monde, se caractérise par des divergences entre États membres qui font peser des tensions sur l’Union monétaire. À ces deux niveaux, il convient que les autorités axent leur approche sur des réformes structurelles a? n de s’attaquer aux causes sous-jacentes et non seulement aux symptômes. Par conséquent, les interventions directes, comme tenter de faire évoluer les comptes de transactions courantes ou les taux de change au sein des zones-cibles spéci? ques, ne sont pas à recommander. PROFESSEUR AXEL A. WEBER Président Banque fédérale d’AllemagneDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 174 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber À l’été 2007, lorsque le marché du logement a montré de plus en plus de signes de tensions aux États-Unis, rares sont les observateurs qui auraient pu imaginer ce qui allait advenir. Trois ans et demi plus tard, la pire crise économique et ? nancière de ces dernières décennies est derrière nous. Non seulement elle a eu des coûts considérables en termes de croissance, d’emplois et de ? nances publiques, mais elle a aussi mis en cause nos modèles économiques, ainsi que les institutions et les stratégies qui reposent sur ces modèles. De surcroît, elle a montré que les taux de croissance élevés atteints par l’économie mondiale dans les années qui ont précédé la crise étaient excessifs et intenables, du moins dans une certaine mesure. C’est pourquoi les autorités, sur l’ensemble du globe, se sont engagées à empêcher la réapparition d’une crise majeure comme celle que nous venons de vivre, et à restaurer la stabilité et la croissance. Cet objectif revêt une importance primordiale. Il est ambitieux mais ne doit pas susciter trop d’attentes auxquelles la politique économique aurait du mal à répondre. En effet, il nécessite la mise en œuvre de mesures complexes et de grande portée qui tirent les leçons de la crise. De plus, la politique économique a souvent un impact indirect sur l’environnement macroéconomique dans les pays à économie de marché, et il ne faut pas oublier qu’elle a joué un rôle dans l’émergence de la crise. Bien que la croissance soit généralement considérée comme un phénomène macroéconomique, on peut, en dernière analyse, l’expliquer par les activités au niveau microéconomique : c’est ce niveau-là qui détermine si les ressources qui alimentent la croissance sont allouées d’une façon qui maximise la production et le bien-être. Le système ? nancier tient une place essentielle dans ce processus, car il alloue le capital d’investissement, qui est l’un des principaux moteurs de la croissance économique. Néanmoins, la crise a révélé que le système ? nancier peut aussi être une grande source d’instabilité. Il faut donc agir pour qu’il redevienne ef? cient et stable, donc propice à la croissance économique. La section 1 de cet article se penchera sur les moyens d’y parvenir. Cependant, cette condition préalable n’est pas suffisante pour générer une croissance durable, d’où la nécessité de faire aussi porter les efforts sur d’autres aspects, en particulier sur les déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Cela ne signifie pas pour autant que les déséquilibres des comptes courants ont été l’une des causes de la crise ? nancière. Les défaillances du système ? nancier ont joué un rôle bien plus important à cet égard, mais les déséquilibres sont le signe d’obstacles sous-jacents à une croissance durable et ils accentuent l’instabilité du système. Il faut par conséquent les traiter, de même que leurs causes, a? n que l’économie mondiale puisse renouer avec une croissance plus équilibrée et plus pérenne. Ce point sera analysé dans la première partie de la section 2. Même si, dans son ensemble, la zone euro af? che un compte de transactions courantes globalement équilibré vis-à-vis du reste du monde, il existe des écarts importants entre les pays qui forment l’union monétaire. Comme les déséquilibres mondiaux, ces écarts reflètent des distorsions nationales sous-jacentes. Et, étant donné le niveau élevé d’interpénétration des économies de la zone euro, ils risquent d’avoir de graves conséquences pour tous les États membres. La crise de la dette, au premier semestre 2010, l’a très clairement montré. L’Europe a donc aussi tout intérêt à résorber les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro. Ce point sera analysé dans la seconde partie de la section 2. 1| LA RÉFORME DU SYSTÈME FINANCIER MONDIAL Nous l’avons vu, le bon fonctionnement du système ? nancier est une condition préalable essentielle à la croissance économique. Parallèlement, la crise a révélé que les failles du système ? nancier peuvent aussi être une grande source d’instabilité. Il s’ensuit que tout effort destiné à rétablir la stabilité et la croissance après la crise doit commencer par une réforme du système ? nancier mondial. Et il est fondamental que les réformes ne se contentent pas de tirer les leçons de la dernière crise en date, car la prochaine crise pourrait survenir dans un contexte très différent. Admettant à la fois cet impératif et la nécessité d’une approche mondiale, le G20 a élaboré un vaste plan d’action pour la mise en place d’une nouvelle régulation ? nancière. Globalement, il s’agit d’accroître la résilience du système aux chocs potentiels. Cette réforme est naturellement partie du cadre règlementaire mondial existant, connu sous le nom de « Bâle II ». Après avoir procédé à des ajustements ad hoc au mois de juillet 2009, le Comité de Bâle sur le Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 175 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber contrôle bancaire a proposé des changements de grande ampleur en décembre 2009. De fait, ces réformes vont si loin qu’il est prévu de remplacer Bâle II par Bâle III. En imposant aux banques de détenir davantage de fonds propres de meilleure qualité et de constituer des coussins de liquidité adéquats, ces nouvelles règles amélioreront la stabilité du secteur bancaire et formeront une première ligne de défense contre les crises systémiques. Validées lors du sommet du G20 à Séoul, elles doivent maintenant être transposées dans le droit national et appliquées dans les délais ? xés. Les faillites d’établissements ? nanciers ne pouvant jamais être totalement exclues, une deuxième ligne de défense est toutefois nécessaire si l’on veut empêcher que l’effondrement d’un établissement ne dégénère en crise systémique. Sont tout particulièrement concernées les institutions ? nancières d’importance systémique (SIFI), c’est-à-dire les banques tellement grandes ou tellement interconnectées que leur faillite pourrait provoquer une réaction en chaîne susceptible d’aboutir à une crise systémique. C’est parce que les SIFI pensent qu’elles seront de toute façon ren? ouées en cas de dif? cultés qu’elles n’hésitent pas à prendre des risques et à se lancer dans des opérations hasardeuses. La réforme de la régulation doit donc avoir pour ? nalité de contrer cet aléa moral. Une première étape pourrait consister à introduire un supplément de fonds propres obligatoires et à surveiller davantage les SIFI, a? n d’accroître la stabilité de ces établissements. Mais une faillite restant possible, la limitation de l’aléa moral nécessite in ? ne un dispositif permettant une restructuration méthodique des SIFI en dif? culté. Ce n’est que dans ces conditions que l’on pourra, de manière crédible, contraindre les investisseurs privés à ren? ouer les SIFI, et, ainsi, imposer à ces institutions la discipline de marché nécessaire. De plus, il ne faudrait soumettre à une régulation internationale que les SIFI d’envergure mondiale. La solution la plus pratique consisterait à commencer par un petit nombre d’établissements qui revêtent manifestement une importance systémique. En attendant, il convient de dé? nir une méthode pour identi? er les SIFI sur la base de critères relatifs à la taille, au degré d’interconnexion et à la substituabilité, et de la compléter par un examen faisant appel au jugement. On sait toutefois depuis la crise que les risques systémiques émanent non seulement des SIFI, mais également de l’extérieur du système bancaire of? ciel. Avant la crise, certaines banques désireuses de contourner la réglementation avaient transféré des activités à risque hors de ce système. C’est ainsi qu’est né un système bancaire parallèle, dans lequel des entités ad hoc échappaient à la régulation ? nancière. Étant donné que ces entités exerçaient les mêmes fonctions générales que les banques (transformation des échéances, notamment), le niveau de risque a ? ni par atteindre des proportions considérables, et incontrôlables. La réforme devra empêcher la réapparition d’un tel processus, d’autant qu’un encadrement plus strict du système bancaire of? ciel pourrait inciter à transférer encore davantage d’activités vers le système bancaire parallèle. Il importe par conséquent de renforcer les règles de transparence appliquées à ce dernier et, au besoin, de ne pas limiter la supervision et la régulation au système bancaire of? ciel. À cet égard, il faut partir du principe que des activités analogues doivent être régulées de façon analogue, quel que soit l’opérateur. Concernant ces aspects encore mal dé? nis de la réforme, il est fondamental que la dynamique ne s’essouf? e pas lorsque Bâle III aura été mis en place. Il faut poursuivre les efforts et intensi? er la coopération internationale si l’on veut instaurer un système ? nancier suf? samment stable et ef? cient pour répondre aux besoins de l’économie réelle et, par là-même, créer des fondements solides pour une croissance durable. Cependant, le bon fonctionnement du système ? nancier n’est que l’une des conditions préalables à une croissance forte, durable et équilibrée. Au niveau mondial, il faut aussi agir sur d’autres axes si l’on veut que la croissance et la stabilité soient au rendez-vous. Ce sont actuellement les déséquilibres mondiaux qui constituent le problème le plus préoccupant. 2| LES DÉSÉQUILIBRES MACROÉCONOMIQUES COMPROMETTENT LA STABILITÉ ET LA CROISSANCE 2|1 Au niveau mondial L’interpénétration des économies s’est accentuée au cours des dernières décennies. L’élimination des entraves à la circulation des idées, des services, des marchandises et des capitaux a fait naître une économie mondiale. Il en découle une nette Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 176 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber amélioration du bien-être, et la marge de progression de la croissance et de la prospérité reste considérable. Depuis quelques années, toutefois, la croissance de l’économie mondiale est de plus en plus déséquilibrée. Alors que, par le passé, le compte courant de la zone euro était plus ou moins équilibré, certaines économies, en particulier les États-Unis, enregistraient des dé? cits importants et persistants. D’autres, en revanche, dont la Chine et les pays exportateurs de pétrole, af? chaient, avec autant de constance, un compte de transactions courantes excédentaire. En 2006, le dé? cit des États-Unis a culminé à 6 % du PIB et, en 2007, l’excédent de la Chine a représenté 10,6 % de son PIB. Ces déséquilibres se sont réduits, dans une certaine mesure, avec la crise ? nancière : en 2009, le dé? cit des États-Unis était tombé à 2,7 %, et l’excédent de la Chine à 6 %. Cependant, cette atténuation des déséquilibres est en partie due à des facteurs cycliques, notamment à une chute brutale des cours du pétrole. Les positions des comptes de transactions courantes pourraient donc diverger encore. D’après les estimations du Fond monétaire international (FMI), en 2015, le dé? cit des États-Unis atteindra 3,3 % du PIB et l’excédent chinois ressortira à 7,8 % 1 . En principe, un excédent ou un dé? cit du compte de transactions courantes ne constitue pas un problème en soi. Techniquement, il traduit l’écart entre l’épargne intérieure et l’investissement intérieur (publics ou privés). Les pays qui épargnent davantage qu’ils n’investissent en interne ont un compte de transactions courantes excédentaire. Ceux qui investissent davantage qu’ils n’épargnent doivent emprunter à l’étranger, et leur compte de transactions courantes est donc déficitaire. Comme un particulier, une économie peut être un épargnant ou un emprunteur net, y compris sur une longue période. Ainsi, il est préférable que les pays dont la population vieillit aient un taux d’épargne supérieur à leur taux d’investissement, étant donné que le nombre de projets d’investissement qui offrent de bonnes perspectives est en baisse et que les ménages âgés souhaitent maintenir leur niveau de consommation. De même, les pays qui exportent une ressource épuisable ont tout intérêt à investir à l’étranger une partie du produit de ces ventes, a? n que les générations futures puissent elles aussi en béné? cier. Par voie de conséquence, ces pays af? chent un compte de transactions courantes temporairement excédentaire et accumulent des avoirs étrangers nets. En même temps, les pays qui rattrapent leur retard de développement économique investissent généralement davantage qu’ i l s n’épargnent : ils disposent d’un large éventail d’opportunités d’investissement, mais manquent le plus souvent de capitaux. Ils sont donc contraints d’emprunter à l’étranger, d’où un compte de transactions courantes temporairement déficitaire. En permettant de dissocier absorption intérieure et production, les déséquilibres des comptes de transactions courantes améliorent le bien-être. En effet, la consommation est lissée sur la durée et les capitaux se dirigent vers les économies qui offrent le rendement le plus élevé. Les déséquilibres des comptes de transactions courantes sont cependant plus graves quand ils sont provoqués par des distorsions. Dans ce cas, ils re? ètent simplement les obstacles sous-jacents à une croissance durable, tout en accentuant l’instabilité de l’économie mondiale. Ceux que nous observons aujourd’hui se sont amorcés au milieu des années quatre-vingt-dix. Jusqu’au début des années deux mille, ces déséquilibres étaient principalement imputables à des différences dans la rentabilité perçue. L’investissement a augmenté aux États-Unis en raison de l’essor de la haute technologie et d’une hausse attendue de la productivité. Sur la même période, il a diminué dans certains pays d’Asie sous l’effet de la crise asiatique et de la récession japonaise. Ces tendances ont ampli? é les écarts entre le compte de transactions courantes de ces pays et celui des États-Unis. À partir de 2001, la donne a changé, signe que des évolutions intenables exerçaient une in? uence croissante. Le creusement du dé? cit des transactions courantes des États-Unis, par exemple, a de plus en plus traduit une baisse générale de l’épargne. Malgré le vieillissement de la population et le surcroît prévisible de dépenses liées à l’âge, notamment des dépenses de santé, l’épargne publique s’est détériorée. De surcroît, les ménages américains ont moins épargné et emprunté davantage dans un contexte d’appréciation de la valeur des biens immobiliers. Pendant les années qui ont précédé la crise ? nancière, un autre facteur est ainsi devenu fondamental et a pesé encore plus sur les taux d’épargne : l’expansion générale des prix des actifs. Alors que le compte de transactions courantes des États-Unis était dé? citaire, celui des marchés émergents af? chait un excédent, surtout en Chine et dans plusieurs pays exportateurs de pétrole. Pour ce dernier ensemble de pays, cet excédent peut s’expliquer par un renchérissement 1 Cf. FMI (2010) : « Perspectives de l’économie mondiale », octobre, p. 222-224Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 177 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber des hydrocarbures, mais aussi par la politique de change que certains pays ont mise en œuvre a? n de soutenir arti? ciellement leurs secteurs d’exportation. Les recettes dégagées ont été dans une large mesure redirigées vers les États-Unis, ce qui a permis aux pays excédentaires d’accumuler d’importantes réserves de change. Cette stratégie, qui ne semble pas irrationnelle du point de vue de ces pays, est l’une des causes de la vulnérabilité croissante de l’économie mondiale en présence de chocs négatifs. Trop souvent, l’ampleur persistante des positions des comptes de t ransac t ions courantes n’es t pas la conséquence de décisions d’épargne ou d’investissement ef? cientes, mais le signe d’obstacles sous-jacents à la croissance, qui rendent l’économie mondiale vulnérable aux chocs. En ce sens, on peut à juste titre parler de « déséquilibres », et ceux-ci doivent être résorbés. Toutefois, il est impératif de ne pas sous-estimer la complexité du problème. La position du compte courant d’un pays dépend d’un ensemble très hétérogène de facteurs internes et externes. C’est pourquoi toute politique sensée ne cherchera pas à agir directement sur ces déséquilibres pour les atténuer, mais à mettre en place les conditions dans lesquelles la position du compte de transactions courantes résultera de décisions ef? cientes et non biaisées prises par le marché. Dans ce contexte, il importe d’admettre que la symétrie statistique des dé? cits et des excédents ne traduit pas toujours une symétrie des raisons des déséquilibres. Par conséquent, pour dé? nir quels pays doivent agir pour corriger les déséquilibres mondiaux, il est nécessaire de commencer par en identi? er les causes ultimes. De manière générale, les économies émergentes dont le compte de transactions courantes est excédentaire, ainsi que les pays exportateurs de pétrole, devraient s’attacher à éliminer toute distorsion structurelle qui limite l’expansion de leur demande intérieure. Ainsi, dans les pays dont la monnaie est sous-évaluée, une plus grande flexibilité des taux de change accroîtrait le pouvoir d’achat et contribuerait ainsi à réorienter la croissance pour que celle-ci ne soit plus tirée par les exportations mais par la demande intérieure. Une telle solution n’est toutefois pas la panacée et doit être accompagnée de réformes structurelles. En Chine, par exemple, ces réformes pourraient améliorer la protection sociale, ce qui réduirait l’épargne de précaution des ménages, et renforcer la demande intérieure en rééquilibrant le compte de transactions courantes. De leur côté, les économies dé? citaires doivent soutenir l’épargne privée, comprimer leurs dé? cits publics et stabiliser leurs ratios d’endettement. De plus, des politiques destinées à consolider les secteurs d’exportation tout en maintenant l’ouverture des marchés permettraient d’atténuer les dé? cits des comptes de transactions courantes. Dans la mesure où, avant la crise, la croissance économique était toujours supérieure à la croissance potentielle de la production, il est inévitable que l’absorption intérieure diminue sensiblement, car les niveaux de revenu et les taux de croissance qui prévalaient avant la crise ne constituent plus la référence. En l’absence de remède unique au problème des déséquilibres mondiaux, il est fondamental de traiter les causes sous-jacentes et de laisser les forces du marché opérer un rééquilibrage de l’économie mondiale. On a admis depuis un certain temps la nécessité de remédier aux déséquilibres mondiaux. Dès 2006, le Comité monétaire et ? nancier international du FMI a obtenu un accord sur des mesures destinées à réduire ces déséquilibres. Ces mesures concernaient en particulier les États-Unis, principal pays dé? citaire, ainsi que les grandes économies excédentaires d’Asie et les pays exportateurs de pétrole. Les États-Unis se sont engagés à relever leur épargne intérieure privée et à assainir leur budget fédéral, et les pays asiatiques émergents à étoffer leur demande intérieure et à ? exibiliser leurs taux de change. Les avancées dans la mise en œuvre de ces mesures ont néanmoins été relativement lentes. Le G20 a lui aussi entrepris de résorber les déséquilibres mondiaux en lançant, au mois de septembre 2009, le « Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée ». Ce cadre comporte un engagement à « promouvoir des comptes de transactions courantes plus équilibrés ». En tant qu’objectif général, il s’agit certes d’un pas dans la bonne direction, mais il est essentiel de traiter le problème des déséquilibres sur un plan structurel. Comme nous l’avons vu plus haut, les comptes de transactions courantes résultent d’un ensemble très complexe de déterminants, de sorte que toute tentative d’agir directement sur ces facteurs, à l’intérieur de limites plus ou moins arbitraires, ferait peser des pressions excessives sur les autorités compétentes. On peut adresser les mêmes critiques aux tentatives de stabilisation des principaux taux de change autour de valeurs cibles. Ces efforts de réglage macroéconomique ? n suscitent Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 178 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber dans l’opinion publique de plus en plus d’attentes que la politique économique pourrait ne pas satisfaire, et ils risquent de produire de nouvelles tensions qui nécessiteront des interventions supplémentaires. Compte tenu de ces réserves, le « Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée » pourrait soutenir efficacement le rétablissement d’une croissance mondiale plus équilibrée. En effet, contrairement aux consultations multilatérales qui ont eu lieu en 2006, les engagements pris par le G20 béné? cient de l’appui des principaux acteurs, et leur mise en œuvre est relayée au plus haut niveau, à savoir par les dirigeants du G20. De plus, le Cadre comporte un processus d’évaluation mutuelle qui pourrait donner la possibilité d’exercer des pressions entre pairs afin que les réformes structurelles nécessaires soient lancées. Néanmoins, c’est in ? ne aux autorités nationales de déployer les mesures qui permettront de réduire les déséquilibres en recourant aux forces du marché. 2|2 Au niveau européen Il existe des différences au sein de la zone euro depuis la mise en place de l’union monétaire. C’est toutefois la crise ? nancière qui a amené les autorités à s’en préoccuper. Des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas ont un compte de transactions courantes toujours excédentaire, alors que d’autres, tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Irlande, af? chent un dé? cit persistant. Là encore, ces phénomènes ne constituent pas un problème en tant que tels. Tout dépend en fait de la façon dont les ? ux de capitaux sont utilisés. Dans la zone euro, l’introduction de la monnaie unique a entraîné un accroissement de ces ? ux, pour deux raisons. Premièrement, l’euro a fait disparaître le risque de change, d’où des investissements transfrontières plus sûrs. Deuxièmement, on a estimé que les risques souverains étaient en train de converger vers un niveau relativement faible, ce qui a peut-être envoyé des signaux erronés aux investisseurs. Mais surtout, les pays en dé? cit n’ont pas toujours investi avec ef? cience les capitaux entrants. En Espagne et en Irlande, les capitaux ont af? ué sur un marché immobilier en plein essor, qui n’a pas su préserver sa dynamique. En Grèce, ils ont servi à ? nancer les dé? cits publics et, au Portugal, à soutenir la consommation privée. Cette allocation des capitaux a stimulé la demande intérieure et, en raison de la rigidité des marchés de l’emploi, les salaires ont augmenté plus rapidement que la productivité. Il en a découlé un recul de la compétitivité des prix dans les pays dé? citaires et, partant, une hausse des importations, une baisse des exportations et un creusement du dé? cit des comptes courants de ces pays. Dans une union monétaire, la politique monétaire commune a un important corollaire : les autorités nationales ont une responsabilité accrue pour la gestion des chocs idiosyncrasiques. C’est parce que l’on a ignoré cette relation fondamentale que les écarts se sont creusés. Bien que ces déséqui l ibres aient des causes intérieures, les problèmes dont ils s’accompagnent dépassent les frontières nationales. Étant donné les effets de contagion sur les marchés de capitaux étroitement intégrés de la zone euro, les déséquilibres sont également préjudiciables aux autres États membres, et à l’union monétaire dans son ensemble. Ces problèmes ont culminé dans la crise de la dette de 2010. Il est alors devenu évident qu’il fallait remédier aux déséquilibres dans la zone euro a? n de ne pas mettre gravement en péril l’union monétaire. Les causes profondes des déséquilibres étant des facteurs internes aux pays en déficit, c’est principalement à ces pays d’agir. Il faut déployer un certain nombre de réformes structurelles pour relever la compétitivité des entreprises locales en accroissant la productivité et en maîtrisant les coûts. Parallèlement, les pays dé? citaires doivent ? exibiliser leurs marchés du travail et assainir leurs ? nances publiques. Dans ce contexte, une question fait largement débat : les pays excédentaires doivent-ils, eux aussi, procéder à un ajustement ? La réponse est indéniablement oui, sur un plan théorique général. Quand la demande d’importations ? échira dans les pays dé? citaires, les pays excédentaires devront réorienter une partie de leurs ressources a? n de répondre à la demande intérieure. Ces réformes structurelles pourront faciliter ce processus dans les pays excédentaires, mais elles seront déjà salutaires en elles-mêmes. L’Allemagne, par exemple, aurait toujours intérêt à ? exibiliser ses marchés du travail pour réduire le taux de chômage de sa main-d’œuvre peu quali? ée, ainsi qu’à déréglementer ses marchés des services et des produits. L’Allemagne est également un exemple de Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 179 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber pays qui a su tirer parti de réformes structurelles de grande ampleur, et parfois douloureuses. Grâce à ces réformes, son marché du travail a résisté au récent ralentissement de l’activité économique, et la consommation privée est restée plus solide que dans d’autres pays. L’assainissement des ? nances publiques a aussi joué un rôle stabilisateur fondamental en Allemagne, ainsi que dans toute la zone euro. Aujourd’hui, le chômage est redescendu en dessous de son niveau d’avant la crise, la croissance économique est de plus en plus tirée par la demande intérieure et la grande con? ance du marché dans la solidité des ? nances publiques pro? te à l’État via de faibles coûts de re? nancement. Dans ces circonstances, certains appellent à tirer parti de l’élargissement supposé de la marge de manœuvre pour dynamiser la demande intérieure. Cependant, cette stratégie ne permettrait guère de soulager le fardeau de l’ajustement dans les pays dé? citaires : les ? ux d’échanges étant très diversi? és, un accroissement des importations des pays excédentaires n’améliorerait que marginalement le compte de transactions courantes de ces pays. Du fait de la structure actuelle des échanges, une hausse de 10 % des importations allemandes ferait augmenter de seulement 0,25 point de pourcentage le solde du compte de transactions courantes de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, et de 1 point de pourcentage celui de l’Irlande 2 . De plus, les solutions envisageables pour donner une impulsion à la demande sont el les -mêmes t rès l imi tées. I l es t quas iment impossible d’envisager de majorer les rémunérations pour soutenir la demande intérieure et réduire la compétitivité, car les autorités ne peuvent pas agir sur les salaires. En outre, d’après les simulations, les effets d’une telle politique se cantonneraient, dans leur quasi-intégralité, à l’économie intérieure, sous la forme d’une évolution de l’emploi. Il ne faut pas non plus surestimer la capacité de la politique budgétaire à stimuler la demande intérieure et les importations : dans les pays excédentaires, on observe également des tensions sur les ? nances publiques, et un ambitieux plan d’assainissement s ’ a v è re, l à a u s s i , n é c e s s a i re. C e s o n t d o n c inévitablement les pays dé? citaires qui supporteront la majeure partie du fardeau de l’ajustement. Enfin, les appels à l’adoption d’une politique macroéconomique expansionniste dans les pays excédentaires sont dif? cilement conciliables avec l’objectif d’une croissance équilibrée et durable. Étant donné les faibles répercussions sur les pays dé? citaires, l’introduction de mesures de relance supplémentaires dans les économies excédentaires, où la reprise est déjà vigoureuse, aurait un impact fo r t eme n t p ro c y c l i q u e, c e q u i a c c e n t u e ra i t l’hétérogénéité dans la zone euro et contraindrait les autorités monétaires à adopter une politique plus restrictive pour stabiliser les prix. 2 Cf. Bundesbank (2010) : On the problems of macroeconomic imbalances in the euro area, Rapport mensuel de la Bundesbank, juillet, p. 17-38Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 180 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise Axel Weber La crise économique et ? nancière a mis en lumière la nécessité de déployer un effort mondial pour empêcher que des crises d’ampleur comparable ne réapparaissent à l’avenir. Les dirigeants des différents pays du monde le reconnaissent, et le G20 apparaît comme le principal forum pour les discussions sur les mesures à prendre au niveau planétaire. La ? nalité de ces mesures est également incontestée : il s’agit de rétablir la stabilité et la croissance après la crise, et c’est dans cette optique que le G20 a élaboré un vaste programme de réformes. Le présent article a traité de deux des grands problèmes qui se posent dans ce contexte : la réforme de la régulation ? nancière et la résorption des déséquilibres mondiaux. Cependant, face à cet ambitieux programme, il importe de bien comprendre ce que la politique économique peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire. Il est bien sûr nécessaire de renforcer les institutions, en particulier le cadre qui régit les marchés de capitaux. Il est également nécessaire d’éliminer les entraves structurelles à une croissance forte, durable et équilibrée, telles que les rigidités des marchés des produits et du travail, les taux de change encadrés (incompatibles avec les fondamentaux) et le manque de viabilité à long terme des ? nances publiques. Mais une croissance forte, durable et équilibrée ne peut pas et ne doit pas être le résultat direct de la politique économique et de l’action des autorités, notamment parce que la crise ? nancière n’a pas uniquement été provoquée par le comportement des acteurs du marché. La politique économique a, elle aussi, sa part de responsabilité. En outre, il existe une raison plus fondamentale : les économies de marché sont bien trop complexes pour être micro-gérées par les gouvernements nationaux. La solution n’est donc pas « davantage d’État et moins de marché », mais « un État plus performant, pour un marché plus performant ». Le seul moyen d’y parvenir consiste à mettre en place un cadre institutionnel solide, dans lequel les forces du marché pourront agir de façon à rééquilibrer avec ef? cience l’économie mondiale et générer une croissance durable.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 181 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels Les ? ux de capitaux à destination des économies de marché émergentes, qui se sont intensi? és récemment grâce à de meilleures perspectives de croissance, aux différentiels de taux d’intérêt et à la meilleure perception des risques, sont susceptibles de déstabiliser les systèmes ? nanciers de ces pays qui ne sont généralement ni suf? samment diversi? és ni suf? samment profonds pour pouvoir absorber ces ? ux. Si l’on connaît bien les outils qui permettent de gérer les ? ux de capitaux importants, le dosage approprié des politiques économiques dépend néanmoins de la situation propre à chaque pays. La politique budgétaire, la politique monétaire, la politique de change, les interventions sur les marchés de change, les outils macroprudentiels et le contrôle sur les mouvements de capitaux sont autant d’instruments ef? caces pour faire face à la volatilité des ? ux de capitaux, mais privilégier l’un ou l’autre nécessite un arbitrage. Le dé? auquel sont confrontées les banques centrales est d’établir un cadre associant stabilité des prix et stabilité ? nancière en tant qu’objectifs principaux qui leur sont assignés et d’identi? er les instruments stratégiques permettant d’atteindre ces deux objectifs, même lorsqu’ils peuvent sembler en contradiction. Dans le contexte ? nancier actuellement dif? cile, les autorités publiques turques ont mis l’accent sur quatre principes fondamentaux sur lesquels doivent reposer les politiques budgétaire et monétaire ainsi que la réglementation pour maintenir la stabilité ? nancière : (1) encourager le ? nancement par fonds propres et décourager l’effet de levier ; (2) allonger la maturité des crédits ; (3) renforcer la position de change et le recours à des prêts libellés en monnaie locale ; et (4) mieux gérer le risque de change. Cette approche vise à utiliser le contexte ? nancier international actuel comme une opportunité pour renforcer la situation ? nancière du pays et soutenir l’approfondissement de son système ? nancier sans pour autant menacer sa santé et sa stabilité. DURMUS YILMAZ Gouverneur Banque centrale de la République de TurquieDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 182 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels DurmuS Yilmaz P lus de deux ans après la fai l l i te de Lehman Brothers, la situation du système ? nancier international semble s’être quelque peu éclaircie. Des mesures sans précédent prises par les banques centrales et les autorités budgétaires ont permis une relative stabilisation des marchés ? nanciers ? n 2009. L’activité économique s’étant accélérée, la perception du risque s’est progressivement améliorée, en dépit de l’accroissement du risque souverain dans la zone euro, des préoccupations relatives au marché de l’immobilier et au marché du travail aux États-Unis, de l’incertitude relative à la santé des institutions ? nancières dans les économies avancées, des af? ux massifs de capitaux dans les économies de marché émergentes et des risques qui leur sont associés, en? n et surtout, des questions entourant le rythme de rééquilibrage de la demande dans l’économie mondiale. On a pu établir une longue liste d’enseignements pour la stabilité ? nancière, mais leur mise en pratique fait l’objet d’un vif débat. La coopération à l’échelle mondiale est essentielle pour résoudre les problèmes actuels et faire face aux problèmes futurs, mais préserver un esprit de coopération entre les nations est de plus en plus dif? cile, le souvenir de la crise commençant à s’estomper. Dans la première partie de cet article sont examinés les dé? s auxquels sont confrontées les économies de marché émergentes au lendemain de la crise. Dans un deuxième temps, le rôle des banques centrales dans le maintien de la stabilité ? nancière est revisité. En? n, dans la troisième partie, sont présentées l’expérience de l’économie turque et la réponse apportée par la politique monétaire aux dé? s récents. 1| PERSPECTIVES POUR LES ÉCONOMIES DE MARCHÉ ÉMERGENTES Les ? ux de capitaux à destination des économies de marché émergentes se sont intensi? és récemment grâce à de meilleures perspectives de croissance, aux différentiels de taux d’intérêt et à la relative stabilité des institutions ? nancières de ces pays qui ont prouvé leur résistance et leur ? exibilité face à des chocs extrêmes. Des politiques monétaires extrêmement accommodantes dans plusieurs économies avancées ont également joué un rôle majeur dans le renforcement de cette tendance. Par conséquent, les économies de marché émergentes sont confrontées aujourd’hui à un risque croissant de bulles de prix d’actifs, de recours excessif à l’endettement et de tensions in? ationnistes, autant d’éléments qui menacent leur stabilité ? nancière. Les problèmes auxquels font face les pays enregistrant des dé? cits des transactions courantes sont bien plus délicats que ceux des pays présentant des excédents, car ils doivent affronter tant les problèmes de stabilité ? nancière posés par l’ampleur des ? ux de capitaux que le risque d’interruptions soudaines de ces ? ux. Tandis que la liquidité s’accroît dans le système ? nancier mondial grâce à la vive expansion de la monnaie de banque centrale dans les pays émetteurs des principales devises, les banques centrales des petites économies ouvertes courent le risque de perdre la maîtrise des conditions monétaires dans leur pays. L’environnement propice à une couverture des risques de taux et des risques de maturité, ainsi que l’aplatissement des courbes des taux réduisent l’in? uence des banques centrales sur le segment à long terme de la courbe. Les relèvements des taux directeurs destinés à contenir les tensions in? ationnistes et à freiner l’expansion du crédit vont probablement entraîner un nouveau creusement des différentiels de taux d’intérêt, encourageant par là même un surcroît d’entrées de capitaux, un recours accru à l’endettement, une hausse des prix d’actifs et l’in? ation. En outre, les crédits consentis en devises étrangères par le système bancaire national ou par un système ? nancier étranger ne seraient pas affectés directement par le taux directeur. Au cours des deux dernières années, les pays du G20 ont souligné l’importance d’une réglementation ma c ro p r u d e n t i e l l e p o u r t ra i t e r l e s r i s q u e s systémiques dans le secteur ? nancier et ont fait preuve d’une unité et d’une coopération sans précédent en vue de poser les bases d’un nouveau système ? nancier moins susceptible de générer des alternances de phases d’expansion et de contraction. Récemment, lorsque la volatilité des ? ux de capitaux est devenue une source de préoccupation majeure dans les économies de marché émergentes, le G20 l’a également reconnue comme un risque systémique devant être traité de façon collective. Un certain nombre de pays émergents ont déjà commencé à mettre en œuvre un large éventail de mesures pour limiter la croissance du crédit et les bulles de prix d’actifs, notamment des relèvements des taux directeurs, l’adoption de diverses mesures macroprudentielles (telles l’augmentation des Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 183 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels DurmuS Yilmaz coef? cients de réserves obligatoires, le durcissement des exigences concernant les quotités de ? nancement, le resserrement opéré avec une précision chirurgicale pour des secteurs spéci? ques) et la mise en œuvre de restrictions aux entrées de capitaux. Le caractère approprié de telles mesures doit encore être démontré, mais la réaction rapide et volontariste des autorités est une réelle avancée, les tout derniers événements ayant clairement mis en évidence qu’il est probablement moins coûteux de prendre des mesures préventives avant une crise plutôt que de faire le ménage après coup. Les flux de capitaux qui excèdent la capacité d’absorption des économies émergentes sont susceptibles de déstabiliser les systèmes ? nanciers de ces pays. Cependant, la mise en place de contrôles sur les mouvements de capitaux en réponse à ces risques ne ferait que compromettre le processus d’ajustement auquel il est nécessaire de procéder, reportant la charge du rééquilibrage de la demande de façon disproportionnée sur les pays émergents ouverts aux ? ux de capitaux et semant ainsi les germes de la crise suivante. Corriger les déséquilibres de l’économie mondiale en vue d’obtenir une croissance soutenue, durable et harmonieuse nécessiterait un ajustement des taux de change réels, par le biais des taux de change nominaux ou des prix relatifs ou en combinant les deux. Le premier canal a la faveur de certains responsables politiques, car il conduirait à un ajustement plus rapide. Comme les devises des pays émergents en excédent s’apprécient par rapport à celles des pays avancés en dé? cit, la demande intérieure se reporterait des biens et services proposés par les marchés émergents vers ceux des économies avancées. Les détracteurs de cette approche soulignent l’instabilité éventuelle pouvant résulter de fluctuations désordonnées (en termes tant de rapidité que d’ampleur) des devises et proposent un rééquilibrage de la demande par le biais d’une modi? cation progressive des prix relatifs. Selon cette approche, les taux d’in? ation dans les pays émergents en excédent resteraient à court et moyen termes supérieurs à ceux des pays avancés en dé? cit, grâce à une hausse du pouvoir d’achat des ménages par le biais de relèvements de salaires, d’un accès facilité aux marchés ? nanciers et d’une meilleure couverture offerte par des dispositifs de protection sociale. Alors que l’appréciation d’une devise en terme nominaux encouragerait exclusivement la réallocation de la demande mondiale (et éventuellement des capacités de production) sans en accroître le volume, le fait de doper le pouvoir d’achat dans les économies émergentes relèverait le niveau d’ensemble de la demande mondiale tout en facilitant son rééquilibrage. En principe, le flux de capital des économies avancées ve rs les économies émergentes et l’appréciation des devises de ces dernières au ? l du temps constituent une tendance de long terme mutuellement béné? que, soutenue par la solidité des fondamentaux, l’amélioration des perspectives de croissance et des différentiels de productivité importants. Au lieu de combattre cette tendance par des contrôles trop restrictifs sur les mouvements de capitaux ou une accumulation de réserves excessive, il est tout à fait légitime de mettre en œuvre les pol i t iques mac roprudent iel les pour at ténuer l’incidence négative de la volatilité des ? ux de capitaux, notamment ceux de nature spéculative, sur la stabilité ? nancière. Bien évidemment, la situation et les institutions économiques diffèrent d’un pays à l’autre. Un instrument macroprudentiel ef? cace dans un pays peut ne pas l’être dans un autre. Par conséquent, les autorités doivent prendre en compte les facteurs spéci? ques à chaque pays lors de l’élaboration de leur propre cadre et il est impératif que le monde universitaire et les organisations internationales s’intéressent de près à cette question et conçoivent un ensemble d’instruments en vue d’une action concrète que les autorités nationales pourront utiliser, à discrétion, pour identi? er, évaluer et gérer les risques systémiques. 2| LA STABILITÉ FINANCIÈRE ET LES BANQUES CENTRALES Il n’est pas nouveau que la stabilité ? nancière soit d’une importance cruciale pour une banque centrale. Le fonctionnement harmonieux du système ? nancier et des mécanismes de paiement constitue une préoccupation pour les banques centrales depuis qu’elles existent. En fait, c’est la raison pour laquelle elles sont quali? ées de « banque des banques » ou de « prêteur en dernier ressort » pour les institutions ? nancières. Cependant, au ? l du temps, avec la complexi? cation et la croissance exponentielle du système ? nancier, sa surveillance et sa régulation ont été transférées pour partie à d’autres institutions. Le dé? auquel sont confrontées les banques centrales est d’établir un cadre associant stabilité des prix Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 184 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels DurmuS Yilmaz et stabilité ? nancière en tant qu’objectifs principaux qui leur sont assignés et d’identi? er les instruments stratégiques permettant d’atteindre ces deux objectifs, même lorsqu’ils peuvent sembler en contradiction. Les banques centrales s’appuient généralement sur les taux d’intérêt à court terme comme instrument essentiel pour déterminer l’orientation de la politique monétaire. Les taux directeurs étant des instruments insuf? samment précis qui in? uent sur l’ensemble de l’économie, leur utilisation pour atteindre ces deux objectifs peut produire des effets indésirables. Comme l’a montré le processus conduisant à la récente crise ? nancière, le niveau optimal des taux d’intérêt qui permet d’obtenir la stabilité des prix en situation de plein emploi peut différer de celui qui est optimal pour la stabilité des marchés ? nanciers. Selon la « règle de Tinbergen », ce même instrument ne pourrait être utilisé que pour atteindre un seul objectif, qui, dans notre cas, est traditionnellement considéré comme étant la stabilité des prix. Il y a clairement besoin d’un deuxième ensemble d’outils à la disposition des autorités. Ce deuxième instrument, à mon sens, pourrait prendre la forme d’outils macroprudentiels ayant une action directe sur les activités ? nancières. L’autorité et la responsabilité ayant trait à la stabilité ? nancière doivent-elles être intégralement centralisées et con? ées aux banques centrales ? D’une part, l’avantage de con? er le pouvoir de décision et la responsabilité à une seule institution, qui se trouve être la banque centrale, est clair : pas de problème de coordination, une communication plus ef? cace d’une seule voix, et une prompte réponse aux situations d’urgence. Une telle approche comporte généralement des inconvénients. La distinction entre « indépendance des objectifs » et « indépendance des instruments » est à la base de ce que nous désignons par indépendance de la banque centrale aujourd’hui. Si les banques centrales assument l’intégralité des activités de régulation et de supervision du système ? nancier et deviennent la seule autorité en charge de sa surveillance, les instruments requis pour atteindre cet objectif peuvent arriver à un point où les principes de la démocratie nécessitent une coordination et une coopération beaucoup plus étroites avec le gouvernement, rendant ? oue la notion d’indépendance de la banque centrale. Accroître le rôle des banques centrales dans l’économie pourrait conduire à créer une entité forte et singulière dans une démocratie censée mettre l’accent sur l’obligation de rendre compte et la responsabilité de représentants élus. Les banques centrales ont joué un rôle vital dans le maintien de la stabilité ? nancière par le passé et il devrait en être de même à l’avenir. Le recours optimal aux taux directeurs et aux outils macroprudentiels pour atteindre tant la stabilité des prix que la stabilité ? nancière devrait dé? nir les critères d’évaluation de la réussite des banques centrales dans l’ère d’après crise. Pendant la crise, de nouveaux instruments monétaires ont été explorés par les banques centrales. Désormais, outre la poursuite de l’exploration de tels instruments de politique monétaire, les autorités vont devoir travailler sur l’usage de la régulation pour limiter les risques qui pèsent sur la stabilité ? nancière et concevoir à cette ? n la structure institutionnelle optimale qui réalise le parfait équilibre entre le risque d’hypothéquer l’indépendance de la banque centrale et celui de susciter des problèmes de coordination (entre la banque centrale et l’autorité de régulation et de surveillance). 3| LA STABILITÉ FINANCIÈRE ET LA POLITIQUEMONÉTAIRE EN TURQUIE La Turquie a compté au nombre des économies émergentes affichant une volatilité élevée et particulièrement sensibles à la perception des risques au niveau mondial dans les années quatre-vingt-dix et au début des années deux-mille. Cependant, cette fois-ci les vents contraires issus de la crise mondiale sont restés relativement modérés grâce à la résistance du système ? nancier et des politiques macroéconomiques prudentes. Bien évidemment, le taux de croissance de l’économie a fortement diminué, mais ni la stabilité des prix ni la stabilité ? nancière n’ont été sérieusement compromises. En fait, la Turquie a été l’un des rares pays émergents à se retrouver avec une notation plus élevée qu’avant la crise. Plusieurs facteurs expliquent cela, mais l’absence d’endettement excessif s’est révélé être le facteur clé. À la différence de ses pairs, la Turquie a vu ses ratios d’endettement se maintenir à des niveaux faibles durant la période d’excès de liquidité mondiale, grâce à l’action de l’Agence de régulation et de surveillance du secteur bancaire et de la Banque centrale de Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 185 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels DurmuS Yilmaz Turquie. En fait, la plupart des politiques mises en œuvre en Turquie depuis 2002 ? gurent dans les principes de Bâle III, tels les coussins de capital contracycliques (en Turquie, les banques ne sont pas autorisées à développer leurs activités si leur ratio n’est pas au moins supérieur de quatre points de pourcentage au minimum légal) et les ratios de liquidité (tant en monnaie nationale qu’en devises étrangères). Le niveau d’endettement du secteur public a également été réduit sensiblement grâce à une discipline budgétaire ambitieuse qui a abouti à un excédent primaire de 5 % du PIB en moyenne entre 2002 et 2006. L’envolée des crédits aux ménages à des niveaux excessifs a été évitée grâce à un resserrement opportun de la politique monétaire en 2006. Globalement, même si le niveau d’endettement du secteur privé a progressé avant la crise, en liaison avec l’effort de convergence du pays et le développement du secteur bancaire, il n’a jamais atteint des niveaux insoutenables susceptibles de menacer la stabilité ? nancière. La véritable force de l’économie a, toutefois, résidé dans la gestion des risques de change, qui constitue l’aspect le plus critique dans une petite économie ouverte. Grâce à une régulation et une surveillance prudentes, la position de change globale du secteur bancaire turc est restée à l’équilibre. Dans la mesure où les prêts en devises aux particuliers étaient interdits, mais les dépôts en devises autorisés, les ménages détenaient une position longue en devises très significative. C’est le secteur des sociétés non ? nancières qui détenait une position de change importante, de près de 10 % du PIB. Cependant, la maturité de leurs actifs étant courte et celle de leurs engagements étant longue, la position de change à court terme des entreprises turques était également quasiment à l’équilibre. Ainsi qu’on l’a vu, la faiblesse de l’endettement et de l’exposition en devises est devenue un facteur essentiel de la résistance de l’économie turque à la crise mondiale, fournissant ainsi une marge de manœuvre importante à la Banque centrale de Turquie pour mettre en œuvre dès l’origine un assouplissement résolu de la politique monétaire sans risque de compromettre l’objectif de stabilité des prix. Le système bancaire n’ayant nécessité aucune mesure de sauvetage, le gouvernement a également été en mesure de mener des politiques budgétaires c o n t ra c y c l i q u e s m o d e s t e s m a i s n é a n m o i n s ef? caces au plus fort des turbulences mondiales. Depuis début 2010, en raison de la croissance anémique de la demande extérieure, le solde du compte de transactions courantes se détériore rapidement, alors que l’in? ation sous-jacente reste faible et que l’écart de production persiste. L’af? ux récent de capitaux à destination des marchés émergents, dont la Turquie, pourrait accroître le contraste entre le rythme de reprise de la demande intérieure et celui de la demande extérieure. Si ce pro? l de croissance coexistait avec une croissance rapide du crédit et une détérioration du solde des transactions courantes, il pourrait susciter des préoccupations quant à la stabilité financière. Ces évolutions rendent nécessaires une utilisation plus efficace d’instruments autres que les taux directeurs. Par conséquent, dans un contexte ? nancier dif? cile, et qui devrait le rester dans un avenir prévisible, la Banque centrale de Turquie a mis l’accent sur quatre principes fondamentaux sur lesquels doivent reposer les politiques monétaires pour maintenir la stabilité ? nancière. Le premier consiste à décourager un effet de levier trop important et à maintenir les ratios d’endettement des banques et du secteur des sociétés non ? nancières à des niveaux peu élevés. Pour ce faire, les coef? cients de réserves obligatoires relatifs aux actifs libellés en livre turque (TRY) ont été relevés (par étapes successives à partir de septembre 2010, de 5 % à près de 10 % à compter de janvier 2011) et il a été mis ? n à la rémunération des réserves obligatoires. Le deuxième principe est d’allonger la maturité des ? ux de capitaux et des passifs bancaires. Il est important de le faire pour améliorer la qualité du compte de capital et éviter les distorsions de taux de change. Nous avons décidé d’adopter un dosage des politiques économiques propre à gérer cette situation. Nous avons abaissé le taux directeur et élargi le corridor entre les taux des prêts et des emprunts au jour le jour, a? n de permettre des variations des taux d’intérêt à court terme, en cas de besoin. Cette politique a été très ef? cace jusqu’à présent. Nous avons observé une diminution importante des entrées de capitaux spéculatifs à court terme. En outre, nous avons différencié les coef? cients de réserves obligatoires en livres turques en fonction de la structure par échéances des dépôts a? n d’allonger la structure des maturités des passifs et de réduire les distorsions d’échéances.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 186 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels DurmuS Yilmaz Le troisième principe est le renforcement de la position de change du secteur tant public que privé, qui est généralement le talon d’Achille des économies émergentes en dé? cit. Pour ce faire, la Banque centrale de Turquie a adopté un nouveau système d’accumulation de réserves de change qui lui procure plus de souplesse, tout en élevant de façon contrôlée l’incertitude sur le marché des changes pour prévenir tout risque d’aléa moral. Dans la même optique, le coef? cient de réserves obligatoires relatif aux actifs libellés en devises a été relevé à trois reprises en 2010 et maintenu à un niveau supérieur à celui applicable aux actifs en livres turques. L’Autorité de régulation et de surveillance du secteur bancaire applique également divers règlements et mécanismes de contrôle de la position de change des banques et interdit le recours à des prêts libellés en devises étrangères pour les ménages. Le quatrième principe est une meilleure gestion du risque de change par le secteur des sociétés non ? nancières par le biais d’instruments tels que le marché turc des instruments dérivés. La Banque centrale travaille en collaboration avec les agences de surveillance pour promouvoir une utilisation plus large des instruments de couverture. Même s’il apparaît assez compliqué à première vue, le cadre dont nous avons adopté l’esprit n’est pas très différent du ciblage d’in? ation traditionnel. La seule différence est que notre taux directeur, qui était auparavant le taux des pensions à une semaine, est désormais un policy mix, dosage constitué d’une combinaison des taux d’intérêt à court terme, des coef? cients de réserves obligatoires et du corridor des taux d’intérêt. Nous cherchons à utiliser une combinaison appropriée de ces instruments permettant de faire face à la fois à l’in? ation et aux risques macro? nanciers. Dans ce cadre, l’orientation de la politique monétaire n’est pas seulement déterminée par le pro? l des taux directeurs, mais par l’association de tous les instruments de politique monétaire, telle que je viens de l’exposer. De même que le ciblage d’in? ation traditionnel, cette politique est tournée vers l’avenir et subordonnée aux perspectives économiques. L’évolution du policy mix au cours de la période à venir dépendra des facteurs ayant une in? uence sur la stabilité des prix et sur la stabilité ? nancière. Nous abordons une période où les politiques des banques centrales devront faire preuve de créativité pour faire face à la « nouvelle normalité ». Pour notre part, nous considérons qu’un taux directeur plus bas et un corridor de taux d’intérêt plus large associés à des coef? cients de réserves obligatoires plus élevés peuvent constituer un policy mix ef? cace pour traiter les déséquilibres macroéconomiques en croissance rapide résultant des af? ux de capitaux à court terme. Selon les historiens, les crises ne créent pas des points de rupture dans l’histoire ; elles mettent simplement en relief les tendances existantes qui étaient moins visibles auparavant. La récente crise a mis en lumière le pouvoir économique croissant des pays émergents. Elle a également mis en évidence les points de vulnérabilité au sein du système mondial, notamment sur l’ensemble des marchés ? nanciers. Des avancées importantes ont été réalisées pour remédier à ces vulnérabilités. Cependant, il reste beaucoup à accomplir pour résorber les déséquilibres mondiaux, dans la mesure où cela implique non seulement de revisiter les politiques économiques, mais également l’infrastructure économique et institutionnelle qui les détermine. La quête d’un nouvel ordre mondial se poursuit aux niveaux tant théorique que pratique, le caractère prévisible, harmonieux et durable de ce nouvel ordre mondial dépendra des efforts de coopération et de coordination en vue d’établir une instance de gouvernance qui soit représentative des différentes économies.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 187 Du taux d’épargne Cet article explore les facteurs qui affectent les comportements d’épargne et de consommation, dans un contexte où certains estiment que le taux d’épargne élevé de l’Asie de l’Est et des pays producteurs de pétrole constitue une cause essentielle des déséquilibres mondiaux et de la crise. L’article s’intéresse aux facteurs qui expliquent les taux d’épargne élevés de l’Asie de l’Est et des pays producteurs de pétrole et les faibles taux d’épargne des États-Unis. Il tend à démontrer que l’importance de l’épargne en Asie de l’Est tient essentiellement à des facteurs culturels et structurels. De simples ajustements du taux de change nominal ne peuvent pas in? uencer le comportement d’épargne. L’article soutient également l’idée que l’épargne a augmenté en Asie de l’Est sous l’effet des plans de sauvetage élaborés par les organisations internationales après la crise de 1997. Une composante importante des politiques économiques nationales menées par la Chine depuis 2005 a consisté à encourager une réduction du taux d’épargne. Les faibles taux d’épargne des États-Unis au cours de la période récente s’expliquent essentiellement par un sentiment d’euphorie et une analyse des séries chronologiques suggère qu’il n’existe pas de relation causale signi? cative entre les comportements d’épargne et de consommation des États-Unis et ceux d’Asie de l’Est. Un ensemble d’options permettant d’ajuster le taux d’épargne au ? l du temps sont examinées dans cet article. Ces options comprennent le passage à un pro? l de croissance plus équilibré, le renforcement de la réglementation des mouvements internationaux de capitaux spéculatifs et le transfert de montants d’épargne plus élevés vers les pays en développement et les marchés émergents. En outre, une réforme du système monétaire international est nécessaire a? n de prévenir la concentration excessive des actifs étrangers dans une devise particulière. DR. ZHOU XIAOCHUAN Gouverneur Banque populaire de Chine NB : Les principales opinions exprimées dans cet article proviennent du discours prononcé par le Dr. Zhou dans le cadre de la Conférence de haut niveau organisée par la Banque de Malaisie le 10 février 2009.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 188 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Du taux d’épargne Zhou Xiaochuan I l n’exi s te pas d’expl i cat ion consensuel le fournie par la communauté des économistes et des statisticiens sur les comportements d’épargne et de consommation des ménages. La crise ? nancière ayant continué de se propager, les débats sur ses origines se sont intensi? és. Selon certains observateurs, le niveau élevé du taux d’épargne en Asie de l’Est et dans les pays producteurs de pétrole constitue l’une des causes essentielles des déséquilibres mondiaux et de la crise. Le présent article se propose d’explorer les facteurs qui sous-tendent le niveau du taux d’épargne et examine les raisons pour lesquelles il est élevé dans les pays d’Asie de l’Est et les pays producteurs de pétrole, et faible aux États-Unis. Il fournit également une brève description des évolutions du taux d’épargne en Chine et des approches visant à l’ajuster, ainsi qu’une série d’options permettant son rééquilibrage. 1| FACTEURS AFFECTANT LES TAUX D’ÉPARGNE Dans le présent article, l’« épargne » correspond à l’épargne intérieure, à l’excédent du compte de transactions courantes et aux réserves de change. À ce jour, nous ne disposons pas de travaux universitaires suf? samment robustes qui illustrent le lien entre le taux d’épargne et ses déterminants, tels que le niveau de richesse mesuré en termes de PIB par habitant, le taux de change, le développement de l’intermédiation ? nancière et des marchés ? nanciers, les traditions, les structures démographiques et le système de protection sociale. Le taux de change présente dans une certaine mesure une corrélation statistique avec le taux d’épargne mais les coef? cients sont généralement faibles et la corrélation habituellement non signi? cative. Il semble donc que l’on ne peut ajuster le taux d’épargne par le simple biais d’un ajustement du taux de change. L’identi? cation des facteurs qui déterminent le taux d’épargne constitue un dé? majeur de politique publique pour tous les pays. Il n’est possible de mettre au point une palette d’instruments ef? caces qu’après avoir identi? é ces facteurs et leur incidence sur le taux d’épargne. 2| FACTEURS À L’ORIGINE DU NIVEAU ÉLEVÉ DU TAUX D’ÉPARGNE EN ASIE DE L’EST ET DANS LES PAYS PRODUCTEURS DE PÉTROLE Les traditions, la culture, la structure familiale et démographique et le stade de développement économique constituent les principaux déterminants du niveau élevé du taux d’épargne en Asie de l’Est. Premièrement, les pays d’Asie de l’Est sont in? uencés par le Confucianisme, qui valorise le sens de l’économie, l’autodiscipline, le zhong yong ou (juste milieu), et l’« anti-extravagance ». Deuxièmement, il existe d’importantes différences culturelles dont attestent un grand nombre d’ouvrages et la littérature des différents pays. Par exemple, les pays d’Amérique latine présentent des niveaux de richesse nationale similaires à ceux des pays d’Asie de l’Est, mais leurs taux d’épargne sont plus faibles. Ce phénomène peut s’expliquer par les différences de culture, les habitants de ces régions ayant une plus forte propension à consommer et ayant tendance à dépenser rapidement la totalité de leur salaire. Troisièmement, dans les pays d’Asie de l’Est, les liens familiaux sont étroits, de sorte que les familles assument des responsabilités sociales telles que la prise en charge des personnes âgées et l’éducation des enfants. Quatrièmement, selon l’hypothèse du cycle de vie de Franco Modigliani, plus la part de la population en âge de travailler s’accroît, plus les individus économisent pour faire face à leurs besoins futurs en matière de retraite et de santé. Si l’on examine les phases de croissance économique, on observe que, en période de croissance exceptionnellement forte, la majeure partie du revenu supplémentaire est épargné, d’où un taux d’épargne particulièrement élevé. La Chine répond aux deux conditions précédemment indiquées qui déterminent un taux d’épargne élevé. Les exemples du Japon et des États-Unis permettent également de démontrer la contribution de ces facteurs à la formation du taux d’épargne. Comme les États-Unis, le Japon est un pays développé avec un niveau élevé de revenu par habitant. Les systèmes de protection sociale de ces deux pays présentent des faiblesses. Toutefois, le taux d’épargne est beaucoup plus élevé au Japon qu’aux États-Unis. Cette situation peut Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 189 Du taux d’épargne Zhou Xiaochuan être largement attribuée aux valeurs culturelles et familiales ainsi qu’aux spéci? cités démographiques du Japon, qui sont assez comparables à celles des autres pays d’Asie de l’Est. Pour certains, le niveau élevé du taux d’épargne est lié à l’insuf? sance du système de protection sociale. Si logique qu’il puisse paraître, cet argument n’est pas assez étayé au plan empirique. De plus, il repose sur l’hypothèse de la rationalité des comportements humains, les ménages augmentant leur épargne en vue de leurs besoins futurs au titre de la santé et de la retraite. En fait, cette hypothèse ne se véri? e pas nécessairement. Le niveau élevé des taux d’épargne dans les pays producteurs de pétrole s’explique autrement. Dotés d’importantes ressources pétrolières qui excèdent de beaucoup leur demande normale, ces pays accumulent tout naturellement leur richesse sous forme d’épargne. Les manuels d’initiation à l’économie commencent toujours par traiter de « l’offre, la demande et les prix », ce qui amène les lecteurs à croire que certains prix (par exemple le taux de change et le taux d’intérêt) peuvent déterminer le comportement d’épargne et de consommation. En réalité, le niveau du taux d’épargne est in? uencé par une large gamme de facteurs et ne peut être ajusté simplement par une modification du taux de change nominal. Des facteurs tels que la tradition nationale, la culture, les structures familiales, la démographie et le système de protection sociale ne peuvent être modi? és dans des délais rapides. Par conséquent, il se peut que les mesures prises par les autorités mettent beaucoup de temps à produire les effets escomptés. 3| IMPLICATIONS DE LA CRISE FINANCIÈRE ASIATIQUE POUR LE TAUX D’ÉPARGNE EN ASIE DE L’EST L’épargne en pourcentage du PIB peut être ventilée par type d’agents, à savoir les ménages, les entreprises et les administrations publiques. Si l’épargne totale est supérieure à l’investissement national, l’excédent se retrouve sous la forme de réserves de change. Pour comprendre l’augmentation spectaculaire du déséquilibre de l’épargne et des échanges commerciaux qui est apparu en Asie de l’Est après 1997, il faut examiner l’incidence de la crise ? nancière asiatique sur les taux d’épargne des pays en question. Le niveau élevé du taux d’épargne et l’importance des réserves de change détenues par les pays d’Asie de l’Est s’expliquent par des réactions de défense contre une spéculation prédatrice. Pendant la crise ? nancière asiatique, les spéculations effrénées des hedge funds ont provoqué, dans ces pays, des entrées massives de capitaux suivies de leurs retraits, ce qui a exacerbé leurs dif? cultés économiques. Les habitants de ces États ont été choqués et révoltés par ces attaques spéculatives. Par la suite, nombre d’observateurs ont suggéré que la crise était due à une spéculation prédatrice liée à l’absence de réglementation et plaidé en faveur de la mise en place d’une régulation internationale appropriée. Toutefois, pour diverses raisons, certains pays étaient hostiles à la régulation et n’estimaient pas nécessaire d’adapter les cadres réglementaires correspondants. Les organisations internationales n’ont pas non plus pris leurs responsabilités en matière de réglementation face à ces ? ux anormaux de capitaux, ce qui a contraint les pays d’Asie de l’Est à amasser des réserves de change pour se défendre. L’augmentation du taux d’épargne et de l’excédent du compte de transactions courantes dans les pays d’Asie de l’Est résulte également des plans de sauvetage mis en place par les organisations internationales. Ces plans n’ont pas prévu de régulation transfrontière des mouvements de capitaux spéculatifs, qui auraient pourtant dû faire l’objet d’une surveillance. En revanche, des conditionnalités excessives et contraignantes ont été imposées, exigeant que les pays frappés par la crise adoptent des politiques budgétaires et monétaires restrictives, relèvent leurs taux d’intérêt, réduisent leurs dé? cits budgétaires et accroissent leurs réserves de change. Au cours des dix années qui ont suivi, les pays d’Asie de l’Est ont tiré les leçons qui s’imposaient et accru leurs réserves de change ainsi que l’épargne nationale pour renforcer leurs défenses contre la crise ? nancière.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 190 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Du taux d’épargne Zhou Xiaochuan Bien entendu, des vulnérabilités étaient également présentes dans les modèles de développement économique, la gestion de la dette extérieure ainsi que les dispositifs institutionnels des pays d’Asie de l’Est. Dans le sillage de la crise, des réformes structurelles massives du secteur des entreprises et du secteur ? nancier ont été mises en œuvre, les systèmes de protection sociale ont été améliorés et les systèmes d’éducation et de santé ont été réformés. Toutefois, il faut du temps pour que ces efforts soient suivis d’effets. 4| LA CHINE PEUT-ELLE AJUSTER EFFICACEMENT SON TAUX D’ÉPARGNE ? Pendant la crise ? nancière asiatique, la Chine, qui est une grande économie responsable, n’a pas dévalué sa monnaie et a en payé le prix sous la forme d’une reprise relativement lente. La ferme détermination des autorités chinoises à maintenir la stabilité du renminbi contre vents et marées a contribué à endiguer la propagation de la crise ? nancière. Après la crise, la Chine a intensi? é ses efforts pour réorganiser les secteurs des entreprises et des administrations publiques en approfondissant les réformes axées sur l’économie de marché. La rentabilité des entreprises, en particulier des entreprises d’État, s’est accrue, la situation budgétaire s’est améliorée et le revenu des ménages a régulièrement augmenté. À compter de 2002, le taux d’épargne a commencé à augmenter, l’épargne des ménages s’inscrivant en progression constante et celle des entreprises enregistrant une forte hausse. Le taux d’épargne de la Chine est passé de 37,5 % en 1998 à 49,9 % en 2007. Sur cette période, le ratio du revenu disponible des entreprises rapporté au revenu national disponible est passé de 13 % à 22,5 %, alors que la part de revenu disponible des administrations publiques dans le total n’a augmenté que de 2 points de pourcentage. Le taux épargne des entreprises rapporté au PIB est élevé en Chine en comparaison des autres pays du monde. Cette situation est étroitement liée à la distorsion coûts/béné? ces des entreprises, qui n’a pas été résolue au cours de la transition économique du pays. Sous le régime d’économie plani? ée, le logement, la santé et la retraite étaient assurés par les entreprises et par le gouvernement et n’étaient pas pris en compte dans les salaires, ce qui a freiné la propension des ménages à épargner. L’épargne était même considérée comme « involontaire » puisqu’il fallait régulièrement faire la queue devant les magasins pour se procurer des biens de consommation dif? ciles à trouver. Après la réforme des années quatre-vingt-dix, le système du « bol de riz en fer » (emploi garanti à vie et couverture sociale) a été aboli et les entreprises ont cessé de fournir gratuitement la retraite et le logement, sans pour autant qu’un système ef? cace de sécurité sociale soit instauré. Ces évolutions ont considérablement augmenté l’incitation à constituer une épargne de précaution. Il faut toutefois un certain temps pour que le coût réel du travail se re? ète dans les coûts des entreprises. Par conséquent, les béné? ces considérables induits par la distorsion des coûts n’ont pas été affectés à des comptes d’engagements liés à la retraite, à la couverture santé et au logement des employés, comme cela aurait dû être le cas, d’où une hausse considérable de l’épargne des entreprises. C’est ce qui explique en grande partie l’augmentation de l’épargne des ménages et des entreprises. C’est également la raison pour laquelle certains ont suggéré qu’une partie des actions détenues par l’État dans les sociétés cotées devrait être transférée au fonds national de sécurité sociale. Les autorités chinoises ont clairement l’intention de réduire le taux d’épargne. Depuis 2005, les politiques économiques nationales se sont largement attachées à augmenter la demande intérieure et à renforcer la consommation, ce qui devrait permettre d’aboutir à cet objectif. Cependant, des études approfondies sont nécessaires pour identi? er les facteurs in? uençant le taux d’épargne, son élasticité au regard de ces facteurs ainsi que les mesures spécifiques d’ajustement à effectuer. Par ailleurs, le caractère incomplet des réformes dans certains domaines a entravé le processus d’ajustement du taux d’épargne. Bien que les entreprises privées en Chine soient déjà régies par les mécanismes du marché et affranchies du coût de la distorsion, les réformes du secteur public sont inachevées malgré des réalisations considérables dans le secteur des entreprises d’État. L’absence d’une structure de coûts clairement dé? nie et pleinement monétisée a entravé l’ajustement du taux d’épargne. Il est donc important d’accélérer la réforme du secteur public et la transformation des fonctions du gouvernement.Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 191 Du taux d’épargne Zhou Xiaochuan 5| OBSERVATIONS RELATIVES AU FAIBLE TAUX D’ÉPARGNE DES MÉNAGES AUX ÉTATS-UNIS Au cours des dernières années, le taux d’épargne des ménages aux États-Unis est passé par deux phases : avant le milieu des années quatre-vingt-dix, il s’établissait entre 7 % et 10 % ; après 1997, il a considérablement diminué et s’est accompagné d’importants « dé? cits jumeaux », notamment le dé? cit commercial. Certains ont attribué ce faible taux d’épargne à « l’euphorie » provoquée par les performances économiques américaines depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. En particulier, à la ? n des années quatre-vingt et au début de la décennie suivante, après l’effondrement du système de plani? cation centralisée de l’ex-Union soviétique et de l’Europe de l’Est, la croissance dans ces régions a régul ièrement diminué. Dans les années quatre-vingt-dix, l’économie japonaise était également engluée dans une stagnation persistante, et les performances économiques de l’Union européenne (UE) étaient peu brillantes en raison de problèmes structurels, notamment de la rigidité du marché du travail. Les États-Unis, en tant qu’économie la plus importante, pouvaient se targuer d’avoir le système économique optimal, apparemment sans égal dans le monde. En termes de système économique, seule l’Asie relevait encore le dé? et ce, jusqu’en 1997, année après laquelle les économies asiatiques ont encaissé des chocs majeurs. En revanche, l’économie américaine a fait preuve d’une ? exibilité et d’une capacité de résistance prononcées et s’est rapidement remise des attentats du 11 septembre et de l’éclatement de la bulle des valeurs technologiques. Le sentiment d’euphorie du marché s’est ainsi renforcé et s’est répercuté sur le comportement d’épargne des ménages américains. Toutefois, l’ampleur sans précédent de la crise ? nancière actuelle devrait fortement tempérer ce sentiment d’euphorie. Les séries chronologiques montrent que ce cycle d’épargne faible et de consommation élevée a démarré aux États-Unis au milieu des années quatre-vingt-dix. En revanche, le taux d’épargne des pays d’Asie de l’Est n’a augmenté qu’après la crise ? nancière asiatique et celui de la Chine à partir de 2002 seulement. La différence de la distribution temporelle indique qu’il n’existe pas de lien de causalité signi? catif entre les deux situations. 6| OPTIONS PERMETTANT L’AJUSTEMENT DU TAUX D’ÉPARGNE Le déséquilibre de l’épargne au niveau mondial a de nombreuses explications. Il semble inapproprié de lier le taux d’épargne exclusivement au taux de change et il est également irréaliste de vouloir résoudre à court terme les problèmes qui se posent à long terme. Il convient, au contraire, d’adopter une optique plus large et plus exhaustive pour examiner la question du déséquilibre de l’épargne. En premier lieu, une panoplie complète de remèdes est nécessaire. Bien que les États-Unis ne puissent pérenniser le modèle de croissance caractérisé par une consommation élevée et une épargne faible, le moment est actuellement mal choisi pour augmenter leur taux d’épargne. Il convient de trouver le juste équilibre entre la stimulation de la consommation et le coup de pouce à la reprise économique. De leur côté, les nations d’Asie de l’Est doivent se préoccuper du modèle de croissance économique, de la structure économique, du système des prix, entre autres, a? n de réduire leur taux d’épargne. Bien entendu, la réforme du mécanisme de taux de change fait partie de ces remèdes. Le gouvernement chinois s’est attaché, d’une part, à stimuler la demande intérieure pour soutenir la croissance économique dans un effort pour résoudre la crise ? nancière actuelle et, d’autre part, à conduire l’ajustement économique. Le plan de relance d’un montant de 4 000 milliards de renminbis, l’un des plus importants au monde, est essentiellement un programme axé sur le volet dépenses, qui met l’accent sur le bien-être public, la création d’emplois et la croissance des revenus dans les zones rurales et au sein des groupes défavorisés. En deuxième lieu, les pays et les organisations internationales doivent renforcer leur coopération et intensi? er la réglementation des mouvements internationaux de capitaux spéculatifs. La crise ? nancière actuelle souligne la nécessité de renforcer la réglementation des ? ux de capitaux internationaux et d’améliorer leur transparence. Les organisations internationales et les pays concernés doivent aider les pays en développement à mettre en place un système robuste d’alerte précoce et à se prémunir des attaques de la spéculation prédatrice. La coopération internationale doit être renforcée a? n d’améliorer le mécanisme d’aide. Si les marchés émergents rencontrent des dif? cultés temporaires de balance Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 192 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 Du taux d’épargne Zhou Xiaochuan des paiements, l’aide internationale doit être rapide et les conditionnalités qui y sont attachées doivent être réduites. Cela encouragerait ces pays à diminuer l’épargne, y compris les réserves de change, et à accroître la demande intérieure. En troisième lieu, des mesures appropriées doivent être prises pour orienter davantage d’épargne vers les pays en développement et les marchés émergents. Une épargne qui se dirige des marchés émergents vers les économies avancées constitue un processus qui n’est ni rationnel ni cohérent avec l’intention de ces dernières d’accroître leur épargne intérieure. Toutefois, l’ajustement du taux d’épargne des pays d’Asie de l’Est ne produira pas des effets immédiats. Dans le même temps, l’épargne des pays producteurs de pétrole restera sans doute à un niveau élevé aussi longtemps que les prix du pétrole ne baisseront pas davantage. Par conséquent, le déséquilibre mondial de l’épargne persistera encore pendant un certain temps. La principale priorité, à l’heure actuelle, est de faciliter le ? ux rationnel de l’épargne et d’améliorer l’ef? cacité de son allocation. Une option consiste à réorienter l’épargne excédentaire vers d’autres pays en développement et marchés émergents, qui béné? cient de ressources abondantes et d’un faible coût de main-d’œuvre mais souffrent d’une insuf? sance de capitaux. Ces économies constituent en effet les futurs moteurs de la croissance de l’économie mondiale. En? n, il faut avancer sur la voie de la réforme du système monétaire international. À l’heure actuelle, le dollar des États -Unis est utilisé dans la plupart des échanges commerciaux et des transactions ? nancières au niveau international et constitue également la principale monnaie de réserve. Selon les données du Fonds monétaire international (FMI), le dollar représentait 63,9 % du total des réserves de change à ? n 2007. Si les pays augmentent leur épargne et que celle-ci prend la forme de réserves de change libellées en dollars, les capitaux af? ueront inévitablement vers les États-Unis. À court terme, ce pays a peut-être besoin d’entrées de capitaux plus importantes a? n de faire face à la crise ? nancière ; à long terme, cependant, ces af? ux importants ne sont pas propices aux ajustements de son modèle de croissance économique. Par ailleurs, la concentration excessive d’actifs étrangers dans une devise particulière risque d’avoir des répercussions indésirables. En conséquence, par-delà le renforcement de la coopération réglementaire et la rationalisation de l’allocation de l’épargne, la communauté internationale doit progresser sur la voie de la réforme du système monétaire international. Des efforts doivent être faits pour renforcer la surveillance des politiques économiques et ? nancières des principaux pays disposant d’une monnaie de réserve et améliorer le statut des droits de tirage spéciaux (DTS), a? n de faire évoluer le système monétaire international dans le sens d’une diversi? cation sur le long terme.ÉTUDES PUBLIÉES Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 193 La liste ci-après recense l’ensemble des études publiées dans la Revue de la stabilité ? nancière depuis sa création. Ces études sont disponibles sur le site Internet de la Banque de France (www.banque-france.fr) Novembre 2002 Eurosystème, zone euro et stabilité ? nancière Les dérivés de crédit, nouvelle source d’instabilité ? nancière ? Quel crédit accorder aux spreads de crédit ? Le développement des clauses contingentes : état des lieux et implications pour la stabilité ? nancière Infrastructures post-marché et stabilité ? nancière Le système CLS : une réponse au risque de règlement dans les opérations de change Codes et standards internationaux : enjeux et priorités pour la stabilité ? nancière Juin 2003 La volatilité boursière : des constats empiriques aux dif? cultés d’interprétation Vers un « continuum de marché » ? Modèles structurels et interactions entre marchés de crédit et d’actions L’évolution des facteurs in? uant sur le comportement des gestionnaires institutionnels : incidence potentielle sur les marchés de capitaux Une revue analytique des instruments de transfert du risque de crédit Normalisation comptable internationale et stabilisation ? nancière Vers un Code de bonne conduite volontaire pour restructurer la dette souveraine Novembre 2003 Stabilité ? nancière et nouvel accord de Bâle Les ? uctuations des prix d’actifs font-elles peser un risque sur la croissance dans les grands pays industrialisés ? Interactions entre cycles réels, cycles boursiers et taux d’intérêt : faits stylisés Les dé? s de la gestion alternative La protection des systèmes nets de paiement et de titres à règlement différé : les exemples du SIT et de Relit Vulnérabilités et surveillance du système ? nancier international Juin 2004 L’incidence des notations sur les dynamiques de marchés : une revue de la littérature Résultats de l’enquête de place française sur les instruments de transfert de risque de crédit Techniques de marché des dérivés de crédit : les swaps de défaut Interdépendance des marchés d’actions : analyse de la relation entre les indices boursiers américain et européens Goodwill, structures de bilan et normes comptablesDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 194 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 ÉTUDES PUBLIÉES Novembre 2004 Bilan des « stress tests » menés sur le système bancaire français Assurance et stabilité ? nancière La surveillance des moyens de paiement scripturaux : objectifs et modalités de mise en oeuvre La robustesse des infrastructures post-marché et des systèmes de paiement Gestion du risque de crédit et stabilité ? nancière Juin 2005 Le marché des CDO Modalités de fonctionnement et implications en termes de stabilité ? nancière Soutenabilité de la dette publique et crises des pays émergents : présentation des concepts et des instruments de diagnostic Le risque de taux d’intérêt dans le système bancaire français La gestion du risque de taux par les sociétés d’assurance-vie et les fonds de pension Analyse par simulations de l’impact d’une défaillance technique d’un participant à un système de paiement Novembre 2005 Surveillance prudentielle et évolution des normes comptables : un enjeu de stabilité ? nancière Capital réglementaire et capital économique Portée et limites des VaR publiées par les grandes institutions ? nancières L’impact des chocs boursiers sur le crédit en France depuis le milieu des années quatre-vingt-dix (Re) structuration des dettes souveraines Où en est-on ? Mai 2006 Mieux appréhender les risques du portefeuille de négociation La liquidité de marché et sa prise en compte dans la gestion des risques Productivité et prix des actifs boursiers Les capitaux propres des entreprises et la stabilité ? nancière : l’apport d’une approche par « les capitaux propres nets en risque ou net worth at risk » Les progrès de l’intégration monétaire et ? nancière en Asie Les implications de la globalisation pour la stabilité ? nancière Décembre 2006 Les matières premières : une classe d’actifs à part entière ? Les pays émergents forment-ils toujours une classe d’actifs homogène ? Flux de capitaux et dynamisme du crédit dans les pays émergents Les indicateurs d’aversion pour le risque peuvent-ils anticiper les crises ? nancières ? Liquidité bancaire et stabilité ? nancière Microstructure des marchés monétaires et ? nanciers Le dispositif de Bâle II : rôle et mise en œuvre du pilier 2Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 195 ÉTUDES PUBLIÉES Avril 2007 Hedge funds, transfert du risque de crédit et stabilité ? nancière Évolution et régulation des hedge funds Quelle forme de régulation pour les hedge funds ? Hedge funds et stabilité ? nancière Hedge funds et risque systémique Stratégies de réplication des hedge funds : conséquences pour les investisseurs et les régulateurs Hedge funds et prime broker dealers : éléments de proposition en matière de « bonnes pratiques » Exigences de transparence et hedge funds Risques et rendement des activités bancaires liées aux hedge funds La supervision indirecte des hedge funds Quelles sont les principales questions liées aux hedge funds ? La surveillance des hedge funds : un point de vue de stabilité ? nancière Le monde des hedge funds : préjugés et réalité La contribution de l’AMF au débat sur les stratégies de gestion alternative Conditions ? nancières, gestion alternative et risques politiques : tenter de comprendre notre époque Les hedge funds sur les marchés émergents Les fonds de hedge funds : origine, rôle et perspectives Hedge funds : un point de vue de banque centrale Février 2008 Liquidité et contagion ? nancière Les chaises musicales : un commentaire sur la crise du crédit Liquidité de marché et stabilité ? nancière Dix questions à propos de la crise des prêts subprime Qu’est-il advenu de la dispersion des risques ? La gestion du risque de liquidité La réglementation de la liquidité et le prêteur en dernier ressort Dé? cits de liquidité : fondements théoriques La liquidité sur les marchés mondiaux L’impact de la directive MIF sur la liquidité des marchés ? nanciers Liquidité de marché et liquidité bancaire : interdépendances, vulnérabilités et communication ? nancière Actifs liquides, contraintes de liquidité et déséquilibres mondiaux L’innovation ? nancière et la frontière de la liquidité Liquidité des marchés ? nanciers et le prêteur en dernier ressort Évolutions récentes de la liquidité intrajournalière dans les systèmes de paiement et de règlementDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 196 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 ÉTUDES PUBLIÉES Octobre 2008 Les dé? s de la valorisation dans un environnement changeant La valorisation aux prix de marché convient-elle aux institutions ? nancières ? Dé? nir un cadre adapté au fonctionnement des marchés de capitaux modernes – Les leçons de la crise récente Révision des pratiques de valorisation sur l’ensemble du cycle économique : davantage de symétrie est nécessaire Valorisation et fondamentaux La prise en compte des événements extrêmes pour la valorisation d’options européennes Juste valeur et stabilité ? nancière : enjeux de marché et dynamiques stratégiques Comment réagir face aux bulles des prix d’actifs ? Réglementation, valorisation et liquidité systémique Comptabilisation en juste valeur et stabilité ? nancière Procyclicité des systèmes ? nanciers : est-il nécessaire de modi? er les règles comptables et la réglementation actuelles ? Valorisation dans l’assurance et crise ? nancière Instiller de la transparence dans l’information ? nancière : vers l’amélioration du cadre comptable après la crise du crédit Améliorer la comptabilisation en juste valeur Septembre 2009 Quelle régulation ? nancière pour l’après-crise ? Le système bancaire parallèle : implications pour la régulation ? nancière Gérer la transition vers un système ? nancier plus sûr Réforme de l’architecture ? nancière globale : un nouveau contrat social entre la société et la ? nance L’approche macroprudentielle appliquée à la régulation et à la surveillance ? nancières Minimiser l’impact des crises ? nancières à venir : six points incontournables pour réformer la régulation Ré? exions sur l’ef? cacité de la régulation ? nancière Le traitement des banques en dif? culté Credit default swaps et stabilité ? nancière : quels risques ? Quels enjeux pour les régulateurs ? L’avenir de la régulation ? nancière L’avenir de la régulation ? nancière : échange de vues Émergence d’une ébauche de régulation ? nancière : dé? s et dynamique Régulation-supervision : quelles perspectives pour l’après-crise ? Au-delà de la crise : la réponse stratégique du Comité de BâleDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 197 ÉTUDES PUBLIÉES Juillet 2010 Repenser les marchés des dérivés de gré à gré pour garantir la stabilité ? nancière Les CDS : quels avantages et coûts collectifs ? Fiat lux – Un jour nouveau sur les marchés de produits dérivés Dette publique et interactions avec les marchés dérivés : le cas européen Les produits dérivés : le point de vue d’un assureur Credit default swaps et stabilité ? nancière Les credit default swaps Innovation ? nancière ou dysfonctionnement ? nancier ? Faut-il interdire la spéculation sur les marchés des obligations souveraines ? Les marchés de produits dérivés de gré à gré en Inde : questions et perspectives Produits dérivés de gré à gré et compensation centrale : toutes les transactions peuvent-elles faire l’objet d’une compensation ? La ? nance du XXI e siècle ne peut faire l’économie d’une bonne régulation des marchés dérivés de gré à gré Risque systémique : une approche alternative Produits dérivés OTC : dé? s pour la stabilité ? nancière et réponses des autorités Sous-collatéralisation et « réhypothécation » sur les marchés des produits dérivés de gré à gré Silos et silences : les dif? cultés à déceler les problèmes liés aux instruments de crédit structurés et les leçons pour l’avenir Réduire le risque systémique sur les marchés de dérivés de gré à gré (OTC) Credit default swaps : Quels sont les risques et dé? s en matière de stabilité ? nancière ? Structure des marchés de dérivés OTC et pro? ls de crédit des banques de ? nancement et d’investissement Contreparties centrales et stabilité ? nancière : quelles leçons tirer de la théorie des réseaux et du risque endogène ? Marché des CDS et marché obligataire : qui dirige l’autre ? Risque de concentration et nombre optimal de contreparties centrales pour un actif uniqueDéséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière 198 Banque de France • Revue de la stabilité ? nancière • N° 15 • Février 2011 ÉTUDES PUBLIÉES Février 2011 Déséquilibres mondiaux : le point de vue de l’Agence monétaire saoudienne Les ? ux internationaux de capitaux et le repli vers les actifs sûrs aux États-Unis, 2003-2007 La stabilité ? nancière confrontée aux af? ux massifs de capitaux : le point de vue d’un marché émergent Les déséquilibres mondiaux, le système monétaire international et la stabilité ? nancière Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque du Mexique Complémentarité et coordination des politiques macroéconomiques et ? nancières pour remédier aux déséquilibres internes et externes Déséquilibres mondiaux : un problème commun à résoudre pour les économies avancées et les économies de marché émergentes Équilibre mondial et stabilité ? nancière : des objectifs indissociables pour un système économique mondial résistant Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque d’Angleterre Déséquilibres mondiaux et pays en développement Les déséquilibres mondiaux : un point de vue sud-africain La nature volatile des ? ux de capitaux : l’expérience indonésienne et les nouveaux rôles du FMI Déséquilibres mondiaux et stabilité ? nancière Les déséquilibres mondiaux et les déséquilibres des comptes de transactions courantes Les déséquilibres mondiaux vus au travers du prisme de l’épargne et de l’investissement Déséquilibres mondiaux : le point de vue de la Banque de réserve d’Inde Les dé? s intellectuels qui se posent à l’analyse de la stabilité ? nancière à l’ère de la surveillance macroprudentielle Renouer avec la stabilité et la croissance après la crise La règle de Tinbergen revisitée : le maintien de la stabilité ? nancière à l’aide d’outils macroprudentiels Du taux d’épargne« Vous recevez cette publication de la part de la Banque de France parce que vous ? gurez dans la liste informatique de ses contacts. Vos coordonnées ne sont pas transmises à des tiers. Si vous souhaitez modi? er les informations vous concernant ou si vous ne souhaitez plus recevoir cette publication, merci de nous le préciser à tout moment dans le coupon-réponse que vous adresserez à : Banque de France 07-1397 SDRP Pôle Support aux Relations Externes 75049 Paris Cedex 01 ou par courriel à diffusion@banque-france.fr ». 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